21 décembre 2022

La Déesse agenouillée (1947) de Roberto Gavaldón

Titre original : « La diosa arrodillada »

La Déesse agenouillée (La diosa arrodillada)Pour célébrer son anniversaire de mariage, Antonio, un riche aristocrate, organise une fête au cours de laquelle il offre à son épouse Elena la statue d’une femme nue agenouillée dont le modèle se trouve être sa maîtresse…
La Déesse agenouillée est un film mexicain réalisé par Roberto Gavaldón. Cet ancien acteur, qui a fait ses armes à Hollywood comme assistant de Jack Conway, est l’un des principaux cinéastes du cinéma mexicain. Sa filmographie est qualifiée d’inégale et il reste méconnu en dehors de son pays. Il est ici plutôt au début de sa carrière de réalisateur et le film surprend surtout par sa liberté de ton, à une époque dominée par le puritanisme. Son personnage central est en effet un homme tiraillé entre la raison et le désir. María Félix est d’une grande sensualité, elle évoque les grandes icônes comme Rita Hayworth et surtout Ava Gardner. Dans les commentaires actuels sur ce film, Roberto Gavaldón est souvent rapproché de Luis Buñuel : s’il y a effectivement des points communs, le thème du désir irrépressible notamment, il y a toutefois une grande différence sur le plan de l’histoire qui est ici très simple, évoquant même un roman-photo. La Déesse agenouillée n’en est pas moins un film à découvrir. Il eut un très grand succès au Mexique à sa sortie.
Elle:
Lui : 3 étoiles

Acteurs: María Félix, Arturo de Córdova, Rosario Granados, Fortunio Bonanova
Voir la fiche du film et la filmographie de Roberto Gavaldón sur le site IMDB.

La Déesse agenouillée (La diosa arrodillada)Arturo de Córdova dans La Déesse agenouillée (La diosa arrodillada) de Roberto Gavaldón.

La Déesse agenouillée (La diosa arrodillada)María Félix, Rosario Granados, Arturo de Córdova et Rafael Alcayde
dans La Déesse agenouillée (La diosa arrodillada) de Roberto Gavaldón.

18 octobre 2020

La Fille Rosemarie (1958) de Rolf Thiele

Titre original : « Das Mädchen Rosemarie »
Autre titre français (TV) : « Prénom : Rosemarie »

La Fille Rosemarie (Das Mädchen Rosemarie)Dans l’Allemagne des années cinquante en plein renouveau économique, une jeune femme cherche à séduire des industriels dans l’espoir de s’intégrer à la haute société. Réalisant qu’elle ne pourra y parvenir vraiment, elle accepte de pratiquer l’espionnage industriel sur l’oreiller pour le compte d’un mystérieux entrepreneur français…
Ce film allemand de 1958 s’inspire directement d’un fait divers survenu l’année précédente à Francfort-sur-le-Main : le meurtre d’une prostituée de luxe, Rosemarie Nitribitt, qui a causé un grand scandale car le carnet d’adresses de la jeune femme était rempli de noms d’hommes politiques et d’industriels du pays. Ce meurtre n’a, à ce jour, toujours pas été élucidé. Cette histoire est surtout l’occasion pour le cinéaste de livrer un portrait mordant des milieux économiques et financiers et de ridiculiser l’arrivisme des grands industriels. Il le fait non sans humour, ce qui donne parfois un ton de comédie à l’histoire. Le film est assez remarquable sa belle photographie noir et blanc et la qualité de son interprétation. Il permit à l’actrice Nadja Tiller de connaitre une notoriété internationale. Peu connu aujourd’hui, La Fille Rosemarie connut pourtant un grand succès à sa sortie et remporta le Lion d’or à la Mostra de Venise. Avec le recul, le film nous apparaît assez unique en son genre.
Elle:
Lui : 4 étoiles

Acteurs: Nadja Tiller, Peter van Eyck, Carl Raddatz, Gert Fröbe, Hanne Wieder, Mario Adorf, Horst Frank
Voir la fiche du film et la filmographie de Rolf Thiele sur le site IMDB.

Remarques :
* Les films allemands des années cinquante ne sont pas si nombreux. Parmi eux, La Fille Rosemarie est considéré comme étant le seul critiquant le miracle économique de la république de Bonn.
* La Fille Rosemarie est le film le plus remarquable de la filmographie de Rolf Thiele avec une adaptation de Tonio Kröger de Thomas Mann, sélectionnée au Festival international du film de Berlin 1964.

La Fille Rosemarie (Das Mädchen Rosemarie)Nadja Tiller et Carl Raddatz dans La Fille Rosemarie (Das Mädchen Rosemarie) de Rolf Thiele.

20 juillet 2020

Le Grand Alibi (2008) de Pascal Bonitzer

Le Grand alibiDans la demeure cossue d’un notable de province, la maîtresse de maison reçoit des convives pour le week-end. Pierre, médecin brillant et coureur impénitent, est venu accompagné de son épouse effacée ; il se retrouve sous le même toit qu’Esther, son amante. Il y a là également Philippe, écrivain alcoolique, et Marthe, une amie de la famille. Une invitée de dernière minute sème le trouble dans la maisonnée : il s’agit de Lea, une actrice italienne qui a eu une liaison passionnée avec Pierre…
Le Grand Alibi est l’adaptation du roman d’Agatha Christie, Le Vallon (The Hollow). Pascal Bonitzer a supprimé le personnage d’Hercule Poirot pour le remplacer par un policier plus « ordinaire ». La mise en place est un peu confuse, les personnages ont des relations particulières entre eux qui ne sont pas toujours faciles à percevoir. Certains personnages ne sont pas très bien définis, d’autres sont un peu trop outrés dans leurs particularités. Le personnage du policier est franchement raté. Malgré ces défauts, le film se regarde sans déplaisir, l’ensemble est assez léger. Le dénouement pourra toutefois laisser le spectateur perplexe.
Elle: 3 étoiles
Lui : 2 étoiles

Acteurs: Miou-Miou, Lambert Wilson, Valeria Bruni Tedeschi, Pierre Arditi, Anne Consigny
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Remarque :
* Ne pas confondre avec :
Le Grand alibi (Stage Fright) d’Alfred Hitchcock (1950). Pascal Bonitzer justifie cette appropriation d’un titre existant en arguant qu’il ne s’agit pas d’un bon film d’Hitchcock (!)
Le sens du titre est d’ailleurs obscur. Pascal Bonitzer l’explique ainsi : « Le titre s’est imposé à moi, car c’est le paradoxe même sur quoi le film se fonde, si l’on songe à la signification du mot alibi : être ailleurs. » (Le sens de cette explication ne s’est pas imposé à nous, je le crains.)

Le Grand alibiPierre Arditi, Anne Consigny et Matthieu Demy dans Le Grand alibi de Pascal Bonitzer.

3 mars 2018

Sourires d’une nuit d’été (1955) de Ingmar Bergman

Titre original : « Sommarnattens leende »

Sourires d'une nuit d'étéAux alentours de 1900, l’avocat Frederik Egerman a épousé en secondes noces la jeune Anne, qui a l’âge de son fils Henrik, étudiant en théologie. Il apprend que son ancienne maîtresse, la célèbre comédienne Désirée Armfeldt, vient se produire dans sa ville et ne peut résister à l’envie de la revoir…
Sourires d’une nuit d’été est assez inattendu de la part d’Ingmar Bergman car c’est une comédie légère, un marivaudage baigné de belles répliques et de traits d’humour. On peut le voir comme un prolongement du style des comédies américaines screwball, genre que le cinéaste suédois admirait mais dans lequel il n’a jamais pleinement réussi. C’est en tous cas pour lui un moyen d’espérer obtenir un succès commercial qui lui donnerait plus de libertés. Le film est parfois rapproché de la Règle du Jeu de Renoir ; personnellement je le verrais plutôt dans le style de L’importance d’être constant d’Oscar Wilde. Si Bergman montre un talent certain pour écrire des répliques relevées d’un humour  parfois cinglant, celles-ci ne tombent pas toujours très bien. Il montre aussi de la maladresse pour ajouter une dimension tragi-comique : le personnage du fils évolue fort mal et devient pesant. L’ensemble est toutefois très amusant et, fort heureusement, ce fut un succès. Sourires d’une nuit d’été fut remarqué à Cannes où il reçut le Prix de l’humour poétique.
Elle:
Lui : 3 étoiles

Acteurs: Eva Dahlbeck, Gunnar Björnstrand, Ulla Jacobsson, Harriet Andersson, Margit Carlqvist, Jarl Kulle
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Remarques :
* « Sommarnattens leende » (en réalité Les sourires de la nuit d’été et non Sourires d’une nuit d’été) désigne les sourires de la nuit de la Saint-Jean en Scandinavie, où le soleil ne se couche guère (et cela explique qu’à 1 heure du matin, il fasse encore jour).
* Le Svensk Filmindustri avait annoncé à Bergman qu’il ne financerait plus ses films si celui-ci ne rentrait pas dans ses frais.
* La légende veut que Bergman ne fût pas au courant de la présentation de son film à Cannes et qu’il apprit la nouvelle de sa récompense en lisant son journal dans les toilettes.
* Woody Allen fait des références répétées au film dans Comédie érotique d’une nuit d’été (1982).

Sourires d'une nuit d'été
Eva Dahlbeck et Jarl Kulle dans Sourires d’une nuit d’été de Ingmar Bergman.

Sourires d'une nuit d'été
Margit Carlqvist, Gunnar Björnstrand, Ulla Jacobsson et Björn Bjelfvenstam dans Sourires d’une nuit d’été de Ingmar Bergman.

10 juin 2016

Marie Walewska (1937) de Clarence Brown

Titre original : « Conquest »

Marie WalewskaPologne, 1807. Comme beaucoup de polonais, la comtesse Walewska voient en Napoléon un libérateur des jougs russe et prussien. C’est donc avec un mélange d’admiration et de ferveur patriotique qu’elle rencontre l’empereur. Napoléon tombe instantanément sous son charme… Marie Walewska est un des ces films où Hollywood romance l’Histoire pour servir au plus grand nombre une belle histoire d’amour, de quoi hérisser le poil de tout historien fervent. C’est ici l’histoire de celle qui fut la maitresse de Napoléon de 1807 à 1815, parfois désignée comme « la femme polonaise » de Napoléon. C’est le septième (et ultime) film de Garbo sous la direction de Clarence Brown qui sait donc bien manier la ténébreuse actrice, intimidante pour ses partenaires. Il n’est pas facile de trouver un acteur de sa stature à lui opposer mais force est de constater que Charles Boyer, à défaut d’être parfaitement crédible en Napoléon, est entièrement à la hauteur. L’acteur originaire de Figeac est alors au sommet de sa gloire ; il fait preuve ici d’une palette assez riche de jeu. Certes, il n’y a pas de chimie particulière entre les deux acteurs mais cela sied bien aux personnages. Garbo montre toute la force de son jeu, autant dans la mélancolie, ce qui est habituel, que dans la gaité, ce qui l’est moins. Le film bénéficia de tous les soins, le tournage fut particulièrement long (cinq mois). Malgré cela, le film n’eut qu’un succès relatif et se révéla être un grand gouffre financier pour la MGM. Il n’est pas mineur pour autant mais sans doute manque t-il d’une ou deux scènes de grande envergure qui lui auraient certainement donné de l’ampleur.
Elle:
Lui : 3 étoiles

Acteurs: Greta Garbo, Charles Boyer, Reginald Owen
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Remarques :
* Conquest est souvent présenté comme le film qui a initié la chute de Greta Garbo. De fait, alors qu’elle a touché 500 000 dollars pour faire ce film (soit l’équivalent de 8 millions de dollars de 2016), elle ne touchera que 125 000 dollars pour son film suivant (le délicieux Ninotchka de Lubitsch) soit quatre fois moins.
* Certaines scènes auraient été tournées par Gustav Machatý (le réalisateur austro-hongrois découvreur d’Hedy Lamarr) durant une brève abscence de Clarence Brown pour cause de maladie.
* Le budget du film fut de 2,7 millions de dollars (soit le double de celui de Camille) et n’en rapporta que la moitié. La perte de 1,4 millions fut la plus lourde perte enregistrée pour un seul film par la MGM pour les années 20, 30 et 40.
Nota : à titre de comparaison, le budget de de Gone with the Wind l’année suivante sera de 3,9 millions, nous sommes donc là dans les plus gros budgets.

Marie Walewska
Greta Garbo et Charles Boyer dans Marie Walewska de Clarence Brown.

27 mai 2016

Huit et demi (1963) de Federico Fellini

Titre original : « 8 1/2 »

Huit et demiRéalisateur connu dont on attend le prochain film, Guido est en proie à une crise de la quarantaine particulièrement aigüe. Tout s’embrouille pour lui. Ecartelé entre plusieurs femmes, ne sachant plus faire la part du rêve et de la réalité, il est harcelé par les acteurs et les intervenants de son prochain film qui devait être en grande partie autobiographique mais auquel il ne sait plus quelle direction donner… Huit et demi (le titre original était La Bella Confusione, Le Beau Désordre) est le film le plus autobiographique de Federico Fellini : le cinéaste a connu une crise similaire pendant le tournage de La Strada. Ce qui, en d’autres mains aurait été d’une déprimante tristesse, devient avec Fellini une grande fresque tourbillonnante et foisonnante sur les affres de la création et, surtout, sur la recherche de l’équilibre intérieur. Souvenirs, rêves et fantasmes sont l’occasion de superbes scènes, fééries qui sont les seules à apaiser l’esprit tourmenté de Guido. La fin peut s’interpréter de plusieurs façons (1). Claudia Cardinale, en idéal fantasmé d’une fraîcheur perdue, est d’une beauté virginale. L’image de Mastroianni avec chapeau et lunettes est devenue iconique. Le thème final de Nino Rota est aujourd’hui l’une des musiques des plus célèbres de toute l’histoire du cinéma. Huit et demi fait partie de ces films que l’on peut voir et revoir avec toujours le même plaisir.
Elle: 4 étoiles
Lui : 5 étoiles

Acteurs: Marcello Mastroianni, Claudia Cardinale, Anouk Aimée, Sandra Milo
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Voir les livres sur 8 1/2
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Remarque :
* Plusieurs explications ont été avancées pour le titre du film. La plus couramment acceptée est que Fellini avait auparavant réalisé 6 films et 3 « demi-films » (coréalisations, films à sketches). Huit et demi est donc son « huitième et demi » film… Mais 8 1/2 pourrait aussi être l’âge du jeune Guido lors de ses premiers émois sexuels, le nombre de bobines du film ou encore la focale d’ouverture utilisée sur la plage d’Ostie. Une dernière explication : le chiffre 9 représenterait la maitresse de Guido (cf. Bus 99 dans la scène d’ouverture juste avant de la voir dans une voiture), le chiffre 8 représenterait la femme de Guido (cf. 8 8 ostensiblement présent sur plusieurs affiches lors de sa première apparition), or Guido est écartelé entre ces deux femmes, d’où le 8 1/2. Même si cette dernière explication peut sembler alambiquée, ces chiffres ne sont pas là par hasard…

(1) Tullio Pinelli, coscénariste, a raconté qu’initialement Fellini avait prévu de terminer son film par un suicide sous la table.

huit et demi
Marcello Mastroianni dans Huit et demi de Federico Fellini.

Huit et demi
Claudia Cardinale dans Huit et demi de Federico Fellini.

Huit et demi
Anouk Aimée (avec le fameux chiffre 8 en arrière plan) dans Huit et demi de Federico Fellini.

23 décembre 2015

Sens unique (1987) de Roger Donaldson

Titre original : « No Way Out »

Sens uniqueL’officier de marine Tom Farrell (Kevin Costner) est nommé au Pentagone auprès du secrétaire d’Etat à la Défense (Gene Hackman). Il y est chargé des relations avec la CIA. Lors d’une réception, il fait la connaissance de la belle Susan (Sean Young) et ils tombent amoureux l’un de l’autre. Elle lui avoue peu après être la maitresse du secrétaire d’Etat… Sens unique est un remake de La Grande Horloge, excellent film de John Farrow (le père de Mia Farrow) sorti en 1948. Plus qu’un remake, il s’agit d’une nouvelle interprétation du roman de Kenneth Fearing qui est transposé ici dans le monde de la politique et de l’espionnage. L’histoire est vraiment très longue à se mettre en route mais ensuite les évènements s’enchaînent rapidement, la tension monte pour culminer lors de la longue scène de poursuite avec les témoins et, cerise sur le gâteau, un twist final inattendu. La mise en scène du réalisateur néo-zélandais Roger Donaldson est sans faille et l’interprétation parfaite, avec la star montante Kevin Costner et la belle Sean Young (la troublante replicant de Blade Runner). Sens unique est un film d’espionnage de bonne facture.
Elle:
Lui : 3 étoiles

Acteurs: Kevin Costner, Gene Hackman, Sean Young, Will Patton, Howard Duff
Voir la fiche du film et la filmographie de Roger Donaldson sur le site IMDB.

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Sens unique
Gene Hackman et Kevin Costner dans Sens unique de Roger Donaldson

Sens unique
Sean Young dans Sens unique de Roger Donaldson

22 février 2014

L’assassin (1961) de Elio Petri

Titre original : « L’assassino »

L'assassinAlors qu’il vient de rentrer chez lui au petit matin, Alfredo Martelli est emmené par des policiers. Il est longuement interrogé sans même savoir de quoi on le soupçonne. Ce n’est que plusieurs heures plus tard qu’il apprend que sa maitresse et bienfaitrice a été assassinée… L’assassin est le premier long métrage d’Elio Petri. Il en a écrit l’histoire avec le grand scénariste Tonino Guerra (1). Sous l’enveloppe d’une enquête policière qui aurait pu être banale, le film se révèle être d’une belle profondeur notamment par le portrait de son personnage principal qui se dévoile peu à peu devant nos yeux. Il nous accompagne d’ailleurs dans cette découverte, car c’est à une véritable introspection qu’il se livre au fil des souvenirs qui lui reviennent à l’esprit. Pour Petri, c’est l’occasion de dresser le portrait d’une bourgeoisie arriviste et sans scrupules qui fleurit dans l’Italie après la renaissance des années cinquante (avec également une petite pique politique puisque cet antiquaire utilise ses anciens compagnons de lutte politique pour obtenir des marchandises à vil prix). Ce personnage se retrouve dans un univers kafkaïen, une enquête de police dont il ne saisit pas toujours le but ni la logique, où il se sent sondé jusqu’au plus profond de lui-même, un pion dans une machinerie qui peut l’emmener au bord de la folie. Les décors sont remarquablement bien utilisés dans ce sens : les pièces sont petites avec de multiples portes. Assez mal connu, L’assassin est un film vraiment remarquable, servi par une écriture parfaite (2). En outre, le film a été magnifiquement restauré en 2011.
Elle:
Lui : 4  étoiles

Acteurs: Marcello Mastroianni, Micheline Presle, Cristina Gaioni, Salvo Randone
Voir la fiche du film et la filmographie de Elio Petri sur le site IMDB.
Voir les autres films de Elio Petri chroniqués sur ce blog…

Lire l’analyse de Frédéric Mercier sur le site DVDClassik

(1) Au cours de sa belle carrière, Tonino Guerra a écrit pour Antonioni (L’Avventura, Blow Up, etc.) , Fellini (Amarcord) et aussi Rosi, De Sica, Tarkovsky, Angelopoulos, Taviani, Bolognini, Monicelli.

(2) Bien qu’il soit tentant de rapprocher ce premier film d’Elio Petri de son bien connu Enquête sur un citoyen au-dessus de tout soupçon (1970), le propos est ici assez différent, plus vaste et plus riche d’ailleurs. Le film de 1970 s’attachera surtout à dresser le portrait d’une police totalitaire et intouchable alors qu’ici, c’est un peu le portrait d’une société dans son ensemble.

10 janvier 2014

L’Innocent (1976) de Luchino Visconti

Titre original : « L’innocente »

L'innocentDans l’Italie de la fin du XIXe siècle, l’aristocrate Tullio Hermil a une relation passionnée et tumultueuse avec sa maitresse. Sa femme Guiliana, avec laquelle il n’a guère plus que des rapports amicaux, supporte en silence cette situation. Tout va changer lorsqu’elle rencontre un jeune auteur à succès… L’Innocent est l’ultime film de Luchino Visconti. Il s’inspire d’un roman de Gabrielle D’Annunzio et le film fut parfois accueilli fraichement du fait de la personnalité de cet écrivain (1). L’innocent est toutefois un très beau film tout à fait à l’image du cinéaste. Il s’agit à nouveau de la peintre de cette aristocratie italienne du tournant du siècle qui veut se situer au dessus de toutes règles, cherchant ainsi une liberté de pensée et d’actes mais ne trouvant qu’enfermement et frustration. Tullio est ainsi un être tourmenté, dévoré par le désir, refoulant tout sentiment de culpabilité. La mise en scène de Visconti, pourtant très malade depuis 1972, est remarquable. La photographie est superbe. Plus que dans ses autres films, le décor devient presque un personnage à part entière tant il est présent par sa richesse, accentuant ainsi l’expression d’enfermement, d’étouffement même et d’isolement. Particulièrement complexe, le personnage de Tullio est merveilleusement interprété par Giancarlo Giannini et le film se révèle être particulièrement puissant. Au-delà de la peinture sociale d’une aristocratie moralement plutôt haïssable, c’est à une exploration de la nature humaine que le film nous convie. L’Innocent vient clôturer en beauté la filmographie si riche de Luchino Visconti.
Elle:
Lui : 4 étoiles

Acteurs: Giancarlo Giannini, Laura Antonelli, Jennifer O’Neill, Rina Morelli, Massimo Girotti
Voir la fiche du film et la filmographie de Luchino Visconti sur le site IMDB.

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Remarque :
En mars 1976, Luchino Visconti est mort avant d’avoir finalisé le montage et nous voyons donc le film dans une version dont il n’était pas entièrement satisfait.

(1) Gabriele D’Annunzio (1863-1938) est l’un des plus importants écrivains italiens, mais aussi l’un des plus contestables. Homme des extrêmes, il est de ceux qui exploitèrent les écrits de Nietzsche pour en faire une propagande nationaliste, préparant ainsi la montée du fascisme. Il a écrit L’innocente (L’Intrus) en 1892, donc plutôt au début de son oeuvre.

8 décembre 2012

Dernier caprice (1961) de Yasujirô Ozu

Titre original : « Kohayagawa-ke no aki »
Autre titre français : « L’automne de la famille Kohayagawa »

Dernier capriceÂgé de 60 ans et père de trois filles, Manbei Kohayagawa laisse son beau-fils diriger la petite entreprise familiale de distillerie de saké pour jouir de la vie : il revoit secrètement une de ses anciennes maitresses au grand désespoir de sa seconde fille… Dernier caprice débute comme une comédie sur un thème proche de celui de Fin d’automne, un mariage que l’on aimerait voir arrangé à ceci près que la principale intéressée n’est pas informée. Dernier capriceMais peu à peu, le film change de registre et c’est le personnage de ce patriarche sexagénaire qui est au centre de l’histoire et, avec lui, un certain monde qui est aussi appelé à disparaître (petite entreprise familiale, quartier traditionnel avec son dédale de petites rues, habillement, etc.) On retrouve le thème du changement de culture dans le contraste entre les deux sœurs non mariées : l’une est veuve après un mariage que l’on suppose arrangé, elle porte le kimono traditionnel, l’autre désire faire un mariage d’amour et s’habille à l’occidentale. De multiples objets ou détails soulignent l’américanisation de la société japonaise (1). Mais le thème vers lequel se dirige Ozu est celui de la mort et la dernière image est assez noire ; c’est tout l’art d’Ozu de parvenir à ainsi passer progressivement d’un thème léger à un thème beaucoup plus grave. Une fois de plus, les images sont un ravissement pour les yeux, les plans sont superbes, merveilleusement construits. Si l’on peut trouver le propos un peu moins fort comparé à certains de ses autres films, Dernier caprice n’en est pas moins un très beau film.
Elle:
Lui : 4 étoiles

Acteurs: Ganjirô Nakamura, Setsuko Hara, Yôko Tsukasa, Michiyo Aratama, Daisuke Katô, Haruko Sugimura
Voir la fiche du film et la filmographie de Yasujirô Ozu sur le site imdb.com.

Remarque :
Dernier capriceDernier caprice est le dernier film d’Ozu tourné avec Setsuko Hara et l’avant-dernier film de l’actrice. Quelques jours après la mort de Yasujirô Ozu en 1963, elle disparaitra complètement du monde du cinéma à l’âge de 43 ans : cette très grande vedette, qui fut adulée au Japon par toute une génération, ne fera plus aucune apparition publique. A l’instar de son personnage dans Fin d’automne ou de Dernier caprice, elle se retirera pour vivre seule. Elle vit aujourd’hui à Kita-Kamakura, la ville du sud de Tokyo où est enterré Ozu. Dans ses carnets intimes, le cinéaste parle de tous ses acteurs… sauf Setsuko Hara, ce qui témoigne très certainement de l’intensité de leur relation.

(1) A propos de la chanson, chantée par le groupe d’étudiants, sur l’air de My Darling Clementine : peut-on voir là un petit clin d’œil d’Ozu à John Ford ?