30 décembre 2020

Douleur et gloire (2019) de Pedro Almodóvar

Titre original : « Dolor y gloria »

Douleur et gloire (Dolor y gloria)Souffrant d’un mal de dos persistant, le réalisateur Salvador Mallo n’a plus le désir de se lancer dans un nouveau projet. C’est pour lui l’occasion d’une introspection et de porter un regard nouveau sur certaines périodes de sa vie. En outre, le hasard lui permettra de renouer avec certaines personnes qui ont beaucoup compté pour lui…
Ce réalisateur, personnage principal de Douleur et gloire, est bien entendu Pedro Almodóvar lui-même qui a nourri son film de ses propres réflexions. Il est même allé jusqu’à reproduire son propre appartement pour y placer son alter ego. Le résultat est très riche, abordant de nombreux thèmes sans étalage ni lourdeur : les souvenirs d’enfance, la relation à la mère, l’apprentissage, le désir et surtout la relation d’un créateur à son œuvre, son appropriation par d’autres ou encore la maturité de jugement, sans oublier l’inévitable corollaire de l’âge que sont les dérèglements physiques. Il nous livre toutes ces réflexions de façon non ostentatoire, très finement. L’autofiction est un genre rarement aussi riche et aussi nourrissant.
Elle: 4 étoiles
Lui : 5 étoiles

Acteurs: Antonio Banderas, Asier Etxeandia, Leonardo Sbaraglia, Nora Navas, Julieta Serrano, Penélope Cruz
Voir la fiche du film et la filmographie de Pedro Almodóvar sur le site IMDB.
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Remarque :
* Douleur et gloire peut se placer dans la lignée de La Loi du désir (1987) et La Mauvaise Éducation (2004), deux films personnels où le personnage principal est un réalisateur. Parler de « trilogie » est certainement inapproprié mais, comme disait Bergman, les journalistes raffolent des trilogies…!

Douleur et gloire (Dolor y gloria)Antonio Banderas et Leonardo Sbaraglia dans Douleur et gloire (Dolor y gloria) de Pedro Almodóvar.

Douleur et gloire (Dolor y gloria)le réalisateur et son alter ego :
Pedro Almodóvar et Antonio Banderas sur le tournage de Douleur et gloire (Dolor y gloria) de Pedro Almodóvar.

4 novembre 2015

Le Héros (1966) de Satyajit Ray

Titre original : « Nayak »

Le HérosAu sommet de la gloire, un acteur bengali doit se rendre à Delhi pour y recevoir un prix. Dans le train, il fait plusieurs rencontres qui l’amènent à s’interroger sur sa vie… Ecrit et réalisé par Satyajit Ray, Le Héros démarre par un tableau assez idyllique de cet acteur sûr de lui et de son succès. Cette assurance va se fissurer au cours du voyage grâce à la présence d’une jeune femme qui affiche un apparent désintérêt pour son personnage public. Des flashbacks et des scènes de rêves viennent se mêler à celles du voyage pour former un ensemble riche, d’une belle profondeur. Satyajit Ray n’affirme pas que les choix que cet acteur a fait dans sa vie sont mauvais mais il nous laisse entrevoir qu’ils ne sont pas forcément les bons. Ray utilise les personnages secondaires pour élargir le propos et brosser un portrait de la société indienne : un vieux passéiste, un homme d’affaires moderne, un arriviste prêt à jeter sa femme dans les bras d’un client potentiel, et d’autres. Le Héros est un film très fluide, une réussite de plus dans la filmographie de ce passionnant réalisateur indien.
Elle:
Lui : 4 étoiles

Acteurs: Uttam Kumar, Sharmila Tagore
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Le Héros
Sharmila Tagore et Uttam Kumar dans Le Héros de Satyajit Ray.

Remarques :
* A la simple lecture du synopsis, on ne peut que penser aux Fraises sauvages de Bergman. Si l’on ajoute qu’il y a des séquences de rêves, la ressemblance n’en paraît que plus forte. Satyajit Ray a toutefois affirmé que la ressemblance était accidentelle et qu’il avait vu Les Fraises sauvages après avoir fait Le Héros (Entretien avec Henri Micciollo, Satyajit Ray, Editions L’Âge d’Homme, 1981, page 298).

* Uttam Kumar qui interprète l’acteur était lui-même un acteur très populaire (il était alors âgé de 40 ans). Il a tourné dans plus de 200 films entre 1948 et 1987.

15 février 2015

Les Fraises sauvages (1957) de Ingmar Bergman

Titre original : « Smultronstället »

Les fraises sauvagesLe professeur Borg, âgé de 78 ans, doit recevoir un prix couronnant ses cinquante années en tant de docteur. Il se rend en voiture à l’Université de Lund avec sa belle-fille Marianne. Pendant le trajet, il revit certains éléments de son passé… Ecrit et réalisé par Ingmar Bergman, Les Fraises sauvages fait partie des oeuvres les plus profondes du cinéma. Cet homme qui se sent proche de la mort porte un regard sur sa vie, à la fois par introspection et par le regard des autres, ce qui génère en lui une foule de sentiments variés, parfois contradictoires, qui le désorientent. La forme est aussi enthousiasmante que le fond car Bergman fait preuve d’une remarquable limpidité et d’une grande simplicité dans sa mise en scène ; rien n’est appuyé et pourtant tout est fort. En 1957, Bergman avait déjà une vingtaine de films à son actif mais il n’avait pas encore quarante ans : tant de maturité dans son cinéma et dans son propos qui aborde de nombreux aspects fondamentaux de la vie est assez exceptionnel. C’est d’autant plus étonnant que l’on sait qu’il y a souvent, dans ses films, une certaine identification de Bergman avec son personnage principal. Ce n’est pas un film sombre et amer, comme en témoigne la très belle fin ; la lucidité de son propos le place au-delà de cette simple problématique. Ce n’est pas non plus un film sur la mort, c’est bien plus un film sur la vie, sur ce qui la constitue, sur l’essence-même du passé. Comme j’ai pu personnellement le constater, Les Fraises sauvages est un film que l’on peut voir plusieurs fois, à des moments différents de notre vie, et ressentir différemment. Sa profondeur le permet.
Elle: 5 étoiles
Lui : 5 étoiles

Acteurs: Victor Sjöström, Bibi Andersson, Ingrid Thulin, Gunnar Björnstrand, Max von Sydow
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Les Fraises sauvages d'Ingmar Bergman
Ingrid Thulin et Victor Sjöström dans Les Fraises sauvages d’Ingmar Bergman

Remarques :
* Victor Sjöström avait exactement l’âge de son personnage. Rappelons que Victor Sjöström est l’un des plus grands cinéastes du cinéma muet et, à ce titre, l’un des maîtres de Bergman. Ses films sont hélas assez difficiles à voir aujourd’hui. D’abord en Suède, puis à Hollywood entre 1924 et 1930 où il réalisa de grands films (notamment avec Lilian Gish) qui n’eurent jamais le succès qu’ils méritaient, ce cinéaste a toujours fait preuve d’un grand lyrisme dans ses réalisations mais aussi d’inventivité (voir sa filmographie sur IMDB). Les Fraises sauvages est son dernier film en tant qu’acteur puisqu’il est décédé deux ans plus tard.
* La première scène de rêve au début du film est un hommage au très beau film de Victor Sjöström La Charrette fantôme (1921).

5 novembre 2014

Une autre femme (1988) de Woody Allen

Titre original : « Another Woman »

Une autre femmeParvenue à la cinquantaine, Marion estime avoir une vie satisfaisante et bien remplie. Elle est mariée et brillante professeur de philosophie. Pour écrire son nouveau livre, elle loue un appartement situé juste à côté du cabinet d’un psychiatre dont elle entend les conversations par un défaut des conduites d’aération. Les confessions d’une cliente en particulier vont l’amener à réfléchir sur sa propre vie… Another Woman fait partie des films introspectifs de Woody Allen, pour simplifier on peut aussi dire « bergmanien ». C’est un très beau portrait d’une femme qui prend soudainement conscience du fait qu’elle s’est fixée des standards trop élevés, qu’elle a fait le vide autour d’elle, qu’elle n’engendre qu’une admiration respectueuse chez ses proches. Cette fois, Woody Allen rentre en profondeur dans le sujet sans utiliser l’artifice de l’humour qui est ici totalement absent. La construction est habile, mêlant rêves et souvenirs. Celle qui découvre en elle une autre femme, c’est Gena Rowlands, ici loin des rôles toujours énergiques de Cassavetes, qui exprime brillamment toutes les interrogations et la froideur de son personnage. L’actrice fait montre d’une grande sobriété et d’une indéniable dignité. Elle éclipse tous les autres acteurs et Woody Allen la filme superbement. Une autre femme est un très beau film.
Elle: 5 étoiles
Lui : 4 étoiles

Acteurs: Gena Rowlands, Mia Farrow, Ian Holm, Gene Hackman
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Remarques :
* Le directeur de la photographie n’est autre que Sven Nykvist, le chef opérateur préféré d’Ingmar Bergman. Woody Allen tournera trois autres films avec lui (New York Stories, Crimes et Délits et Celebrity).

* Mia Farrow était alors enceinte de leur fils Satchel. Elle a accouché pendant le tournage qu’elle a donc fini avec une prothèse ventrale pour être raccord.

* Le tournage de Another Woman a débuté alors que son film précédent, September, autre film introspectif, n’était pas encore sorti. Le fait que ces deux films n’aient pas rencontré le succès escompté a poussé Woody Allen à revenir ensuite sur le terrain de la comédie.

Une autre femme (1988) de Woody Allen
Woody Allen, Gena Rowlands et Gene Hackman sur le tournage de Une autre femme de Woody Allen (1988).

22 février 2014

L’assassin (1961) de Elio Petri

Titre original : « L’assassino »

L'assassinAlors qu’il vient de rentrer chez lui au petit matin, Alfredo Martelli est emmené par des policiers. Il est longuement interrogé sans même savoir de quoi on le soupçonne. Ce n’est que plusieurs heures plus tard qu’il apprend que sa maitresse et bienfaitrice a été assassinée… L’assassin est le premier long métrage d’Elio Petri. Il en a écrit l’histoire avec le grand scénariste Tonino Guerra (1). Sous l’enveloppe d’une enquête policière qui aurait pu être banale, le film se révèle être d’une belle profondeur notamment par le portrait de son personnage principal qui se dévoile peu à peu devant nos yeux. Il nous accompagne d’ailleurs dans cette découverte, car c’est à une véritable introspection qu’il se livre au fil des souvenirs qui lui reviennent à l’esprit. Pour Petri, c’est l’occasion de dresser le portrait d’une bourgeoisie arriviste et sans scrupules qui fleurit dans l’Italie après la renaissance des années cinquante (avec également une petite pique politique puisque cet antiquaire utilise ses anciens compagnons de lutte politique pour obtenir des marchandises à vil prix). Ce personnage se retrouve dans un univers kafkaïen, une enquête de police dont il ne saisit pas toujours le but ni la logique, où il se sent sondé jusqu’au plus profond de lui-même, un pion dans une machinerie qui peut l’emmener au bord de la folie. Les décors sont remarquablement bien utilisés dans ce sens : les pièces sont petites avec de multiples portes. Assez mal connu, L’assassin est un film vraiment remarquable, servi par une écriture parfaite (2). En outre, le film a été magnifiquement restauré en 2011.
Elle:
Lui : 4  étoiles

Acteurs: Marcello Mastroianni, Micheline Presle, Cristina Gaioni, Salvo Randone
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Lire l’analyse de Frédéric Mercier sur le site DVDClassik

(1) Au cours de sa belle carrière, Tonino Guerra a écrit pour Antonioni (L’Avventura, Blow Up, etc.) , Fellini (Amarcord) et aussi Rosi, De Sica, Tarkovsky, Angelopoulos, Taviani, Bolognini, Monicelli.

(2) Bien qu’il soit tentant de rapprocher ce premier film d’Elio Petri de son bien connu Enquête sur un citoyen au-dessus de tout soupçon (1970), le propos est ici assez différent, plus vaste et plus riche d’ailleurs. Le film de 1970 s’attachera surtout à dresser le portrait d’une police totalitaire et intouchable alors qu’ici, c’est un peu le portrait d’une société dans son ensemble.

1 décembre 2012

La fugue (1975) de Arthur Penn

Titre original : « Night moves »

La fugueUn ancien footballeur professionnel devenu détective privé se soit confier une mission par une ex-actrice de cinéma : retrouver sa fille de 16 ans qui a fugué… Arthur Penn réalise La fugue après une longue absence où il s’est plus consacré au théâtre. En apparence, il s’agit d’une banale histoire de détective dans la lignée des films noirs mais il faut dépasser ces apparences pour saisir l’originalité du film. Plus qu’une simple enquête, il s’agit plutôt d’une véritable introspection de la part de ce détective qui cherche à normaliser sa vie et ses rapports avec les autres. A l’image de cette belle (et terrible) ultime scène où il regarde sans pouvoir intervenir, cet homme a ce sentiment d’assister au cours de sa vie à des évènements dont il ne possède pas les clefs. En acceptant des enquêtes, c’est à la recherche de lui-même qu’il désire partir. On peut voir dans ce portrait un peu désabusé une certaine allégorie de l’Amérique post-Watergate. Gene Hackman a une belle présence ; Mélanie Griffith est ici à 17 ans dans son premier rôle important. La fugue est un film banal en apparence mais doté d’une profondeur peu commune.
Elle:
Lui : 4 étoiles

Acteurs: Gene Hackman, Jennifer Warren, Susan Clark, Edward Binns, James Woods, Melanie Griffith
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Remarque :
Le titre original peut surprendre : il pourrait s’agit d’un jeu de mots avec « knight moves » (déplacements de cavaliers aux échecs). Le personnage joué par Gene Hackman est obsédé par une partie d’échec. Il s’agit d’ailleurs d’une véritable partie jouée en 1922 opposant K. Emmrich à Bruno Moritz. Ce dernier avait une position qui lui permettait un mat en 3 coups (de cavalier) mais ne l’a pas vue, a joué autre chose et a perdu. « Ne pas avoir vu cela, il doit l’avoir regretté toute sa vie » dit le détective à Paula. C’est l’obsession de ce détective : ne pas voir les déplacements clés de ses adversaires. Et c’est bien ce qui lui arrive. Une autre explication du titre pourrait être plus simplement dans le sens « déplacements furtifs », ce qui s’inscrit dans la même thématique.