14 février 2023

Bergman Island (2021) de Mia Hansen-Løve

Bergman IslandUn couple de cinéastes s’installe pour écrire, le temps d’un été, sur l’île suédoise de Fårö où vécut Bergman. A mesure que leurs scénarios respectifs avancent, et au contact des paysages sauvages de l’île, la frontière entre fiction et réalité se brouille…
Bergman Island est un film suédo-germano-belgo-français écrit et réalisé par la française Mia Hansen-Løve. La réalisatrice a elle-même loué la maison de Bergman, occupée par le couple dans le film, pour écrire ce script (1). Son histoire nous montre le visage actuel de cette île connue des cinéphiles du monde entier et aujourd’hui visitée par les touristes. Mais son histoire est bien plus que cela, elle se situe à plusieurs niveaux qui finissent par se mêler : il y a le passé avec l’héritage bergmanien, le présent avec le couple de cinéastes, et l’imaginaire avec les personnages du scénario écrit par l’un des deux. Mia Hansen-Løve nous parle du processus de l’écriture, de l’inspiration et de l’interaction avec la vie de couple, elle nous parle de l’amour aussi et de sa réciprocité. Le propos est assez subtil et la cinéaste fait preuve de sensibilité. La construction est intelligente et même élégante, l’ensemble a indéniablement du style. Bergman Island est un beau film (et il n’est pas nécessaire, je pense, de connaître le cinéma de Bergman pour l’apprécier).
Elle:
Lui : 4 étoiles

Acteurs: Vicky Krieps, Tim Roth, Mia Wasikowska, Anders Danielsen Lie
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(1) À la mort d’Ingmar Bergman, son héritage fut racheté par un homme d’affaires norvégien, permettant de ne pas le disperser. Il a par ailleurs créé avec Linn Ullmann (la fille de Bergman et Liv Ullmann) une fondation permettant, selon le souhait de Bergman, à des artistes ou à des chercheurs de tous horizons de résider dans une de ses maisons pour y développer un projet, sans obligation de lien avec son œuvre. C’est via cette fondation que Bergman Island est né : « À ma connaissance, je suis la seule à y avoir travaillé sur un scénario ayant un rapport direct avec Bergman ».

Bergman IslandVicky Krieps et Tim Roth dans Bergman Island de Mia Hansen-Løve.

Bergman IslandMia Wasikowska et Anders Danielsen Lie dans Bergman Island de Mia Hansen-Løve.

18 janvier 2023

Etrange Séduction (1990) de Paul Schrader

Titre original : « The Comfort of Strangers »

Étrange Séduction (The Comfort of Strangers)En vacances à Venise pour la seconde fois de leur vie, de jeunes Anglais, Mary et Colin, font sereinement du tourisme jusqu’au soir où ils se perdent dans une rue déserte. Robert, un étrange inconnu vêtu de blanc, les guide vers un bar discret et commence à leur raconter l’histoire de sa famille…
Étrange Séduction est un film américain réalisé par Paul Schrader. Le scénario est signé par l’écrivain et dramaturge anglais Harold Pinter (parmi ses scénarios le plus notables, citons The Servant de Losey, Le Limier de Mankiewicz, La Maîtresse du lieutenant français de Karel Reisz, …) d’après le roman Un bonheur de rencontre (The Comfort of Strangers) du britannique Ian McEwan paru en 1981. C’est un film très étrange à la fois par son histoire de manipulation perverse et par son atmosphère trouble qu’apporte la mise en scène de Schrader. Il est toutefois un peu décevant par le peu de clefs qu’il nous donne sur les personnages et l’obscur dénouement est bien trop rapide. De ce fait, l’ensemble paraît assez artificiel et donne une impression d’exercice de style. La photographie est assez belle, les ruelles de Venise et ses crépuscules sont splendides.
Elle:
Lui : 3 étoiles

Acteurs: Christopher Walken, Rupert Everett, Natasha Richardson, Helen Mirren
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Étrange Séduction (The Comfort of Strangers)Rupert Everett et Natasha Richardson
dans Étrange Séduction (The Comfort of Strangers) de Paul Schrader.

Étrange Séduction (The Comfort of Strangers)Christopher Walken dans Étrange Séduction (The Comfort of Strangers) de Paul Schrader.

6 janvier 2023

L’amour, l’après-midi (1972) de Eric Rohmer

L'amour, l'après-midiFrédéric, associé dans un cabinet d’affaires, marié et père d’un enfant, aime sa femme Hélène, professeure d’anglais. Pourtant depuis quelque temps, il médite sur son rapport aux femmes, à la sienne et à celles qu’il croise dans sa vie quotidienne. Il ressent aussi une angoisse discrète l’après-midi. Un jour, Chloé, ancienne maîtresse d’un de ses amis de jeunesse, reprend contact avec lui…
L’Amour l’après-midi est un film français écrit et réalisé par Éric Rohmer. Il s’agit du sixième et dernier des Six contes moraux. Le dilemme ici exposé est celui d’un trentenaire, à la vie bien rangée, perturbé par l’irruption d’une jeune femme très libre, tout à l’opposé de son mode de vie. La jeune Chloé incarne l’irrégularité, le désordre, alors que la vie de Frédéric est d’une régularité presque monacale (Chloé est l’archétype séduisant de la jeune femme soixante-huitarde, qui peut paraître un peu daté aujourd’hui). Comme dans les autres Contes moraux, l’ensemble est très écrit, très littéraire, d’un beau classicisme, avec des personnages qui semblent au dessus de toute préoccupation matérielle. Le dénouement très moral peut surprendre mais Rohmer ne cherche pas à nous convaincre dans ses Contes moraux, il se place (et nous place) en observateur. De plus, il ne faut pas considérer cette fin sur le plan de la moralité dite bourgeoise mais plutôt sur un aboutissement du schéma récurrent dans ces Contes,  un homme plutôt solitaire, qui s’est formé une sorte de carapace pour dominer sa vie (et, dans une certaine mesure, les autres), se retrouve victime d’une attirance qui est contraire à ses choix. S’il est question de moralité, c’est donc d’une moralité personnelle dont il est question.
Elle:
Lui : 3 étoiles

Acteurs: Bernard Verley, Zouzou, Françoise Verley
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Remarques :
* Dans la « séquence du rêve », Éric Rohmer fait appel à des acteurs qui avaient tenu les rôles principaux des précédents Contes moraux avec une référence directe au film en question. Il s’agit de Françoise Fabian (de Ma nuit chez Maud), Marie-Christine Barrault (de Ma nuit chez Maud), Haydée Politoff (de La Collectionneuse), Laurence de Monaghan (de Le Genou de Claire), Gérard Falconetti (de Le Genou de Claire), Aurora Cornu (de Le Genou de Claire), Béatrice Romand (de Le Genou de Claire).
* On remarquera Claude-Jean Philippe dans un petit rôle (le mari du couple d’amis invité à dîner).
* Le scénario de Je crois que j’aime ma femme (I Think I Love My Wife, 2007), produit et réalisé par l’acteur comique américain Chris Rock, a été librement adapté de L’Amour l’après-midi, avec la participation du comique Louis C.K.

L'amour, l'après-midiZouzou et Bernard Verley dans L’amour, l’après-midi de Éric Rohmer.

Six Contes moraux d’Eric Rohmer :
1963 : La Boulangère de Monceau
1963 : La Carrière de Suzanne
1967 : La Collectionneuse
1969 : Ma nuit chez Maud
1970 : Le Genou de Claire
1972 : L’Amour l’après-midi

4 septembre 2022

Les Tueurs de la lune de miel (1970) de Leonard Kastle

Titre original : « The Honeymoon Killers »

Les tueurs de la lune de miel (The Honeymoon Killers)Martha Beck est une infirmière-chef au tempérament maussade, complexée en raison de son surpoids. Elle fait la rencontre de Raymond Fernandez grâce à un club de rencontres et le suit à New York. Il lui révèle qu’il est un escroc qui gagne sa vie en séduisant des femmes seules…
Initialement, The Honeymoon Killers était prévu pour être dirigé par Martin Scorsese (cela aurait été son second long métrage) mais il fut renvoyé dès le début du tournage parce qu’il travaillait trop lentement. Leonard Kastle, qui en a écrit le scénario, se retrouva en charge de le réaliser. Ce sera l’unique réalisation de ce compositeur d’opéra. L’histoire est basée sur des faits réels survenus à la fin des années quarante. L’approche choisie par Kastle est neutre. Il a tourné en noir et blanc, avec un budget réduit, dans un style qui évoque par moments un documentaire. Le résultat est assez dérangeant. Alors que nombre de films nous offre une vision idéalisée du banditisme (pensons par exemple à Bonnie & Clyde sorti trois ans plus tôt), The Honeymoon Killers nous présente ce couple criminel dans sa réalité, sans concessions ni artifice, et cette réalité est sordide, moche, sans éclat… et dérangeante. Le film n’a pas connu un grand succès à sa sortie mais a acquis le statut de film culte au fil des ans. Un groupe de punk-rock américain a pris le nom The Honeymoon Killers en 1983, en hommage au film. Le film est ressorti en 1992.
Elle:
Lui : 3 étoiles

Acteurs: Shirley Stoler, Tony Lo Bianco
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Remarque :
* Texte en prologue : « Ce drame incroyable et choquant que vous êtes sur le point de voir est probablement l’affaire la plus bizarre des annales du crime américain. Les événements incroyables montrés sont basés sur des comptes rendus de journaux et des archives judiciaires. C’est une histoire vraie. »

Les tueurs de la lune de miel (The Honeymoon Killers)Tony Lo Bianco et Shirley Stoler dans Les tueurs de la lune de miel (The Honeymoon Killers) de Leonard Kastle

Autre adaptation de la même affaire réelle :
Coeurs perdus (Lonely Hearts) de Todd Robinson (2006) avec John Travolta et Salma Hayek.

5 décembre 2021

Les Dents du diable (1960) de Nicholas Ray

Titre original : « The Savage Innocents »
Titre original italien : « Ombre bianche »

Les dents du diable (The Savage Innocents)Inuk est un inuit. Robuste et excellent chasseur, il a toujours de quoi manger et se vêtir mais il sait qu’il doit maintenant trouver une femme…
The Savage Innocents (on peut oublier le titre français qui doit être une erreur car on ne voit vraiment pas à quoi il se rapporte) est une production anglo-franco-italienne. Il s’agit de l’adaptation du roman Top of the World de l’écrivain suisse Hans Ruesch qui se déroule dans le monde polaire des Inuits. Ce film assez méconnu étonne à priori dans la filmographie de l’américain Nicholas Ray. La première moitié du film est une description presque ethnologique du mode de vie d’un chasseur inuit, montrant les pratiques pour chasser, manger, se mettre en couple et les autres habitudes de la vie courante. Anthony Quinn est étonnamment crédible en Inuit, il se donne entièrement et, hormis la langue (ils parlent anglais), l’immersion est totale. Ensuite, à la moitié du récit, notre héros va se retrouver confronté à la société moderne, sous la forme d’une poignée d’occidentaux venus acheter des peaux et d’un missionnaire. Leur méconnaissance des traditions Inuits va engendrer une situation dramatique. On retrouve là l’un des thèmes chers à Nicholas Ray, une approche très rousseauiste (« l’homme est bon par nature, c’est la société qui le corrompt ») que l’on peut trouver certainement un peu simplificatrice dans son application ici, sans que cela enlève aux qualités du film. Il est non seulement intéressant mais aussi très beau avec ses belles images tournées dans le Grand Nord canadien. Les scènes tournées en studio sont aisément identifiables, certes, mais elles restent très crédibles. Une intéressante découverte.
Elle:
Lui : 4 étoiles

Acteurs: Anthony Quinn, Yôko Tani, Peter O’Toole, Carlo Giustini, Anna May Wong
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Remarques :
* Hans Ruesch, auteur du roman, n’a en réalité jamais vu un seul inuit de sa vie. Il a basé son récit en partie sur le film Eskimo de W.S. Van Dyke (1933).
* Bob Dylan admirateur du film, a écrit en 1967 la chanson Quinn the Eskimo (The Mighty Quinn) en hommage à l’interprétation d’Anthony Quinn. La chanson a été reprise par Manfred Mann en 1968 qui en a fait un tube planétaire (« Come on without, come on within, you’ll not see nothing like the Mighty Quinn« ).
* Peter O’Toole (qui interprète l’un des deux policiers blancs) a demandé que son nom soit retiré du générique car sa voix est doublée. A noter que l’acteur n’était pas encore connu, il tournera Lawrence d’Arabie deux ans plus tard.
* Une séquence supplémentaire de chasse à l’ours a été perdue dans un accident d’avion.
* Le réalisateur de la seconde équipe est l’italien Baccio Bandini.

Les dents du diable (The Savage Innocents)Anthony Quinn dans Les dents du diable (The Savage Innocents) de Nicholas Ray.

Les dents du diable (The Savage Innocents)Yôko Tani, Anthony Quinn et Kaida Horiuchi dans Les dents du diable (The Savage Innocents) de Nicholas Ray.

21 octobre 2021

Vers l’autre rive (2015) de Kiyoshi Kurosawa

Titre original : « Kishibe no tabi »

Vers l'autre rive (Kishibe no tabi)Mizuki, veuve depuis trois ans, vit seule en donnant des cours de piano aux enfants. Un soir, son mari revient à la maison. Il lui annonce que son corps a bien disparu en mer, mangé par les crabes mais que, depuis, il a parcouru le Japon et sympathisé avec des vivants et d’autres personnes « comme lui ». Il demande à Mizuki de l’accompagner pour découvrir tout ce qu’il a fait et vu…
Vers l’autre rive est un film japonais réalisé par Kiyoshi Kurosawa (qui, rappelons-le, n’a aucun lien de parenté avec Akira Kurosawa). C’est l’adaptation d’un roman de Kazumi Yumoto, auteure japonaise qui semble avoir beaucoup écrit de romans pour la jeunesse (assez étrangement, car ce film n’est pas vraiment un film pour enfants). Si le début nous intrigue surtout, c’est assez subtilement que la suite du récit nous touche plus profondément sans que l’on prenne conscience de ce changement de registre. L’art de Kiyoshi Kurosawa est de donner une apparence naturelle à des situations surnaturelles, de donner un visage très simple à des réflexions plus complexes. Il n’utilise aucun effet, évite le spectaculaire ; ses paisibles scènes du quotidien évoquent le cinéma d’Ozu. Avec subtilité et délicatesse, le récit se nourrit d’une réflexion philosophique sur l’existence, le couple, la mort, l’absence mais aussi les rencontres et les petits riens qui sont le sel de nos vies. Le film peut dérouter mais il peut aussi nous emmener assez loin et avec douceur.
Elle:
Lui : 5 étoiles

Acteurs: Eri Fukatsu, Tadanobu Asano
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Vers l'autre rive (Kishibe no tabi)Eri Fukatsu et Tadanobu Asano dans Vers l’autre rive (Kishibe no tabi) de Kiyoshi Kurosawa.

16 août 2021

Hôtel Singapura (2015) de Eric Khoo

Titre original : « In the Room »

Hôtel Singapura (In the Room)L’hôtel Singapura est en pleine décrépitude mais il a connu des jours plus prestigieux. Depuis la seconde Guerre mondiale jusqu’à aujourd’hui, des couples s’y sont retrouvés pour parler d’amour et le faire…
Hôtel Singapura (In the Room) est un film singapourien réalisé par Eric Khoo. L’idée de départ est séduisante : placer six histoires (et même un peu plus) étalées à dix ans d’intervalle sur soixante ans (et même un peu plus) dans une unique chambre d’hôtel. L’intention était de traduire l’évolution des mœurs et de la société à travers de scènes intimes où il est question d’amour (un peu) et de sexe (beaucoup). Le résultat n’est pas tout à fait à la hauteur des espérances mais le film d’Eric Khoo ne manque pas de qualités. La principale est certainement d’avoir six histoires très différentes, ce qui, toutefois, n’empêche pas de ressentir une petite sensation de longueurs. Hormis la séquence hilarante des professionnelles des années cinquante, le fond du propos est d’une grande tristesse, l’amour restant inaccessible et laissant la place à des étreintes sexuelles mécanistes. Hôtel Singapura ne manque pas de style et se montre d’une indéniable originalité.
Elle:
Lui : 3 étoiles

Acteurs: Josie Ho, Ian Tan, Nadia Ar, Shô Nishino, Lawrence Wong, Choi Woo-sik
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Remarques :
* La distribution réunit plusieurs actrices et acteurs des pays d’extrême-orient : Josie Ho vient de Hong-kong, Shou Nishino est japonaise, Lawrence Wong vient de Malaisie, Netnaphad Pulsavad est thaïlandaise, George Young, Daniel Jenkins et Koh Boon sont basés à Singapour.
* Le tournage a été bouclé en dix jours.

Hôtel Singapura (In the Room)Ian Tan et Nadia Ar dans Hôtel Singapura (In the Room) de Eric Khoo.

18 juin 2021

Les choses qu’on dit, les choses qu’on fait (2020) de Emmanuel Mouret

Les choses qu'on dit, les choses qu'on faitMaxime rend visite à son cousin François à la campagne, mais celui-ci a dû s’absenter et c’est sa compagne, Daphné, enceinte de trois mois, qui l’accueille. Pendant quatre jours, Maxime et Daphné font connaissance en se racontant leurs récentes histoires amoureuses aux multiples rebondissements…
Les choses qu’on dit, les choses qu’on fait est le dixième long métrage d’Emmanuel Mouret. Une fois de plus, il s’agit d’une « histoire de sentiments » pour reprendre l’expression qu’il met dans la bouche de son personnage principal, expression qu’il préfère aux réductrices « histoires d’amour ». Son scénario est joliment écrit, décrivant avec beaucoup de délicatesse les liaisons qui se font et se défont. Le film cherche à illustrer une thèse du philosophe René Girard sur le caractère mimétique du désir (1), concept qui, il faut bien l’avouer, n’est pas facile à appréhender rapidement et les quelques extraits habilement insérés dans deux ou trois scènes restent un peu obscurs sans que toutefois cela soit gênant. Par beaucoup de points, notamment la direction d’acteurs, Emmanuel Mouret se situe dans la lignée d’Eric Rohmer ou encore d’Alain Resnais. Son cinéma montre plus que jamais une indéniable maturité. A noter, une très belle utilisation de la musique.
Elle: 4 étoiles
Lui : 4 étoiles

Acteurs: Camélia Jordana, Niels Schneider, Vincent Macaigne, Émilie Dequenne, Jenna Thiam, Guillaume Gouix, Julia Piaton, Louis-Do de Lencquesaing
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(1) Professeur de littérature à la fin des années cinquante, René Girard (1923-2015) a conçu cette thèse à partir de l’étude des personnages créés par les écrivains. Le philosophe décrit « le caractère mimétique du désir » dans son premier livre, Mensonge romantique et vérité romanesque (1961).
Selon Girard, tout désir est l’imitation du désir d’un autre. Loin d’être autonome (c’est l’illusion romantique), notre désir est toujours suscité par le désir qu’un autre – le modèle – a d’un objet quelconque. Le sujet désirant attribue un prestige particulier au modèle : l’autonomie métaphysique ; il croit que le modèle désire par lui-même. Le rapport n’est pas direct entre le sujet et l’objet : il y a toujours un triangle. À travers l’objet, c’est le modèle, que Girard appelle médiateur, qui attire ; c’est l’être du modèle qui est recherché. (Merci Wikipédia)
Le philosophe a ensuite étendu son analyse au sacré et à la violence collective.

Les choses qu'on dit, les choses qu'on faitJulia Piaton, Niels Schneider et Jenna Thiam dans Les choses qu’on dit, les choses qu’on fait de Emmanuel Mouret.

6 février 2021

Le Futur est femme (1984) de Marco Ferreri

Titre original : « Il futuro è donna »

Le Futur est femme (Il futuro è donna)Dans une boite de nuit, Anna et Gordon rencontre Malvina, une femme seule et enceinte qui n’a pas d’endroit où dormir. Ils l’hébergent et un lien va peu à peu les unir…
Le Futur est femme est un film franco-germano-italien réalisé par Marco Ferreri. C’est un film assez surprenant, étrange, une variation sur la place de la femme et sur la maternité. Si Ferreri a quelquefois été accusé de misogynie dans ses premiers films, il met ici la femme sur un piédestal : les femmes ont pris le contrôle de leur vie, s’affranchissant totalement des règles sociales. Les hommes n’ont qu’un rôle secondaire, réduits à regarder, souvent grotesques. Ferreri utilise merveilleusement décors et éclairages pour créer un climat un peu surréaliste avec une recherche esthétique de tous les plans. Et parmi les objets, les plus remarquables sont incontestablement ces immenses têtes en cire de Greta Garbo et Marlène Dietrich. Le film repose sur un beau trio d’acteurs, même si hélas deux d’entre eux sont doublés en italien. La grossesse d’Ornella Muti était bien réelle. Le Futur est femme est un film doté d’une belle personnalité.
Elle:
Lui : 3 étoiles

Acteurs: Ornella Muti, Hanna Schygulla, Niels Arestrup
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Le Futur est femme (Il futuro è donna)Hanna Schygulla et Ornella Muti dans Le Futur est femme (Il futuro è donna) de Marco Ferreri.

25 novembre 2020

Valley of Love (2015) de Guillaume Nicloux

Valley of LoveIsabelle et Gérard, un couple séparé de longue date, se retrouvent dans un hôtel proche de la vallée de la Mort aux États-Unis. Leur fils Michael s’est suicidé six mois auparavant et leur a demandé par lettre de se rendre ensemble dans ce lieu à cette date, promettant de leur apparaître. Malgré l’absurdité de la situation, ils décident de suivre le programme initiatique imaginé par Michael. Chaque jour, ils doivent aller dans l’un des lieux emblématiques de l’endroit…
Ecrit et réalisé par Guillaume Nicloux, Valley of Love est un film assez particulier. Son histoire est assez étrange mais sa petite coloration surnaturelle n’est que secondaire. Le point central, ce sont les retrouvailles de ce couple séparé depuis plus de vingt ans. Sans règlement de comptes, ils font le bilan de leur vie et ont des façons très différentes de faire le deuil de ce fils qu’ils n’ont pas assez connu. Les dialogues sont écrits avec sensibilité et justesse. Il est étonnant de voir une discussion démarrée sur des banalités se terminer sur des réflexions bien plus profondes. Le film est porté par deux très grands acteurs qui se retrouvent pour la première fois depuis 35 ans (1). Guillaume Nicloux entretient une petite ambigüité sur leur proximité avec leurs personnages (mêmes prénoms, même profession d’acteur, perte d’un fils, même lieu de naissance). Il sait exploiter aussi la corpulence de Depardieu en parallèle des chaleurs extrêmes de l’endroit. Un film atypique.
Elle: 3 étoiles
Lui : 3 étoiles

Acteurs: Isabelle Huppert, Gérard Depardieu
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(1) Isabelle Huppert et Gérard Depardieu n’avaient pas joué ensemble depuis Loulou de Maurice Pialat en 1980, dans lequel ils avaient les deux rôles principaux. Avant cela, il y avait eu Les Valseuses de Bertrand Blier (1974) mais Isabelle Huppert n’y avait qu’une courte scène.

Valley of LoveGérard Depardieu et Isabelle Huppert dans Valley of Love de Guillaume Nicloux.

Valley of LoveGérard Depardieu et Isabelle Huppert dans Valley of Love de Guillaume Nicloux.