Dans un futur proche, un ancien chasseur de primes est rappelé pour traquer des réplicants, des androïdes très perfectionnés, qui se sont évadés des mondes extérieurs où ils sont normalement confinés… Plus que l’adaptation du roman de Philip K. Dick « Les androïdes rêvent-ils de moutons électriques ? », Ridley Scott s’est attaché à recréer une atmosphère de film noir dans un environnement ultra futuriste. Blade Runner emprunte ainsi autant à Chandler qu’à Dick, Harrison Ford personnifiant un Philip Marlowe du futur. Par rapport au livre, l’histoire paraît plus simple, même si on a pu lui prêter plus d’interprétations qu’elle n’en porte (1). La grande force du film Blade Runner est dans l’environnement futuriste créé, noir et oppressant, montrant une mégapole surpeuplée, un immense Chinatown grouillant et envahi de technologie, survolé par des vaisseaux publicitaires géants. Le côté inhumain est renforcé par l’absence de plein jour et une pluie battante omniprésente. Les décors, qui montrent une filiation avec ceux de Metropolis, ont été dessinés par Syd Mead, désigner futuriste de génie (2) ; les effets spéciaux sont créés par l’excellent Douglas Trumbull (3). L’ensemble est très crédible et nous sommes littéralement immergés dans ce monde aussi fascinant qu’anxiogène. Blade Runner est ainsi plutôt un film d’atmosphère et c’est sans doute pour cette raison que le film fut plutôt mal reçu aux Etats-Unis à sa sortie (mais mieux en Europe). Ce n’est qu’à partir de 1992 que Blade Runner sera mieux considéré et acquierera son statut de film mythique.
Elle: –
Lui :
Acteurs: Harrison Ford, Rutger Hauer, Sean Young, M. Emmet Walsh, Daryl Hannah
Voir la fiche du film et la filmographie de Ridley Scott sur le site IMDB.
Voir les autres films de Ridley Scott chroniqués sur ce blog…
Les trois versions principales :
1) La version commerciale de 1982 avec une voix off (Harrison Ford) et une scène de fin en voiture rajoutée au dernier moment par les producteurs (il s’agit en réalité de plans non utilisés de Shining de Kubrick !)
2) La version Director’s Cut de 1992 sans voix off.
3) La version Final’s Cut de 2007 pour laquelle certaines scènes ont été tournées à nouveau par Ridley Scott.
(1) Avec la version de 1992, la question de savoir si Deckard est lui aussi un réplicant a pu ressurgir, donnant ainsi au film une tout autre dimension, questionnant sur la notion même d’humanité.
(2) Syd Mead a également dessiné le formidable univers électronique de Tron (1982), créé des décors de Star Trek (1979), 2010 (1984), Aliens 2 (1986), etc.
(3) Douglas Trumbull a également créé les effets spéciaux de 2001, l’Odyssée de l’espace (1968), Rencontres du troisième type (1977), Star Trek (1979), …
Film d’atmosphère, dites-vous ? C’est bien vu. Moi qui n’aime pas franchement le genre SF en général, il se trouve curieusement que j’aime beaucoup « Blade runner ». Peut-être parce qu’au lieu d’inventer de toutes pièces une intrigue farfelue, il pose un postulat de départ et, ensuite, raconte une histoire qui serait relativement acceptable dans le monde que nous connaissons.
Il me resterait désormais à voir « Alien » premier du nom, du même Ridley Scott.
Sur le plan technique, on dit que les plans qui survolent la ville, au départ, laissent apparaître le Faucon Millenium de « Star Wars », repeint en couleur sombre, sur le toit d’un immeuble.
« Monde fascinant » vous dites. Moi je ne suis pas sûr de le trouver très fascinant ! C’est une vision du futur plutôt angoissante. Une vision du futur qui est heureusement fausse car Blade Runner se situe si j’ai bonne mémoire en 2019. On est loin du monde décrit. Tout comme pour 2001 de Kubrick, la prédiction n’était pas très clairvoyante!
@Martin
Bonjour Martin.
Il ne faut pas trop juger l’ensemble de la science-fiction d’après la qualité des films récents. Le cinéma hollywoodien de science fiction n’est aujourd’hui qu’une machine à faire des films catastrophe ou d’action très formatés et ne cherche que le spectaculaire. La science fiction, celle qui a explosé dans les années 50, nous fait rêver… Elle interpelle aussi, car la science fiction explore tous les « possibles » : à la base de tous les grands livres de SF, on trouve le postulat « que se passerait-il si telle chose devenait réelle? si telle tendance, embryonnaire aujourd’hui, se généralisait? ». Le propos pénètre ainsi très souvent sur le terrain philosophique ou politique. Donc rien à voir avec les scénarios très simples des films actuels… 😉
Blade Runner est bien entendu de cette trempe : l’intrigue policière passe au second plan, Blade Runner nous offre avant tout une vision d’un futur possible, un monde étouffé par la surpopulation, où la limite de l’humain devient très floue.
Alien est également un bon film, un peu en deçà de Blade Runner à mes yeux car il joue beaucoup plus sur le frisson et la peur mais c’est un beau huis clos et l’environnement créé est assez puissant.
Je ne connaissais pas cette anecdote du Millenium Falcon… J’ai vu les photos, il faut avoir l’oeil pour le repérer… Amusant 🙂
@Luc Jardin :
Hum, peut-être suis-je toujours influencé par mes impressions lors de ma première vision du film (j’étais beaucoup plus jeune ;-)), mais je trouve toujours un côté fascinant à ce monde imaginé par les créateurs de Blade Runner. Il est à la fois attirant et repoussant.
Pour l’aspect prédiction, je dirais que 2001, Odyssée de l’espace était plausible : en 1968, alors qu’en à peine une décennie, on en était parvenu au point d’être capable de faire atterrir un homme sur la lune, supposer que 33 ans plus tard on serait capable d’aller sur Jupiter n’était pas exagéré. Après tout, il était difficile de prévoir qu’à partir de 1975, la conquête de l’espace serait stoppée et n’intéresserait plus personne.
Pour Blade Runner, il est vrai que c’est différent. Placer l’action en 2019 était passablement optimiste, car là on savait que la conquête de l’espace était arrêtée, donc supposer que, 40 ans plus tard, on ait colonisé des mondes extérieurs était totalement illusoire (2119 peut-être et encore…) Sur le plan de l’intelligence artificielle, c’était moins illusoire même si cela ne s’est pas vérifié. Je pense que placer une date assez proche permettait d’avoir un impact plus fort sur le public (dont une grande partie savait qu’elle vivrait jusqu’en 2019).
Je conteste votre phrase : on lui a prêtée par la suite plus d’interprétations qu’elle n’en porte. Ces interprétations ne sont absolument pas venues « par la suite », elles ont simplement eu plus d’écho chez ceux qui en avaient eu une lecture au premier degré… mais elles étaient fondatrices du film. Plusieurs éléments pour appuyer cela :
1) La nouvelle d’origine
Ce film est tiré d’une nouvelle de Philip K. Dick, dans laquelle le « chasseur de replicants » apprend qu’un de ses collègues (un autre tueurs d’androïdes) est en fait un androïde reprogrammé pour se croire un humain. Il est donc inévitable que le héros et le lecteur se demandent si le héros n’est pas dans la même situation. Cette interrogation était donc la clef évidente de la nouvelle originelle… que son titre ouvre explicitement ! Do Androïds dream of Electric Sheep? : nous sommes bien dans une question existentielle sur la frontière entre humains et androïdes. C’est le but même de la nouvelle qui a inspiré le film !
2) La version de 1982
Lorsque Blade Runner est sorti en 1982, ceux qui s’intéressaient à la SF et qui connaissaient (ou ont lu par curiosité à ce moment-là) la nouvelle de Philip K. Dick ont évidemment intégré cette question. Je peux en témoigner : je me rappelle encore très précisément d’une discussion avec un de mes camarades fan de SF (j’étais alors au collège), et ce souvenir est très net puisque je vois le lieu exact de la cour du collège où nous discutions, car la compréhension du double-sens du film avait été pour moi un choc.
Je me permets donc d’être catégorique : dès la sortie du film en 1982, les fans de SF savaient que c’était la question-clef de la nouvelle d’origine, et s’amusaient à voir dans le film ce qui correspondait à cette interrogation vertigineuse. Et concrètement, il existe dans le film de 1982, même s’il a été sabré par le producteur, des scènes étranges dans l’appartement du héros qui créent une oppression à son égard. Je ne me souviens plus toutes les scènes ambiguës de cette version, car elles se mélangent désormais dans ma mémoire avec la version de 1992, mais je me souviens en revanche très bien de nos longues discussions spéculatives : les indices étaient bien accessibles à qui les cherchait.
Enfin, le titre choisit par Ridley Scott est lui-même évidemment ambigu : « blade runner », c’est « sur le fil du rasoir ». Pourquoi ? Nom étrange, qui va bien au-delà du fait que ces « exécuteurs » prennent des risques : mille métiers (y compris dans la police) pourraient faire référence à la prise de risque. Mais là, le « fil du rasoir », cela laisse bien entendre que ces exécuteurs sont eux-mêmes en sursis. Qui est en sursis dans cette société ? Les replicants.
3) La version de 1992
La version qui est ressortie en 1992 par un incroyable hasard * était celle qu’avait voulu Ridley Scott : vous la présentez bien vous-même comme étant la director’s cut. Or, elle est sans ambiguïté : elle interroge explicitement la nature du héros, et tend même très clairement à nous montrer qu’il EST lui-même un replicant.
En effet, dans cette version (voulue par Ridley Scott… et donc correspondant forcément à ce que « le film portait » lors de son tournage !), Harrison Ford rêve plusieurs fois de licornes. C’est un rêve personnel, dont il n’a aucune raison d’avoir parlé à quiconque. Or, lorsqu’il en vient à s’interroger sur sa propre identité suite à la rencontre de Rachel et aux phrases énigmatiques du dernier replicant tué, quelle est la cocotte en papier que l’autre flic (celui qui passe son temps à faire des origamis et qui le « suit » étrangement) a déposé sur son palier ?
Une… licorne.
Ne me dites pas que c’est une spéculation : ce flic qui suit Harrison Ford ne PEUT PAS connaître les rêves d’un humain solitaire qu’il ne connaît pas. Or il montre qu’il les connaît parfaitement, et avertit Harrison Ford en lui déposant cet origami explicite.
Deux faits récurrents du film, qui n’ont aucune raison d’être sans cette chute, sont donc clairement reliés : le rêve de licornes par le héros, la fabrication d’origamis par le flic qui le suit étrangement sans l’aider dans sa traque. Et leur jonction est sans équivoque. Ce sont les deux « fils » qui nouent la chute.
Je pourrais ajouter de nombreux autres indices, comme la façon dont la caméra s’attarde sur les photos jaunies (sur le piano, me semble-t-il) censées représenter les souvenirs familiaux du héros… alors que nous savons par ailleurs que les photos qui appuient les souvenirs de Rachel sont des faux et font référence à des implants. Il est évident que la caméra ne s’attarde pas sur ces photos par hasard pour créer un temps mort…
Bref, ces interprétations étaient explicitement portées par Ridley Scott lors du tournage. Qu’elles aient été érodées par la censure du producteur ne les a pas totalement supprimées… et de toute façon elles étaient bien au cœur du projet du cinéaste.
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* La sortie de la director’s cut est un vrai roman.
Lors d’un festival en 1991, le studio a envoyé par erreur une copie originale du film (c’est-à-dire la version 1, celle qui avait mal fonctionné dans les projections-tests, et qui avait été modifiée ensuite par le producteur). Cette version n’avait pas de voix-off (rajoutée par le producteur après les projections-tests), n’avait pas la fin optimiste (rajoutée par le producteur après les projections-tests… et utilisant, comme vous l’avez signalé, des rushs du tournage de Shining !), et comportait la fameuse scène-clef du rêve de licorne (supprimée par le producteur après les projections-tests).
L’envoi de cette copie non-retouchée était… une erreur. Mais les festivaliers l’ont ovationnée, et les retours ont été tellement dithyrambiques, disant à quel point cette version était supérieure à celle qui avait été exploitée jusqu’à présent, que Ridley Scott en a profité pour pousser ses pions et demander que le film ressorte dans cette version. C’est ainsi qu’il a obtenu le droit de restaurer sa director’s cut (sans toutefois pouvoir affiner autant qu’il voulait sa version rêvée — mais il a ensuite pu achever son remontage pour la version de 2007) et de la ressortir à la place de la version retouchée.
C’est ainsi qu’est sortie la « version de 1992 », qui n’était pas du tout prévue au départ et qui provient de l’enthousiasme du public suite à un envoi erroné pour un festival ! Reste une interrogation (une de plus :-)…) : cet envoi était-il réellement une étourderie, ou une tentative subtile (et couronnée de succès) d’un salarié de la Warner (ou de la Ladd Compagny) pour réhabiliter la version souhaitée par Scott ?
Merci pour ce message très intéressant.
Ma phrase s’appliquait au film et non au livre (Philip Dick est un auteur que j’aime beaucoup) car Ridley Scott en a énormément simplifié l’histoire pour en faire un film policier futuriste. D’ailleurs, Philip Dick aurait été horrifié à la lecture du scénario (il a en revanche plus apprécié le rendu visuel, puisqu’il a pu voir une petite partie du film avant de mourir). Dans la version initiale, sans la licorne, on peut tout de même dire que Ridley Scott avait gommé toute la question de l’humanité du chasseur d’androïdes qui est centrale dans le livre.
Bon, mais vous avez raison ma tournure est certainement un peu maladroite. 😉
Merci pour les intéressantes précisions sur la sortie de la « Director’s Cut ».
En fait, je dirais plutôt que « Dans la version initiale, sans la licorne, on peut tout de même dire que les producteurs (et non pas Ridley Scott) avaient gommé toute la question de l’humanité du chasseur d’androïdes ».
Car Scott, lui, souhaitait la présence du rêve de licorne. Mais les producteurs, eux, avaient effectivement gommé la question centrale de la nouvelle.
En fait, à y réfléchir sur la base de votre analyse, je pense que Scott avait en fait très subtilement égrené les questions vertigineuses sur la nature du blade runner, sans trop les appuyer, sans attirer lourdement l’attention du spectateur dessus. C’était un équilibre assez brillant, car laissant vraiment une double lecture (voire triple) : ceux qui ne voulaient pas y prendre garde pouvaient se contenter d’une vision au premier degré ; ceux qui connaissaient la nouvelle n’avaient pas besoin de plus d’allusions pour se régaler (et même, je suis tenté de penser que moins les allusions sont nombreuses, plus elles sont jubilatoires ; ceux qui ne connaissaient pas la nouvelle mais cherchaient à comprendre les passages étranges avaient suffisamment d’indices pour découvrir cette interrogation (attention, je parle bien là de la version dite désormais director’s cut, puisque c’était bien celle qui était initialement prévue).
Mais la conséquence de cette subtilité fut que… il suffisait alors aux producteurs de supprimer quelques scènes pour supprimer cette question existentielle. Ce qu’ils ont fait.
En tout cas, analyser le film de 1982 revient à analyser un film censuré et réduit par les producteurs à une seule de ses dimensions. Si l’on veut analyser l’intention de Ridley Scott, il faut évidemment s’attacher à la version qu’il avait proposé, c’est-à-dire sans voix-off, sans fin optimiste et avec le rêve (d’autant que l’absence de la fin rajoutée permet au film de s’achever sur la découverte de l’origami en forme de licorne : c’est un coup de poing qui, bien évidemment, prend d’autant plus de force qu’il est la chute véritable du film). La version de 1992.
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Pour ce qui est des précisions sur le hasard qui a conduit à la sortie de la « bonne » version en 1992, je ne retrouve hélas pas de traces sur internet. C’est étrange (mais pas impossible : internet n’est pas l’alpha et l’oméga de la connaissance, et nous devons prendre garde au piège cognitif consistant à considérer qu’une info qui n’est pas sur internet serait douteuse), et je ne peux pas en garantir l’authenticité puisque je ne peux pas la sourcer. Elle avait été racontée par Ridley Scott dans une interview radio dans les années 1990.
Se baser sur les dates supposées on ‘prédites’ dans les films pour dire que leur vision du futur était fausse est très réducteur je trouve. Peu importe la date, elle est là à titre indicatif, ou pour impliquer le spectateur comme le dit un commentaire. Ce qui est important c’est la vision du futur proposée, qu’elle se réalise dans 20 ans on 200 ans, c’est un détail à mes yeux.
Par exemple dans Soleil vert, le film, l’action est supposée se passer en 2022, dans le livre elle est située en 1999. Le soleil vert vendu comme étant du plancton est en fait ce que l’on sait (pour ceux qui ont vu le film). Aujourd’hui on est en 2013 et je vois dans les journaux des industriels qui parlent de ‘minerai de viande’ et des scandales à base de cheval. On ne sait même plus de quel animal vient ce que l’on mange…
Probablement le meilleur film de Ridley Scott, d’après moi en tout cas. cela faisait bien longtemps que je n’étais pas venu sur ce blog. cela fait plaisir. Un excellent article pour un excellent film.
Par souci de complétude, signalons la sortie du « final cut » de 2007, 25 ans après l’original. Quelques légers changements, la suppression de plusieurs incohérences verbales et picturales, et aussi un documentaire magistral de Laurizica sur la genèse du film. Le tout complètement renumérisé. Pour les fanatiques, une édition princière comprend les 5 versions successives du film.