14 mars 2022

Tristana (1970) de Luis Buñuel

TristanaTolède, Espagne, 1929. À la mort de ses parents, Tristana est recueillie par son oncle, don Lope Garrido, un don juan vieillissant aux revenus limités. Fier de n’avoir jamais travaillé, il méprise l’argent avec lequel il se montre généreux. Il ne tarde pas à vouloir séduire sa pupille…
Tristana est un film franco-italo-espagnol réalisé par Luis Buñuel. Le film est librement adapté du roman homonyme de l’auteur espagnol Benito Pérez Galdós, publié en 1892. Le réalisateur a désiré l’adapter dès 1963 mais son scénario a été longtemps bloqué par la censure. Il a transposé le récit dans une ville qu’il affectionne, Tolède, et une période qu’il connait bien : fin de la monarchie espagnole et début de la République (mais toute mention de date a disparu du film, seuls quelques évènements subsistent pour situer le contexte). Il est indéniable que Luis Buñuel s’est identifié à don Lope, un personnage complexe qui refuse de vieillir, avec ses obsessions, ses penchants anarchistes, sa compassion envers les faibles. Le réalisateur développe également son thème favori des hasards qui orientent notre vie : que se serait-il passé si Tristana avait choisi la rue de gauche au lieu de la droite ? Tristana est le dernier grand film romanesque de Luis Buñuel.
Elle:
Lui : 4 étoiles

Acteurs: Catherine Deneuve, Fernando Rey, Franco Nero, Lola Gaos
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TristanaFernando Rey et Catherine Deneuve dans Tristana de Luis Buñuel.

TristanaPensant sans aucun doute à son tuteur, Catherine Deneuve se penche
au dessus  du visage de la statue du cardinal Tavera dans Tristana de Luis Buñuel.

8 janvier 2022

La mort en ce jardin (1956) de Luis Buñuel

La Mort en ce jardinFuyant une révolte dans une cité minière de l’Amazonie, un groupe de six personnes, mené par Shark, un aventurier européen, s’enfonce dans la jungle. Face à une nature hostile, le groupe va vivre une expérience éprouvante et imprévisible…
Entre 1955 et 1956, dans sa période mexicaine, Luis Buñuel a réalisé deux films avec des acteurs français jouant dans leur langue. Le premier, Cela s’appelle l’aurore, fut tourné en Corse alors que le second, La mort en ce jardin, fut tourné au Mexique. Il s’agit de l’adaptation d’un roman homonyme de José-André Lacour qui fut proposé à Buñuel par un producteur français qui désirait un film similaire au Salaire de la peur de H.-G. Clouzot (1953). Bien entendu, il en fit tout autre chose. Le réalisateur raconte avoir eu toutes les peines du monde à écrire le scénario et invité Raymond Queneau à venir à sa rescousse au Mexique. L’ensemble n’est pas très remarquable mais comporte des scènes brillantes. Le thème global est la nature profonde de l’homme et surtout la frontière floue entre le bien et le mal, les personnages allant de l’un à l’autre, avec une petite touche anticléricale. Côté interprétation, le jeune Michel Piccoli est certainement le plus notable en missionnaire.
Elle:
Lui : 3 étoiles

Acteurs: Simone Signoret, Charles Vanel, Georges Marchal, Michel Piccoli, Tito Junco, Michèle Girardon
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La Mort en ce jardinSimone Signoret et Georges Marchal dans La Mort en ce jardin de Luis Buñuel.

10 novembre 2020

Buñuel après l’âge d’or (2018) de Salvador Simó

Titre original : « Buñuel en el laberinto de las tortugas »

Buñuel après l'âge d'or (Buñuel en el laberinto de las tortugas)Après le scandale de son film surréaliste L’Âge d’or (1930), Luis Buñuel ne peut trouver de financement pour son prochain film. Se basant sur une thèse de Maurice Legendre, il a pour projet de tourner un court-métrage documentaire sur Les Hurdes, une région proche de la frontière portugaise, l’une des plus pauvres et les moins développées d’Espagne. Il ne peut le financer que grâce à un de ses amis qui a gagné à la loterie et ils partent à quatre pour filmer dans cette région peu accessible…
Le film d’animation Buñuel après l’âge d’or est une adaptation du roman graphique de Fermín Solís, Buñuel dans le labyrinthe des tortues sorti en 2011. C’est un récit à la fois surprenant et passionnant qui permet de saisir l’état d’esprit du jeune Luis Buñuel, alors qu’il cherchait encore sa voie cinématographique. Du surréalisme au documentaire social, le pas est grand. De toute évidence, il ne peut se satisfaire d’un regard neutre, il désire exprimer quelque chose même s’il doit forcer la réalité à se conformer à ce qu’il cherche. On le voit ainsi mettre en scène certains plans en payant les habitants. Ce récit traite essentiellement du processus de création. L’animation est sommaire, certes, mais le dessin est beau tout en restant simple. Des extraits de quelques secondes du court métrage réel sont parfois insérés lorsque certaines scènes sont reconstituées. Buñuel après l’âge d’or est bien intéressant. C’est un moyen très original de nous raconter cet épisode du parcours du cinéaste.
Elle:
Lui : 4 étoiles

Acteurs:
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Remarques :
* Les quatre membres de l’expédition :
– Luis Buñuel
– Ramon Acin, sculpteur anarchiste qui sera fusillé en 1936 par les franquistes. Il est le producteur puisqu’il finance le tournage avec ses gains à la loterie.
– Le photographe Eli Lotar qui tient la caméra.
– Le poète Pierre Unik qui est assistant.

* Après un montage fait sans argent et peu de matériel sur une table de cuisine, Luis Buñuel aura toutes les difficultés pour montrer son court métrage de 27 minutes titré Terre sans Pain (Las Hurdes, tierra sin pan). En 1935, Pierre Braunberger donnera au cinéaste l’argent nécessaire pour le sonoriser (commentaire en voix-off sur la  Symphonie nº 4 de Brahms). Interdit dans un premier temps par la censure car montrant une mauvaise image de l’Espagne, il ne pourra sortir sur les écrans espagnols qu’en 1937, après la suppression de Ramon Acin du générique. Son nom ne sera rétabli que lors de sa ressortie dans les années soixante. Luis Buñuel raconte dans ses mémoires avoir pu rendre l’argent investi aux deux filles de Ramon Acin.

Buñuel après l'âge d'or (Buñuel en el laberinto de las tortugas)Buñuel après l’âge d’or (Buñuel en el laberinto de las tortugas) de Salvador Simó.

14 mai 2019

Nazarin (1959) de Luis Buñuel

Titre original : « Nazarín »

NazarinDans le Mexique du début du XXe siècle, le Père Nazario exerce son ministère pastoral dans un esprit très proche des valeurs évangéliques : il aide ses paroissiens très pauvres et leur donne tout ce qu’il possède. Après avoir protégé une prostituée ayant commis un meurtre, il doit fuir…
Adaptation d’un roman de l’espagnol Benito Pérez Galdós, Nazarin de Luis Buñuel a suscité beaucoup de malentendus à sa sortie. Comment un cinéaste reconnu par tous comme anticlérical pouvait-il produire un tel film sur la Foi, film qui fut à deux doigts de recevoir le Prix de l’Office catholique du cinéma ? (1) Ce fut l’incompréhension qui domina parmi ses amis et soutiens. En réalité, son film est une réflexion sur la mise en pratique de grands principes évangéliques : son prêtre est ce que l’on appellerait volontiers « un saint homme », il ne cherche qu’à faire le bien autour de lui et vit dans le dénuement le plus total. Mais son action n’est pas toujours profitable aux autres, elle est même parfois préjudiciable comme dans la scène du chantier de construction. Le cinéaste s’en prend aussi aux institutions : le « saint homme » est en effet rejeté par l’Eglise qui le défroque. Et, au final, le doute finit par le gagner. Il y a certainement d’autres lectures possibles de ce film : Alain Bergala y voit une tentative de « comprendre la circulation du mal dans le monde à travers les expériences et la conscience de son personnage » (2). Dans sa forme, le film est à l’image du propos, épuré, sans artifice avec une photographie sobre mais assez belle.
Elle:
Lui : 4 étoiles

Acteurs: Francisco Rabal, Marga López, Rita Macedo
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Remarques :
* « Dieu merci, je suis encore athée ». Cette citation de Luis Buñuel figure dans tous les dictionnaires de citations mais, comme bien souvent, vouloir réduire une pensée à six mots est réducteur. En fait, ce n’est ni une pirouette ni juste un trait d’humour. Pour comprendre sa pensée, il faut mieux lire le chapitre « Athée grâce à Dieu » de ses mémoires où il aborde les questions du hasard, de l’existence de Dieu et de l’imaginaire.
En réalité, Buñuel croit fermement dans le hasard et pense que si Dieu existe vraiment, cela ne change rien pour nous : « Dieu ne s’occupe pas de nous. S’il existe, c’est comme s’il n’existait pas. Raisonnement que j’ai résumé jadis dans cette formule : Je suis athée, grâce à Dieu. Une formule qui n’est contradictoire qu’en apparence. » (Luis Buñuel, Mon dernier soupir, éditions Robert Lafon 1982, p 214)

* Le cinéaste poursuivra sa réflexion, notamment en s’attaquant aux dogmes, dans Viridiana (1961), Simon du désert (1965) et dans La Voie lactée (1969).

(1) Buñuel aurait été bien embarrassé de recevoir ce Prix de l’Office catholique. Il refusa plus tard de recevoir d’un prélat américain un diplôme d’honneur pour le film.
(2) Alain Bergala, Luis Buñuel, éditions Le Monde/Les Cahiers du cinéma 2007, p 54.

Nazarin
Marga López et Francisco Rabal dans Nazarin de Luis Buñuel.

8 août 2017

La fièvre monte à El Pao (1959) de Luis Buñuel

La Fièvre monte à El PaoUne île, appartenant à une dictature (fictive) d’Amérique Centrale, reçoit tous les prisonniers politiques et de droit-commun du pays. Le gouverneur est assassiné en plein discours. Ramón Vázquez, son secrétaire, aux idées libérales, le remplace temporairement… C’est Gérard Philipe qui a prié Buñuel d’accepter d’adapter ce roman d’Henri Castillou, La fièvre monte à El Pao. L’histoire de cet homme en proie aux contradictions entre ses convictions et l’exercice du pouvoir avait tout pour séduire l’acteur (qui, rappelons-le, était proche du Parti Communiste). Buñuel semble avoir été moins motivé : sa réalisation est certes sans défaut, mais sans fulgurances non plus (1). La critique des dictatures qui fleurissaient alors, ces libérateurs qui se transforment en despotes, se retrouve mêlée avec une histoire sentimentale, relevée par la sensualité de María Félix. Mais, l’atout du film reste la performance de Gérard Philipe : il apparaît tout d’abord peu crédible physiquement dans son rôle mais, en grand acteur qu’il est, nous fait rapidement oublier cette sensation. Sa prestation est remarquable. La fièvre monte à El Pao sera hélas son dernier film : quelques mois après la fin du tournage, il sera emporté par un cancer fulgurant du foie, à l’âge de 36 ans.
Elle: 3 étoiles
Lui : 3 étoiles

Acteurs: Gérard Philipe, María Félix, Jean Servais
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(1) Bunuel a déclaré par la suite qu’il n’aimait pas La fièvre monte à El Pao et, depuis, le film traîne une mauvaise réputation. Elle est assez injustifiée ou, du moins, excessive.

La fièvre monte à El Pao
Gérard Philipe et María Félix dans La Fièvre monte à El Pao de Luis Buñuel.

La Fièvre monte à El Pao
Jean Servais et María Félix dans La Fièvre monte à El Pao de Luis Buñuel.

2 novembre 2015

Les Orgueilleux (1953) de Yves Allégret

Les orgueilleuxDans un petit village mexicain, une française arrive en car avec son mari très malade. Celui-ci meurt peu après, atteint d’une méningite cérébro-spinale très contagieuse. Alors que l’épidémie commence à se répandre, elle fait la connaissance d’un français, épave humaine noyée de téquila… Les Orgueilleux est l’adaptation d’une nouvelle de Jean-Paul Sartre, Typhus. C’est un film assez fort servi par une magnifique interprétation, particulièrement de Gérard Philipe dont le personnage évoque certains héros dostoïevskiens. Michèle Morgan est là dans un de ses plus beaux rôles, une femme en plein désarroi au bout du monde, bien plus complexe que les personnages de grande bourgeoise dans lesquels elle était si souvent cantonnée. Elle fait montre d’une grande sensualité qui culmine dans la scène du ventilateur (scène qui a troublé Martin Scorsese adolescent). Il se dégage une grande authenticité, le film nous immerge littéralement dans ce village mexicain écrasé par le soleil et la chaleur, avec une musique omniprésente et une moiteur perceptible. Seule la fin est décevante, bâclée et un peu ridicule. Cette fin heureuse aurait été imposée par les producteurs mexicains, Yves Allégret en ayant imaginé une tout autre. Mais cela n’empêche pas Les Orgueilleux d’être un très beau film.
Elle:
Lui : 4 étoiles

Acteurs: Michèle Morgan, Gérard Philipe, Carlos López Moctezuma, Víctor Manuel Mendoza
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Remarques :
* Luis Buñuel fait une apparition dans un petit rôle de trafiquant (j’avoue ne pas l’avoir repéré).
* Rappelons qu’Yves Allégret est le jeune frère de Marc Allégret. Sa filmographie est quelque peu inégale, Les Orgueilleux fait incontestablement partie de ses trois ou quatre meilleurs films.
* Le film a été récemment restauré.

Les Orgueilleux
Gérard Philipe, Víctor Manuel Mendoza et Carlos López Moctezuma dans Les orgueilleux de Yves Allégret

Les Orgueilleux
Víctor Manuel Mendoza et Michèle Morgan dans Les orgueilleux de Yves Allégret.

2 juin 2015

Susana la perverse (1951) de Luis Buñuel

Titre original : « Susana »

Susana la perverseAprès s’être échappée par une nuit d’orage de la maison de correction où elle était enfermée, Susana arrive dans l’hacienda de Don Guadalupe. Recueillie par la maitresse de maison, sa beauté commence à faire tourner la tête des hommes… De la période mexicaine de Luis Buñuel, si Los olvidados, El ou Archibald de la Cruz sont largement connus et commentés, on parle bien plus rarement de Susana la perverse ! Il est pourtant très réussi et n’est pas un film aussi mineur que son titre français nous le fait supposer. Projet commercial conçu par le producteur Sergio Kogan pour mettre en valeur sa jeune épouse Rosita Quintana, il devient sous la direction de Luis Buñuel une attaque en règle contre les valeurs bourgeoises : la tentatrice Susana va secouer jusque dans ses fondements le petit monde parfait de cette hacienda. Le cinéaste y place également beaucoup d’humour. Et on se doute bien que le happy-end de cette histoire n’est pas la fin que Buñuel aurait choisie : il nous le montre d’ailleurs en la rendant particulièrement niaise…
Elle:
Lui : 4 étoiles

Acteurs: Fernando Soler, Rosita Quintana, Víctor Manuel Mendoza
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Susana de Luis Bunuel
Susana a un bobo au genou… voilà qui est fort facheux !
Fernando Soler et Rosita Quintana dans Susana la perverse de Luis Buñuel

Remarques :
* IMDB le cite comme étant le remake d’un film américain d’Alexandre Korda The Squall (1929) avec Myrna Loy en tentatrice (et aussi Loretta Young et Zasu Pitts), film plutôt rare.
Les sources sont pourtant apparemment différentes : Susana est adapté d’un roman de l’espagnol Manuel Reachi alors que The Squall serait adapté d’une pièce du français Jean Bart (qui est en réalité une femme, soit-dit en passant).

* Buñuel raconte dans ses mémoires l’épisode de l’araignée : ayant peur qu’il passe un temps infini sur un plan selon lui inutile, le producteur lui avait annoncé qu’il n’avait pu trouver l’araignée demandée. Or, un accessoiriste lui montra la boite et l’araignée fit exactement ce que voulait Buñuel à la première prise : elle alla se placer juste au milieu de la croix formée au sol par l’ombre portée des barreaux de la cellule.

19 mars 2015

On a volé un tram (1954) de Luis Buñuel

Titre original : « La ilusión viaja en tranvía »

On a volé un tramDépités de voir le tramway qu’ils viennent de réparer brillamment envoyé à la casse, deux employés de la Compagnie des Transports de Mexico décident de lui faire faire un dernier voyage… On a volé un tram est réalisé par Buñuel dans sa période mexicaine, juste avant La Vie Criminelle d’Archibald de la Cruz. Le réalisateur précise en exergue qu’il s’agit là d’une « petite histoire », sans grand importance en soi mais qui fait partie d’un tout, la vie de la grande métropole mexicaine. C’est une comédie, assez amusante. S’il y a bien quelques petites piques lancées contre le mauvais fonctionnement de l’administration, l’inflation, la corruption ou même sur la religion, elles sont légères. Le ton n’est pas mordant. Luis Buñuel n’a, semble t-il, pas participé à l’écriture du scénario. On a volé un tram est indéniablement un film mineur dans sa filmographie mais, avec ses scènes hautes en couleur, reste plaisant à regarder.
Elle:
Lui : 3 étoiles

Acteurs: Lilia Prado, Carlos Navarro, Fernando Soto, Agustín Isunza
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On a volé un tram (1954) de Luis Buñuel
Carlos Navarro, Lilia Prado et Fernando Soto dans On a volé un tram de Luis Bunuel

30 octobre 2014

La Voie lactée (1969) de Luis Buñuel

La voie lactéeA l’époque actuelle, deux pèlerins se rendent à pied de Paris à Saint-Jacques-de-Compostelle (1). En chemin, ils font de nombreuses rencontres inattendues… Ecrit par Luis Buñuel et Jean-Claude Carrière, La Voie lactée est un film d’une grande audace : comment faire un film plutôt amusant, et en même temps profond, sur un sujet aussi rébarbatif que l’hérésie et les querelles dogmatiques dans la religion catholique tout au long de son histoire ? Par sa forme, il surprend le spectateur car Buñuel et Carrière s’affranchissent des contraintes de temps et d’espace : on peut, au détour d’un chemin, rencontrer un personnage d’une autre époque, même le Christ lui-même.

Sur le fond, qualifier le film d’anticlérical est très réducteur, d’ailleurs il ne l’est pas vraiment. Le propos de Buñuel va beaucoup plus loin que cela : ses questionnements portent sur la notion de dogme. Sur sa formation d’abord : lorsque l’on formalise une croyance en dogme, le réel et le rationnel s’échappent, les « mystères » apparaissent et, avec eux, les interprétations différentes et donc les querelles, celles qui poussent au fanatisme. Et ensuite, sur la façon dont une doctrine peut se nourrir de ses déviations : elle en sort souvent renforcée. Au delà de la religion, catholique en l’occurrence, Buñuel parle de tous les dogmes : dans une courte scène, on voit un groupe de partisans anarcho-marxistes (ils ont un drapeau bicolore, rouge et noir) venir de façon froide et décidée fusiller le pape… Il semble ainsi nous dire : « Attention, je vous parle de religion mais tout ce que je dis s’applique tout aussi bien à une idéologie politique » (2).

Le propos de Buñuel n’est pas destructeur, il questionne. Il n’apporte pas de réponses, il laisse la place au doute comme en témoigne la scène finale de la « guérison » des aveugles. Sont-ils guéris ou pas ? On ne le saura pas. Faut-il y voir là un certain respect du mystère (sur lequel se construisent les croyances et les doctrines) ou encore un refus de la rationalisation ? Peut-être… Comme on le voit, il y a là beaucoup de matière à réflexion. La Voie lactée est certainement l’un des films les plus profondément philosophiques de Luis Buñuel.
Elle: 4 étoiles
Lui : 5 étoiles

Acteurs: Paul Frankeur, Laurent Terzieff, Alain Cuny, Edith Scob, François Maistre, Michel Piccoli, Pierre Clémenti
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(1) La Voie lactée était autrefois utilisée comme point de repère par les pèlerins se dirigeant vers Saint-Jacques de Compostelle, à tel point qu’elle était désignée dans plusieurs pays d’Europe sous le nom de Chemin de saint Jacques. Quand elle est haute dans le ciel, la Voie lactée suit en effet un axe allant du nord-est au sud-ouest. Autrefois, elle était en outre bien plus visible qu’aujourd’hui car il n’y avait pas tous les éclairages publics actuels.

(2) Dans son autobiographie, Buñuel cite également l’idéologie artistique… Cela peut surprendre mais il faut se souvenir que Buñuel a été l’une des grandes figures des surréalistes qui, il faut bien le reconnaitre, donnaient souvent dans l’intransigeance. Dans le cinéma, on pourrait également citer l’exemple des « jeunes turcs » des Cahiers du Cinéma qui déclaraient certains réalisateurs comme « hérétiques »…
Pour revenir à ce parallèle religion / idéologie marxiste, rappelons que nous sommes en pleine époque Mai 68 : l’écriture a été faite juste avant Mai 68 mais le tournage s’est déroulé pendant et juste après.

Homonyme :
The Milky Way (Soupe au lait, titre fr DVD = La Voie lactée) de Leo McCarey (1936) avec Harold LLoyd.

La Voie lactée (1969) de Luis Buñuel
Laurent Terzieff et Paul Frankeur dans La Voie lactée de Luis Buñuel (1969)

29 octobre 2014

Le Fantôme de la liberté (1974) de Luis Buñuel

Le fantôme de la libertéDes condamnés à mort qui crient « Vive les chaînes » au moment d’être fusillés (1)… dès la scène du générique, le ton est donné : la logique et les conventions vont être bien malmenées dans Le Fantôme de la liberté et Luis Buñuel et Jean-Claude Carrière sont ici allés encore plus loin que dans Le Charme discret de la bourgeoisie. La structure est inhabituelle : selon le principe des « cadavres exquis » des surréalistes, chacune des petites histoires qui composent le film est reliée à la suivante par un personnage ou une situation qui nous emmènent sur un thème totalement différent. Buñuel nous surprend sans arrêt, il retourne les usages, prend des directions inattendues. Il chamboule nos certitudes, nous faisant prendre parfois un énorme recul sur ce que nous voyons. On peut ainsi dire que le film a une dimension philosophique dans le sens où il nous fait voir de façon nouvelle des évènements ou des comportements les plus anodins, il bouscule ce que nous tenons pour acquis. L’humour, quant à lui, est toujours présent. Aujourd’hui comme il y a quarante ans, Le Fantôme de la liberté est un petit bijou.
Elle: 4 étoiles
Lui : 5 étoiles

Acteurs: Monica Vitti, Jean-Claude Brialy, Paul Frankeur, Michael Lonsdale, François Maistre, Michel Piccoli, Claude Piéplu, Jean Rochefort, Julien Bertheau, Marie-France Pisier, Adolfo Celi
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Remarques :
* La Voie lactée, Le Charme discret de la bourgeoisie et  Le fantôme de la liberté forment une trilogie surréaliste. Buñuel préfère le terme de triptyque, « comme au Moyen Âge » ajoute t-il. « Les même thèmes, quelquefois même les mêmes phrases se retrouvent dans les trois films. Ils parlent de la recherche de la vérité, qu’il faut fuir dès que l’on croit l’avoir trouvée, du rituel social implacable. Ils parlent de la recherche indispensable, du hasard, de la morale personnelle, du mystère qu’il faut respecter. » (Extrait de l’autobiographie de Luis Buñuel « Mon dernier soupir »)

* Cameo : Au tout début du film, Luis Buñuel est l’un des quatre fusillés : le moine portant une barbe. A sa gauche, l’homme avec un bandeau sur le front est son producteur Serge Silberman.

(1) Luis Buñuel précise dans son autobiographie que cette scène est authentique : par haine des idées libérales introduites par Napoléon, le peuple espagnol criait « Vive les chaînes » au retour des Bourbons.
A noter que ces exécutions sont le sujet du tableau de Goya Tres de Mayo dont une reproduction ouvre le film.

Le Fantôme de la liberté (1974) de Luis Buñuel
La maitresse de maison (Alix Mahieux) place les invités à table…
Les rituels de notre société sont malmenés : ici, on défèque tout en discutant et on s’absente discrètement quelques minutes pour aller manger dans la cuisine.
(avec Marie-France Pisier, Jean Rougerie, …)