2 août 2016

Un chef de rayon explosif (1963) de Frank Tashlin

Titre original : « Who’s Minding the Store? »

Un chef de rayon explosifLorsque la directrice d’une chaine de grands magasins découvre que sa fille aime en secret un jeune homme pauvre, maladroit et naïf, elle le fait embaucher dans son plus grand magasin où on lui donnera les tâches les plus ingrates qui soient afin de le ridiculiser… Who’s Minding the Store? (Un chef de rayon explosif) fait partie des nombreux films de Jerry Lewis dirigés par Frank Tashlin, qui a en outre co-écrit le scénario. Les gags sont de bonne qualité avec de petites pointes de génie ici et là. La (célèbre) scène où Jerry Lewis mime une personne tapant à la machine en rythme avec la musique est une merveille ; Jerry Lewis n’a pas son pareil pour de telles scènes, ce qu’il arrive à faire avec son visage est stupéfiant. Il faut citer également l’étonnante scène avec l’aspirateur qui dévore tout (1). L’humour se situe globalement dans le style slapstick avec, une fois de plus, cette façon si particulière de jouer avec le décor et les objets qui rapproche Jerry Lewis de Chaplin ou de Tati. Un grand magasin est l’univers idéal pour cela, formé d’une multitude de petits mondes différents. L’ensemble est bien dosé, sans aucune lourdeur. Un délice.
Elle:
Lui : 4 étoiles

Acteurs: Jerry Lewis, Jill St. John, Ray Walston, John McGiver, Agnes Moorehead
Voir la fiche du film et la filmographie de Frank Tashlin sur le site IMDB.

Voir les autres films de Frank Tashlin chroniqués sur ce blog…

Voir les livres sur Jerry Lewis

(1) A noter que cette scène est citée par Gilles Deleuze dans L’Image-temps :
« Ce n’est plus la machine qui se dérègle et devient folle, comme la machine à nourrir des Temps modernes, c’est la froide rationalité de l’objet technique autonome qui réagit sur la situation et ravage le décor : non seulement la maison électronique et les tondeuses à gazon dans It’s only money, mais les caddies qui détruisent le libre-service (The disorderly orderly) et l’aspirateur qui dévore tout dans le magasin, marchandises, vêtements, clients, revêtement mural (Who’s Minding the Store?). »

who-mind-store-large
Jerry Lewis dans Un chef de rayon explosif de Frank Tashlin.

15 juillet 2016

La Femme aux maléfices (1950) de Nicholas Ray

Titre original : « Born to Be Bad »

Born to be BadDonna (Joan Leslie) accueille de bon coeur sa cousine Christabel (Joan Fontaine) sous son toit sans savoir qu’elle va s’arranger pour attirer l’attention de tous les hommes que Donna fréquente, à commencer par son riche fiancé… Born to Be Bad fait partie des premiers films de Nicholas Ray. Ce mélodrame paraît nettement moins remarquable que ses autres réalisations. L’intrigue est finalement assez conventionnelle et donc prévisible, avec une dimension psychanalytique sous-jacente qui reste hélas non développée. L’ensemble est sauvé par une belle interprétation, y compris dans les seconds rôles. Joan Fontaine casse ici son image habituelle de jeune femme parfaite et irréprochable. Le directeur de la photographie est le très expérimenté (et talentueux) Nicholas Musucara. On remarquera de nombreux très beaux plans et la prédilection de Nicholas Ray pour les escaliers… Le talent et l’inventivité de Ray pour la mise en scène sont patents dans la scène d’ouverture qui introduit un à un les principaux protagonistes en un vaste ballet de personnages sur un simple palier.
Elle:
Lui : 3 étoiles

Acteurs: Joan Fontaine, Robert Ryan, Zachary Scott, Joan Leslie, Mel Ferrer
Voir la fiche du film et la filmographie de Nicholas Ray sur le site IMDB.

Voir les autres films de Nicholas Ray chroniqués sur ce blog…

Voir les livres sur Nicholas Ray

Remarques :
* Born to Be Bad fait partie des quelques films dont Nicholas Ray refusait de parler.
* La scène de fin en happy end sur le tarmac de l’aérodrome a été ajoutée à la demande d’Howard Hugues (qui venait de racheter RKO Pictures). Cette scène fait sourire tant elle paraît peu crédible. Il est d’ailleurs peu probable qu’elle ait été tournée par Nicholas Ray. Le simple fait de voir soudainement Zachary Scott aux commandes d’un avion surprend… sauf si on se rappelle qu’Howard Hugues est un grand fan d’aviation !
* Le film n’est sorti en France qu’en 1985.

* Homonyme (sans aucun rapport) :
Born to Be Bad de Lowell Sherman (1934) avec Loretta Young et Cary Grant, film de la 20th Century Fox qui n’est, semble t-il, jamais sorti en France.

Born to be bad
Zachary Scott, Joan Fontaine et Mel Ferrer dans Born to be Bad de Nicholas Ray.

Born to be bad
Harold Vermilyea, Joan Leslie et Robert Ryan dans Born to be Bad de Nicholas Ray.

7 juillet 2016

L’Extravagant Mr Deeds (1936) de Frank Capra

Titre original : « Mr. Deeds Goes to Town »

L'extravagant Mr DeedsDans sa petite ville du Vermont, Longfellow Deeds est un homme simple. Soudainement héritier d’une immense fortune, il est la cible de profiteurs et de journalistes peu scrupuleux dès son arrivée à New York… L’Extravagant Mr Deeds (1936) forme avec Mr. Smith au sénat (1939) et L’homme de la rue (1941) une trilogie humaniste de Frank Capra. Le réalisateur a une indéfectible confiance en la nature humaine, il a cette vision un peu idéaliste où l’égoïsme, la jalousie, la cupidité doivent céder face à des sentiments plus nobles. Peu importe que le bien triomphe grâce à un retournement de situation aussi improbable qu’inespéré, le message d’optimisme est affirmé avec la force de la simplicité. On peut également déceler une dose de populisme dans l’exaltation du sens commun de l’homme ordinaire face aux prétendus savoirs des élites. Il faut replacer tout ce propos dans son contexte : le pays est alors en plein New Deal de Roosevelt qui va bouleverser en profondeur l’économie américaine. Gary Cooper, que Capra voulait absolument (le tournage fut retardé de six mois pour attendre que l’acteur soit libre), est superbe. Les seconds rôles sont également bien définis comme en témoigne la scène du procès. La mise en scène de Capra montre de belles trouvailles et l’ensemble allie joliment puissance et légèreté. Le film connut un très grand succès.
Elle:
Lui : 4 étoiles

Acteurs: Gary Cooper, Jean Arthur, George Bancroft, Lionel Stander, Douglass Dumbrille
Voir la fiche du film et la filmographie de Frank Capra sur le site IMDB.

Voir les autres films de Frank Capra chroniqués sur ce blog…

Voir les livres sur Frank Capra

Remarques :
* Comme on peut le voir sur l’affiche ci-dessus, Harry Cohn (patron de la Columbia) a pour la première fois autorisé un metteur en scène à mettre son nom au dessus du titre (du fait de l’immense succès de son film It Happened One Night deux ans auparavant).

* Une suite a été envisagée avec les mêmes acteurs Mr. Deeds Goes to Washington mais le projet évolua pour donner Mr. Smith Goes to Washington (1939) avec James Stewart à la place de Gary Cooper.

* Frank Capra reçut son second Oscar du meilleur réalisateur (au cours de sa carrière, il en aura 3 pour It Happened One Night (1934), Mr. Deeds Goes to Town (1936) et You Can’t Take It with You (1938)).

* Le terme to doodle (= griffonner sur une feuille en pensant à autre chose) inventé par le scénariste de Capra, Robert Riskin, est passé dans le langage courant.

Mr Deeds goes to town
Gary Cooper et Jean Arthur dans L’Extravagant Mr Deeds de Frank Capra.

* Remake (peu réussi) :
Les aventures de Mister Deeds (Mr. Deeds) de Steven Brill (2002) avec Adam Sandler, Winona Ryder, et John Turturro.

30 mai 2016

La Symphonie nuptiale (1928) de Erich von Stroheim

Titre original : « The Wedding March »

La Symphonie nuptialeA Vienne, en 1914, le Prince Nicki von Wildeliebe-Rauffenburg (Erich von Stroheim) est couvert de dettes. Ses parents souhaitent qu’il épouse une jeune femme infirme (Zazu Pitts), fille de très riches commerçants. Mais il tombe entre temps amoureux d’une jeune fille pauvre (Fay Wray) promise à un boucher rustre… La Symphonie nuptiale n’est que la première partie d’une grande fresque en trois parties. C’est hélas la seule qui ait survécu : la seconde partie a bien été tournée, puis montée par la Paramount qui avait racheté la production ; désavouée par Stroheim, elle ne sera montrée qu’en Europe. La seule copie connue à ce jour a péri dans un incendie à la Cinémathèque française en 1959. Quant à la troisième partie, elle ne fut jamais tournée.
Erich von Stroheim a écrit avec Harry Carr cette histoire qui met l’amour au premier plan sur fond de ruine de l’aristocratie. On retrouve globalement ce thème, cher à Stroheim, de l’argent qui se met en travers de l’amour véritable. La noirceur de l’âme humaine s’expose aussi largement avec le personnage du boucher, repoussant à souhait, et de la mère de la belle. Stroheim fait une fois de plus preuve d’un perfectionnisme extrême, notamment dans la qualité de la reconstitution et dans l’authenticité : la cathédrale est précise dans les moindres détails, le carrosse est celui de l’Empereur François-Joseph, la scène du bordel est tournée avec de vraies prostituées et du vrai champagne acheté en contrebande (rappelons que les Etats-Unis sont alors en pleine Prohibition). Une scène est en Two-strip Technicolor. Le budget a bien entendu explosé avant que le tournage ne soit définitivement arrêté au bout de neuf mois et le premier montage de Stroheim donnait six heures de film. De fait, le rythme est assez lent, la scène de la Fête Dieu où le Prince et Mitzi se rencontrent est particulièrement longue. Le rythme s’accélère ensuite progressivement à mesure que la tension monte. En visionnant La Symphonie nuptiale, on ne peut que regretter de ne pouvoir profiter de l’oeuvre dans son ensemble, telle qu’Erich von Stroheim l’avait conçue. (film muet)
Elle:
Lui : 4 étoiles

Acteurs: Erich von Stroheim, Fay Wray, Matthew Betz, Zasu Pitts, George Fawcett
Voir la fiche du film et la filmographie de Erich von Stroheim sur le site IMDB.

Voir les autres films de Erich von Stroheim chroniqués sur ce blog…

Voir les livres sur Erich von Stroheim

Remarques :
* Le film est sorti aux Etats-Unis avec une musique (+ bruitages) synchronisée sur disques Photophone.

* Seconde partie : The Honeymoon (Mariage de Prince) (film perdu)
(ne pas lire ce qui suit avant d’avoir vu la première partie)
Mitzi remplit sa promesse d’épouser le boucher mais, pendant la cérémonie, elle s’évanouit. De rage, le boucher décide de tuer son rival une fois pour toutes et se rend dans le château du Tyrol où le Prince et Cecelia passent une nuit de noces sans amour. Mitzi arrive à temps pour avertir le Prince mais Cecelia est atteinte par la balle du tueur. Alors que les médecins lui ordonnent de rester sans bouger pour guérir, Cecelia, consciente de l’amour du Prince pour Mitzi, se traîne jusqu’à un crucifix géant et y meurt. Nikki rentre à Vienne mais, trouvant l’auberge avec les pommiers fermée, passe son temps au bordel. Lorsque la guerre est déclarée, il est envoyé près de la frontière serbe. Avec sa patrouille, il sauve un couvent attaqué par une bande de renégats dont le boucher fait partie. Or, Mitzi est une novice de ce couvent. Le Prince sauve Mitzi des griffes du boucher. Ils sont mariés à l’autel du couvent.

The Wedding March
Fay Wray et Erich von Stroheim dans La Symphonie nuptiale de Erich von Stroheim.

30 août 2014

Une femme douce (1969) de Robert Bresson

Une femme douceUne jeune femme se jette par la fenêtre et se tue. Fac à elle sur son lit de mort, son mari se souvient de sa première rencontre, de sa vie avec elle…
Adaptation assez fidèle de La Douce, une nouvelle de Dostoïevski, Une femme douce de Robert Bresson n’est pas un film facile à aborder. L’histoire en elle-même est d’une tristesse infinie : une jeune femme se suicide pour échapper à la vie étriquée dans laquelle son mari, un prêteur sur gages surtout intéressé par l’argent, l’a enfermée. De manière assez audacieuse (certains comme Jean-Michel Frodon parlent de « film-essai »), Robert Bresson appuie par sa mise en scène l’austérité du monde dans lequel la jeune femme est enfermée : très peu de dialogues mis à part la voix-off du mari qui raconte (1), silences entrecoupés de bruitages insignifiants, peu d’extériorisation de sentiments, distanciation marquée, et même un long extrait du final d’Hamlet épouvantablement joué sur une scène de théâtre (2). Le problème de cette démarche est que nous ne savons plus très bien si l’austérité vient de l’univers étriqué du mari ou de la mise en scène de Bresson. L’appétit de vie de la jeune femme n’est pas très décelable pour le spectateur, il ne se manifeste que très peu (par son intérêt pour la musique, le cinéma, l’art). Robert Bresson a tenu à prendre des acteurs débutants : si ce sera le seul film de Guy Frangin, Une femme douce ne sera que le premier film d’une longue carrière pour la jeune et talentueuse Dominique Sanda (alors âgée de 20 ans).
Elle:
Lui : 2 étoiles

Acteurs: Dominique Sanda, Guy Frangin
Voir la fiche du film et la filmographie de Robert Bresson sur le site IMDB.

Voir les autres films de Robert Bresson chroniqués sur ce blog…

Voir les livres sur Robert Bresson

Remarques :
* Dominique Sanda s’est mariée à l’âge de 16 ans pour divorcer peu après. On peut donc supposer que ce rôle a pu réveiller des échos de sa propre vie.
* Le film que le couple va voir au cinéma est Benjamin ou Les mémoires d’un puceau de Michel Deville (1968).

(1) A noter que le narrateur n’est pas introduit par Bresson : dans la nouvelle de Dostoïevski, c’est également le mari qui raconte. Le fait que les personnages n’aient pas de nom est également dans la nouvelle.

(2) Le but de ce pensum de 10 minutes semble être uniquement de montrer que la jeune femme, alors qu’elle s’ouvre au monde extérieur en s’intéressant à la musique, au cinéma ou à l’art moderne (art cinétique plus précisément), rejette le théâtre pour son aspect artificiel et forcé. Dans la scène qui suit, elle reproche au metteur en scène de la pièce de théâtre d’avoir omis le « conseil aux comédiens » (acte III scène 2) en le citant : « Dites, je vous prie, cette tirade comme je l’ai prononcée devant vous, d’une voix naturelle ; mais si vous la braillez, comme font beaucoup de nos acteurs, j’aimerais autant faire dire mes vers par le crieur de la ville. Ne sciez pas trop l’air ainsi, avec votre bras, mais usez de tout sobrement. (…) »

Une femme douceGuy Frangin et Dominique Sanda dans Une femme douce de Robert Bresson.

13 août 2014

Chair de poule (1963) de Julien Duvivier

Chair de pouleUn évadé, une station service restaurant isolée tenue par un couple dépareillé, un mari affable mais un peu trop âgé pour sa jeune et jolie femme… voilà qui rappelle singulièrement Le facteur sonne toujours deux fois. Pourtant Chair de poule est l’adaptation d’un roman de, non pas James Cain, mais James Hadley Chase (1). C’est l’avant-dernier film de Julien Duvivier, à une époque où il vivait mal les critiques des défenseurs de la Nouvelle Vague envers son cinéma (2). Cette histoire assez noire semble donc bien coller avec son état d’esprit car c’est la noirceur de l’âme humaine qui est ici mise au grand jour. Le moteur des personnages n’est pas l’attirance sexuelle mais le simple appât du gain et la droiture n’est pas récompensée, elle n’a ici pas droit de cité. La réalisation de Duvivier est sans faille, avec de nombreuses scènes fortes et une distribution très riche par la palette de personnages différents : même Jean Sorel, un choix assez critiqué, est ici parfait car sa prestance est justement en décalage total avec l’histoire. Dans le genre policier très noir, Chair de poule est une des plus belles réussites françaises des années soixante et il est vraiment injuste qu’il ait été si longtemps méprisé.
Elle:
Lui : 5 étoiles

Acteurs: Robert Hossein, Jean Sorel, Catherine Rouvel, Georges Wilson, Lucien Raimbourg
Voir la fiche du film et la filmographie de Julien Duvivier sur le site IMDB.

Voir les autres films de Julien Duvivier chroniqués sur ce blog…
Voir les livres sur Julien Duvivier

(1) L’écrivain James Hadley Chase a eu la fâcheuse tendance à s’inspirer un peu trop fortement des oeuvres de ses confrères. Il fut condamné plusieurs fois pour cette pratique. Le titre du roman ici adapté est « Come easy –- Go easy » paru en France dans la Série Noire sous le titre « Tirez la chevillette ! » (Gallimard Série noire n° 544, 1960, La Poche noire n° 139, 1971, Carré noir n° 71, 1972).
(2) Les critiques des Cahiers du Cinéma tiraient à boulets rouges sur les réalisateurs de ce qu’ils appelaient la « qualité française » : Julien Duvivier, Claude Autant-Lara, Henri Decoin, … Cette intransigeance mêlée de mépris a fortement marqué toute une génération de cinéphiles, bien au-delà de son époque puisque l’on peut en déceler encore quelques restes aujourd’hui. Avec le recul, on mesure mieux toutefois à quel point ce rejet catégorique était excessif et injuste.

Chair de Poule

2 août 2014

Elena (2011) de Andrei Zvyagintsev

ElenaDans un appartement vaste et froid, Elena vit avec Vladimir, un homme âgé et riche. Elle rend visite régulièrement à son fils sans emploi, auquel elle donne de l’argent, et à ses petits enfants. De son côté, Vladimir a une fille très libre d’esprit qu’il voit de temps à autre… Elena est une fable sur l’argent : bien qu’ils soient (re)mariés, les rapports entre Elena et Vladimir sont fortement marqués par l’argent, ils sont même très proches de rapports employeur à employée. C’est aussi un film sur la coexistence de deux mondes, celui de la réussite et celui de l’assistanat. Elena est en équilibre instable entre ces deux mondes, tentant de garder le lien avec l’un et l’autre. Le plus surprenant est qu’Andrei Zvyagintsev ne prend pas part, il renvoie dos à dos riches et pauvres. Le film prend ainsi une connotation assez sombre. Finalement, le seul personnage estimable est sans doute celui de la fille (pourtant très antipathique au premier abord). Le réalisateur égratigne au passage la société russe actuelle, gangrénée par la corruption. Andrei Zvyagintsev traite son sujet en partant du quotidien, lentement, avec de très longs plans. Cette lenteur pourra dérouter mais c’est graphiquement très beau, avec une belle utilisation du format large dans les cadrages, et la musique de Philip Glass magnifie l’ensemble.
Elle: 3 étoiles
Lui : 4 étoiles

Acteurs: Nadezhda Markina, Andrey Smirnov, Elena Lyadova
Voir la fiche du film et la filmographie de Andrei Zvyagintsev sur le site IMDB.

Voir les autres films de Andrei Zvyagintsev chroniqués sur ce blog…

28 mars 2014

Citizen Kane (1941) de Orson Welles

Citizen KaneLe magnat de la presse Charles Foster Kane vient de mourir. Un journaliste enquête sur sa vie pour découvrir le sens de ses dernières paroles : « Rosebud »… Toujours cité parmi les plus grands films de toute l’histoire du cinéma, Citizen Kane est probablement, avec Naissance d’une Nation de Griffith, celui qui a eu le plus d’influence sur les autres réalisateurs. Véritable condensé de créativité, Citizen Kane fait suite à une décennie, celle des années trente, où le cinéma hollywoodien s’est fortement normalisé. Grâce au succès de son émission radiophonique La Guerre des Mondes, une adaptation du roman H.G. Wells tellement bien mise en scène qu’elle jeta la panique dans une partie de l’Amérique, le jeune Orson Welles va bénéficier, à 25 ans et pour son premier film, de ce dont tout réalisateur rêve sans jamais l’obtenir : une carte blanche totale. Entièrement libre, il va bousculer toutes les règles. Il sait toutefois s’entourer de quelques professionnels aguerris, notamment Herman J. Mankiewicz (le frère aîné de Joseph L. Mankiewicz) à l’écriture du scénario et Gregg Toland, talentueux directeur de la photographie.

La construction est totalement inhabituelle : non seulement tout le film est un flashback (1) mais en plus les dix premières minutes nous donnent en quelque sorte le sommaire du film qui se construit ensuite autour de cinq récits précis de la part de cinq personnes différentes (2). L’autre grande innovation de Citizen Kane est dans l’utilisation d’une grande profondeur de champ : Orson Welles désire que tout soit net pour être proche de la vision humaine et, pour ce faire, non seulement il utilise des objectifs grands-angles mais en plus il réalise certains trucages de superposition qui lui permettent par exemple de placer des objets nets au tout premier plan. Le placement de la caméra est aussi très original avec des plongées spectaculaires mais surtout des contre-plongées (la caméra étant parfois placée dans un trou dans le sol). Combinées aux grands- angles, ces contre-plongées nous permettent de voir largement les plafonds alors que l’usage était jusqu’alors de tourner sans plafond (ne serait-ce qu’à cause du système des éclairages). L’utilisation de l’ombre et la lumière est aussi remarquable, un personnage pouvant être totalement en ombre chinoise avant de faire quelques pas pour apparaître en pleine lumière.

C’est sans doute sur le fond que le film paraît le plus faible : si le personnage de Kane est inspiré du magnat de la presse Randolf Hearst et si le propos est de montrer la puissance de l’argent et la faiblesse des hommes ainsi que le caractère multiforme d’une vérité qui serait dès lors inatteignable, la démonstration manque parfois de fil directeur en semblant s’égarer dans ses ramifications multiples. Le propos reste toutefois fort et marquant, suffisamment en tous cas pour que Randolph Hearst fasse tout pour saborder la carrière du film et qu’il y parvienne. Citizen Kane a en effet été un échec commercial malgré un accueil enthousiaste du public et de la critique, les exploitants de salle préférant éviter de se mettre à dos les journaux de Hearst. Avec le recul, Citizen Kane apparaît comme un tournant dans l’histoire du cinéma, Orson Welles apportant un souffle nouveau de créativité et remettant au premier plan la notion d’auteur-réalisateur.
Elle: 5 étoiles
Lui : 5 étoiles

Acteurs: Orson Welles, Joseph Cotten, Dorothy Comingore, Agnes Moorehead, Everett Sloane
Voir la fiche du film et la filmographie de Orson Welles sur le site IMDB.

Voir les autres films de Orson Welles chroniqués sur ce blog…

Voir les livres sur Orson Welles

(1) Comme pour toutes les autres innovations de Citizen Kane, Orson Welles n’a pas inventé le flashback. The Power and the Glory de Preston Sturgess (1933) entre autres avait déjà l’ensemble du récit encapsulé dans un flashback. Il en est de même pour les fameux plafonds… Orson Welles n’a d’ailleurs jamais prétendu avoir tout inventé. Ce qui est remarquable, c’est d’avoir tant d’innovations dans un seul et même film.

(2) Au départ du projet, les récits devaient porter sur les mêmes évènements, chacun nous donnant une version différente, ce qui aurait été encore plus novateur. Ce procédé narratif sera celui de Rashômon de Kurosawa quelque dix ans plus tard. L’idée a toutefois été gardée en partie car certains évènements sont racontés plusieurs fois.

3 décembre 2013

Magic Mike (2012) de Steven Soderbergh

Magic MikeMike a trente ans et une double vie : le jour, il travaille dans la construction comme couvreur mais la nuit, il est strip-teaseur. Sur scène, il devient Magic Mike et fait hurler les clientes d’une petite boite de Tampa. Il prend sous son aile Adam, bien plus jeune que lui et l’introduit dans sa troupe ce qui n’est guère apprécié par sa soeur Joanna… Soderbergh s’inspire de la propre vie de son acteur principal, Channing Tatum. Le scénario est signé Reid Carolin. Le problème de ces films qui dénoncent le culte du corps et l’attrait de la vie facile est qu’ils sont souvent assez ambigus : le sujet est difficile à traiter sans tomber dans les travers que l’on veut dénoncer. Et c’est ici plutôt le cas. Soderbergh a mis en scène les shows de manière assez spectaculaire et percutante, les stripeurs faisant de véritables prouesses athlétiques. Ces spectacles forment le corps principal du film et deviennent un peu répétitifs. Le reste du scénario est léger, plutôt classique, et nous conduit en filigrane à la conclusion que cette vie facile est un piège dont il est difficile de s’extraire. Toutefois, le film peut sans aucun doute être vu à différents niveaux. A ne vouloir porter aucun jugement (et incidemment plaire à tout le monde), on risque de devenir inconsistant. Magic Mike serait-il ainsi un film qui manque de corps ?
Elle:
Lui : 2 étoiles

Acteurs: Matthew McConaughey, Channing Tatum, Olivia Munn, Alex Pettyfer
Voir la fiche du film et la filmographie de Steven Soderbergh sur le site IMDB.
Voir la fiche du film sur AlloCiné.

Voir les autres films de Steven Soderbergh chroniqués sur ce blog…

8 octobre 2013

Le Million (1931) de René Clair

Le millionDeux amis artistes vivent dans un grand loft sous les toits, menacés de saisie par leurs créanciers. Mais tout va changer puisqu’ils s’aperçoivent qu’ils ont gagné un million à la loterie. Encore faut-il qu’ils retrouvent le billet… Le Million est adapté d’un vaudeville de Berr et Guillemaud. L’histoire avait séduit René Clair car elle lui rappelait celle d’Un chapeau de paille d’Italie qu’il avait tourné trois ans plus tôt en muet. Cette fois, il y avait le son. Après les errements ou expérimentations de son premier film parlant, René Clair opte pour le film musical, genre qui réussissait si bien à Lubitsch de l’autre côté de l’Atlantique. Mais ce n’est pas une opérette, René Clair a un style bien à lui qui mêle humour, inventivité et une grande fraîcheur. Le son est, cette fois, parfaitement intégré et René Clair se permet quelques fantaisies amusantes (comme mettre une bande sonore d’un match de rugby lorsque l’action tourne à la bagarre). Grâce à son ton unique, son humour et à sa grande fraîcheur, Le Million a pu traverser le temps.
Elle:
Lui : 4 étoiles

Acteurs: Annabella, René Lefèvre, Jean-Louis Allibert, Paul Ollivier, Constantin Siroesco, Raymond Cordy
Voir la fiche du film et la filmographie de René Clair sur le site IMDB.

Voir les autres films de René Clair chroniqués sur ce blog…

Remarques :
* Le Million est le premier film musical français.
* On remarquera le personnage du fripier gangster à la tête d’une petite organisation de malfrats : il est difficile de ne pas penser au Docteur Mabuse et on peut supposer que c’est un clin d’oeil de René Clair à Fritz Lang.