21 décembre 2022

La Déesse agenouillée (1947) de Roberto Gavaldón

Titre original : « La diosa arrodillada »

La Déesse agenouillée (La diosa arrodillada)Pour célébrer son anniversaire de mariage, Antonio, un riche aristocrate, organise une fête au cours de laquelle il offre à son épouse Elena la statue d’une femme nue agenouillée dont le modèle se trouve être sa maîtresse…
La Déesse agenouillée est un film mexicain réalisé par Roberto Gavaldón. Cet ancien acteur, qui a fait ses armes à Hollywood comme assistant de Jack Conway, est l’un des principaux cinéastes du cinéma mexicain. Sa filmographie est qualifiée d’inégale et il reste méconnu en dehors de son pays. Il est ici plutôt au début de sa carrière de réalisateur et le film surprend surtout par sa liberté de ton, à une époque dominée par le puritanisme. Son personnage central est en effet un homme tiraillé entre la raison et le désir. María Félix est d’une grande sensualité, elle évoque les grandes icônes comme Rita Hayworth et surtout Ava Gardner. Dans les commentaires actuels sur ce film, Roberto Gavaldón est souvent rapproché de Luis Buñuel : s’il y a effectivement des points communs, le thème du désir irrépressible notamment, il y a toutefois une grande différence sur le plan de l’histoire qui est ici très simple, évoquant même un roman-photo. La Déesse agenouillée n’en est pas moins un film à découvrir. Il eut un très grand succès au Mexique à sa sortie.
Elle:
Lui : 3 étoiles

Acteurs: María Félix, Arturo de Córdova, Rosario Granados, Fortunio Bonanova
Voir la fiche du film et la filmographie de Roberto Gavaldón sur le site IMDB.

La Déesse agenouillée (La diosa arrodillada)Arturo de Córdova dans La Déesse agenouillée (La diosa arrodillada) de Roberto Gavaldón.

La Déesse agenouillée (La diosa arrodillada)María Félix, Rosario Granados, Arturo de Córdova et Rafael Alcayde
dans La Déesse agenouillée (La diosa arrodillada) de Roberto Gavaldón.

18 juin 2021

Les choses qu’on dit, les choses qu’on fait (2020) de Emmanuel Mouret

Les choses qu'on dit, les choses qu'on faitMaxime rend visite à son cousin François à la campagne, mais celui-ci a dû s’absenter et c’est sa compagne, Daphné, enceinte de trois mois, qui l’accueille. Pendant quatre jours, Maxime et Daphné font connaissance en se racontant leurs récentes histoires amoureuses aux multiples rebondissements…
Les choses qu’on dit, les choses qu’on fait est le dixième long métrage d’Emmanuel Mouret. Une fois de plus, il s’agit d’une « histoire de sentiments » pour reprendre l’expression qu’il met dans la bouche de son personnage principal, expression qu’il préfère aux réductrices « histoires d’amour ». Son scénario est joliment écrit, décrivant avec beaucoup de délicatesse les liaisons qui se font et se défont. Le film cherche à illustrer une thèse du philosophe René Girard sur le caractère mimétique du désir (1), concept qui, il faut bien l’avouer, n’est pas facile à appréhender rapidement et les quelques extraits habilement insérés dans deux ou trois scènes restent un peu obscurs sans que toutefois cela soit gênant. Par beaucoup de points, notamment la direction d’acteurs, Emmanuel Mouret se situe dans la lignée d’Eric Rohmer ou encore d’Alain Resnais. Son cinéma montre plus que jamais une indéniable maturité. A noter, une très belle utilisation de la musique.
Elle: 4 étoiles
Lui : 4 étoiles

Acteurs: Camélia Jordana, Niels Schneider, Vincent Macaigne, Émilie Dequenne, Jenna Thiam, Guillaume Gouix, Julia Piaton, Louis-Do de Lencquesaing
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(1) Professeur de littérature à la fin des années cinquante, René Girard (1923-2015) a conçu cette thèse à partir de l’étude des personnages créés par les écrivains. Le philosophe décrit « le caractère mimétique du désir » dans son premier livre, Mensonge romantique et vérité romanesque (1961).
Selon Girard, tout désir est l’imitation du désir d’un autre. Loin d’être autonome (c’est l’illusion romantique), notre désir est toujours suscité par le désir qu’un autre – le modèle – a d’un objet quelconque. Le sujet désirant attribue un prestige particulier au modèle : l’autonomie métaphysique ; il croit que le modèle désire par lui-même. Le rapport n’est pas direct entre le sujet et l’objet : il y a toujours un triangle. À travers l’objet, c’est le modèle, que Girard appelle médiateur, qui attire ; c’est l’être du modèle qui est recherché. (Merci Wikipédia)
Le philosophe a ensuite étendu son analyse au sacré et à la violence collective.

Les choses qu'on dit, les choses qu'on faitJulia Piaton, Niels Schneider et Jenna Thiam dans Les choses qu’on dit, les choses qu’on fait de Emmanuel Mouret.

16 novembre 2020

Hier, aujourd’hui et demain (1963) de Vittorio De Sica

Titre original : « Ieri oggi domani »

Hier, aujourd'hui et demain (Ieri oggi domani)Adelina : Ne pouvant payer une forte amende pour vente de cigarettes de contrebande, une jeune mère de famille découvre qu’elle ne peut être envoyée en prison car elle est enceinte. Elle décide alors d’enchaîner les grossesses…
Anna : La femme d’un riche industriel milanais s’offre une balade en voiture avec son amant, un intellectuel désargenté…
Mara : Une prostituée de standing va devoir remettre dans le droit chemin son voisin, un jeune séminariste prêt à renoncer à sa vocation après l’avoir vue…

Ce film à sketches de Vittorio de Sica met en scènes trois histoires d’époques, de lieux et de styles très différents. Le premier sketch est celui de l’hier, il se déroule dans l’Italie du sud à Naples, dans un style néoréaliste tirant fortement vers la comédie. Le scénario d’Eduardo De Filippo s’inspire d’un fait divers où une femme aurait enchaîné dix-neuf grossesses ! Le second est celui de l’aujourd’hui, de l’Italie prospère et renaissante du Nord (Milan), dans un style qui semble vouloir parodier Antonioni. Le scénario signé Zavattini est basé sur une nouvelle de Moravia. C’est le plus court des trois, le plus bâclé sans doute. Le troisième est celui de demain, de la liberté des mœurs de la Rome moderne, dans un style léger, de pure comédie. Le scénario est également signé Cesare Zavattini. Mastroianni y est hilarant et Sophia Loren nous gratifie d’un strip-tease qui est resté dans les annales. Les trois sketches reposent sur le duo d’acteurs qui montrent là leur grande vitalité et leur capacité à jouer des rôles très différents. L’ensemble est plaisant mais pas vraiment remarquable. Oscar du meilleur film étranger.
Elle:
Lui : 3 étoiles

Acteurs: Sophia Loren, Marcello Mastroianni, Aldo Giuffrè, Tina Pica
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Remarque :
* Aujourd’hui, demain et après-demain (Oggi, domani, dopodomani) de Eduardo De Filippo, Marco Ferreri et Luciano Salce (1965) tentera de reprendre le même principe des trois sketches (avec Marcello Mastroianni mais sans Sophia Loren).

Hier, aujourd'hui et demain (Ieri oggi domani)Marcello Mastroianni et Sophia Loren dans le sketch Adelina de Hier, aujourd’hui et demain (Ieri oggi domani) de Vittorio De Sica.

Hier, aujourd'hui et demain (Ieri oggi domani)Sophia Loren et Marcello Mastroianni dans le sketch Anna de Hier, aujourd’hui et demain (Ieri oggi domani) de Vittorio De Sica.

Hier, aujourd'hui et demain (Ieri oggi domani)Marcello Mastroianni et Sophia Loren dans le sketch Mara de Hier, aujourd’hui et demain (Ieri oggi domani) de Vittorio De Sica.

13 août 2020

Blanche comme neige (2019) de Anne Fontaine

Blanche comme neigeClaire travaille dans l’entreprise de sa belle-mère. Un jour, elle est enlevée sans ménagements. Sur le point d’être tuée, elle est sauvée in extremis par un homme mystérieux qui la recueille dans sa maison isolée. Claire décide de rester là et va éveiller l’émoi des habitants du village voisin…
Sur un scénario écrit par Anne Fontaine et Pascal Bonitzer, Blanche comme neige revisite le comte des frères Grimm, Blanche-Neige. Les hommes qui recueillent la belle Claire ne sont pas des nains mais ils sont bien sept à tomber sous son charme et il y a aussi une (très) méchante belle-mère. La jeune femme s’émancipe, s’éveille au désir et veut croquer la vie (sans parler d’une pomme) à pleines dents. Le scénario est intelligemment écrit, les situations avec chacun de ces hommes sont très différentes, et l’humour se montre subtil, en demi-teinte, passant surtout par les personnages. L’ensemble est léger, amusant, bien entendu pas crédible… mais un conte n’est pas censé l’être. Lou de Laâge est de presque toutes les scènes, l’actrice montre beaucoup d’aisance et de naturel. Tous les autres rôles sont très bien tenus avec une mention particulière pour Vincent Macaigne, assez savoureux et attendrissant dans son personnage de musicien dépressif. Blanche comme neige est original et amusant. Le film semble avoir été diversement apprécié.
Elle: 3 étoiles
Lui : 4 étoiles

Acteurs: Lou de Laâge, Isabelle Huppert, Charles Berling, Damien Bonnard, Jonathan Cohen, Vincent Macaigne, Benoît Poelvoorde
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Blanche comme neigeBlanche-Neigne : Lou de Laâge dans Blanche comme neige de Anne Fontaine.

Blanche comme neigeLes sept nains : Vincent Macaigne, Damien Bonnard, Jonathan Cohen, Richard Fréchette, Benoît Poelvoorde, Pablo Pauly et Charles Berling dans Blanche comme neige de Anne Fontaine.

16 avril 2020

Mektoub, My Love: Canto Uno (2017) de Abdellatif Kechiche

Mektoub, My Love: Canto UnoSète, 1994. Amin, apprenti scénariste installé à Paris, retourne un été dans sa ville natale. Il retrouve sa famille et ses amis, comme son cousin Tony et son amie Ophélie. Il passe son temps dans les bars ou sur la plage fréquentée par les filles en vacances…
Mektoub My Love est une libre adaptation du roman La Blessure, la vraie de François Bégaudeau. Il faut un certain temps pour « entrer » dans ce film de 3 heures, déroutant de prime abord par la vacuité de ses dialogues et l’étirement de scènes qui paraissent aussi inutiles les unes que les autres. Une fois franchie cette étape, on peut se laisser happer par l’énergie vitale qui se dégage de l’ensemble. Le personnage principal est pris dans un tourbillon de vie, tout en sachant rester en retrait. Il est en effet le seul à avoir une autre motivation que de draguer les filles. Tous les autres hommes sont des caricatures vivantes du machisme et les femmes semblent issues d’un fantasme masculin : jolies, débridées sexuellement, peu exigeantes, ne refusant aucune avance, même les plus lourdes, n’existant que pour le regard des hommes. Comme toujours, la caméra de Kechiche est très mobile et placée très proche des personnages. La longue séquence de fin, dans une boîte de nuit, est interminable. La critique unanime a encensé le film, le public beaucoup moins.
Elle: 3 étoiles
Lui : 1 étoiles

Acteurs: Shaïn Boumedine, Ophélie Bau, Salim Kechiouche, Lou Luttiau, Alexia Chardard, Hafsia Herzi
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Remarques :
* Le sens du titre est donné par une phrase du synopsis officiel : « Quand vient le temps d’aimer, seul le destin – le mektoub – peut décider. » (Il est probable qu’il faille voir les suites pour comprendre en quoi cette phrase s’applique au film…)
* Mektoub My Love doit au final comporter trois volets. Le deuxième, Mektoub, My Love: Intermezzo, présenté à Cannes en 2019, a suscité une vive polémique et des commentaires de fort rejet. La majorité de ce film de 3h30 se déroule en effet dans une boite de nuit. [La date de sortie de ce film reste incertaine, la société de production ayant été placée en redressement judiciaire fin 2019.]

Mektoub, My Love: Canto UnoLou Luttiau et Ophélie Bau dans Mektoub, My Love: Canto Uno de Abdellatif Kechiche.

26 janvier 2019

Peppermint frappé (1967) de Carlos Saura

Peppermint FrappéJulián dirige une clinique de radiologie, assisté d’Ana, une infirmière timide. Un soir, il est invité chez un de ses amis d’enfance, Pablo, un aventurier qui vient de se marier avec Elena, une belle jeune femme blonde. Julián croit reconnaître en elle une mystérieuse femme qu’il a vue jouer du tambour lors de la Semaine sainte à Calanda…
Tourné après La Chasse, le premier long métrage d’importance de Carlos Saura, Peppermint frappé met de nouveau en scène les frustrations et fantasmes d’une bourgeoisie étouffée. Tourné sous la dictature de Franco, le film est chargé de symboles et d’allégories. L’atmosphère est puissante, chargée d’un fétichisme latent et marquée par une oscillation permanente entre réalité et fantasme. Le désir semble constamment vouloir poindre sous une indéfectible retenue. Tout cela crée un malaise léger, une sensation d’être en équilibre instable à l’instar de l’Espagne sous le joug de Franco. Carlos Saura vient de rencontrer Geraldine Chaplin et donne d’emblée un double rôle à celle qui deviendra sa compagne et sa muse pendant douze ans. Peppermint frappé a rencontré un certain succès, le premier pour Saura, et le film aurait probablement été récompensé à Cannes 1968 si le festival n’avait été annulé.
Elle:
Lui : 4 étoiles

Acteurs: Geraldine Chaplin, José Luis López Vázquez, Alfredo Mayo
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Remarque :
* La scène de la femme au tambour est située à Calanda. C’est de toute évidence un hommage à Luis Buñuel qui est originaire de cette ville. On retrouve d’ailleurs le rite de  La Route du tambour et de la grosse caisse (Ruta del tambor y el bombo) dans plusieurs films de Buñuel. A noter que ce n’est que dans les années 1980 (donc bien après ce film de Saura) que les femmes eurent le droit de jouer d’un instrument dans cette procession.

Peppermint frappé
Geraldine Chaplin (en blonde Elena) et José Luis López Vázquez dans Peppermint frappé de Carlos Saura.

Peppermint frappé
Geraldine Chaplin (en brune Ana) dans Peppermint frappé de Carlos Saura.

19 janvier 2018

Eyes Wide Shut (1999) de Stanley Kubrick

Eyes Wide ShutBill Hartford est un médecin aisé de la haute-société newyorkaise. Avec sa femme Alice, ils se rendent à la fastueuse réception d’un de ses clients. Il n’y connaît personne mais s’aperçoit que le pianiste est un ancien camarade de la faculté de médecine…
Basé sur une nouvelle du viennois Arthur Schnitzler, Traumnovelle (Rien qu’un rêve), datant de 1926 et qu’il suit très fidèlement, Eyes Wide Shut est l’ultime réalisation de Stanley Kubrick qui a hélas trouvé la mort peu après l’avoir achevé. C’est peut-être l’un des ses films les plus sous-estimés, le plus mal compris, assurément. Il a été boudé à sa sortie par les critiques qui attendaient « le film le plus sexy jamais réalisé » et qui furent déconcerté par ce film complexe sur le désir, l’attirance, la place de la sexualité mais aussi sur le couple, la fidélité, la tromperie et même la vérité. Kubrick a depuis longtemps admiré Schnitzler pour sa capacité à appréhender et à comprendre l’âme humaine et il parvient parfaitement à le mettre en images. Kubrick a pris son temps à la fois pour préparer le film et pour le tourner. Il prend aussi son temps pour dérouler cette histoire, une certaine placidité qui donne une grande profondeur à l’ensemble. Le film est aussi d’une grande beauté formelle, la perfection se nichant jusque dans les moindres détails. Eyes Wide Shut est certainement la plus belle interprétation de Tom Cruise et aussi de Nicole Kidman qui étaient alors mari et femme (Kubrick voulait absolument un couple d’acteurs). C’est un film dont on découvre la richesse à chaque nouvelle vision.
Elle: 5 étoiles
Lui : 5 étoiles

Acteurs: Tom Cruise, Nicole Kidman, Sydney Pollack, Todd Field
Voir la fiche du film et la filmographie de Stanley Kubrick sur le site IMDB.

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Eyes Wide Shut
Tom Cruise et Nicole Kidman dans Eyes Wide Shut de Stanley Kubrick.

Eyes Wide Shut
Aucun projecteur classique n’a été utilisé dans la scène du bal de Eyes Wide Shut de Stanley Kubrick.

Remarques :
* Eyes Wide Shut a été tourné par Kubrick en format 4:3.
* Une fois le film terminé, Kubrick a déclaré qu’il considérait Eyes Wide Shut comme sa plus belle réalisation.
* La nouvelle d’Arthur Schnitzler, Traumnovelle, avait déjà inspiré le film La Ronde de Max Ophüls en 1950.
* Michel Chion replace très justement Eyes Wide Shut dans la lignée des « comédies du remariage » (comédies screwballs) des années trente. On pourrait dire que c’en est une variante philosophique…
* Seulement quelques plans sans acteur ont été tournés à New York, les rues de la Big Apple ont été reconstitués en studio. Dans quelques plans, Tom Cruise marche sur un tapis roulant.
* Kubrick a utilisé un type très spécial de pellicule Kodak (qui n’était plus fabriqué) dont il fait prolonger les temps de développement : cela lui permet de tourner en basse lumière.
* Caméo : Kubrick apparaît dans la scène du cabaret où joue le pianiste : il est l’un des clients à l’arrière-plan (visible lorsque le serveur apporte la commande).
* Pour éviter d’être classé X, des caches ont été rajoutés aux Etats-Unis dans les scènes d’orgie sous la forme de quelques personnages vus de dos qui masquent « l’action ». Le contrat signé par Kubrick permettait à la Warner de faire cela : il portait sur un film classé R (restricted = interdit aux moins de 17 ans non accompagnés) mais pas X (interdiction totale aux mineurs).

Eyes Wide Shut

Eyes Wide Shut
Tom Cruise dans Eyes Wide Shut de Stanley Kubrick.

A propos de l’adaptation :
Le scénario du film est très proche de la nouvelle d’Arthur Schnitzler. En fait, seul le personnage de Ziegler (Sydney Pollack) a été ajouté ainsi que la scène du bal au début du film (dans la nouvelle, le bal n’est qu’évoqué par la femme, plus tard). Même, les dialogues sont souvent ceux écrits par le viennois en 1925. La scène de l’orgie reprend le décorum et les habillements décrits dans la nouvelle, ce qui explique son décalage apparent avec notre monde actuel. Certaines scènes ont été tournées mais écartées au montage (notamment une scène heureuse du couple canotant sur un lac, certaines photos de tournage la montrent). L’empreinte de Freud était déjà très présente dans la nouvelle et Kubrick l’a encore renforcée.

Eyes Wide Shut
Tom Cruise dans un superbe plan de  Eyes Wide Shut de Stanley Kubrick.

Eyes Wide Shot
Sydney Pollack et Nicole Kidman dans Eyes Wide Shut de Stanley Kubrick.

Eyes Wide Shut
Tom Cruise et Nicole Kidman dans Eyes Wide Shut de Stanley Kubrick.

25 février 2017

Le Montreur d’ombres (1923) de Arthur Robison

Titre original : « Schatten – Eine nächtliche Halluzination »

Le Montreur d'ombresAux alentours de 1800, un bourgeois et sa femme reçoivent pour un dîner. La femme se complait à se laisse désirer par les invités, le mari est jaloux. Un montreur d’ombres parvient à s’introduire pour montrer son spectacle. Il va dévoiler à tous les conséquences de leur attitude et cela va leur glacer le sang… Le Montreur d’ombres est considéré comme l’un des films majeurs de l’expressionnisme allemand. Plutôt rare, il fait partie de ces films dont on entend parler mais qui restent difficiles à voir. Hormis dans un prologue qui nous présente de façon plutôt fastidieuse les personnages, le film ne comporte aucun intertitre, ce qui donne d’autant plus d’importance à l’image. Les personnages ne parlent pas d’ailleurs. L’histoire est assez simple mais joue avec subtilité sur les éclairages et les ombres dont on voit toutes les formes et toutes les fonctions : l’ombre qui trahit, l’ombre qui effraie, l’ombre qui trompe, l’ombre qui dévoile, l’ombre qui amuse et même l’ombre qui se substitue aux vivants devenus simples spectateurs de leur destin. Le sous-titre allemand est bien choisi : « Une hallucination nocturne ». Ce sont les ombres qui agissent sur le déroulement de l’histoire, faisant prendre telle ou telle tournure aux évènements. L’image de Fritz Arno Wagner est superbe, les décors sont simples pour mieux jouer avec la lumière et il faut noter également l’utilisation étonnante des miroirs. L’atmosphère est très forte, intrigante, angoissante. Le jeu des acteurs est typique de l’expressionnisme allemand, un jeu assez théâtral aux mouvements saccadés. Les ombres ont toujours une grande importance dans les films muets allemands mais Le Montreur d’ombres va plus loin que tous les autres et, en ce sens, il est un film assez unique en son genre.
Elle:
Lui : 4 étoiles

Acteurs: Alexander Granach, Fritz Kortner, Gustav von Wangenheim, Ruth Weyher, Rudolf Klein-Rogge
Voir la fiche du film et la filmographie de Arthur Robison sur le site IMDB.

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Remarques :
* Arthur Robison est américain de naissance mais a grandi et fait ses études en Allemagne. Hormis Le Montreur d’ombres, il a réalisé une vingtaine de films jugés de peu d’intérêt, y compris sa première version de The Informer en 1929 (six ans avant John Ford). Georges Sadoul a ainsi dit de lui qu’il était « l’homme d’un seul film ».

* Le film restauré est accompagné par une musique très contemporaine que, personnellement, je suis incapable d’écouter. J’avais heureusement la possibilité de couper le son mais il faut faire attention à ce point pour une vision en salles.

le Montreur d'ombres
le Montreur d'ombresFritz Kortner dans Le Montreur d’ombres de Arthur Robison.

1 août 2014

Pattes blanches (1949) de Jean Grémillon

Pattes blanchesDans un petit village breton, le mareyeur Jacques Le Guen revient de la ville avec Odette, une belle jeune femme qui devient rapidement le centre de toutes les attentions. Il y a là le châtelain ruiné Julien de Keriadec, surnommé Pattes blanches en raison des guêtres qu’il porte et qui vit seul dans sa grande demeure, et son jeune frère batard Maurice… Pattes blanches fut écrit par Jean Anouilh (aidé de Jean Bernard-Luc) dans le but de le réaliser lui-même. Une grave maladie le força à demander à Jean Grémillon de le porter à l’écran à sa place. Celui-ci accepta à condition de transposer l’intrigue du XIXe siècle à l’époque actuelle et en Bretagne. Cette histoire est remarquablement écrite, avec des personnages forts et denses : c’est une variation assez noire sur le thème de la séduction, de l’attraction, du ressentiment. La richesse de l’histoire vient en grande partie de la palette de caractères décrits : les cinq personnages principaux sont à la fois complexes et très différents. Tous les rôles sont brillamment tenus, avec une rare intensité. Michel Bouquet est vraiment étonnant, dans un registre « halluciné » qui lui allait si bien au tout début de sa carrière (il a ici 24 ans). Mal né, Pattes blanches n’a jamais rencontré le succès qu’il mérite. C’est pourtant un film superbe.
Elle:
Lui : 5 étoiles

Acteurs: Fernand Ledoux, Suzy Delair, Paul Bernard, Michel Bouquet, Arlette Thomas, Sylvie
Voir la fiche du film et la filmographie de Jean Grémillon sur le site IMDB.

Lire aussi : l’analyse de Yann Gatepin sur le site DVDClassik …

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23 janvier 2013

Mort à Venise (1971) de Luchino Visconti

Titre original : « Morte a Venezia »

Mort à VeniseAu tout début du XXe siècle, un compositeur allemand vieillissant se rend à contrecœur à Venise pour un séjour de repos prescrit par son médecin. A l’Hôtel des Bains où il réside, il croise un adolescent polonais dont la beauté le fascine immédiatement… Mort à Venise est l’adaptation d’un court roman de Thomas Mann (1). C’est une œuvre traversée de nombreux thèmes forts (la recherche de la beauté, le désir, l’Art, l’isolement, le temps qui passe, la mort) où Visconti réalise une symbiose parfaite entre la forme et le sujet. C’est sur la beauté que cette symbiose est la plus évidente : par les costumes et les mouvements de caméra (superbes travellings), Visconti montre qu’il est dans le même type de démarche que son personnage qui a entièrement voué sa vie à la musique. Et surtout, en s’inspirant de Gustav Mahler pour ce même personnage, il réussit la plus belle fusion entre un film et sa musique, l’une des associations les plus parfaites (2). Mort à Venise n’est pas qu’une réflexion sur l’art et la beauté, ou encore sur le désir/fascination qui perturbe toutes nos certitudes : Visconti introduit de manière très forte les thèmes du temps, du déclin, de la mort. Le titre ne laisse aucun espoir et la citation qui ouvre le film est plus sombre encore (3). Visconti était alors lui-même très marqué par ces thèmes. Les images de Venise sont crépusculaires, exprimant la fin d’un monde, l’épidémie de choléra symbolisant la guerre qui approche. Avec peu de dialogues, Mort à Venise est un film qui se déroule lentement, tout en manifestant une forte présence.
Elle: 4 étoiles
Lui : 5 étoiles

Acteurs: Dirk Bogarde, Silvana Mangano, Björn Andrésen, Marisa Berenson, Romolo Valli
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(1) Visconti s’est également inspiré d’un autre roman de Thomas Mann, Le Docteur Faustus, pour les conversations sur beauté et la séquence de la maison close. On peut également penser qu’il a puisé son inspiration dans A la recherche du temps perdu de Proust, notamment pour certaines des séquences de l’hôtel.
(2) Adagietto de la 5e symphonie (4e mouvement) de Gustav Mahler. Cette symphonie a été composée entre 1901 et 1903 par le compositeur, soit la même époque que celle de Mort à Venise.
(3) « Celui qui a contemplé de ses yeux la beauté est déjà voué à la mort. » (Citation d’August von Platen-Hallermünde, poète allemand du début du XIXe)