9 novembre 2023

De grandes espérances (2022) de Sylvain Desclous

De grandes espérancesTout juste diplômée de Sciences Po, Madeleine part préparer les oraux de l’ENA en Corse avec Antoine, son amoureux avec qui elle partage des convictions politiques très à gauche. Elle vient d’un milieu très modeste tandis que lui est le fils d’un riche avocat. Mais une altercation avec un automobiliste violent sur une petite route tourne au drame et va sceller leur destin…
De grandes espérances est un film français coécrit et réalisé par Sylvain Desclous. Le film n’a aucun lien avec le roman de Charles Dickens dont le réalisateur s’est, sans vergogne, approprié le titre. Il s’agit d’un thriller sur la réussite personnelle dans le domaine de la politique et sur la confrontation de l’idéalisme avec la réalité. Après une belle mise en place, la tension se maintient tout au long du récit. L’interprétation est de bonne facture. Si le film est convaincant dans sa forme, il y aurait beaucoup à redire sur le fond. Le réalisateur justifie le manque d’éthique de ses deux jeunes personnages principaux et leur individualisme en déclarant : « Je considère qu’en matière politique, la justesse d’une cause justifie les moyens mis en œuvre pour que celle-ci triomphe ». Brrr…
Elle: 3 étoiles
Lui : 3 étoiles

Acteurs: Rebecca Marder, Benjamin Lavernhe, Emmanuelle Bercot, Marc Barbé, Cédric Appietto
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Rebecca Marder et Benjamin Lavernhe dans De grandes espérances de Sylvain Desclous.

15 juin 2023

La Poupée (1968) de Wojciech Has

Titre original : « Lalka »

La Poupée (Lalka)Pologne, dans les années 1870. Ancien commis de brasserie en proie à de régulières humiliations, Stanislaw Wokulski finit par devenir un riche homme d’affaires. Toutefois, il demeure sensible aux inégalités sociales, aide des personnes dans la misère et rêve de réunification de son pays démantelé. Il est aussi très épris d’une de la fille d’un aristocrate ruiné, Izabella Lecka, et son désir le plus ardent est de l’épouser…
La Poupée est un film polonais réalisé par Wojciech Has. Il s’agit de l’adaptation du roman homonyme de Bolesław Prus, publié sous forme de feuilleton entre 1887 et 1889. Wojciech Has est un réalisateur peu connu en France (1) et le film était inédit en France jusqu’à sa sortie en DVD en 2008 et en salles fin 2022. Ce fut pour moi une grande surprise de le découvrir car c’est un petit chef d’œuvre. L’histoire évoque les romans de Balzac avec des sentiments exacerbés par l’attrait de la richesse et une noblesse désargentée qui a conservé un fort sentiment de supériorité. Certaines allusions ou allégories nous échappent certainement, à moins de connaître parfaitement l’histoire de la Pologne du XIXe siècle (2) mais cela n’empêche en rien d’apprécier le film. La mise en scène de Wojciech Has est magistrale, avec un contraste très fort entre les décors surchargés et colorés de la noblesse et la misère monochromatique des rues où émergent quelques personnages formant des ilots de couleurs. Certaines scènes prennent une teinte irréelle, le cinéaste tentant de jeter une passerelle entre rêve et réalité. La photographie est belle et très travaillée. Superbe musique de Wojciech Kilar (3). D’une durée de 160 minutes, La Poupée est un grand film de créateur, doté d’une puissance peu commune.
Elle:
Lui : 5 étoiles

Acteurs: Mariusz Dmochowski, Beata Tyszkiewicz, Tadeusz Fijewski, Wieslaw Golas, Kalina Jedrusik, Jan Koecher
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Remarque :
* L’actrice Beata Tyszkiewicz est elle-même descendante d’une famille de l’aristocratie polonaise. Au moment du tournage, elle était mariée avec le réalisateur Andrzej Wajda avec lequel elle a eu une fille.

La Poupée (Lalka)Mariusz Dmochowski et Beata Tyszkiewicz dans La Poupée (Lalka) de Wojciech Has.

(1) Wojciech Has (1925-2000) a signé une quinzaine de longs métrages entre 1957 et 1988, parmi lesquels Le Manuscrit trouvé à Saragosse (1965), La Poupée (1968), La Clepsydre (1973) et Les Tribulations de Balthazar Kober (1988).

(2) La Pologne XIXe siècle : Divisée entre les empires russe, allemand et austro-hongrois, la République des Deux Nations a cessé d’exister. Bien que la république ait disparu de la carte, des générations successives réclament sa reconstruction et bataillent contre les oppresseurs. Le XIXe siècle présente ainsi un enchaînement de soulèvements polonais : l’insurrection de Kościuszko de 1794, la participation aux guerres de Napoléon, l’insurrection de novembre de 1830, le soulèvement de Cracovie de 1846, et l’insurrection de Grande-Pologne de 1848, avec leurs lourds tributs en vies humaines. La guerre dont il est question dans le film (et pendant laquelle Wokulski a, dit-on, fait fortune) est celle déclarée par le général russe Karl Lambert fin 1861 qui se terminera par l’Insurrection de janvier 1863 contre l’Empire russe. Cette insurrection sera défaite et fortement réprimée par les russes qui accentueront leur emprise sur cette partie de la future Pologne. (Source Wikipédia

(3) Wojciech Kilar est un grand compositeur polonais de musique de films et de musique classique. IMDB le crédite de 168 films. Il sera Césarisé pour la musique du film Le Pianiste (2002) de Roman Polanski (César 2002 de la meilleure musique écrite pour un film).

La Poupée (Lalka)Mariusz Dmochowski et Beata Tyszkiewicz dans La Poupée (Lalka) de Wojciech Has.

Homonyme :
La Poupée de Ernst Lubitsch (1919)

28 décembre 2021

Nous nous sommes tant aimés! (1974) de Ettore Scola

Titre original : « C’eravamo tanto amati »

Nous nous sommes tant aimés! (C'eravamo tanto amati)Italie, 1944. Gianni, Nicola et Antonio se lient d’amitié alors qu’ils ont pris le maquis pour combattre les Allemands. Lorsque sonne l’heure de la libération, un monde nouveau s’offre à eux. Militants fervents, pleins de rêves et d’illusions, les voici prêts à faire la révolution. Mais ils vont avoir des parcours très différents…
Nous nous sommes tant aimés! est un film italien réalisé par Ettore Scola. Il en a écrit le scénario, particulièrement brillant, avec le fameux duo Age et Scarpelli. Il s’agit du constat amer de l’échec des idéaux d’une génération : « Nous voulions changer le monde, mais le monde nous a changés ! » se lamente Nicola. Le récit est habilement construit autour de trois personnages qui symbolisent trois attitudes différentes (l’intellectuel égocentrique, l’arriviste compromis, l’homme simple qui subit mais ne renonce pas). Un personnage féminin, également en perte d’illusions, les relie entre eux. Le propos de Scola est terriblement pessimiste puisque le seul des trois qui s’en tire assez bien est très candide, même un peu simplet. Tous les trois (quatre avec la femme) ont le sentiment d’avoir gâché leur vie. Malgré cette noirceur de propos, le film est amusant, mêlant comédie, engagement politique et drame comme seul le cinéma italien parvient à le faire. Sur ce plan, Nous nous sommes tant aimés! est proche de la perfection. De plus, Ettore Scola s’amuse avec de petits effets visuels ou narratifs, pas toujours parfaitement intégrés au récit mais qui renforcent l’aspect comédie. Le film nous offre aussi une mise en abyme du cinéma avec, en prime, une scène reconstituée du tournage de La Dolce Vita avec Fellini et Mastroianni apparaissant dans leur propre rôle. Cette scène, presque irréelle, symbolise la part de rêve qu’apporte le cinéma. L’interprétation est de tout premier ordre, y compris dans les seconds rôles (Aldo Fabrizi campe un industriel sans scrupule de façon  remarquable). Le film connut un grand succès.
Elle: 4 étoiles
Lui : 4 étoiles

Acteurs: Nino Manfredi, Vittorio Gassman, Stefania Sandrelli, Stefano Satta Flores, Giovanna Ralli, Aldo Fabrizi
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 Nous nous sommes tant aimés! (C'eravamo tanto amati)Stefano Satta Flores, Vittorio Gassman et Nino Manfredi
dans Nous nous sommes tant aimés! (C’eravamo tanto amati) de Ettore Scola.

Remarques :
* Le film est dédié à Vittorio de Sica qui est décédé alors que le film était en cours de montage. Il en avait toutefois vu une copie de travail. La scène où il apparaît dans le film est un document enregistré par Ettore Scola lors d’une manifestation où De Sica s’exprimait face à des enfants.
* Le premier projet de scénario ne comportait qu’un personnage qui s’enthousiasmait pour Le Voleur de bicyclette et dont l’obsession était de rencontrer De Sica pour le suivre. De Sica jouait son propre rôle et trouvait toujours en face de lui ce grillon bavard qui le suivait, le réprimandait, le persécutait…
(Propos rapportés par Jean A. Gili dans Le Cinéma italien tome 1, éd. 10/18, 1978 et repris dans son merveilleux ouvrage Le Cinéma italien, éd. de la Martinière, 2011)

7 avril 2021

I Need a Ride to California (1968) de Morris Engel

I Need a Ride to CaliforniaLilly, jeune californienne attirée par Greenwich Village, vient s’installer à New York. Vivant dans l’esprit du flower power, elle marche pieds nus et offre des fleurs aux passants. Elle fait aussi des rencontres et annonce à ses amis que l’on va tourner un film sur elle…
I Need a Ride to California est le quatrième long métrage de Morris Engel, son premier et unique film en couleurs 35mm, dix ans après Weddings and Babies. Tourné en 1968, le film n’est jamais sorti et il a fallu attendre 2019 pour le voir. Il nous fait suivre cette jeune hippie naïve et idéaliste, pleine de joie de vivre. C’est aussi une mise en abyme du cinéma, puisque l’on tourne un film sur elle et Morris Engels se montre même à quelques occasions avec son équipe de tournage (nous pouvons ainsi vérifier qu’il utilise cette fois une caméra sur pied, tout au moins pour les scènes d’intérieurs). Le film est loin d’être parfait. Est-ce pour cette raison que le réalisateur a choisi de ne pas le sortir ? Le portrait dressé de la jeune femme est vraiment peu étoffé et n’embrasse aucunement le contexte social et politique (hormis un plan très court d’une manifestation contre la Guerre du Vietnam). De plus, son désenchantement apparaît très soudainement, occasionné par le décalage entre ce qu’elle idéalise et une réalité qui se montre parfois cruelle à l’excès comme dans l’épilogue. Enfin, la mise en abyme du cinéma et de la photographie (un de ses amis est photographe et elle-même prend des clichés ou semble en prendre) est juste posée sans être vraiment développée. I Need a Ride to California est une curiosité, le film évoque l’esprit de ces années de contre-culture.
Elle:
Lui : 2 étoiles

Acteurs: Lilly Shell, Rod Perry
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I Need a Ride to CaliforniaLilly Shell dans I Need a Ride to California de Morris Engel.

2 août 2019

La Ragazza (1964) de Luigi Comencini

Titre original : « La ragazza di Bube »

La RagazzaEn Toscane, juste à la fin de guerre, Mara, une jeune fille insouciante, fait la connaissance de Bube, un ancien résistant communiste. Ils tombent amoureux mais Bube  est accusé d’avoir tué un ancien fasciste. Il est obligé de fuir…
La Ragazza est adapté d’un roman de l’italien Carlo Cassola paru et primé en 1960. Il évoque la situation de l’immédiat Après-guerre, période trouble où les idéaux et les espoirs se sont heurtés à une réalité décevante. Le plus admirable dans ce film de Comencini est la façon dont il montre la confrontation entre l’émancipation individuelle et le devenir collectif : il parvient à les entremêler avec une histoire d’amour assez troublante et inhabituelle, variation sur le thème du sacrifice et du renoncement. Tout le récit est à la première personne, tout est vécu à travers les yeux de la jeune Mara. Le couple assez inattendu formé par Claudia Cardinale et George Chakiris (acteur américain fraîchement auréolé du succès de West Side Story) fonctionne parfaitement. La photographie, signée par Gianni Di Venanzo (l’un des plus grands directeurs de la photographie italiens), est admirable, avec notamment des gros plans de toute beauté ; les trois acteurs principaux sont, il est vrai, particulièrement photogéniques. La Ragazza est un film assez méconnu. Il a longtemps été assez rare mais ce n’est plus le cas aujourd’hui.
Elle:
Lui : 4 étoiles

Acteurs: Claudia Cardinale, George Chakiris, Marc Michel
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La RagazzaGeorge Chakiris et Claudia Cardinale dans La Ragazza de Luigi Comencini.

21 juillet 2019

Mes meilleurs copains (1989) de Jean-Marie Poiré

Mes meilleurs copainsCinq très bons amis, qui avaient formé un groupe de rock dans les années soixante dix, retrouvent leur chanteuse qui est devenue entre temps une rock-star québécoise. C’est l’occasion de se remémorer cette période de leurs vies et de faire le point, d’autant plus que l’un deux est en train d’écrire un roman fortement inspiré leurs parcours…
Coécrit par Christian Clavier et Jean-Marie Poiré, Mes meilleurs copains est une comédie douce amère sur les rêves de jeunesse. Malgré certains inévitables clichés, le climat et l’idéalisme des années soixante dix est restitué de façon amusante. Parler de « portrait d’une génération » est certainement excessif mais il y a un début de réflexion. Le manque de profondeur n’est qu’apparent. Les dialogues sont bien écrits ; l’humour n’est jamais trop appuyé et ne se forme jamais au détriment des personnages. Les acteurs se complètent bien, chacun a un jeu différent des autres. Jean-Pierre Darroussin se fit particulièrement remarquer dans son personnage d’adolescent attardé hyper-cool (« Y’a pas mort d’homme tout de même… ») Mes meilleurs copains est vraiment divertissant.
Elle: 2 étoiles
Lui : 4 étoiles

Acteurs: Gérard Lanvin, Christian Clavier, Jean-Pierre Bacri, Philippe Khorsand, Louise Portal, Jean-Pierre Darroussin
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Mes meilleurs copains(de g. à d.) Jean-Pierre Darroussin, Christian Clavier, Philippe Khorsand, Jean-Pierre Bacri, Gérard Lanvin et Louise Portal dans Mes meilleurs copains de Jean-Marie Poiré (photo publicitaire).

20 mai 2019

Seuls sont les indomptés (1962) de David Miller

Titre original : « Lonely Are the Brave »

Seuls sont les indomptésDans les années 1960 au Nouveau-Mexique, Jack Burns est un cowboy qui refuse le monde moderne et se déplace toujours à cheval. Il vient revoir son ami Paul qui vient d’être mis en prison pour avoir aidé des immigrés clandestins…
Kirk Douglas s’est beaucoup impliqué dans cette adaptation du roman d’Edward Abbey, The Brave Cowboy ; c’est lui qui en a acheté les droits, qui l’a produit et a probablement influencé sa mise en scène. Il a beaucoup apprécié interpréter ce cowboy idéaliste, attaché aux vieilles valeurs de l’Ouest, rétif à toute autorité, prompt à couper toute clôture en travers de son chemin. Beaucoup l’ont souligné, ce personnage n’est pas sans rappeler celui qu’il personnifiait dans L’homme qui n’a pas d’étoile (1955) de King Vidor. Le scénario est épuré, la mise en scène est tendue, réaliste, sans effets inutiles, ce qui donne une belle intensité au récit. Si les seconds rôles peuvent paraître excessivement typés, l’interprétation de Kirk Douglas est toujours sobre et très juste. L’acteur a déclaré à plusieurs reprises que Seuls sont les indomptés était son préféré de toute sa filmographie.
Elle:
Lui : 3 étoiles

Acteurs: Kirk Douglas, Gena Rowlands, Walter Matthau, George Kennedy
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Remarques : Que le film soit un western ou pas peut faire l’objet de discussions… Il est difficile de trancher mais j’aurais personnellement tendance à répondre « non ». On le trouve toutefois dans nombre d’encyclopédies sur le western.

Lonely are the BraveKirk Douglas dans Seuls sont les indomptés de David Miller.

Lonely are the BraveLa jeune Gena Rowlands dans Seuls sont les indomptés de David Miller.

Lonely are the BraveKirk Douglas et Michael Kane dans Seuls sont les indomptés de David Miller.

Remarque :
* Le titre de travail était The Last Hero, Kirk Douglas voulait appeler le film The Last Cowboy, mais c’est le distributeur Universal Pictures qui a finalement imposé le titre un peu idiot (il faut bien le reconnaître)  Lonely Are the Brave.

24 octobre 2016

Les Belles Années de Miss Brodie (1969) de Ronald Neame

Titre original : « The Prime of Miss Jean Brodie »

Les belles années de Miss BrodieEdimbourg, 1932. Jean Brodie est une enseignante dont les méthodes déconcertent la directrice. Célibataire, mais se considérant dans ses plus belles années, elle se dévoue entièrement à son enseignement. Elle initie ses élèves au culte du beau, veut leur apprendre à s’élever et s’attache profondément à certaines d’entre elles qu’elle appelle les « Brodie girls »… Adapté d’une pièce de Jay Preston Allen basée sur un roman de Muriel Spark, Les Belles Années de Miss Brodie nous plonge dans le monde de l’enseignement britannique. Le début, qui nous fait prendre en sympathie cette enseignante originale, nous laisse prévoir une classique confrontation méthodes modernes contre anciennes mais il n’en est rien. L’histoire évolue très subtilement et va nous faire voir la situation d’un oeil tout autre. En fait, le sujet n’est pas une réflexion sur la méthode mais plutôt sur l’enseignement en général, sur la responsabilité morale de l’enseignant face à la malléabilité de l’esprit des élèves. Accessoirement, il y a aussi toute une réflexion sur la notion d’idéal, dont la recherche pousse Miss Brodie jusqu’aux extrêmes : elle admire Mussolini et Franco, non pour leur politique mais pour l’idée d’idéal qu’ils semblent incarner à ses yeux. Plutôt plate, la mise en scène de Ronald Neame n’a rien de remarquable si ce n’est qu’il parvient parfaitement à gommer l’origine théâtrale du scénario. En revanche, la prestation de Maggie Smith est absolument exceptionnelle, elle parvient à restituer toute la richesse et la complexité de son personnage, avec une juste distance émotionnelle et aussi beaucoup de charme. L’actrice fut récompensée par un Oscar qui semble bien mérité. Comme si souvent dans les films anglais, tous les rôles sont très bien tenus.
Elle:
Lui : 4 étoiles

Acteurs: Maggie Smith, Robert Stephens, Pamela Franklin, Gordon Jackson
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Remarques :
* Sur scène, c’est Vanessa Redgrave qui incarnait Miss Brodie.
* La pièce fut également adaptée à la télévision (écossaise) en 1978 avec Geraldine McEwan dans le rôle principal.
* Pamela Franklin (18 ans au moment du tournage), qui interprète Sandy avec tant de présence, était loin d’être une débutante. C’est son neuvième film. Son premier rôle était d’incarner l’un des deux enfants de dix ans dans Les Innocents (1961) de Jack Clayton.
* Les pupitres des écolières durent être surélevés pour qu’elles paraissent plus jeunes. Les actrices étaient en effet âgées de 18 ans et plus, l’une d’entre elles était même déjà mère de famille.

Les Belles Années de Miss Brodie
Maggie Smith dans Les belles années de Miss Brodie de Ronald Neame.

Les Belles Années de Miss Brodie
Maggie Smith dans Les belles années de Miss Brodie de Ronald Neame.

Brodie girls
Les 4 Brodie girls : Pamela Franklin, Diane Grayson, Shirley Steedman et Jane Carr dans Les belles années de Miss Brodie de Ronald Neame.

7 juillet 2016

L’Extravagant Mr Deeds (1936) de Frank Capra

Titre original : « Mr. Deeds Goes to Town »

L'extravagant Mr DeedsDans sa petite ville du Vermont, Longfellow Deeds est un homme simple. Soudainement héritier d’une immense fortune, il est la cible de profiteurs et de journalistes peu scrupuleux dès son arrivée à New York… L’Extravagant Mr Deeds (1936) forme avec Mr. Smith au sénat (1939) et L’homme de la rue (1941) une trilogie humaniste de Frank Capra. Le réalisateur a une indéfectible confiance en la nature humaine, il a cette vision un peu idéaliste où l’égoïsme, la jalousie, la cupidité doivent céder face à des sentiments plus nobles. Peu importe que le bien triomphe grâce à un retournement de situation aussi improbable qu’inespéré, le message d’optimisme est affirmé avec la force de la simplicité. On peut également déceler une dose de populisme dans l’exaltation du sens commun de l’homme ordinaire face aux prétendus savoirs des élites. Il faut replacer tout ce propos dans son contexte : le pays est alors en plein New Deal de Roosevelt qui va bouleverser en profondeur l’économie américaine. Gary Cooper, que Capra voulait absolument (le tournage fut retardé de six mois pour attendre que l’acteur soit libre), est superbe. Les seconds rôles sont également bien définis comme en témoigne la scène du procès. La mise en scène de Capra montre de belles trouvailles et l’ensemble allie joliment puissance et légèreté. Le film connut un très grand succès.
Elle:
Lui : 4 étoiles

Acteurs: Gary Cooper, Jean Arthur, George Bancroft, Lionel Stander, Douglass Dumbrille
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Remarques :
* Comme on peut le voir sur l’affiche ci-dessus, Harry Cohn (patron de la Columbia) a pour la première fois autorisé un metteur en scène à mettre son nom au dessus du titre (du fait de l’immense succès de son film It Happened One Night deux ans auparavant).

* Une suite a été envisagée avec les mêmes acteurs Mr. Deeds Goes to Washington mais le projet évolua pour donner Mr. Smith Goes to Washington (1939) avec James Stewart à la place de Gary Cooper.

* Frank Capra reçut son second Oscar du meilleur réalisateur (au cours de sa carrière, il en aura 3 pour It Happened One Night (1934), Mr. Deeds Goes to Town (1936) et You Can’t Take It with You (1938)).

* Le terme to doodle (= griffonner sur une feuille en pensant à autre chose) inventé par le scénariste de Capra, Robert Riskin, est passé dans le langage courant.

Mr Deeds goes to town
Gary Cooper et Jean Arthur dans L’Extravagant Mr Deeds de Frank Capra.

* Remake (peu réussi) :
Les aventures de Mister Deeds (Mr. Deeds) de Steven Brill (2002) avec Adam Sandler, Winona Ryder, et John Turturro.

10 juillet 2015

Barton Fink (1991) de Joel Coen et Ethan Coen

Barton Fink1941. Suite au succès de sa dernière pièce à Broadway, le jeune dramaturge Barton Fink reçoit une proposition de contrat bien rémunéré pour venir écrire à Hollywood. Il accepte et on lui assigne l’écriture d’un film sur le catch avec Wallace Beery. Dans sa chambre d’hôtel, en panne d’inspiration, il fait connaissance avec son voisin… Ecrit et dirigé par les frères Coen, Barton Fink est un film assez complexe ouvert à diverses interprétations, les deux frères laissant (ou semblant laisser) de nombreux points en suspens. Le sujet peut paraître un peu narcissique puisqu’il porte sur les affres de l’écriture : fort d’un succès, Barton Fink est courtisé, on le presse d’écrire sur commande. Il est écartelé entre son idéalisme et les demandes assez primaires de ses employeurs. Il est lui-même pétri de contradictions : il voudrait écrire une histoire d’homme simple pour l’homme simple mais se ferme au monde qui l’entoure qu’il préfère ne pas voir. La symbolique est surabondante dans ce récit où les objets tiennent une bonne place. On peut certainement reprocher ce petit côté « exercice de style » qui transforme presque leur récit en jeu de piste… John Turturro est magnifique, il semble habité par son personnage.
Elle: 2 étoiles
Lui : 4 étoiles

Acteurs: John Turturro, John Goodman, Judy Davis, Tony Shalhoub
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Bazrton Fink
John Turturro dans Barton Fink des frères Coen.

Barton Fink
John Goodman dans Barton Fink des frères Coen.

Remarques :
* Si les deux frères ont bien écrit le scénario de Barton Fink alors qu’ils étaient en panne sur l’écriture de Miller’s Crossing, ils écartent toutefois toute ressemblance avec leur cas personnel car leur parcours a été, disent-ils, bien plus facile.

* Le personnage de Barton Fink est basé sur Clifford Odets qui fut l’un des membres du Group Theatre de New York qui se fondent sur les techniques d’interprétation de Constantin Stanislavski, développées ensuite par Lee Strasberg sous le terme la Méthode (« Method Acting », méthode reprise par l’Actors Studio). Clifford Odets a bien été à Hollywood comme scénariste mais, de l’aveu même des frères Coen, il n’était pas fermé au monde extérieur. Après quelques collaborations sur des films assez mineurs, il a écrit et réalisé None But the Lonely Heart (1944) avec Cary Grant et Ethel Barrymore.

* Le personnage de l’alcoolique W.P. Mayhew est basé sur William Faulkner dont le premier contrat à Hollywood fut de travailler sur le scénario de Flesh (Une femme survient) avec Wallace Beery, l’un des très rares films sur le catch. Précisons toutefois que Faulkner n’était pas paralysé par son alcoolisme comme l’est le personnage du film.

* Le personnage du producteur est un amalgame : il a la vulgarité d’Harry Cohn ou de Samuel Goldwyn, mais l’anecdote du costume militaire est directement inspirée de Jack Warner.

* Barton Fink a reçu la Palme d’or à Cannes. Le jury était présidé par Roman Polanski qui aurait pu signer le film…