6 novembre 2014

Brother Orchid (1940) de Lloyd Bacon

Brother OrchidLorsque le chef de gang Little John Sarto (Edward G. Robinson) revient prendre sa place après avoir tenté de se retirer du racket, il la trouve occupée par son ancien bras droit Jack Buck (Humphrey Bogart). Entre les deux hommes, la guerre est déclarée… Brother Orchid illustre la fin d’un genre :  nous sommes bien à la fin de la décennie des films de gangsters. L’idée est ici à la fois d’adoucir le personnage du truand et d’introduire une bonne dose de comédie : Edward G. Robinson décide ainsi de partir en Europe « pour apprendre à avoir de la classe » et l’histoire le verra même enfiler une robe de bure dans un monastère. Aussi étonnant que cela puisse paraître, le mélange des genres est assez réussi : Brother Orchid est très plaisant, avec un humour bien dosé, les seconds rôles sont très bien tenus. Le film connut un certain succès, à son époque du moins.
Elle:
Lui : 3 étoiles

Acteurs: Edward G. Robinson, Ann Sothern, Humphrey Bogart, Donald Crisp, Ralph Bellamy
Voir la fiche du film et la filmographie de Lloyd Bacon sur le site IMDB.

Voir les autres films de Lloyd Bacon chroniqués sur ce blog…

Remarques :
* Fatigué des rôles de gangster, Edward G. Robinson n’avait pu obtenir son rôle dans Dr. Ehrlich’s Magic Bullet de William Dieterle (retraçant la vie d’un éminent chercheur en biologie) qu’à la condition de faire un film de gangster supplémentaire. Ce sera Brother Orchid.
* Le film n’est jamais sorti en France.

 

Brother Orchid

5 novembre 2014

Une autre femme (1988) de Woody Allen

Titre original : « Another Woman »

Une autre femmeParvenue à la cinquantaine, Marion estime avoir une vie satisfaisante et bien remplie. Elle est mariée et brillante professeur de philosophie. Pour écrire son nouveau livre, elle loue un appartement situé juste à côté du cabinet d’un psychiatre dont elle entend les conversations par un défaut des conduites d’aération. Les confessions d’une cliente en particulier vont l’amener à réfléchir sur sa propre vie… Another Woman fait partie des films introspectifs de Woody Allen, pour simplifier on peut aussi dire « bergmanien ». C’est un très beau portrait d’une femme qui prend soudainement conscience du fait qu’elle s’est fixée des standards trop élevés, qu’elle a fait le vide autour d’elle, qu’elle n’engendre qu’une admiration respectueuse chez ses proches. Cette fois, Woody Allen rentre en profondeur dans le sujet sans utiliser l’artifice de l’humour qui est ici totalement absent. La construction est habile, mêlant rêves et souvenirs. Celle qui découvre en elle une autre femme, c’est Gena Rowlands, ici loin des rôles toujours énergiques de Cassavetes, qui exprime brillamment toutes les interrogations et la froideur de son personnage. L’actrice fait montre d’une grande sobriété et d’une indéniable dignité. Elle éclipse tous les autres acteurs et Woody Allen la filme superbement. Une autre femme est un très beau film.
Elle: 5 étoiles
Lui : 4 étoiles

Acteurs: Gena Rowlands, Mia Farrow, Ian Holm, Gene Hackman
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Remarques :
* Le directeur de la photographie n’est autre que Sven Nykvist, le chef opérateur préféré d’Ingmar Bergman. Woody Allen tournera trois autres films avec lui (New York Stories, Crimes et Délits et Celebrity).

* Mia Farrow était alors enceinte de leur fils Satchel. Elle a accouché pendant le tournage qu’elle a donc fini avec une prothèse ventrale pour être raccord.

* Le tournage de Another Woman a débuté alors que son film précédent, September, autre film introspectif, n’était pas encore sorti. Le fait que ces deux films n’aient pas rencontré le succès escompté a poussé Woody Allen à revenir ensuite sur le terrain de la comédie.

Une autre femme (1988) de Woody Allen
Woody Allen, Gena Rowlands et Gene Hackman sur le tournage de Une autre femme de Woody Allen (1988).

4 novembre 2014

The American Way (1986) de Maurice Phillips

Autre titre (ressortie de 1988) : « Riders of the Storm »

American WayPendant les dix années qui suivirent la fin de la guerre, un petit groupe d’anciens du Vietnam ont sillonné l’espace aérien américain à bord de leur bombardier B-29, qu’ils ont reconverti en station de télévision pirate. Ils songent à s’arrêter mais, avant d’atterrir définitivement, le capitaine voudrait faire un dernier beau coup : démasquer la candidate réactionnaire aux élections présidentielles… Après avoir réalisé de nombreux clips, Maurice Phillips passe à la réalisation avec ce film totalement débridé. Nous sommes alors en pleine période des années Reagan et l’intention est ici de mettre en relief ses relations avec les militaires et mouvements religieux. American Way Maurice Phillips le fait avec beaucoup d’humour, nous baignant pendant 1h30 dans un délire permanent. Ses personnages sont hallucinés et les acteurs (Michael Pollard notamment, Dennis Hopper reste sérieux comme un pape…) semblent s’être beaucoup amusés à le tourner. Les moyens ont été limités et on a l’impression qu’une belle part a été laissée à l’improvisation. Beaucoup de musique bien entendu. A condition de se laisser aller et à ne pas prendre tout cela trop au sérieux, The American Way est très amusant.
Elle:
Lui : 3 étoiles

Acteurs: Dennis Hopper, Michael J. Pollard, Eugene Lipinski
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The American Way (1986) de Maurice Phillips
Dennis Hopper est le pilote d’un bombardier reconverti en télévision pirate dans The American Way de Maurice Phillips

3 novembre 2014

Le Cheik (1921) de George Melford

Titre original : « The Sheik »

Le cheikDans le Sahara, une jeune lady anglaise très libérée décide d’explorer le désert. Elle est enlevée par un jeune cheik arabe séduit par sa beauté et se retrouve à sa merci, entre ses mains… The Sheik fut avant tout un phénomène de société. Du jour au lendemain, Rudolph Valentino se retrouva propulsé au niveau de star adulée, devenant le premier grand latin lover du cinéma. Des spectatrices s’évanouissaient dans les cinémas, les vêtements d’inspiration arabe devinrent à la mode ; le mot « sheik » est même passé dans le langage courant pour désigner un séducteur. Sur le plan cinématographique pur, le film a moins d’intérêt : le scénario est assez simplet, mais sans être ennuyeux toutefois, et Valentino use et abuse d’effets d’expressions faciales Le cheik et de regards bien trop appuyés, souvent ridicules (1). Son pouvoir d’attraction a beaucoup été analysé par la suite. Il se situe certainement dans une certaine fragilité et une indéniable féminité. Bien que la publicité de l’époque pour The Sheik le présentait comme un macho dominateur, il ne l’est jamais vraiment : devant la femme qu’il aime, il est comme paralysé. Toujours est-il que toutes les femmes rêvaient de faire dominer par lui… pendant que tous les hommes le rejetaient et le critiquaient. Aujourd’hui, The Sheik est surtout intéressant à voir pour son aspect historique… (film muet)
Elle:
Lui : 2 étoiles

Acteurs: Agnes Ayres, Rudolph Valentino, Adolphe Menjou, Walter Long
Voir la fiche du film et la filmographie de George Melford sur le site IMDB.

Remarques :
Le cheik* Après le succès de The Four Horsemen of the Apocalypse de Rex Ingram, Rudolph Valentino a demandé à la Metro (future M.G.M.) une augmentation de 50 dollars sur son salaire de 300 dollars par semaine. La Metro a refusé provoquant son départ. Adolphe Zukor l’a engagé immédiatement.

* Avant la sortie, les patrons de Paramount n’étaient pas franchement convaincus par le film et n’avaient donc pas anticipé un succès si phénoménal. A noter que Rudolph Valentino n’a pas le top billing : sur l’affiche, il est en deuxième position derrière Agnes Ayres.

* Suite : Le Fils du Cheik (The son of The Sheik) de George Fitzmaurice (1926), ultime film de Rudolph Valentino décédé la même année à l’âge de 31 ans.

(1) C’est pratiquement le seul film où Rudolph Valentino a ces expressions faciales exagérées. A propos de son regard, il faut garder à l’esprit qu’il était très myope, il a ainsi tendance à plisser les yeux. De plus, un très léger strabisme apporte quelque chose de particulier à son regard.

The Sheik
Le Cheik (Rudolph Valentino) et sa captive (Agnes Ayres) dans The Sheik de George Melford (1921).

2 novembre 2014

La Blonde et moi (1956) de Frank Tashlin

Titre original : « The Girl Can’t Help It »

La blonde et moiTom Miller, un impresario sur le retour, est contacté par un ex-caïd des machines de jeux qui lui demande de faire de sa nouvelle protégée une vedette du show-biz… Fort de succès de Sept ans de réflexion, la Fox décide de reprendre l’idée de mettre l’acteur Tom Ewell face une à bombe sexuelle. Cette fois, ce sera Jayne Mansfield dont la carrière avait besoin d’être lancée. Le scénario est très réduit, heureusement relevé par une bonne dose d’humour. Mais ce n’est pas pour ses gags que le film a acquis avec le temps une belle notoriété : désirant profiter du succès fulgurant du rock’n’roll juste naissant (tout en s’en moquant un peu, semble t-il), les producteurs ont décidé d’en faire aussi (et même surtout) un film musical. C’est ainsi que l’on peut voir notamment Gene Vincent, Little Richard, Eddie Cochran, Fats Domino ou encore Les Platters jouer leur morceau emblématique, ce qui rend The Girl Can’t Help It vraiment unique, lui conférant même un caractère de document historique.
Elle:
Lui : 3 étoiles

Acteurs: Tom Ewell, Jayne Mansfield, Edmond O’Brien, Henry Jones
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Voir les autres films de Frank Tashlin chroniqués sur ce blog…

Remarques :
* Il faut aussi mentionner la présence de Julie London qui apparaît ici, certes dans un style différent, interprétant son célèbre Cry Me a River. Rappelons qu’elle a été la première à chanter ce morceau composé par son camarade d’école Arthur Hamilton. Il est ensuite devenu rapidement un standard du jazz.
* Paul McCartney a raconté que John Lennon et lui avaient mis des moustaches pour aller voir le film, car ils étaient sous la limite d’âge, et que le film les avaient beaucoup marqués, musicalement parlant.
* Certaines rumeurs ont mentionné la présence de Bill Haley mais ce n’est pas le cas : le chanteur en costume rouge qui lui ressemble un peu est en réalité Eddie Fontaine.

Morceaux :
« The Girl Can’t Help It » – Little Richard
« Tempo’s Tempo » – Nino Tempo
« My Idea of Love » – Johnny Olenn
« I Ain’t Gonna Cry No More » – Johnny Olenn
« Ready Teddy » – Little Richard
« She’s Got It » – Little Richard
« Cool It Baby » – Eddie Fontaine
« Cinnamon Sinner » – Teddy Randazzo and the Three Chuckles
« Spread the Word » – Abbey Lincoln
« Cry Me a River » – Julie London
« Be-Bop-A-Lula » – Gene Vincent and His Blue Caps
« Twenty Flight Rock » – Eddie Cochran
« Rock Around the Rockpile » – Edmond O’Brien; Ray Anthony and his Orchestra
« Rockin’ Is Our Business » – The Treniers
« Big Band Boogie » – Ray Anthony and his Orchestra
« Blue Monday » – Fats Domino
« You’ll Never, Never Know » – The Platters
« Ev’ry Time (It Happens) » – Eileen Wilson (lip-synched by Jayne Mansfield)
« Giddy Up a Ding Dong » – Freddy Bell & The Bell-Boys

The Girl Can't Help it

1 novembre 2014

Bardelys le magnifique (1926) de King Vidor

Titre original : « Bardelys the Magnificent »

Bardelys le magnifiqueSous le règne de Louis XIII, le vicomte de Bardelys est surnommé le Magnifique à cause de ses nombreuses conquêtes féminines. Son grand rival, Chatellerault, le met au défi de conquérir le coeur de la belle Roxalanne de Lavedan qui vient de l’éconduire… De temps à autre, un film que l’on croyait perdu à tout jamais refait miraculeusement surface. Ce fut le cas pour ce film muet de King Vidor retrouvé en France en 2006 pour être ensuite restauré par le magicien Serge Bromberg. Seule la troisième des neuf bobines manquait à l’appel, soit environ quelque dix minutes qui ont été remplacées par des images fixes et des explications. King Vidor venait d’enchainer deux grandes productions (La Grande Parade et La Bohème). Selon ses propres dires, Bardelys le magnifique était une tentative de donner à John Gilbert un rôle à la Douglas Fairbanks. Force est de constater que, sur ce point, l’essai n’est pas tout à fait concluant, John Gilbert manquant de flamboyance et de panache. Bardelys le magnifique Les scènes d’action manquent quelque peu de rythme. Le film n’en est pas moins intéressant et plaisant, le scénario basé sur un roman de Rafael Sabatini nous réservant de belles surprises. La fin est assez brillante. Une scène est remarquable et a beaucoup marqué ceux qui ont vu le film à l’époque, celle où Eleanor Boardman et John Gilbert sont dans une barque qui glisse sur l’eau à travers les branches de saules pleureurs qui forment une voute et qui viennent caresser leur visage(1). (film muet)
Elle:
Lui : 3 étoiles

Acteurs: John Gilbert, Eleanor Boardman, Roy D’Arcy
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Voir les autres films de King Vidor chroniqués sur ce blog…

Voir les livres sur King Vidor

Remarques :
* Bardelys le magnifique est le premier ou le second où John Wayne apparaît, plus en tant que cascadeur qu’acteur : il est l’un des gardes.
* Un extrait du film figure dans Show People (Mirages) de King Vidor (1928). Ce fut longtemps, le seul extrait connu de Bardelys le magnifique.

(1) King Vidor reprendra l’idée pour une des scènes de Salomon et la reine de Saba (1959), son ultime long métrage.

Bardelys le magnifiqueJohn Gilbert et Eleanor Boardman dans Bardelys le magnifique (Bardelys the Magnificent) de King Vidor.

31 octobre 2014

Sommaire d’octobre 2014

La Voie lactéeLe Fantôme de la libertéLivre : Panorama impertinent du cinéma françaisMy Childhood / My Ain Folks / My Way HomeLe Bel AntonioPrends l'oseille et tire-toi!Maris et femmesLivre : Dictionnaire du cinéma fantastique et de science-fiction

La Voie lactée

(1969) de Luis Buñuel

Le Fantôme de la liberté

(1974) de Luis Buñuel

Livre : Panorama impertinent du cinéma français

(2014) de Pierre Bas

My Childhood / My Ain Folks / My Way Home

(1972-1978) de Bill Douglas

Le Bel Antonio

(1960) de Mauro Bolognini

Prends l’oseille et tire-toi!

(1969) de Woody Allen

Maris et femmes

(1992) de Woody Allen

Livre : Dictionnaire du cinéma fantastique et de science-fiction

(2014) de Frank Lafond

Mr. Smith au sénatL'Opinion publiqueLa Femme du dimancheSamson et DalilaLe bonheur est pour demainL'homme qui en savait tropLe Charme discret de la bourgeoisieJeune et innocent

Mr. Smith au sénat

(1939) de Frank Capra

L’Opinion publique

(1923) de Charles Chaplin

La Femme du dimanche

(1975) de Luigi Comencini

Samson et Dalila

(1949) de Cecil B. DeMille

Le bonheur est pour demain

(1961) de Henri Fabiani

L’homme qui en savait trop

(1934) de Alfred Hitchcock

Le Charme discret de la bourgeoisie

(1972) de Luis Buñuel

Jeune et innocent

(1937) de Alfred Hitchcock

La machine à explorer le tempsGueule d'amourBasic InstinctThe OffenceLa Vieille Dame indigneUne nuit inoubliableFlesh and BoneLes adieux à la reine

La machine à explorer le temps

(1960) de George Pal

Gueule d’amour

(1937) de Jean Grémillon

Basic Instinct

(1992) de Paul Verhoeven

The Offence

(1972) de Sidney Lumet

La Vieille Dame indigne

(1965) de René Allio

Une nuit inoubliable

(1942) de Richard Wallace

Flesh and Bone

(1993) de Steve Kloves

Les adieux à la reine

(2012) de Benoît Jacquot

La Sonate à KreutzerLa ballade des sans-espoirsLivre : Dictionnaire du cinéma italienPepi, Luci, Bom et les autres filles du quartier

La Sonate à Kreutzer

(1956) de Eric Rohmer

La ballade des sans-espoirs

(1961) de John Cassavetes

Livre : Dictionnaire du cinéma italien

(2014) de Mathias Sabourdin

Pepi, Luci, Bom et les autres filles du quartier

(1980) de Pedro Almodóvar

Nombre de billets : 28

30 octobre 2014

La Voie lactée (1969) de Luis Buñuel

La voie lactéeA l’époque actuelle, deux pèlerins se rendent à pied de Paris à Saint-Jacques-de-Compostelle (1). En chemin, ils font de nombreuses rencontres inattendues… Ecrit par Luis Buñuel et Jean-Claude Carrière, La Voie lactée est un film d’une grande audace : comment faire un film plutôt amusant, et en même temps profond, sur un sujet aussi rébarbatif que l’hérésie et les querelles dogmatiques dans la religion catholique tout au long de son histoire ? Par sa forme, il surprend le spectateur car Buñuel et Carrière s’affranchissent des contraintes de temps et d’espace : on peut, au détour d’un chemin, rencontrer un personnage d’une autre époque, même le Christ lui-même.

Sur le fond, qualifier le film d’anticlérical est très réducteur, d’ailleurs il ne l’est pas vraiment. Le propos de Buñuel va beaucoup plus loin que cela : ses questionnements portent sur la notion de dogme. Sur sa formation d’abord : lorsque l’on formalise une croyance en dogme, le réel et le rationnel s’échappent, les « mystères » apparaissent et, avec eux, les interprétations différentes et donc les querelles, celles qui poussent au fanatisme. Et ensuite, sur la façon dont une doctrine peut se nourrir de ses déviations : elle en sort souvent renforcée. Au delà de la religion, catholique en l’occurrence, Buñuel parle de tous les dogmes : dans une courte scène, on voit un groupe de partisans anarcho-marxistes (ils ont un drapeau bicolore, rouge et noir) venir de façon froide et décidée fusiller le pape… Il semble ainsi nous dire : « Attention, je vous parle de religion mais tout ce que je dis s’applique tout aussi bien à une idéologie politique » (2).

Le propos de Buñuel n’est pas destructeur, il questionne. Il n’apporte pas de réponses, il laisse la place au doute comme en témoigne la scène finale de la « guérison » des aveugles. Sont-ils guéris ou pas ? On ne le saura pas. Faut-il y voir là un certain respect du mystère (sur lequel se construisent les croyances et les doctrines) ou encore un refus de la rationalisation ? Peut-être… Comme on le voit, il y a là beaucoup de matière à réflexion. La Voie lactée est certainement l’un des films les plus profondément philosophiques de Luis Buñuel.
Elle: 4 étoiles
Lui : 5 étoiles

Acteurs: Paul Frankeur, Laurent Terzieff, Alain Cuny, Edith Scob, François Maistre, Michel Piccoli, Pierre Clémenti
Voir la fiche du film et la filmographie de Luis Buñuel sur le site IMDB.

Voir les autres films de Luis Buñuel chroniqués sur ce blog…
Voir les livres sur Luis Buñuel

(1) La Voie lactée était autrefois utilisée comme point de repère par les pèlerins se dirigeant vers Saint-Jacques de Compostelle, à tel point qu’elle était désignée dans plusieurs pays d’Europe sous le nom de Chemin de saint Jacques. Quand elle est haute dans le ciel, la Voie lactée suit en effet un axe allant du nord-est au sud-ouest. Autrefois, elle était en outre bien plus visible qu’aujourd’hui car il n’y avait pas tous les éclairages publics actuels.

(2) Dans son autobiographie, Buñuel cite également l’idéologie artistique… Cela peut surprendre mais il faut se souvenir que Buñuel a été l’une des grandes figures des surréalistes qui, il faut bien le reconnaitre, donnaient souvent dans l’intransigeance. Dans le cinéma, on pourrait également citer l’exemple des « jeunes turcs » des Cahiers du Cinéma qui déclaraient certains réalisateurs comme « hérétiques »…
Pour revenir à ce parallèle religion / idéologie marxiste, rappelons que nous sommes en pleine époque Mai 68 : l’écriture a été faite juste avant Mai 68 mais le tournage s’est déroulé pendant et juste après.

Homonyme :
The Milky Way (Soupe au lait, titre fr DVD = La Voie lactée) de Leo McCarey (1936) avec Harold LLoyd.

La Voie lactée (1969) de Luis Buñuel
Laurent Terzieff et Paul Frankeur dans La Voie lactée de Luis Buñuel (1969)

29 octobre 2014

Le Fantôme de la liberté (1974) de Luis Buñuel

Le fantôme de la libertéDes condamnés à mort qui crient « Vive les chaînes » au moment d’être fusillés (1)… dès la scène du générique, le ton est donné : la logique et les conventions vont être bien malmenées dans Le Fantôme de la liberté et Luis Buñuel et Jean-Claude Carrière sont ici allés encore plus loin que dans Le Charme discret de la bourgeoisie. La structure est inhabituelle : selon le principe des « cadavres exquis » des surréalistes, chacune des petites histoires qui composent le film est reliée à la suivante par un personnage ou une situation qui nous emmènent sur un thème totalement différent. Buñuel nous surprend sans arrêt, il retourne les usages, prend des directions inattendues. Il chamboule nos certitudes, nous faisant prendre parfois un énorme recul sur ce que nous voyons. On peut ainsi dire que le film a une dimension philosophique dans le sens où il nous fait voir de façon nouvelle des évènements ou des comportements les plus anodins, il bouscule ce que nous tenons pour acquis. L’humour, quant à lui, est toujours présent. Aujourd’hui comme il y a quarante ans, Le Fantôme de la liberté est un petit bijou.
Elle: 4 étoiles
Lui : 5 étoiles

Acteurs: Monica Vitti, Jean-Claude Brialy, Paul Frankeur, Michael Lonsdale, François Maistre, Michel Piccoli, Claude Piéplu, Jean Rochefort, Julien Bertheau, Marie-France Pisier, Adolfo Celi
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Remarques :
* La Voie lactée, Le Charme discret de la bourgeoisie et  Le fantôme de la liberté forment une trilogie surréaliste. Buñuel préfère le terme de triptyque, « comme au Moyen Âge » ajoute t-il. « Les même thèmes, quelquefois même les mêmes phrases se retrouvent dans les trois films. Ils parlent de la recherche de la vérité, qu’il faut fuir dès que l’on croit l’avoir trouvée, du rituel social implacable. Ils parlent de la recherche indispensable, du hasard, de la morale personnelle, du mystère qu’il faut respecter. » (Extrait de l’autobiographie de Luis Buñuel « Mon dernier soupir »)

* Cameo : Au tout début du film, Luis Buñuel est l’un des quatre fusillés : le moine portant une barbe. A sa gauche, l’homme avec un bandeau sur le front est son producteur Serge Silberman.

(1) Luis Buñuel précise dans son autobiographie que cette scène est authentique : par haine des idées libérales introduites par Napoléon, le peuple espagnol criait « Vive les chaînes » au retour des Bourbons.
A noter que ces exécutions sont le sujet du tableau de Goya Tres de Mayo dont une reproduction ouvre le film.

Le Fantôme de la liberté (1974) de Luis Buñuel
La maitresse de maison (Alix Mahieux) place les invités à table…
Les rituels de notre société sont malmenés : ici, on défèque tout en discutant et on s’absente discrètement quelques minutes pour aller manger dans la cuisine.
(avec Marie-France Pisier, Jean Rougerie, …)

28 octobre 2014

Livre : Panorama impertinent du cinéma français (2014)

de Pierre Bas – Editions Vendémiaire – 664 pages (2 volumes en coffret) – 16 €

Panorama impertinent du cinéma français Scénariste de formation, Pierre Bas s’est mis en tête de dresser une typologie du cinéma français. En étudiant les fondements de plusieurs centaines de films, il est ainsi parvenu à définir 20 genres différents qu’il nomme et caractérise, non sans humour : le premier, par exemple est le « film pique-nique » dont le leitmotiv est « la campagne est la mère patrie de chaque Français ». Il y a aussi le « film bonne conscience », le film « France d’autrefois », etc. Dans chacun de ces genres, il donne une description et une analyse de chaque film, et fait même des regroupements en quelques sous-familles. Il aborde et juge les films essentiellement sur le plan du scénario. Il sait faire  preuve d’humour surtout lorsqu’il a la dent dure…

Ce Panorama impertinent du cinéma français couvre principalement les films sortis ces trente dernières années. Il est étonnamment assez complet en matière de films marquants. La démarche de Pierre Bas est intéressante car elle nous propose un chemin à la fois amusant et édifiant pour porter un regard nouveau sur notre cinéma national. Et, au-delà de la mise en évidence des ressors scénaristiques et des buts recherchés par les scénaristes ou producteurs, cette démarche a également un intérêt sociologique puisqu’elle nous renvoie l’image de notre propre société.

Voir la fiche du livre sur Livres-cinema.info
Le livre sur le site de l’éditeur
Le livre sur Amazon
ou en Librairies sur Price minister…

Remarque :
La première édition est parue en 2012 sous le titre « Je vous trouve très conformiste » (Editions Vendémiaire, 413 pages, 26 €). La présente édition au format poche a été complétée avec notamment les films sortis depuis cette date.