26 janvier 2019

Peppermint frappé (1967) de Carlos Saura

Peppermint FrappéJulián dirige une clinique de radiologie, assisté d’Ana, une infirmière timide. Un soir, il est invité chez un de ses amis d’enfance, Pablo, un aventurier qui vient de se marier avec Elena, une belle jeune femme blonde. Julián croit reconnaître en elle une mystérieuse femme qu’il a vue jouer du tambour lors de la Semaine sainte à Calanda…
Tourné après La Chasse, le premier long métrage d’importance de Carlos Saura, Peppermint frappé met de nouveau en scène les frustrations et fantasmes d’une bourgeoisie étouffée. Tourné sous la dictature de Franco, le film est chargé de symboles et d’allégories. L’atmosphère est puissante, chargée d’un fétichisme latent et marquée par une oscillation permanente entre réalité et fantasme. Le désir semble constamment vouloir poindre sous une indéfectible retenue. Tout cela crée un malaise léger, une sensation d’être en équilibre instable à l’instar de l’Espagne sous le joug de Franco. Carlos Saura vient de rencontrer Geraldine Chaplin et donne d’emblée un double rôle à celle qui deviendra sa compagne et sa muse pendant douze ans. Peppermint frappé a rencontré un certain succès, le premier pour Saura, et le film aurait probablement été récompensé à Cannes 1968 si le festival n’avait été annulé.
Elle:
Lui : 4 étoiles

Acteurs: Geraldine Chaplin, José Luis López Vázquez, Alfredo Mayo
Voir la fiche du film et la filmographie de Carlos Saura sur le site IMDB.

Voir les autres films de Carlos Saura chroniqués sur ce blog…

Voir les livres sur Carlos Saura

Remarque :
* La scène de la femme au tambour est située à Calanda. C’est de toute évidence un hommage à Luis Buñuel qui est originaire de cette ville. On retrouve d’ailleurs le rite de  La Route du tambour et de la grosse caisse (Ruta del tambor y el bombo) dans plusieurs films de Buñuel. A noter que ce n’est que dans les années 1980 (donc bien après ce film de Saura) que les femmes eurent le droit de jouer d’un instrument dans cette procession.

Peppermint frappé
Geraldine Chaplin (en blonde Elena) et José Luis López Vázquez dans Peppermint frappé de Carlos Saura.

Peppermint frappé
Geraldine Chaplin (en brune Ana) dans Peppermint frappé de Carlos Saura.

16 août 2016

If…. (1968) de Lindsay Anderson

If....Dans un collège privé britannique de la fin des années soixante, la discipline est très dure, assise sur un ensemble de pratiques et de traditions. Quatre élèves sont promus au rang de préfets d’éducation et ont toute autorité pour faire respecter la discipline. Mick Travis (Malcolm McDowell), un garçon non conformiste, est jugé par eux comme non conforme à l’esprit de l’institution…
Cofondateur du free cinema anglais avec Karel Reisz et Tony Richardson au début des années 60, Lindsay Anderson signe avec If…. un film-torpille sur le système scolaire anglais. Le film est adapté d’un roman de David Sherwin qui s’est inspiré de son expérience personnelle à la Tonbridge School (Kent). Lindsay Anderson dit avoir également été inspiré par Zéro de conduite de Jean Vigo, notamment dans la construction. Le plus remarquable dans ce film est le glissement progressif de la réalité à une réalité fantasmée où la rébellion du jeune garçon s’exprime de façon de plus en plus démonstrative, pour devenir extrême. Le film a été tourné la même année que Mai 68 et il témoigne de cette époque où le poids des traditions commençait à peser bien lourd sur toute une génération. Le film fut bien entendu très controversé à sa sortie mais reçut la Palme d’Or au festival de Cannes 1969.
Elle:
Lui : 4 étoiles

Acteurs: Malcolm McDowell, Robert Swann, Arthur Lowe
Voir la fiche du film et la filmographie de Lindsay Anderson sur le site IMDB.

Voir les autres films de Lindsay Anderson chroniqués sur ce blog…

Voir les livres de Lindsay Anderson

If....
David Wood, Richard Warwick et Malcolm McDowell dans If…. de Lindsay Anderson.

Remarques :
* Le titre If…. fait référence à un poème de Kipling (lire dans les commentaires l’explication donnée par un lecteur de ce blog que je remercie). Le livre de Sherwin et Howlett avait pour titre Crusaders (Les Croisés).

* La présence de scènes en noir et blanc n’est pas due à un problème de budget. D’après Malcolm McDowell, les scènes à l’intérieur de l’église, dont la production ne pouvait disposer que pour un temps limité, auraient été tournées en monochrome pour profiter de la lumière naturelle (les pellicules monochromes sont toujours plus sensibles que celles en couleur). Les tests en couleur dans l’église avaient trop de grain et des couleurs changeaient suivant l’angle d’orientation de la caméra. Lindsey Anderson fut intéressé par la façon dont l’irruption d’images en noir et blanc cassait la continuité et il décida d’insérer d’autres scènes en noir et blanc, un peu au hasard, sans logique, afin de désorienter le spectateur afin d’accompagner le glissement progressif de la réalité au rêve.

* L’un des assistants au réalisateur est le jeune Stephen Frears.

* If…. est le premier long métrage pour Malcolm McDowell qui n’avait auparavant fait que de la télévision (on peut omettre une apparition dans le premier long métrage de Ken Loach Pas de larmes pour Joy, 1967, puisque ses scènes furent supprimées). C’est dans If…. que Stanley Kubrick a remarqué l’acteur et le fera connaitre au monde entier avec Orange mécanique (1971).

* La musique si particulière est constituée d’extrait de la Missa Luba, « une version des textes en latin de l’ordinaire de la messe du rite romain utilisant des chants traditionnels congolais » (dixit Wikipedia).

* Lindsay Anderson a repris le personnage de Mick Travis dans deux films ultérieurs :
O Lucky Man ! (Le Meilleur des mondes possible) en 1973
Britannia Hospital en 1982

If....
Le terrible quartet des élèves-préfets de If…. de Lindsay Anderson (au centre : Robert Swann).

27 mai 2016

Huit et demi (1963) de Federico Fellini

Titre original : « 8 1/2 »

Huit et demiRéalisateur connu dont on attend le prochain film, Guido est en proie à une crise de la quarantaine particulièrement aigüe. Tout s’embrouille pour lui. Ecartelé entre plusieurs femmes, ne sachant plus faire la part du rêve et de la réalité, il est harcelé par les acteurs et les intervenants de son prochain film qui devait être en grande partie autobiographique mais auquel il ne sait plus quelle direction donner… Huit et demi (le titre original était La Bella Confusione, Le Beau Désordre) est le film le plus autobiographique de Federico Fellini : le cinéaste a connu une crise similaire pendant le tournage de La Strada. Ce qui, en d’autres mains aurait été d’une déprimante tristesse, devient avec Fellini une grande fresque tourbillonnante et foisonnante sur les affres de la création et, surtout, sur la recherche de l’équilibre intérieur. Souvenirs, rêves et fantasmes sont l’occasion de superbes scènes, fééries qui sont les seules à apaiser l’esprit tourmenté de Guido. La fin peut s’interpréter de plusieurs façons (1). Claudia Cardinale, en idéal fantasmé d’une fraîcheur perdue, est d’une beauté virginale. L’image de Mastroianni avec chapeau et lunettes est devenue iconique. Le thème final de Nino Rota est aujourd’hui l’une des musiques des plus célèbres de toute l’histoire du cinéma. Huit et demi fait partie de ces films que l’on peut voir et revoir avec toujours le même plaisir.
Elle: 4 étoiles
Lui : 5 étoiles

Acteurs: Marcello Mastroianni, Claudia Cardinale, Anouk Aimée, Sandra Milo
Voir la fiche du film et la filmographie de Federico Fellini sur le site IMDB.

Voir les autres films de Federico Fellini chroniqués sur ce blog…

Voir les livres sur 8 1/2
Voir les livres sur Federico Fellini

Remarque :
* Plusieurs explications ont été avancées pour le titre du film. La plus couramment acceptée est que Fellini avait auparavant réalisé 6 films et 3 « demi-films » (coréalisations, films à sketches). Huit et demi est donc son « huitième et demi » film… Mais 8 1/2 pourrait aussi être l’âge du jeune Guido lors de ses premiers émois sexuels, le nombre de bobines du film ou encore la focale d’ouverture utilisée sur la plage d’Ostie. Une dernière explication : le chiffre 9 représenterait la maitresse de Guido (cf. Bus 99 dans la scène d’ouverture juste avant de la voir dans une voiture), le chiffre 8 représenterait la femme de Guido (cf. 8 8 ostensiblement présent sur plusieurs affiches lors de sa première apparition), or Guido est écartelé entre ces deux femmes, d’où le 8 1/2. Même si cette dernière explication peut sembler alambiquée, ces chiffres ne sont pas là par hasard…

(1) Tullio Pinelli, coscénariste, a raconté qu’initialement Fellini avait prévu de terminer son film par un suicide sous la table.

huit et demi
Marcello Mastroianni dans Huit et demi de Federico Fellini.

Huit et demi
Claudia Cardinale dans Huit et demi de Federico Fellini.

Huit et demi
Anouk Aimée (avec le fameux chiffre 8 en arrière plan) dans Huit et demi de Federico Fellini.

17 janvier 2016

L’Eden et après (1970) de Alain Robbe-Grillet

L'éden et aprèsDes étudiants ont l’habitude de se réunir dans le vaste café L’Eden à l’esthétique moderne, où les parois sont faites de verre ou de murs de couleur. Pour tromper l’ennui, ils organisent des jeux érotiques ou faussement violents. Un bel homme, qui dit revenir d’Afrique, va leur proposer de nouvelles expériences hallucinatoires… L’Eden et après est le quatrième long métrage d’Alain Robbe-Grillet. Il en a bien entendu écrit le scénario. Il nous propose là une sorte de voyage, un rêve éveillé, qui va nous faire suivre une jeune fille dans ses aventures dans le désert tunisien. Alain Robbe-Grillet casse les codes narratifs classiques, pour offrir une histoire pleine de miroirs et de faux-semblants, avec des personnages doubles et une logique d’enchaînements plus proche du rêve que de la réalité. Le film devient rapidement fascinant, les images sont de toute beauté, Alain Robbe-Grillet jouant joliment avec les décors et les couleurs, ou profitant des lignes épurées et lumineuses des maisons de l’île de Djerba. Il a aussi pimenté l’ensemble d’un érotisme très libéré, ses belles héroïnes sont court vêtues et ses fantasmes apparaissent ici et là… L’ensemble est assez envoutant.
Elle:
Lui : 4 étoiles

Acteurs: Catherine Jourdan, Pierre Zimmer, Richard Leduc
Voir la fiche du film et la filmographie de Alain Robbe-Grillet sur le site IMDB.
Voir les livres sur Alain Robbe-Grillet

Remarques :
* Alain Robbe-Grillet a monté l’ensemble totalement différemment pour réaliser le film N. a pris les dés (on remarquera l’anagramme) pour l’ORTF, film d’une durée de 79 minutes soit 20 de moins.

L'Eden et après
Catherine Jourdan dans L’Eden et après de Alain Robbe-Grillet

17 juin 2015

La Cité des femmes (1980) de Federico Fellini

Titre original : « La città delle donne »

La Cité des femmesAprès s’être assoupi dans un train, un homme découvre à son réveil une femme attirante assise en face de lui. Lorsqu’elle descend dans une petite gare, il la suit et se retrouve au beau milieu d’un congrès féministe… La Cité des femmes forme avec Casanova (1976) une sorte de diptyque dans le sens où ils sont tous deux centrés sur la sexualité masculine. S’il est assez exubérant dans sa forme, avec une volonté évidente de choquer les esprits, le fond du propos est finalement assez noir : les fantasmes masculins plombent l’esprit, ils sont une prison dont on ne peut s’échapper et ne débouchent que sur le vide et la solitude. A cela, s’ajoute la sempiternelle angoisse du mâle vieillissant. La Cité des femmes paraît un peu long, avec des redites, avec des scènes qui ressemblent à un pot-pourri de ses films précédents (c’est particulièrement net dans la scène du toboggan) et des allégories qui manquent de subtilité. Le film a été largement critiqué à l’époque pour la vision caricaturale qu’il donnait des féministes. Avec le recul, l’humour sur ce plan ressort mieux. On pourra toutefois disserter à loisir sur le fait de savoir si le propos est misogyne ou pas. Soulignons à ce sujet que les deux personnages masculins sont franchement pitoyables – Fellini les a d’ailleurs affublés de noms ridicules – mais cela ne signifie pas pour autant que les femmes ont le beau rôle…
Elle:
Lui : 2 étoiles

Acteurs: Marcello Mastroianni, Anna Prucnal, Bernice Stegers, Ettore Manni
Voir la fiche du film et la filmographie de Federico Fellini sur le site IMDB.

Voir les autres films de Federico Fellini chroniqués sur ce blog…

Voir les livres sur Federico Fellini

La cité des femmes
Snàporaz visite le « musée » des conquêtes du Docteur Katzone…
Marcello Mastroianni dans La Cité des femmes de Federico Fellini

La cité des femmes
Bernice Stegers et Federico Fellini sur le tournage de La Cité des femmes

6 novembre 2013

Contes immoraux (1974) de Walerian Borowczyk

Contes immorauxContes immoraux met en scène quatre contes érotiques situés à des époques différentes, remontant ainsi le temps depuis notre époque jusqu’au XVe siècle de Lucrèce Borgia. A l’époque de sa sortie en 1974, le film fit scandale et fut très remarqué. Une pré-publicité habile et une interdiction de la censure contribuèrent à le rendre particulièrement attirant. Il fut alors paré de nombreuses qualités notamment celle de « redonner à l’érotisme ses lettres de noblesse ». Avec le recul, tous ces corps nus féminins mis en scène avec un excès de théâtralité précieuse n’a bien entendu plus le même effet libérateur. L’ensemble paraît même plutôt ennuyeux mais on peut s’amuser au spectacle du jeune Fabrice Luchini qui utilise les marées pour initier sa jeune amie aux plaisirs de la fellation ou encore s’étonner de l’audace de certaines scènes ouvertement iconoclastes. Borowczyk alterne les plans larges avec de très gros plans et, dans les meilleurs moments, esthétise ses plans de façon quasi picturale.
Elle:
Lui : 2 étoiles

Acteurs: Lise Danvers, Fabrice Luchini, Charlotte Alexandra, Paloma Picasso
Voir la fiche du film et la filmographie de Walerian Borowczyk sur le site IMDB.

Remarque :
La diffusion du film était à l’époque précédée d’un court métrage Une collection particulière où Borowczyk montre sa collection très fournie d’objets érotiques. On retrouve cet attrait du cinéaste pour les objets dans le deuxième sketch, Thérèse philosophe, variation étonnante autour d’un corps et de nombreux objets et vêtements.

25 octobre 2012

Belle de jour (1967) de Luis Buñuel

Belle de jourJeune épouse d’un interne des hôpitaux de Paris, Séverine aime son mari mais n’est pas attirée physiquement par lui, préférant ses fantasmes à tendance masochistes. Elle va même aller se prostituer chez Madame Anaïs, une petite maison close, pour chercher un équilibre… En adaptant le roman de Joseph Kessel Belle de jour (publié en 1929), Luis Buñuel et Jean-Claude Carrière étaient intéressés plus par la possibilité de mettre en images les rêveries diurnes de son héroïne que par les aspects mélodramatiques du livre. Belle de jour est ainsi un film qui mêle étroitement réalité et imaginaire, Buñuel effaçant habilement la limite qui les sépare et instaurant le doute. La réalité et l’imaginaire ne feraient-ils qu’un ? La fin est admirable car elle peut être interprétée de deux façons différentes, l’une d’entre elles changeant notre vision sur tout le film qui vient de se dérouler sous nos yeux. Le film est construit autour de l’image de Catherine Deneuve, d’une grande beauté, une beauté virginale presque enfantine. Buñuel se plait à essayer d’égratigner cette pureté, de la salir, tout en sachant qu’il ne pourra y parvenir. Ainsi, Belle de jour est aussi un film sur la pureté : Séverine et son mari se renvoient chacun une image trop parfaite, trop idéale pour que le plaisir sexuel puisse exister entre eux.
Elle:
Lui : 4 étoiles

Acteurs: Catherine Deneuve, Jean Sorel, Michel Piccoli, Geneviève Page, Pierre Clémenti, Françoise Fabian, Macha Méril
Voir la fiche du film et la filmographie de Luis Buñuel sur le site IMDB.
Voir les autres films de Luis Buñuel chroniqués sur ce blog…

Remarques :
On peut voir dans Belle de jour un petit hommage à deux cinéastes : le Godard de A bout de souffle tout d’abord, avec le vendeur du New York Herald Tribune et la mort de Clémenti au milieu de la rue, et aussi Hitchcock, avec Catherine Deneuve en beauté froide et son chignon à la Tippi Hedren et une petite apparition cameo à la Hitchcock de Luis Buñuel en client du café dans le parc (lors de la rencontre avec le duc).

Dans ses mémoires, Mon dernier soupir, Buñuel raconte :
* « Belle de jour fut peut-être le plus gros succès commercial de ma vie, succès que j’attribue aux putains du film plus qu’à mon travail. »
* (A propos de la boîte du client asiatique) « Je ne sais combien de fois on nous demandé, des femmes surtout : « Qu’est-ce qu’il y a dans cette petite boîte ? » Comme je n’en sais rien, la seule réponse possible est : « Ce que vous voudrez. »
* « Je regrette quelques coupes stupides que demanda, paraît-il, la censure. En particulier la scène où Catherine Deneuve est allongée dans un cercueil se déroulait dans une chapelle privée, après une messe célébrée au-dessous d’une splendide copie du Christ de Grünewald, dont le corps torturé m’a toujours impressionné. La suppression de cette scène change sensiblement le climat de la scène. »