26 août 2015

L’Avventura (1960) de Michelangelo Antonioni

L'AvventuraSur un petit yacht à moteur, un groupe de riches italiens se rendent sur l’île volcanique et déserte de Basiluzzo au nord de la Sicile. Parmi eux, Anna et son fiancé Sandro et son amie Claudia. Anna traverse une phase d’incertitude, elle n’est pas sûre de ses sentiments pour Sandro. Au moment de quitter l’île, le groupe découvre qu’Anna a disparu. Tout le monde se met à sa recherche. Elle demeure introuvable… Après cinq premiers longs métrages plus conventionnels, Antonioni signe son premier film marqué par un ton nouveau et l’empreinte d’un auteur : L’Avventura. Avec La Nuit et L’Eclisse qui suivront les années suivantes, le film marque un tournant dans la filmographie du cinéaste mais aussi dans le cinéma italien, voire dans le cinéma tout court. A l’époque, le film a perturbé car il bouscule certaines conventions sur le déroulement du récit : peu importe ce qui arrivé à Anna, le sujet de L’Avventura est plus ces petits errements qui font notre quotidien (1). Claudia va peu à peu, et non sans culpabilité, prendre la place d’Anna auprès de Sandro : un couple qui se forme, se perd, se reforme, se reperd… Antonioni déplace l’objet du cinéma depuis le récit vers une certaine esthétique de la sensation. Cette approche peut encore dérouter aujourd’hui : beaucoup lui reprochent une certaine lenteur. Personnellement, je ne lui en trouve aucune.
Elle: 4 étoiles
Lui : 4 étoiles

Acteurs: Gabriele Ferzetti, Monica Vitti, Lea Massari
Voir la fiche du film et la filmographie de Michelangelo Antonioni sur le site IMDB.

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L'Avventura
Gabriele Ferzetti et Monica Vitti dans L’Avventura de Michelangelo Antonioni

Remarques :
*Après un début de carrière au théâtre, Monica Vitti fait ici vraiment ses débuts au cinéma. L’actrice et son metteur en scène auront une relation qui durera 5 à 6 ans.
* Le tournage des séquences sur l’île a été quelque peu mouvementé : abandonnée par le producteur et par les techniciens en grève, la petite équipe réduite à sept personnes s’est retrouvée isolée sur l’île, se nourrissant de caroubes et de gâteaux moisis sous une pluie battante.

(1) Sur ce point, je ne peux que citer Mathias Sabourdin dans son excellent Dictionnaire du cinéma italien : « Personne mieux qu’Antonioni n’a su témoigner de notre rapport sensible au temps et à l’espace, à cette trame infinie d’objets, de paysages, d’évènements insignifiants, de gestes et de regards qui fait notre quotidien. » (Dictionnaire du cinéma italien, ed. Nouveau Monde 2014, p. 105).

14 août 2015

Le Quai des brumes (1938) de Marcel Carné

Le Quai des brumesUn soldat déserteur de l’armée coloniale arrive au Havre dans la nuit pour tenter de s’embarquer pour un pays lointain. Dirigé par un vagabond amical vers un bar au milieu d’un terrain vague, il y fait la rencontre du patron qui lui donne à manger, d’un peintre suicidaire et d’une jeune fille triste au regard clair… Avec sa célèbre réplique, Le Quai des brumes fait aujourd’hui partie de ces quelques films qui sont comme statufiés dans l’histoire du cinéma. Il n’en a pas toujours été ainsi : il fut longtemps vilipendé aux deux extrêmes de l’échiquier politique du fait de sa noirceur. Le film est marqué par Prévert qui en a écrit le scénario en se basant sur un roman de Pierre Mac Orlan. Cela ne signifie pas que Carné se soit totalement effacé : on lui doit certainement la symbiose si réussie, ce fameux « réalisme poétique » si spécifique au cinéma français des années trente. Car le réalisme frise ici le fantastique, l’irréel et l’histoire n’est pas le point principal : Le Quai des brumes est un film d’atmosphère qui nous fait basculer dans une poésie noire sans complaisance qui reflète dans une certaine mesure le climat de son époque. Ses personnages sont ou désabusés, à l’image de ce peintre qui peint « les choses qui sont derrière les choses » et bien entendu du soldat Jean, ou des méchants odieux et caricaturaux (la scolopendre Zabel ou la petite frappe Lucien), ou encore des âmes dont la pureté tente de survivre aux souillures de l’environnement (Nelly). L’amour reste aux yeux de Prévert le plus fort, c’est la fleur qui jaillit de cette grisaille. La musique de Maurice Jaubert et la magnifique interprétation contribuent à rendre les personnages inoubliables. C’est pour toutes ces raisons qu’une phrase aussi banale que « T’as de beaux yeux, tu sais » a pu devenir ainsi la réplique la plus célèbre du cinéma français. Le film a été récemment restauré, certains plans ont été réintégrés, ce qui permet de mieux en profiter aujourd’hui. A noter enfin que les décors sont l’oeuvre du grand chef-décorateur Alexandre Trauner.
Elle: 4 étoiles
Lui : 5 étoiles

Acteurs: Jean Gabin, Michel Simon, Michèle Morgan, Pierre Brasseur, Édouard Delmont, Raymond Aimos, Robert Le Vigan
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Lire aussi les informations sur la restauration de Quai des brumes sur le site internet de la Cinémathèque française… (avec également de très intéressantes informations sur la production du film : on y apprend par exemple que le film devait initialement être produit par l’UFA).

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Quai des brumes
Jean Gabin et Michèle Morgan dans Le Quai des brumes de Marcel Carné.

Quai des brumes
Michèle Morgan (alors âgée d’à peine 18 ans) et Michel Simon dans Le Quai des brumes de Marcel Carné. En la voyant ainsi, il est difficile de ne pas penser à Greta Garbo (notamment la Garbo d’Anna Christie).

27 juillet 2015

Usual Suspects (1995) de Bryan Singer

Titre original : « The Usual Suspects »

Usual SuspectsUne fusillade sur un cargo à quai dans le port de Los Angeles laisse le bateau en flammes et plus de vingt morts. L’un des rares survivants est interrogé par la police. Il raconte que tout a commencé six jours auparavant lorsque cinq suspects ont été arrêtés pour une attaque à main armée qu’il n’avait pas commise… Ecrit par Christopher McQuarrie et réalisé par Bryan Singer (son deuxième long métrage et, sans aucun doute, son plus remarquable), Usual Suspects a fait bouger les codes bien établis du film policier, principalement par sa construction qui est assez admirable ; entremêlant présent et flashback, elle forme un puzzle dont les pièces ne sont dévoilées que progressivement. Le déroulement du scénario nous tient ainsi constamment en haleine. Les personnages sont bien définis et bénéficient d’une interprétation parfaite, dans l’ensemble assez retenue, avec une mention spéciale pour Kevin Spacey et Gabriel Byrne. La musique est parfaitement intégrée et utilisée. Le twist final a beaucoup marqué les esprits : on pourra toujours objecter que Usual Suspects n’est pas le premier film à se terminer ainsi avec un retournement qui surprend le spectateur mais c’est incontestablement après lui que le twist final est devenu une figure obligée du genre.
Elle:
Lui : 4 étoiles

Acteurs: Gabriel Byrne, Kevin Spacey, Benicio Del Toro, Stephen Baldwin, Kevin Pollak, Chazz Palminteri, Pete Postlethwaite
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Usual Sspects
Kevin Spacey dans The Usual Suspects de Bryan Singer

14 juillet 2015

The Truman Show (1998) de Peter Weir

The Truman ShowTruman Burbank est un vendeur d’assurances dans une petite ville calme située sur une île. Il mène une vie tranquille mais il a parfois la sensation d’être observé… Même si c’est probablement plus difficile aujourd’hui qu’à sa sortie, regarder The Truman Show sans rien savoir du fond de l’histoire est une expérience unique car Peter Weir ne dévoile que peu à peu ses cartes et la surprise est de taille. Donc, si vous avez l’intention de voir le film et ne connaissez pas le fond du propos, arrêtez la lecture la lecture de commentaire ici et ne lisez rien d’autre (car une seule phrase suffit pour le déflorer)………. Heureusement, The Truman Show garde tout son intérêt quand on en connaît déjà le thème. Le scénario d’Andrew Niccol est particulièrement brillant et le déroulement d’une perfection rare. Le film est souvent présenté comme une critique de la télé-réalité et du pouvoir de l’image. Il l’est, bien entendu, mais ce n’est pas l’essentiel car le propos va beaucoup plus loin que cela. Version moderne du mythe de la caverne de Platon, il explore les concepts philosophiques de réalité et d’existence : ce que nous percevons comme étant la réalité est-elle la même pour tous ? La réalité existe-t-elle en dehors de la conscience que nous en avons ? Quelle relation entre réalité et perception ? La réalité n’est-elle qu’une illusion ? Les personnes que nous rencontrons partagent-elles « notre réalité » lorsqu’elles sont hors de notre champ de perception ? Etc. Dans le cas de Truman, répondre à ces questions nous emmène très loin ! Et en prime, le film aborde la notion de constitution d’une existence, la relation entre sécurité et emprisonnement (on peut penser à Huxley) et même la notion de Dieu (le réalisateur). Beaucoup de réflexions en gestation… Mais The Truman Show peut se regarder aussi s’apprécier plus directement : parfaitement réalisé, il présente un bel équilibre, il nous amuse et nous intrigue. S’écartant quelque peu de son image foldingue, Jim Carrey fait une très belle prestation.
Elle: 5 étoiles
Lui : 5 étoiles

Acteurs: Jim Carrey, Laura Linney, Noah Emmerich, Natascha McElhone, Ed Harris
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The Truman Show
Jim Carrey dans The Truman Show de Peter Weir (photo publicitaire).
La devise sur la double arche « Unus pro omnibus, omnes pro uno » est celle du show, traduction en latin du « Un pour tous, tous pour un » des Trois Mousquetaires.

The Truman Show
La ville de Seaheaven Island dans The Truman Show de Peter Weir (en réalité, c’est la ville de Seaside en Floride : voir la maison de Truman dans Google Street)

Remarques :
* Le musicien que l’on voit jouer en direct au clavier dans le studio n’est autre que Philip Glass.
* Les scènes face au miroir ont été improvisées par Jim Carrey.
* Andrew Niccol s’est certainement inspiré de la littérature de science-fiction qui a exploré le thème des réalités-illusion. Citons par exemple Le Temps désarticulé (1959) de Philip K. Dick mais aussi Simulacres (1964) toujours de Dick ou encore Simulacon 3 (1964) de Daniel F. Galouye (livre qui a inspiré Matrix, film qui a en commun avec The Truman Show l’exploration du concept de réalité).

19 juin 2015

La Taverne de la Jamaïque (1939) de Alfred Hitchcock

Titre original : « Jamaica Inn »

La Taverne de la JamaïqueSur la côte de Cornouailles, au XIXe siècle, une bande de malfrats provoque des naufrages en cachant les signaux lumineux les nuits de tempête. Ils tuent ensuite tout l’équipage et s’empare de la cargaison. Leur quartier général est une taverne isolée. C’est justement là que se rend Mary, récemment orpheline, pour rejoindre sa tante… Dernier film anglais d’Alfred Hitchcock, alors qu’il avait déjà un pied outre-Atlantique, La Taverne de la Jamaïque est en général plutôt mal considéré. Il n’a su convaincre ni les lecteurs du roman de Daphné du Maurier dont il est adapté (on lui reproche de n’avoir pas su recréer l’atmosphère très sombre du livre), ni les amateurs du cinéaste : il faut reconnaitre qu’il est bien peu hitchcockien et qu’il a des raisons de ne pas l’être puisqu’Alfred Hitchcock s’en est assez vite désintéressé, d’une part car il craignait que ce drame en costumes donne à Hollywood qui allait l’accueillir une image de lui qui n’était pas la sienne, et d’autre part le fait de de diriger un acteur de la stature de Charles Laughton, coproducteur du film, ne lui laissait pas toute l’autonomie souhaitée. On ne retrouve pas ici la tension et le suspense qui font le charme des films d’Hitchcock, le ton est même plutôt assez léger. Le film est dominé par Charles Laughton qui fait une belle prestation (mais ce n’est pas sans doute pas celle dont cette histoire avait besoin). La Taverne de la Jamaïque est en outre le premier grand rôle de Maureen O’Hara.
Elle:
Lui : 2 étoiles

Acteurs: Charles Laughton, Maureen O’Hara, Robert Newton, Leslie Banks
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Remarques :
* Pas de caméo (connu) d’Alfred Hitchcock dans ce film.

La Taverne de la Jamaïque
Leslie banks et Maureen O’Hara dans La Taverne de la Jamaïque d’Alfred Hitchcock

La Taverne de la Jamaïque
Maureen O’Hara et Robert Newton dans La Taverne de la Jamaïque d’Alfred Hitchcock

La Taverne de la Jamaïque
Charles Laughton et Maureen O’Hara dans La Taverne de la Jamaïque d’Alfred Hitchcock

3 juin 2015

Le Mystère de la section 8 (1937) de Victor Saville

Titre original : « Dark Journey »

Le Mystère de la section 81915, la Première Guerre mondiale. Dans la capitale de la Suède qui s’est déclarée neutre, Madeleine Goddard est à la tête d’un magasin de mode qui vend des robes faites à Paris. Elle travaille aussi pour les services secrets et fait passer des informations…
Réalisé par le britannique Victor Saville et produit par Alexander Korda, Dark Journey est pour la jeune Vivien Leigh la première occasion d’être tout en haut de l’affiche (1). L’actrice y montre déjà une belle aisance qui couplée à sa beauté naturelle lui donne une grande présence à l’écran. Elle forme un beau couple avec le grand séducteur Conrad Veidt (l’acteur allemand dont l’épouse était juive s’était réfugié à Londres). L’actrice a avoué ne pas tout avoir compris dans cette histoire, il faut dire que la neutre Stockholm est présentée comme une place où les agents (parfois doubles) des différentes nations en guerre se font face et se côtoient (2). Cela engendre des situations assez compliquées car on ne sait pas toujours très bien qui est avec qui et contre qui. Soulignons que le but du propos n’est visiblement pas d’exalter la fibre patriotique, on ne prend pas partie car c’est l’amour qui au final est le plus fort. L’ensemble est de bonne facture, porté par la présence lumineuse de Vivien Leigh.
Elle:
Lui : 3 étoiles

Acteurs: Conrad Veidt, Vivien Leigh, Joan Gardner
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Dark Journey
Vivien Leigh et Conrad Veidt dans Le Mystère de la section 8 de Victor Saville

Remarque :
* La base de l’histoire est de Victor Saville lui-même avec l’aide de l’américain John Monk Saunders et du scénariste de Korda, Lajos Biró.

(1) Victor Saville avait prévu d’engager Miriam Hopkins mais le producteur Alexander Korda la subtilisa pour un autre film (Men are not Gods, 1936) et lui proposa la jeune Vivien Leigh à la place.

(2) Sur ce plan, on peut faire le parallèle avec Casablanca, film où Conrad Veidt joue également (l’officier allemand de la Gestapo).

Dark Journey
Conrad Veidt et Vivien Leigh dans Le Mystère de la section 8 de Victor Saville

19 mai 2015

Griffes jaunes (1942) de John Huston

Titre original : « Across the Pacific »

Griffes jaunesRadié des cadres de l’armée pour faute grave, le capitaine Leland tente de s’engager dans l’armée canadienne. On ne veut pas de lui. Il embarque alors à Halifax sur le navire japonais « Genoa Maru » à destination du Japon et de la Chine via New York et Panama… Griffes jaunes est adapté d’un feuilleton paru dans le Saturday Evening Post signé Robert Carson (1). C’est le troisième film de John Huston qui reprend les acteurs principaux de son premier film Le Faucon maltais : Humphrey Bogart, Mary Astor et Sydney Greenstreet. Le tournage fut perturbé par des problèmes de scénario qui fut régulièrement modifié en fonction de l’actualité (nous sommes alors quelques mois après Pearl Harbour) et la fin restait toujours en suspens quand John Huston, alors âgé de 36 ans, fut appelé sous les drapeaux. Jack Warner a alors chargé Vincent Sherman (2) de le terminer. On comprendra donc pourquoi la fin paraît plutôt bâclée. Sans être un grand film de John Huston, Griffes jaunes est de bonne facture, se situant plutôt au-dessus des autres films de propagande. Bogart a comme toujours une belle présence mais le couple Bogart/Astor est sans doute un peu fade.
Elle:
Lui : 3 étoiles

Acteurs: Humphrey Bogart, Mary Astor, Sydney Greenstreet
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Across the Pacific / Griffes jaunes
Sydney Greenstreet, Humphrey Bogart et Mary Astor dans Griffes jaunes de John Huston.

Remarques :
* Initialement, le scénario était écrit pour se dérouler à Hawaï. Lorsque l’attaque sur Pearl Harbour eut lieu, l’histoire fut déplacée à Panama… mais le titre est resté bien que toute l’action se déroule en Atlantique et à Panama. L’affiche ci-dessus porte un slogan guerrier qui tente de justifier le titre : « Quand Humphrey Bogart dérouille ces japs, on sent qu’il est impatient de traverser le Pacifique ».

* John Huston a raconté que, lorsqu’il a été appelé sous les drapeaux, il a pris un malin plaisir de mettre Humphrey Bogart dans une position désespérée : « Je ne simplifiai pas la tâche de mon successeur. Je ligotai Bogie sur une chaise et le fis garder par trois fois plus de soldats nippons que nécessaire. J’en postai un, mitraillette au poing, devant chaque issue. Puis je téléphonai à Jack Warner : « Je pars pour la guerre. Bogart saura se débrouiller tout seul. » Vincent Sherman reprit le film. Pas question de retourner des scènes. Il fallait trouver le moyen de faire échapper Bogie. Sherman imagina de frapper un des Japonais d’une crise de folie furieuse. Le prisonnier s’évadait à la faveur de confusion générale. » (John Huston par John Huston, Pygmalion 1982, p81).
Bizarrement, on ne voit pas dans le film Bogart ligoté sur une chaise et encore moins une scène de folie furieuse d’un gardien. Le site américain de TCM précise que la scène a du être tournée à nouveau différemment pour ne pas qu’il ne soit pas ligoté.

* Peter Lorre, le quatrième acteur du Faucon Maltais, fait une brève apparition en tant que serveur à l’arrière plan (j’avoue ne pas l’avoir repéré).

(1) Robert Carson est connu pour être l’auteur de l’histoire initiale de A Star is Born (Une étoile est née).
(2) Vincent Sherman venait de terminer Echec à la Gestapo (All Through the Night) avec Humphrey Bogart, ce qui explique certainement ce choix.

Across the Pacific / Griffes jaunes
Keye Luke, Humphrey Bogart et Mary Astor dans Griffes jaunes de John Huston (publicity photo).

Photo de tournage de Griffes Jaunes 1942
Humphrey Bogart, Mary Astor et John Huston sur le tournage de Griffes jaunes (mars /avril 1942).

23 avril 2015

Le Récif de corail (1939) de Maurice Gleize

Le récif de corailA Brisbane, en Australie, Trott Lennard tue malgré lui un individu louche. Forcé de fuir, il s’embarque sur un cargo qui fait du trafic d’armes. Le capitaine accepte de le prendre en contrepartie d’un service à lui rendre, sans préciser exactement de quoi il s’agit… Il est bien entendu tentant de considérer Le récif de corail dans la lignée de Quai des Brumes : nous retrouvons le couple formé par Michèle Morgan et Jean Gabin, ils interprètent de nouveau deux personnages en marge de la société. Le Récif de corail ne peut que pâlir de la comparaison car le film n’a pas la même superbe mais pourtant il ne manque pas de qualités. Longtemps considéré comme perdu, le film a été miraculeusement retrouvé en 2002 à la Cinémathèque de Belgrade. L’histoire est assez surprenante dans son déroulement, avec des rebondissements franchement inattendus (lorsque l’on prend soin de ne pas lire de résumé avant de voir le film) même si l’ensemble peut paraître guère crédible. La réalisation de Maurice Gleize est parfaite avec de beaux mouvements de caméra et surtout la très belle photographie de Jules Kruger (1).
Elle:
Lui : 3 étoiles

Acteurs: Jean Gabin, Michèle Morgan, Saturnin Fabre, Pierre Renoir
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Le Récif de Corail
Michèle Morgan et Jean Gabin dans Le Récif de corail de Maurice Gleize

(1) Jules Kruger a été directeur de la photographie pour Abel Gance (Napoléon, La Fin du monde), Marcel L’Herbier (L’Argent, La Bandera, …), Julien Duvivier (Pépé Le Moko, La Belle Equipe, …) et beaucoup d’autres. C’est l’un des grands directeurs de la photographie français des années trente.

20 avril 2015

Le Baron de Crac (1962) de Karel Zeman

Titre original : « Baron Prásil »

Le baron de cracA sa grande surprise, le cosmonaute Tonik rencontre à son arrivée sur la Lune ses illustres prédécesseurs : Impey Barbicane (le personnage de Jules Verne), Cyrano de Bergerac et surtout Le baron de crac (alias Baron de Münchhausen) qui le prend pour un authentique sélénite et décide de l’emmener sur Terre pour lui faire découvrir les merveilles de la civilisation. Ils arrivent à Constantinople où ils délivrent la princesse Bianca retenue prisonnière par le sultan… Karel Zeman est un réalisateur tchèque qui mêle acteurs réels à des décors dessinés ou peints et animés manuellement. Cette technique est parfaitement adaptée aux histoires du célèbre Baron, avec tous leurs éléments fantastiques, oniriques et poétiques. Le film reprend quelques épisodes fameux de ces récits qui, rappelons-le ont connu de multiples variations dans le temps depuis leur première publication à la fin du XVIIIe siècle sous la plume de Rudolf Erich Raspe. Cela donne au final un film totalement à part, aussi magique dans le premier sens du terme que pouvaient l’être les films de Méliès 50 ans auparavant, doté d’un bel humour et très inventif.
Elle:
Lui : 4 étoiles

Acteurs: Milos Kopecký, Rudolf Jelínek, Jana Brejchová
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Le Baron de Crac
Le Baron de Crac de Karel Zeman

Remarques :
* Le Baron de Münchhausen (1720-1793), capitaine de l’armée russe, a bien existé. Il fut surnommé Le Baron de Crac (« Baron du mensonge », de l’expression «raconter des craques») en raison des ses récits extraordinaires : il racontait avoir voyagé sur la Lune, chevauché un boulet de canon, dansé avec Vénus. La première publication de ses récits eut lieu de son vivant, en 1785.

* La technique utilisée par Karel Zeman évoque fortement celle qu’utilisera Terry Gilliam pour ses animations du Monty Python Flying Circus, à la fin des années soixante. Gilliam adaptera d’ailleurs, lui aussi, les aventures du Baron de Münchhausen mais en images réelles. Bien que la filiation soit soulignée par beaucoup, l’influence directe n’est pas évidente car, dans une interview, Terry Gilliam dit avoir découvert le film de Zeman dans les années 80, alors qu’il préparait sa propre adaptation de Münchhausen : « Je me rappelle avoir vu, alors que je préparais Baron Munchausen, un film de Karel Zeman dans le catalogue du British Film Institute. Je me suis dit « Wow, qu’est ce que c’est que ce truc ? » et, après avoir réussi à voir le film, « Wow, c’est génial », parce qu’il avait fait ce que j’ai toujours essayé de faire : combiner une action réelle avec des arrière-plans animés à la Gustave Doré. Le film exprimait parfaitement l’esprit du personnage ». (Terry Gilliam: Interviews, University Press of Mississippi, pp. 132–-133)

Autres adaptations :
Les Aventures du baron de Münchausen de Georges Méliès (1911)
Les Aventures fantastiques du baron Münchhausen de l’allemand de Josef Von Baky (1943) réalisé pour les 25 ans de la UFA à la demande de Goebbels.
Les fabuleuses aventures du légendaire Baron de Munchausen de Jean Image (1979), dessin animé
Le Secret des Sélénites de Jean Image (1984), dessin animé.
Les Aventures du baron de Munchausen de Terry Gilliam (1988)

15 mars 2015

Moby Dick (1956) de John Huston

Moby DickAttiré par la mer, le jeune Ismaël se rend dans un petit village de pêcheurs avec la ferme intention de partir pour la grande pêche qui soit : la chasse à la baleine. Il s’engage sur le Pequod du capitaine Achab, un capitaine très respecté qui a perdu une jambe dans une précédente expédition… Adapter le roman d’Herman Melville Moby Dick au cinéma n’est pas chose facile car c’est un récit chargé de symbolisme (1). Cette histoire est une allégorie de la lutte du Bien et du Mal, où l’orgueil et le désir de vengeance sont fustigés et où l’on peut déceler de nombreuses références bibliques. Pour John Huston, le thème fort du roman est le blasphème ; il voit dans l’obstination du capitaine un défi à Dieu (2) et c’est ainsi qu’il a voulut son adaptation à l’écran. Il en a écrit le scénario avec Ray Bradbury, l’écrivain bien connu pour ses écrits de science-fiction. Le tournage fut très difficile et éprouvant, « de tous mes films, le plus difficile à mener à son terme » précise John Houston dans son autobiographie (3). L’interprétation de Gregory Peck a été fortement critiquée, comme étant incapable de restituer toutes la dimension du personnage. Elle est pourtant assez juste mais certainement moins spectaculaire que celles de John Barrymore qui amplifiait le caractère halluciné du capitaine. John Huston la défend même s’il avait prévu au départ de prendre son père Walter Huston pour le rôle. Orson Welles, quant à lui, fait une belle prestation lors du sermon avant le départ. Le Moby Dick de John Huston est sans conteste la meilleure adaptation du roman.
Elle:
Lui : 4 étoiles

Acteurs: Gregory Peck, Richard Basehart, Leo Genn, Orson Welles
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Moby Dick de John Huston
Gregory Peck est le Capitaine Achab du Moby Dick de John Huston (1956)

Remarques :
* La baleine blanche utilisée pour le tournage mesurait trente mètres de long et était trainée par un puissant remorqueur. Du fait des mauvaises conditions météorologiques, ils en perdirent deux. Le bateau utilisé pour le Pequod est un authentique navire racheté à la ville de Scarborough où il servait d’attraction touristique.

* En 1992, Ray Bradbury fait paraître La Baleine de Dublin (Green Shadows, White Whale), une version romancée de sa rencontre avec John Huston et de son séjour en Irlande pendant l’écriture du scénario.

(1) Moby Dick est un roman que l’on lit généralement beaucoup trop jeune (et dans une version courte) pour le comprendre parfaitement. Enfant, on le lit comme un roman d’aventures alors qu’il est bien plus que cela. (Houston va plus loin en déclarant que ceux qui affirment l’avoir lu très jeune sont des menteurs…)
(2) « Achab ne niait pas Dieu mais le considérait comme un assassin : une pensée parfaitement blasphématoire. »
(3) John Huston par John Huston (Pygmalion, 1982 pour l’édition française).

Moby Dick au cinéma :
Jim le harponneur (The Sea Beast) de Millard Webb (1926) avec John Barrymore (muet)
Moby Dick de Llloyd Bacon (1930) avec de nouveau John Barrymore (parlant)
Le Démon des mers (Dämon des Meeres) de Michael Curtiz (1931) avec William Dieterle (version allemande tournée simultanément au film précédent)
Moby Dick de John Huston (1956) avec Gregory Peck

et aussi :
Capitaine Achab de Philippe Ramos (2007) avec Denis Lavant (film centré sur le parcours du Capitaine Achab)