Titre original : « El esqueleto de la señora Morales »
Pablo Morales est un joyeux taxidermiste mais sa vie est un enfer : sa femme Gloria, amère, infirme, obsessionnelle et extrêmement religieuse, l’accable de reproches et tente de le faire passer pour un sadique. Mais, un jour elle va trop loin… El esqueleto de la señora Morales est une comédie noire mexicaine réalisée par Rogelio A. González (cinéaste mexicain qui a dirigé près de 70 films). Il s’agit d’une adaptation de la nouvelle britannique The Islington Mystery d’Arthur Machen, publiée en 1927, elle-même inspirée de l’histoire vraie de Hawley Harvey Crippen, un homéopathe américain condamné en 1910 à Londres. L’histoire est bien relevée, dans le style de Luis Buñuel (le scénario est signé par l’hispano-mexicain Luis Alcoriza, qui a travaillé avec Luis Buñuel). Il faut être juste un peu patient dans la première moitié film, face aux multiples vilénies de la femme du taxidermiste. Le dernier tiers du film n’en est que plus jubilatoire. Le cinéaste fait preuve d’originalité dans ses plans de caméra et l’éclairage des scènes. Une belle découverte. Le film est ressorti en salles en 2024. Elle: – Lui :
Au IVe siècle à Alexandrie, à une époque où le christianisme gagne en importance, Hypatie est une philosophe agnostique attachée au progrès du savoir. Fille de Théon, gardien de la Bibliothèque d’Alexandrie, elle dirige l’école platonicienne qui la jouxte. Elle enseigne les théories d’Euclide, et tente d’approfondir le modèle géocentrique de Ptolémée pour déterminer les lois exactes qui régissent l’univers… Agora est un péplum espagnol coécrit et réalisé par Alejandro Amenábar. Il s’inspire librement de la vie d’Hypatie d’Alexandrie pour mettre en scène le thème du conflit entre science et religion. La reconstitution est soignée avec de nombreux rebondissements et de beaux effets spéciaux. Tout cela serait parfait si la vérité historique n’était pas si malmenée. Pour dresser une sévère charge contre le fondamentalisme chrétien contemporain et contre l’obscurantisme (intentions certes louables), Alejandro Amenábar modèle les évènements à sa guise : les destructions par les conflits religieux sont amplifiés (par exemple la Bibliothèque d’Alexandrie était déjà probablement en ruines à cette époque et, si les circonstances de la mort d’Hypatie sont particulièrement dramatiques, les causes n’ont rien à voir avec le fait qu’elle soit agnostique ou une femme). De plus, le procédé d’habiller les chrétiens de façon uniforme pour les faire ressembler à des Talibans est pour le moins douteux. Enfin, Hypatie était en réalité plus philosophe que mathématicienne et rien ne laisse supposer qu’elle aurait pu défendre l’héliocentrisme et, encore moins, découvrir la nature elliptique des orbites (plus de 1000 ans avant Kepler s’il vous plait, allons-y gaiement). Tout le récit ne repose que sur des « hypothèses de scénariste ». Certes la démonstration des dangers du fanatisme religieux est énergique, mais la fin justifie-t-elle les moyens ? Sur le plan cinématographique, la réalisation est parfaitement maitrisée, les décors sont assez remarquables et jugés assez justes (à la différence des costumes qui sont farfelus). Le succès fut important. Elle: – Lui :
1858. Bologne fait alors partie des États pontificaux. Dans le quartier juif, les soldats du pape viennent s’emparer d’un fils de la famille Mortara qui a près de sept ans. Ils agissent sur l’ordre de l’Inquisiteur de Bologne qui déclare que l’enfant a été baptisé chrétiennement et doit être élevé comme un chrétien. Les parents ignorent tout de ce prétendu baptême et sont désemparés… L’Enlèvement un film italien coécrit et réalisé par Marco Bellocchio. Le récit s’inspire de l’histoire vraie d’Edgardo Mortara qui suscita à l’époque un scandale international, allant jusqu’à provoquer des protestations de chefs d’état, y compris de Napoléon III dont les garnisons permettaient au pape de maintenir le statu quo en Italie. Si l’enlèvement est en soi stupéfiant, ce qu’est devenu ensuite le petit Edgardo l’est tout autant. La reconstitution de cette affaire par Marco Bellocchio est scrupuleuse, prenant soin d’expliquer l’inflexible position dogmatique du pape Pie IX, une position qui lui coutera si cher (1). Le cinéaste évite tout effet de dramatisation qui aurait été superflu. Très bonne interprétation. L’enlèvement est un film qui a l’avantage de nous révéler un morceau d’histoire qui (du moins en ce qui me concerne) nous était inconnu. Elle: – Lui :
(1) Cette position jugée anachronique par tous va isoler les États pontificaux et explique en partie l’absence de réaction des États catholiques lors de leur annexion par l’Italie en 1870. (extrait de l’article Wikipédia sur l’Affaire Mortara).
Adam, simple fils de pêcheur, intègre la prestigieuse université Al-Azhar du Caire, épicentre du pouvoir de l’Islam sunnite. Le jour de la rentrée, le Grand Imam à la tête de l’institution meurt soudainement. Adam se retrouve alors, à son insu, au cœur d’une lutte de pouvoir implacable entre les élites religieuse et politique du pays… La Conspiration du Caire est un film suédois écrit et réalisé par Tarik Saleh, suédois d’origine égyptienne par son père et suédois par sa mère, réalisateur déjà remarqué pour son film Le Caire confidentiel(2017). Pour écrire ce film d’espionnage politique, il dit s’être inspiré à la fois de son grand-père qui, issu d’un petit village, a été admis à Al-Azhar, et du roman d’Umberto Eco Le Nom de la rose afin de mettre en scène ces luttes de pouvoir entre politique et religieux. L’université Al-Azhar est en effet une institution islamique d’enseignement qui existe depuis plus d’un millénaire ; épicentre international de l’islam sunnite, elle est crainte par le pouvoir politique qui cherche en vain à la dominer. Le scénario est solidement bâti pour maintenir la tension et joue bien de la dualité des personnages. La réalisation est parfaitement maitrisée. Persona non grata en Egypte, Tarik Saleh a dû tourner en Turquie. Un film assez original, captivant et un brin exotique. Elle: – Lui :
Titre original : « Niezwykla podróz Baltazara Kobera »
Allemagne, XVIe siècle. L’adolescent Balthazar, naïf et un peu bègue, est capable de parler avec les morts, notamment son frère jumeau décédé à l’âge de cinq ans et sa défunte mère. L’archange Gabriel lui est aussi apparu. Son père l’envoie apprendre la théologie à Dresde, sous la tutelle d’un recteur plutôt inquiétant. Tourmenté par ses camarades, il a une vision qui lui demande de retourner voir son père mourant. En chemin, il rencontre l’extravagant Papagallo à la tête d’un groupe de saltimbanques, sorte de société secrète. Il entrevoit une jolie joueuse de luth, Rosa, dont il tombe amoureux. Il rencontre ensuite le Maitre (Michael Lonsdale), qui le prend pour disciple, lui ouvre l’esprit et conforte sa foi. Balthazar compulse de gros manuscrits interdits par l’Église, découvre les arcanes de la cabale, les symboles du monde à l’envers. Parvenu à Venise, il retrouve Rosa sur le fleuve des morts… Les Tribulations de Balthasar Kober est un film franco-polonais écrit et réalisé par Wojciech Has, son ultime long métrage, d’après le roman de l’écrivain français Frédérick Tristan, Les Tribulations héroïques de Balthasar Kober publié en 1980. L’histoire est riche (exceptionnellement, le résumé ci-dessus est complet pour aider à mieux comprendre, j’aurais aimé lire ce type de résumé avant de voir le film). Aspirant à l’illumination spirituelle, le jeune Balthazar parcourt une Europe engluée dans les problèmes religieux à la recherche d’une jeune fille qui, à ses yeux, représente la Grâce. Il s’agit donc d’un parcours initiatique dans la veine du Manuscrit trouvé à Saragosse, mais les aventures sont ici plus sombres et moins picaresques. Plus gênant, l’ensemble sonne faux, le récit peine à nous intéresser et paraît même ennuyeux. Il ne reste qu’à admirer l’esthétisme de Wojciech Has, certains de ses plans sont de véritables tableaux. (1) Elle: – Lui :
(1) Le site de la cinémathèque polonaise qui permet de voir ce film précise dans sa présentation : « L’intrigue est ennuyeuse mais l’esthétisme travaillé du film est remarquable. Il s’inspire des peintures de la fin de la Renaissance et du début du baroque peintes par Sandro Boticelli, Rafael Santi, Rembrandt, Michel-Ange Le Caravage ou Hieronim Bosch. En plus de cela, on pourra noter un certain surréalisme typique de Wojciech Has. » (lien)
À la fin du XIXe siècle, Lucas, prêtre danois, arrive en Islande avec pour missions de construire une église et de photographier la population. Ce voyage va mettre sa foi à rude épreuve du fait de conditions difficiles et d’une nature belle mais inhospitalière… Godland est un film dano-franco-islandais écrit et réalisé par l’islandais Hlynur Pálmason. Il s’agit d’une pure fiction, même si un panneau en exergue nous laisse supposer le contraire (1). Ce récit est original et plutôt riche, puisqu’il aborde plusieurs thèmes : la foi, la peur de Dieu, le besoin de trouver sa place, les difficultés de communication, ce qui rapproche ou oppose les hommes. La nature rend ces questions plus aigües : les paysages sont beaux mais la nature est plutôt hostile, du moins très exigeante. Le cinéaste adopte un rythme très lent, avec peu de paroles échangées mais une importance donnée au détail. Il a opté pour un format proche du 1:1 (carré) des chambres photographiques de l’époque (2). Tout le tournage a été fait en Islande dans la région où vit le réalisateur, les décors sont des espaces qu’il connait bien. L’ensemble est sans doute un peu austère mais aussi assez envoutant. Elle: – Lui :
(1) Un panneau annonce juste après le titre du film : « Un coffret en bois, contenant sept négatifs sur plaque en verre pris par un prêtre danois, fut découvert en Islande. Ce sont les plus anciennes photographies de la côte sud-est islandaise. Le film est inspiré de ces clichés. » Cette annonce est à considérer comme partie intégrante de la fiction : un tel coffret n’a jamais été découvert dans la réalité.
(2) La technique photographique utilisée par le prêtre est celle du « collodion humide » : La plaque de verre au collodion humide (ioduré et bromuré), inventée en 1851 par Frederick Scott Archer (1813-1857), était trempée dans une solution de nitrate d’argent afin de synthétiser l’iodure et le bromure d’argent qui sont photosensibles. Malgré sa complexité, cette technique permettait un temps de pose inférieur à 30 secondes. Le procédé présentait un inconvénient majeur : Le négatif devait être préparé, exposé, puis développé aussitôt, car, une fois sec, il devenait insensible. C’est ce procédé qu’a utilisé le photographe Eadweard Muybridge pour produire ses photographies du galop d’un cheval. (Lire sur Wikipedia)
Phil, cinquantenaire d’origine belge, vit sur l’île de Lewis, au nord de l’Écosse. Il travaille dans une ferme, au sein d’une austère communauté protestante. Après un AVC, il perd la mémoire. Millie, la fille de son patron, prend soin de lui… L’ombre d’un mensonge est un film belge réalisé par Bouli Lanners et Tim Mielants. Bouli Lanners est allé s’installer en Ecosse, pays qu’il aime de longue date, pour écrire le scénario d’un polar. Finalement, c’est une histoire d’amour entre deux personnages plutôt taiseux dans un environnement rendu austère par des règles d’origines religieuses, tout en étant superbe par ses paysages aux longues lignes épurées. Le film restitue l’atmosphère d’isolement et la difficulté d’exprimer ses sentiments. La photographie est soignée et la musique excellente. L’ensemble est assez délicat avec des personnages touchants. Un beau film. Elle: Lui :
Le 15 avril 2019, un violent incendie accidentel se déclare dans la cathédrale Notre-Dame de Paris. Des femmes et des hommes vont mettre leurs vies en péril dans un sauvetage difficile et héroïque… Notre-Dame brûle est un film français réalisé par Jean-Jacques Annaud. Il retrace heure par heure tous les évènements de cette catastrophe et nous place aux côtés des pompiers qui eurent la mission impossible de sauver l’édifice en maitrisant le feu. Jean-Jacques Annaud a patiemment rassemblé de nombreux témoignages pour former son récit. La reconstitution est techniquement parfaite. Le réalisateur a su habilement utiliser les cathédrales présentant des similitudes (Bourges, Amiens, Sens) et insérer des images réelles du jour de la catastrophe (notamment celles avec le Chef de l’État). Il a fait construire une réplique grandeur nature de l’intérieur de Notre-Dame avant de détruire ce décor par le feu. La scène de l’effondrement de la flèche fut selon lui la plus complexe, filmée en une seule prise par douze caméras placées dans des crash box. Le résultat est spectaculaire et ne laisse que peu de répit au spectateur. Les effets traditionnels des films-catastrophes (pour accentuer la dramatisation) sont ici très réduits, l’essentiel du film est dans l’action des pompiers et leurs difficiles prises de décision. Une réussite. Elle: Lui :
Clermont-Ferrand, quelques jours avant Noël. Un jeune ingénieur, récemment revenu de l’étranger, remarque à la messe une jeune femme blonde et décide qu’elle sera sa femme. Il retrouve ensuite par hasard un ancien ami qui l’invite à un dîner le soir de Noël chez une amie divorcée, Maud… Ma nuit chez Maud est un film français écrit et réalisé par Éric Rohmer. C’est le troisième des Six contes moraux du réalisateur (bien qu’il ait été réalisé après le quatrième, La Collectionneuse) et sans nul doute le plus profond des six, le plus philosophique. On y parle de l’existence de Dieu et du pari de Pascal (1), de probabilités mathématiques, de l’amour. L’art de Rohmer est de rendre cela très naturel et assez attrayant. Il nous fait suivre les discussions de trois personnages aux convictions très fortes : il y a l’ingénieur croyant (Jean-Louis Trintignant), rigoriste, janséniste malgré lui, enfermé dans des principes tristes qu’il énonce joliment, le professeur de philosophie marxiste qui cultive ses illusions sources d’espoir (Antoine Vitez) et la femme libre (Marie-Christine Barrault) auprès de laquelle l’ingénieur va perdre de sa raideur le temps d’une nuit. Leurs discussions sont passionnantes à suivre et prêtent délicieusement à réflexion. Certains seront tentés d’y voir un éloge du mariage et de la famille mais, une fois de plus, Rohmer ne fait pencher la balance dans aucun sens, il nous place en observateur (même si on peut s’amuser de la pirouette finale). L’interprétation est aussi excellente que le sujet. Elle: – Lui :
(1) Ces dialogues au sujet de Pascal sont directement inspirés de l’émission L’Entretien sur Pascal (1965), un dialogue entre Brice Parain, auteur d’essais de philosophie, et le père dominicain et mathématicien Dominique Dubarle. L’émission était réalisée par Rohmer pour la télévision. (Visible sur Gallica).
Antoine Vitez, Françoise Fabian et Jean-Louis Trintignant dans Ma nuit chez Maud de Éric Rohmer.
Françoise Fabian et Antoine Vitez dans Ma nuit chez Maud de Éric Rohmer.
Françoise Fabian et Jean-Louis Trintignant dans Ma nuit chez Maud de Éric Rohmer.
Nord-est de l’Italie, région Frioul-Vénétie julienne, 1900. Le bébé de la jeune Agata est mort-né et ainsi condamné à errer dans les Limbes. Un homme lui parle d’un endroit dans les montagnes où son bébé pourrait être ramené à la vie, le temps d’un souffle, pour être baptisé. Agata entreprend seule ce voyage et rencontre Lynx, qui lui offre son aide… Piccolo corpo est un film italien co-écrit et réalisé par Laura Samani, son premier long métrage. Il s’agit d’une histoire qui se situe entre la chronique réaliste et le fantastique alimenté par un mysticisme religieux. Le sujet est original mais basé sur des éléments réels : de tels sanctuaires existaient « partout dans les Alpes (en France on en comptait presque deux cents) » (1). L’obstination de la jeune Agata émeut et finit par nous conquérir. La réalisatrice donne également à sa quête une dimension de parcours initiatique vers une émancipation féminine. L’atmosphère est légèrement irréelle et tend à abolir la frontière entre le réel et le mystique (2). Filmé dans les dialectes frioulan et vénète, une certaine nostalgie de l’Italie d’avant son unification est perceptible. Piccolo corpo est un film très particulier qui mérite d’être découvert. Elle: Lui :
(1) Assez surpris (et, je l’avoue, un peu sceptique) par cette affirmation de la réalisatrice relayée par le dossier de presse, j’ai trouvé cette étude de Jacques Gélis qui précise : « Des milliers et des milliers d’embryons et d’enfants à terme ont été ainsi exposés et ont donné des « signes de vie » entre le XIVe et le XIXe siècle dans des dizaines et des dizaines de sanctuaires en France, en Belgique, en Suisse, en Autriche, en Allemagne du sud et en Italie du nord. » (Techniques et culture, n° 60, 2013/1).
La page Wikipédia sur les « Sanctuaires à répit » cite des nombres précis : 277 en France entre le XIIIe siècle et le début du XXe.
(2) Note d’intention de Laura Samani :
« Dans le film, Dieu ne se trouve ni dans les miracles ni dans les prières, ni même dans les dogmes qui divisent la vie après la mort en paradis, enfer et limbes. Dieu existe à un autre niveau : chez Lynx qui ne croit en rien et n’est donc pas touché par le postulat initial du miracle ; chez Agata qui exploite sa colère afin de redessiner les frontières du possible ; et dans la relation entre ces deux points de vue solitaires qui sont, pendant un instant, moins douloureux. La frontière est ténue entre la vie et la mort, la réalité et la magie, les possibilités que l’on a espérées et le temps qui nous reste. » (Extrait du dossier de presse)
Ondina Quadri et Celeste Cescutti dans Piccolo corpo de Laura Samani.