19 mai 2017

Pauline à la plage (1983) d’ Eric Rohmer

Pauline à la plageFin de l’été sur une plage normande. Marion a la charge de Pauline, sa jeune cousine adolescente. Elles rencontrent Pierre et Henri et parlent de leurs visions de l’amour… Pauline à la plage est le troisième, et le plus connu, film de la série « Comédies et Proverbes » d’Éric Rohmer. Le proverbe illustré est « Qui trop parole, il se mesfait » de Chrétien de Troyes. On ne sera pas surpris qu’il y a soit question de paroles et de dialogues, sur un sujet éminemment subjectif : l’amour. Chacun des personnages en a sa propre définition, chacun a ses attentes. Malgré ce petit côté maniéré, ou du moins « maitrisé », toujours présent dans les films de Rohmer, les dialogues sonnent très justes, très authentiques ; ils semblent avoir été écrits par les personnages eux-mêmes. C’est bien cela qui est remarquable chez Rohmer : les dialogues sont toujours simples, les esprits chagrin pourront leur reprocher une absence de profondeur, et pourtant de l’ensemble ressort une réflexion des plus éclairantes, aux portes de la philosophie. Ici, ces différentes visions de l’Amour incitent au questionnement. Rohmer sait préserver simplicité et naturel chez ses personnages ; il joue ici parfaitement et sans en abuser avec la féminité d’Arielle Dombasle. Grace à toutes ces qualités, Pauline à la plage est atemporel : il se regarde avec autant d’intérêt aujourd’hui qu’il y a trente ans.
Elle: 5 étoiles
Lui : 4 étoiles

Acteurs: Amanda Langlet, Arielle Dombasle, Pascal Greggory, Féodor Atkine
Voir la fiche du film et la filmographie de Eric Rohmer sur le site IMDB.

Voir les autres films de Eric Rohmer chroniqués sur ce blog…

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Remarques :
* Chrétien de Troyes est un poète français (env. 1130-1185) auteur de romans de chevalerie de la littérature arthurienne en octosyllabes tels Lancelot ou le Chevalier de la charrette, Perceval ou le Conte du Graal ou encore Erec et Enide.

Le cycle Comédies et proverbes d’Éric Rohmer :
1. La Femme de l’aviateur (1981) ou « On ne saurait penser à rien »
2. Le Beau Mariage (1982) ou « Quel esprit ne bat la campagne ? qui ne fait château en Espagne ? »
3. Pauline à la plage (1983) ou « Qui trop parole, il se mesfait »
4. Les Nuits de la pleine lune (1984) ou « Qui a deux femmes perd son âme, qui a deux maisons perd sa raison »
5. Le Rayon vert (1986) ou « Que le temps vienne où les cœurs s’éprennent »
6. L’Ami de mon amie (1987) ou « Les amis de mes amis sont mes amis »

Pauline à la plage
Amanda Langlet, Pascal Greggory et Arielle Dombasle dans Pauline à la plage de Éric Rohmer.

Pauline à la plage
Amanda Langlet, Simon de La Brosse et Féodor Atkine dans Pauline à la plage de Éric Rohmer.

Pauline à la plage
Eric Rohmer, Arielle Dombasle, Rosette et Pascal Greggory sur le tournage de Pauline à la plage de Éric Rohmer.

2 avril 2017

Manon (1949) de Henri-Georges Clouzot

ManonEn juin 1944 en Normandie, le jeune FFI Robert Desgrieux tombe amoureux de Manon, condamnée par la rumeur publique. Ils fuient ensemble à Paris pour retrouver le frère de Manon qui fait des petits trafics sur le marché noir… Ce Manon d’Henri-Georges Clouzot n’est pas la première adaptation au cinéma du roman de l’Abbé Prévost Manon Lescaut (7 volumes rédigés entre 1727 et 1731) mais, avec l’aide de Jean Ferry, il l’a transposé pour la première fois à l’époque moderne, en l’occurrence la période de l’après-guerre. Cela reste une histoire d’amour fou mais témoigne aussi des troubles de son époque et de l’amoralisme des trafics. Il y a ainsi un contraste appuyé entre les ignominies du monde et la naïveté (ou l’aveuglement) de l’amour : « Rien n’est sale quand on s’aime » croit Manon. Le parallèle a souvent été fait avec Loulou de Pabst : c’est vrai sur le plan de l’amour fou qui peut nous conduire à faire des choses contraires à notre volonté, vrai aussi sur le petit scandale créé par l’amoralité du film, mais plutôt moins sur le personnage de la jeune femme, celui incarné par Louise Brooks paraissait plus réfléchi. Cela ne l’empêche pas d’être assez complexe. L’écrivain de cinéma Ado Kyrou a bien décrit Manon : « Dans une totale ignorance du mal, dans une instinctive négation du « péché », elle cherche désespérément à être femme tout en réalisant l’amour fou avec l’homme qu’elle aime. » A peine âgée de 20 ans, Cécile Aubry incarne son personnage avec beaucoup de candeur. Elle ne fera pas une grande carrière par la suite : son nom est probablement aujourd’hui plus connu de tous comme auteur de Belle et Sébastien. Manon est le premier grand rôle pour Michel Auclair, assez brillant dans son interprétation, un acteur que l’on posait alors en rival potentiel de Gérard Philipe. Le film d’Henri-Georges Clouzot est admirablement mis en scène. Le cinéaste alterne des moments de grande virtuosité (la scène du train bondé par exemple) avec des scènes à la fois tragiques et lyriques, et même audacieuses : cette scène finale où Desgrieux transporte sa Manon d’une façon si particulière dans le désert est assez inouïe, presque christique.
Elle:
Lui : 4 étoiles

Acteurs: Serge Reggiani, Michel Auclair, Cécile Aubry, Andrex, Raymond Souplex, André Valmy, Henri Vilbert
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Manon
Michel Auclair et Cécile Aubry dans Manon de Henri-Georges Clouzot.

Remarques :
* Le second du navire est interprété par le jeune Michel Bouquet (sa 3e apparition à l’écran).
* Première apparition à l’écran pour Rosy Varte : elle est la maitresse de Serge Reggiani.

Principales adaptations :
1912 – Manon Lescaut, film français d’Albert Capellani
1926 – Manon Lescaut, film allemand de Arthur Robison avec Lya De Putti
1927 – Le Roman de Manon (When a Man Loves), film d’Alan Crosland avec John Barrymore et Dolores Costello
1940 : Manon Lescaut, film italien de Carmine Gallone avec Alida Valli et Vittorio De Sica
1949 – Manon, film d’Henri-Georges Clouzot
1954 – Les amours de Manon Lescaut, film italien de Mario Costa
1968 – Manon 70, film français de Jean Aurel avec Catherine Deneuve et Sami Frey
+ plusieurs adaptations pour la télévision dont une mini-série française (1978) avec Fanny Cottençon,
et Manon est également un opéra-comique de Jules Massenet.

20 octobre 2016

Lolita (1962) de Stanley Kubrick

LolitaUn professeur cinquantenaire tombe désespérément amoureux de la fille de sa logeuse… La réputation sulfureuse du roman de Nobokov rendait son adaptation délicate. La première difficulté était bien entendu de pouvoir passer la censure et de faire accepter le projet par les ligues de vertu, alors très puissantes. Faire vieillir Lolita de quelques années fut le premier stratagème : au lieu d’avoir 12 ans comme dans le roman, l’actrice Sue Lyon en avait 14 au moment du tournage et en paraissait deux de plus. Il fallut bien aussi mettre en sourdine l’aspect érotique du récit. Mais la difficulté principale était d’avoir suffisamment de talent pour ne pas faire de cette description d’un amour obsessionnel une histoire salace ou sordide. Du talent, Kubrick en a et, tout comme le charme du roman de Nabokov doit beaucoup à la très grande qualité de son écriture, le film Lolita est plus séduisant par le traitement qu’en fait Kubrick. Sa façon de construire ses scènes est assez remarquable. Côté acteurs, il leur a laissé une part d’improvisation et cela augmente d’autant l’authenticité. James Mason a juste ce qu’il faut d’ironie distante et Kubrick accentue le ton sardonique du récit avec le personnage joué par Peter Sellers, dont l’humour peut paraître décalé mais qui participe à l’équilibre global. En quelque sorte, il nous fait prendre du recul. Kubrick est aussi ironique envers l’american way of life avec l’insupportable mère de Lolita, jouée par Shelley Winters. La jeune Sue Lyon est étonnante par son alliance de charme et de complexité, exprimant toute l’ambigüité de son rôle : dès sa première scène, on se demande s’il s’agit d’une ingénue ou d’une manipulatrice. On ne le saura jamais. En revanche, le glissement de James Mason vers la folie est patent et son obsession pour une chose qu’il ne peut posséder finit par nous émouvoir.
Elle:
Lui : 4 étoiles

Acteurs: James Mason, Shelley Winters, Sue Lyon, Peter Sellers
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Lolita
Sue Lyon dans Lolita de Stanley Kubrick.

Lolita
James Mason et Sue Lyon dans Lolita de Stanley Kubrick.

Lolita
Marianne Stone et Peter Sellers (au premier plan) écoutent subrepticement James Mason et Sue Lyon (à l’arrière plan) dans Lolita de Stanley Kubrick.

Remarques :
* Kubrick avait demandé à Nabokov d’écrire le scénario et s’en mordit les doigts quand il reçut un manuscrit de 400 pages. Il entreprit alors de le simplifier et de le transformer… Nabokov a estimé que Kubrick n’avait utilisé qu’environ vingt pour cent de son texte tout en s’estimant heureux du résultat.

* Kubrick a beaucoup développé le personnage de Clare Quilty (Peter Sellers) .

* Stanley Kubrick raconte : « L’un des problèmes majeur avec le livre, et avec le film, même dans son adaptation, c’est que le principal intérêt de l’histoire se résume à la question : « Est-ce qu’Humbert va coucher avec Lolita ? » … Pour éviter ce problème dans le film, Nabokov et moi, nous sommes tombés d’accord pour qu’Humbert tue Quilty sans explication dès le début, pour faire en sorte que le public se demande pendant tout le film ce que Quilty avait bien pu faire. » (interview de Joseph Gelmis, 1970)

* A l’origine, Peter Sellers devait se déguiser en femme pour jouer le rôle du psychologue scolaire (il existe une photo de tournage où l’on voit Sellers ainsi déguisé). Mais au dernier moment, Sellers et Kubrick sont tombés d’accord pour dire que ce serait trop exagéré et le personnage du Docteur Zemph fut inventé sur place.

Remake :
Lolita d’Adrian Lyne (1997) avec Jeremy Irons, Dominique Swain, Melanie Griffith

11 septembre 2016

Possédée (1947) de Curtis Bernhardt

Titre original : « Possessed »

PossédéeUne femme erre dans les rues de Los Angeles à la recherche d’un certain David. Emmenée dans un hôpital psychiatrique, elle raconte peu à peu son passé aux docteurs qui la soignent. Tout a commencé par un amour très fort pour un jeune ingénieur… Tourné aux Etats Unis par le réalisateur d’origine allemande Curtis Bernhardt, Possessed s’inscrit pleinement dans la vogue des films psychiatriques de la seconde moitié des années quarante. Joan Crawford s’est longuement préparé pour le rôle, visitant des hôpitaux psychiatriques, observant les pensionnaires et parlant du script avec les docteurs ; le résultat est une interprétation très forte où sa schizophrénie est palpable, elle paraît même presque possédée, ce qui justifie le titre. Submergée par l’intensité de ses sentiments, son personnage en vient à ne plus distinguer le réel de son imaginaire. C’est dans ce type de rôle que l’on se rend compte à quel point Joan Crawford est bien à classer parmi les plus grandes actrices. Le film, lui, est souvent classé dans les films noirs, du fait de son atmosphère et de son apparence. Curtis Bernhardt travaille beaucoup ses éclairages, dans un esprit proche de l’expressionnisme aurait-on envie de dire pour évoquer ses origines allemandes. Le résultat est assez puissant. La mise en scène est maitrisée de bout en bout. Possessed est un film assez remarquable.
Elle:
Lui : 4 étoiles

Acteurs: Joan Crawford, Van Heflin, Raymond Massey, Geraldine Brooks, Stanley Ridges
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Remarques :
* Joan Crawford (déjà oscarisée pour Mildred Pierce en 1946) a manqué de peu de recevoir un second Oscar pour ce rôle.

Homonyme :
Joan Crawford a joué dans deux films ayant pour titre Possessed, le premier étant :
Fascination (Possessed) de Clarence Brown (1931) avec Joan Crawford et Clark Gable, un drame romantique.

Possessed
Joan Crawford dans Possédée de Curtis Bernhardt (à l’arrière-plan : Raymond Massey et Van Heflin).

4 septembre 2016

Théodora, impératrice de Byzance (1954) de Riccardo Freda

Titre original : « Teodora, imperatrice di Bisanzio »

Théodora, impératrice de ByzanceAu VIe siècle, Justinien, l’empereur de Byzance tombe sous le charme d’une jeune femme audacieuse rencontrée dans la rue. Il la suit dans une taverne où il la voit danser et lui offre un pendentif avant qu’elle ne disparaisse. Accusée de vol, la jeune femme comparaît devant un tribunal présidé par Justinien… C’est principalement Riccardo Freda qui a relancé la vague du péplum italien dans les années cinquante avec son Spartacus (1952) et des films comme ce Théodora, impératrice de Byzance. Le scénario s’appuie sur des éléments historiques, Justinien et Théodora ont bien existé mais leur rencontre est bien entendu très romancée. Passion amoureuse et jalousie sont ici exploitées, ce cocktail ravageur si souvent utilisé au cinéma ; la soif du pouvoir vient pimenter l’ensemble. Le scénario ne paraît pas très original à nos yeux contemporains mais la mise en scène de Riccardo Freda est assez soignée : contrairement à Spartacus, qui était en noir et blanc, il utilise ici la couleur (Ferraniacolor) ce qui permet de mettre joliment en valeur les costumes. Les teintes sont lumineuses. Le clou du film est une course de chars assez spectaculaire. Comme souvent, Freda utilise le montage pour compenser les limitations du tournage (quitte à utiliser plusieurs fois la même scène) et donne ainsi beaucoup de rythme à ses scènes d’action. Parmi les acteurs, on remarquera la présence d’Irène Papas (la sœur perfide de Théodora) dans l’un de ses premiers rôles. Le film peut paraître anodin aujourd’hui, surtout du fait de son scénario très prévisible, mais le film n’est pas sans valeur. Loin de là.
Elle:
Lui : 2 étoiles

Acteurs: Georges Marchal, Gianna Maria Canale, Renato Baldini, Irene Papas
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Theodora
Gianna Maria Canale et Georges Marchal dans Théodora, impératrice de Byzance de Riccardo Freda.

18 juin 2016

Le Droit d’aimer (1929) de John S. Robertson

Titre original : The Single Standard

The Single Standard(Film muet) Arden Stuart est la fille d’une famille en vue de la haute société de San Francisco. Elle s’ennuie et déplore que les femmes ne puissent se permettre de faire les mêmes choses que les hommes. Elle refuse les avances de Tommy Hewlett qui est éperdument amoureux d’elle. Elle rêve d’un amour sincère et va le trouver en la personne d’un séduisant peintre… Adapté d’un roman d’Adela Rogers St. Johns, The Single Standard est un mélodrame qui semble se placer dans une optique féministe. Un texte en exergue nous rappelle que « depuis des générations, les hommes font ce qu’ils veulent alors que les femmes font ce que les hommes veulent ». C’est justement le sens du Single Standard, expression de l’époque signifiant qu’un même code de conduite, un même standard, devrait s’appliquer aussi bien aux hommes qu’aux femmes. Ceci étant dit, il semble bien que le propos soit ici de démontrer que c’est impossible car la suite de cette histoire est assez conventionnelle et marquée d’un certain conservatisme. On peut y voir l’effet de l’influence grandissante des codes moraux imposés au cinéma. Greta Garbo est une fois de plus assez merveilleuse, même si son jeu peut sembler un peu moins enthousiasmant. Décrite par la publicité comme étant pour la première fois dans un personnage « 100% américain », elle porte des tenues très contemporaines, toujours conçues par le couturier Adrian. Son partenaire est de nouveau Nils Asther qui montre une très belle présence à l’écran : il a une grande puissance dans le regard. Les scènes entre Garbo et lui sont empreintes de passion. Le chef-opérateur n’est pas cette fois William Daniels, le chef-op attitré de Garbo étant probablement pris sur un autre tournage, mais Oliver T. Marsh. Cela se sent, la photographie est moins remarquable. Comme les autres films de Greta Garbo, The Single Standard fut un grand succès à sa sortie.
Elle:
Lui : 3 étoiles

Acteurs: Greta Garbo, Nils Asther, Johnny Mack Brown
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Remarques :
* Craignant que l’accent suédois de Greta Garbo soit un problème, la M.G.M. continuait à lui faire tourner des films muets. Son premier film parlant sera Anna Christie en 1930.
* Un intertitre est resté célèbre. A un importun dans la rue qui tente de l’aborder, elle lance « I walking alone because I want to walk alone » (= je marche seule parce je veux marcher seule), phrase qui préfigure son célèbre (« I want to be alone ») de Grand Hotel (1932) et de son désir dans la vraie vie.
* Deux figurants, futurs acteurs de premier plan : Joel McCrea (l’un des trois maris coureurs au début du film) et Robert Montgomery (l’un des danseurs à la réception ?)

The Single Standard
Fred Solm, Greta Garbo et Johnny Mack Brown dans The Single Standard de John S. Robertson.

The Single Standard
Greta Garbo et Nils Asther dans The Single Standard de John S. Robertson.

The Single Standard
Greta Garbo et Nils Asther dans The Single Standard de John S. Robertson.

29 novembre 2015

Le Tigre du Bengale / Le Tombeau hindou (1959) de Fritz Lang

Titre original : « Der Tiger von Eschnapur / Das indische Grabmal »

1ere partie : « Le Tigre du Bengale »
2eme partie : « Le Tombeau hindou »

Le Tigre du BengaleAu début du XXe siècle, en Inde, un architecte allemand a répondu à l’invitation du maharadjah d’Eschnapur de venir restaurer le palais et construire des hôpitaux. En chemin, il sauve la vie d’une jeune danseuse en éloignant un tigre féroce. La jeune femme se rend elle aussi à Eschnapur, le maharadjah l’ayant fait venir en espérant se faire aimer d’elle… Il faut préciser en tout premier que Le Tigre du Bengale et Le Tombeau hindou forment un seul et même film en deux parties ; même si cela reste possible, il n’est pas judicieux de les voir séparément. Le Tigre du Bengale met en place les personnages et installe une situation génératrice de puissantes tensions qui n’éclatent vraiment que dans Le Tombeau hindou, riche en action et mouvementé.

Le Tombeau hindouA la fin de sa carrière, Fritz Lang fait un retour aux sources : 26 ans après l’avoir quittée, il revient en Allemagne pour tourner une nouvelle version d’un scénario écrit en 1921 par Thea von Harbou (1) et qu’il n’avait pu réaliser lui-même, s’étant fait souffler le projet par l’autrichien Joe May. Richard Eichberg en avait fait un remake en 1938 d’une qualité assez moyenne mais le projet de Lang est d’une toute autre ampleur, doté d’un budget important. Comme le plus souvent dans les scénarios de Thea von Harbou, les personnages sont animés par des pulsions assez simples, la passion, l’ambition, la jalousie, et l’histoire les place dans des situations elles-aussi simples mais limpides et très fortes. La perfection esthétique, épurée avec une grande économie de mouvements de caméra, fait écho à cette simplicité du propos et ajoute à la profondeur de l’ensemble. Fritz Lang retrouve l’esprit avec lequel il tournait ses films muets pour aller sonder les profondeurs de la nature humaine. L’image est très belle, fastueuse et riche en couleurs. Debra Paget est d’une grande beauté mais le personnage le plus remarquable est certainement celui de Chandra, le maharadjah, auquel Walter Reyer donne une belle intensité. Le Tigre du Bengale peut être délicat à faire apprécier à des yeux modernes qui vont parfois ne voir là qu’un film kitsch avec des effets trop visibles (oui, le cobra est en carton-pâte, mais quelle importance ?) Le film a d’ailleurs divisé dès sa sortie et l’historien Jacques Lourcelles remarque à juste titre que ses détracteurs lui ont reproché ce qui justement fait sa force : « une inactualité géniale qui réduit l’univers à quelques désirs contradictoires et monstrueux de l’homme… »
Elle: 5 étoiles
Lui : 5 étoiles

Acteurs: Debra Paget, Paul Hubschmid, Walther Reyer, Claus Holm, Sabine Bethmann
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Le Tombeau hindou
Debra Paget dans Le Tombeau hindou de Fritz Lang

le Tombeau hindou
Walther Reyer dans Le Tombeau hindou de Fritz Lang

le Tombeau hindou
Debra Paget dans Le Tombeau hindou de Fritz Lang

le Tigre du Bengale
Walther Reyer, René Deltgen et Jochen Brockmann dans Le Tigre du Bengale de Fritz Lang

(1) Fritz Lang et Thea von Harbou se sont mariés en 1922.

Précédentes versions :
* Das indische Grabmal de Joe May (1921) en deux parties :
1 Die Sendung des Yoghi (= La mission du Yogi)
2 Der Tiger von Eschnapur
avec Conrad Veidt dans le rôle du maharadjah.

* Der Tiger von Eschnapur de Richard Eichberg (1938) en deux parties :
1 Der Tiger von Eschnapur
2 Das indische Grabmal
avec Philip Dorn dans le rôle du maharadjah.

10 mars 2015

L’abominable Dr. Phibes (1971) de Robert Fuest

Titre original : « The Abominable Dr. Phibes »

L'abominable Dr. PhibesDans les années 1920, un mystérieux personnage, vêtu d’une grande cape noire, assassine des médecins avec une mise en scène qui intrigue Scotland Yard… L’abominable Dr. Phibes est un film très étonnant. Il faut sans doute le classer dans les films d’horreur du fait des meurtres perpétrés, mais l’inventivité et l’humour déployé le mettent indéniablement à part. L’inventivité est évidente dans les mises en scène pour donner la mort, se calquant sur les dix plaies d’Egypte de la Bible, mais cette inventivité est aussi présente dans l’intérieur de la demeure du Docteur Phibes, ses automates et son propre personnage (il a une façon de boire le champagne qui n’est pas banale…) L’humour est tout aussi omniprésent, dans l’excès de raffinement des mises en scène macabres et surtout chez les policiers enquêteurs. Vincent Price est bien entendu l’acteur idéal pour le rôle du docteur maléfique. Il a un jeu démonstratif malgré son visage figé. L’ensemble n’est pas à prendre au sérieux, L’abominable Dr. Phibes est avant tout un divertissement.
Elle:
Lui : 3 étoiles

Acteurs: Vincent Price, Joseph Cotten, Hugh Griffith, Virginia North, Peter Jeffrey
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Remarque :
* Robert Fuest, qui aurait presque totalement réécrit le scénario, a débuté comme Art Director de la série Chapeau melon et Bottes de cuir dont il a également réalisé quelques épisodes. Il a effectivement une certaine similitude avec cette série dans les mises en scène excessivement élaborées.
* On peut supposer que le film (avec ses références bibliques) a été l’une des sources d’inspiration de David Fincher pour Seven.

L'abominable Dr. Phibes de Robert Fuest

23 mai 2014

Duel au soleil (1946) de King Vidor et William Dieterle

Titre original : « Duel in the Sun »

Duel au soleilAprès que son père ait tué sa mère par jalousie, la jeune et jolie Pearl, qui a une moitié de sang indien, est confiée à une lointaine cousine qui vit dans un immense ranch au Texas. Là, elle se trouve en présence des deux fils de la maison qui sont immédiatement très attirés par elle… David O. Selznick a écrit et produit Duel au soleil pour être un tremplin à la carrière de sa seconde femme, Jennifer Jones. Désireux d’aller plus loin qu’Autant en emporte le vent, il a délibérément exagéré les sentiments, élargi les espaces et surtout exacerbé les passions. Le personnage de Jennifer Jones est fortement érotisé (tout en restant bien entendu dans le registre « tous publics », le film a fait scandale juste ce qu’il faut) et le manichéisme est poussé à l’extrême. Duel au soleil est surtout un film de Selznick qui est d’ailleurs si présent sur le tournage que King Vidor finit par jeter l’éponge. William Dieterle prendra sa place. Si l’on ajoute les réalisateurs de seconde équipe et les conseillers, pas moins de sept réalisateurs ont travaillé sur le film. Le budget, pourtant colossal, fut largement dépassé et le film devint ainsi le cher jamais réalisé. Côté acteurs, Selznick avait mis toutes les chances de son côté en choisissant deux acteurs très aimés du public, Gregory Peck et Joseph Cotten, auxquels il adjoint deux grandes figures du cinéma : Lionel Barrymore et Lillian Gish. Avec tant de calculs, d’exagérations de moyens et de dramatisation, on peut s’attendre à un résultat hétérogène et artificiel. Il n’en est rien. Le film n’est certes pas sans défaut, sans outrance, il manque parfois de liant mais Duel au soleil reste un grand drame de la passion destructrice et un spectacle magnifique. Il dépasse le cadre du genre western. Le succès populaire fut immense.
Elle:
Lui : 4 étoiles

Acteurs: Jennifer Jones, Joseph Cotten, Gregory Peck, Lionel Barrymore, Herbert Marshall, Lillian Gish, Walter Huston, Charles Bickford
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Remarques :
* Parts estimées de réalisation directe par chaque réalisateur :
Réalisateur principal 1 King Vidor : 45%,
Réalisateur principal 2 William Dieterle : 25%,
Seconde équipe Otto Brewer : 20%,
Conseiller pour la couleur Josef von Sternberg : quelques scènes additionnelles 3%
Conseiller et production designer William Cameron Menzies : quelques scènes
Sidney Franklin : ? (seconde équipe ?)
Producteur David O. Selznick : quelques scènes.
Appelée à trancher, la commission d’arbitrage de la Screen Directors Guild décida que seul King Vidor serait mentionné au générique.

* Scènes marquantes :
– L’incroyable scène qui ouvre le film, la danse de la mère de Pearl dans le bar, est de William Dieterle.
– L’étonnante scène où « Le Sénateur » rassemble tous ses cowboys a été tournée par la seconde équipe, donc par Otto Brewer.
– La scène finale, dans sa forme définitive, est l’oeuvre d’au moins trois ou quatre des réalisateurs.

* La voix du narrateur est celle d’Orson Welles

* Le film a été surnommé « Lust in the Dust » (luxure et poussière).

(1) Dans le livre sur les mémos de David O. Selznick, on peut lire le courrier que le producteur a envoyé à King Vidor pour tenter de le faire revenir, jouant beaucoup sur le thème « on ne va pas casser ainsi une amitié de vingt ans ». King Vidor est cependant resté ferme sur sa décision. Dans un autre mémo à un agent, il raconte l’altercation (une scène d’extérieurs à Lasky Mesa non finie à temps parce que Vidor désirait changer l’emplacement de la caméra) qui est visiblement la goutte d’eau qui a fait déborder le vase (ce sont même les termes employés par Selznick). De son côté, King Vidor parle très peu du film dans autobiographie, disant simplement qu’il s’agit surtout d’un film de David O. Selznick.

24 mars 2014

Gun Crazy (1950) de Joseph H. Lewis

Autre Titre  : « Deadly Is the Female »
Titre français : « Le Démon des armes »

Gun Crazy: Le démon des armesDès son plus jeune âge, Barton a été attiré par les armes. Lorsqu’il va rencontrer la jeune Annie, elle aussi tireuse hors pair, sa vie va basculer et ils vont enchainer les holdups… Produit et mis sur pied par les King Brothers, Gun Crazy est basé sur une histoire de MacKinlay Kantor parue dans un quotidien et réécrite par Dalton Trumbo (1). Cette histoire préfigure des films comme Bonnie & Clyde (1967) d’Arthur Penn ou Badlands (1973) de Malick, fuite en avant d’un jeune couple qui se livre aux braquages pour assouvir ses rêves. Sur le plan de la forme, le film préfigure par certains aspects la Nouvelle Vague avec  ses décors naturels et notamment avec sa scène la plus célèbre, un hold-up filmé en un seul plan-séquence de presque 4 minutes depuis l’intérieur de la voiture du couple. C’est un plan très surprenant. On comprend que Truffaut et Godard se soient pris de passion pour ce film (2). Gun Crazy est un film très différent, assez à part dans le genre du film noir (3). C’est finalement surtout une histoire d’amour, celle d’un jeune couple qui aspire à s’établir et à mener une vie normale, un amour fou qui les aveugle et les précipite dans un trou sans fin. Le personnage de la jeune femme est assez fascinant par son mélange d’ingénuité et de dureté qui le rend assez inoubliable. Le film est très fortement connoté sexuellement même si la censure a été particulièrement vigilante. Sa carrière commerciale a été courte à l’époque mais il a acquis un tout autre statut par la suite : aujourd’hui, c’est souvent le premier titre qui vient à l’esprit pour citer un exemple de film de série B exceptionnel et remarquable.
Elle:
Lui : 4 étoiles

Acteurs: Peggy Cummins, John Dall
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Voir les livres sur le film noir

Remarques :
* Le film vient d’être réédité en DVD (1 Blue-ray + 1 normal) incorporé dans un superbe livre de 220 pages signé Eddie Muller qui relate toute la genèse du projet et la réalisation, une gestation assez mouvementée. Le livre est passionnant, fort bien documenté et on ne peut que saluer ce si bel ensemble (même si on peut regretter que le prix soit un peu élevé)… (Voir…) C’est une édition limitée, semble t-il.

Gun Crazy: Le démon des armes* A sa sortie, United Artists a affublé le film du titre ridicule Deadly Is the Female et habillé l’héroïne sur l’affiche d’une robe du soir noire (costume réglementaire de la femme fatale mais qui ne correspond absolument pas à son genre dans le film). Le film a retrouvé son titre original, Gun Crazy, par la suite.

(1) L’excellent scénariste Dalton Trumbo figure au générique sous un pseudonyme car, victime du maccarthysme, il était alors sur liste noire.

(2) En regardant Gun Crazy, Il est difficile de ne pas penser à A bout de Souffle ou à Pierrot le Fou que Godard tournera une décennie plus tard.

(3) Pour s’en convaincre, il suffit de le comparer à They Live by Night, que Nicholas Ray a tourné peu avant, qui met également en scène un couple de braqueurs : un très beau film mais beaucoup plus classique dans son traitement.