19 janvier 2018

Eyes Wide Shut (1999) de Stanley Kubrick

Eyes Wide ShutBill Hartford est un médecin aisé de la haute-société newyorkaise. Avec sa femme Alice, ils se rendent à la fastueuse réception d’un de ses clients. Il n’y connaît personne mais s’aperçoit que le pianiste est un ancien camarade de la faculté de médecine…
Basé sur une nouvelle du viennois Arthur Schnitzler, Traumnovelle (Rien qu’un rêve), datant de 1926 et qu’il suit très fidèlement, Eyes Wide Shut est l’ultime réalisation de Stanley Kubrick qui a hélas trouvé la mort peu après l’avoir achevé. C’est peut-être l’un des ses films les plus sous-estimés, le plus mal compris, assurément. Il a été boudé à sa sortie par les critiques qui attendaient « le film le plus sexy jamais réalisé » et qui furent déconcerté par ce film complexe sur le désir, l’attirance, la place de la sexualité mais aussi sur le couple, la fidélité, la tromperie et même la vérité. Kubrick a depuis longtemps admiré Schnitzler pour sa capacité à appréhender et à comprendre l’âme humaine et il parvient parfaitement à le mettre en images. Kubrick a pris son temps à la fois pour préparer le film et pour le tourner. Il prend aussi son temps pour dérouler cette histoire, une certaine placidité qui donne une grande profondeur à l’ensemble. Le film est aussi d’une grande beauté formelle, la perfection se nichant jusque dans les moindres détails. Eyes Wide Shut est certainement la plus belle interprétation de Tom Cruise et aussi de Nicole Kidman qui étaient alors mari et femme (Kubrick voulait absolument un couple d’acteurs). C’est un film dont on découvre la richesse à chaque nouvelle vision.
Elle: 5 étoiles
Lui : 5 étoiles

Acteurs: Tom Cruise, Nicole Kidman, Sydney Pollack, Todd Field
Voir la fiche du film et la filmographie de Stanley Kubrick sur le site IMDB.

Voir les autres films de Stanley Kubrick chroniqués sur ce blog…

Voir les livres sur Stanley Kubrick

Eyes Wide Shut
Tom Cruise et Nicole Kidman dans Eyes Wide Shut de Stanley Kubrick.

Eyes Wide Shut
Aucun projecteur classique n’a été utilisé dans la scène du bal de Eyes Wide Shut de Stanley Kubrick.

Remarques :
* Eyes Wide Shut a été tourné par Kubrick en format 4:3.
* Une fois le film terminé, Kubrick a déclaré qu’il considérait Eyes Wide Shut comme sa plus belle réalisation.
* La nouvelle d’Arthur Schnitzler, Traumnovelle, avait déjà inspiré le film La Ronde de Max Ophüls en 1950.
* Michel Chion replace très justement Eyes Wide Shut dans la lignée des « comédies du remariage » (comédies screwballs) des années trente. On pourrait dire que c’en est une variante philosophique…
* Seulement quelques plans sans acteur ont été tournés à New York, les rues de la Big Apple ont été reconstitués en studio. Dans quelques plans, Tom Cruise marche sur un tapis roulant.
* Kubrick a utilisé un type très spécial de pellicule Kodak (qui n’était plus fabriqué) dont il fait prolonger les temps de développement : cela lui permet de tourner en basse lumière.
* Caméo : Kubrick apparaît dans la scène du cabaret où joue le pianiste : il est l’un des clients à l’arrière-plan (visible lorsque le serveur apporte la commande).
* Pour éviter d’être classé X, des caches ont été rajoutés aux Etats-Unis dans les scènes d’orgie sous la forme de quelques personnages vus de dos qui masquent « l’action ». Le contrat signé par Kubrick permettait à la Warner de faire cela : il portait sur un film classé R (restricted = interdit aux moins de 17 ans non accompagnés) mais pas X (interdiction totale aux mineurs).

Eyes Wide Shut

Eyes Wide Shut
Tom Cruise dans Eyes Wide Shut de Stanley Kubrick.

A propos de l’adaptation :
Le scénario du film est très proche de la nouvelle d’Arthur Schnitzler. En fait, seul le personnage de Ziegler (Sydney Pollack) a été ajouté ainsi que la scène du bal au début du film (dans la nouvelle, le bal n’est qu’évoqué par la femme, plus tard). Même, les dialogues sont souvent ceux écrits par le viennois en 1925. La scène de l’orgie reprend le décorum et les habillements décrits dans la nouvelle, ce qui explique son décalage apparent avec notre monde actuel. Certaines scènes ont été tournées mais écartées au montage (notamment une scène heureuse du couple canotant sur un lac, certaines photos de tournage la montrent). L’empreinte de Freud était déjà très présente dans la nouvelle et Kubrick l’a encore renforcée.

Eyes Wide Shut
Tom Cruise dans un superbe plan de  Eyes Wide Shut de Stanley Kubrick.

Eyes Wide Shot
Sydney Pollack et Nicole Kidman dans Eyes Wide Shut de Stanley Kubrick.

Eyes Wide Shut
Tom Cruise et Nicole Kidman dans Eyes Wide Shut de Stanley Kubrick.

27 juin 2017

Barry Lyndon (1975) de Stanley Kubrick

Barry LyndonXVIIIe siècle. Barry est un jeune irlandais sans le sou, qui s’engage dans l’armée à la suite d’un duel, puis déserte, devient ensuite espion puis joueur, fait un mariage d’argent puis connait un irrémédiable déclin…
Après trois films situés dans le futur, Stanley Kubrick plonge dans le passé. Sa tentative de monter Napoléon ayant échouée, le réalisateur anglais jette son dévolu sur un roman picaresque écrit en 1843 par William Makepeace Thackeray (romancier anglais plus connu pour Vanity Fair, La Foire aux vanités). Cette vaste fresque de trois heures est universellement louangée. Il n’est donc point besoin de souligner la beauté des images, la précision des recherches pour une reconstitution très fidèle (la peinture du XVIIIe fut la principale source d’inspiration), les prouesses techniques de l’éclairage à la bougie, l’économie des dialogues dans les scènes fortes, la superbe musique : Haendel, Bach, Mozart, Vivaldi… que du XVIIIe bien entendu, seule entorse Schubert (XIXe)… et caetera. Tout cela est vrai et participe au plaisir de chaque nouvelle vision. Mais c’est aussi  l’occasion de remarquer que Barry Lyndon tire toute sa puissance et son universalité du fait qu’il nous fait plonger au plus profond de l’âme humaine (Stroheim n’est pas loin). Nous éprouvons pour son héros un mélange d’attirance/répulsion car le personnage condense beaucoup des travers de la nature humaine. Le film prend ainsi une autre dimension à nos yeux. A sa sortie, le film fut un échec… sauf en France.
Elle: 5 étoiles
Lui : 5 étoiles

Acteurs: Ryan O’Neal, Marisa Berenson, Patrick Magee, Hardy Krüger, Godfrey Quigley, Leonard Rossiter, Michael Hordern
Voir la fiche du film et la filmographie de Stanley Kubrick sur le site IMDB.

Voir les autres films de Stanley Kubrick chroniqués sur ce blog…

Voir les livres sur Stanley Kubrick

Barry Lyndon
Le premier plan du film Barry Lyndon de Stanley Kubrick… Woah, quelle composition de plan!

Barry Lyndon
Ryan O’Neal, Gay Hamilton et Leonard Rossiter dans Barry Lyndon de Stanley Kubrick.

Barry Lyndon

Barry Lyndon
Murray Melvin et Marisa Berenson dans Barry Lyndon de Stanley Kubrick.
Pour les fameuses scènes éclairées à la bougie, Kubrick avait réussi à mettre la main sur trois objectifs Zeiss 50mm f0.7 restant d’une commande pour la NASA. Inutile de dire qu’à cette ouverture, la profondeur de champ était passablement réduite et les acteurs ne devaient pas trop bouger de leur place. Il y avait juste un très léger éclairage venant du dessus mais l’essentiel venaient des bougies. Dans le même ordre d’idée (la recherche d’authenticité), l’essentiel des éclairages des scènes intérieures de jour venaient des fenêtres (quitte à ajouter des gros spots à l’extérieur pour stabiliser l’éclairage).

Barry Lyndon
Ryan O’Nealet et Marisa Berenson dans Barry Lyndon de Stanley Kubrick.

20 octobre 2016

Lolita (1962) de Stanley Kubrick

LolitaUn professeur cinquantenaire tombe désespérément amoureux de la fille de sa logeuse… La réputation sulfureuse du roman de Nobokov rendait son adaptation délicate. La première difficulté était bien entendu de pouvoir passer la censure et de faire accepter le projet par les ligues de vertu, alors très puissantes. Faire vieillir Lolita de quelques années fut le premier stratagème : au lieu d’avoir 12 ans comme dans le roman, l’actrice Sue Lyon en avait 14 au moment du tournage et en paraissait deux de plus. Il fallut bien aussi mettre en sourdine l’aspect érotique du récit. Mais la difficulté principale était d’avoir suffisamment de talent pour ne pas faire de cette description d’un amour obsessionnel une histoire salace ou sordide. Du talent, Kubrick en a et, tout comme le charme du roman de Nabokov doit beaucoup à la très grande qualité de son écriture, le film Lolita est plus séduisant par le traitement qu’en fait Kubrick. Sa façon de construire ses scènes est assez remarquable. Côté acteurs, il leur a laissé une part d’improvisation et cela augmente d’autant l’authenticité. James Mason a juste ce qu’il faut d’ironie distante et Kubrick accentue le ton sardonique du récit avec le personnage joué par Peter Sellers, dont l’humour peut paraître décalé mais qui participe à l’équilibre global. En quelque sorte, il nous fait prendre du recul. Kubrick est aussi ironique envers l’american way of life avec l’insupportable mère de Lolita, jouée par Shelley Winters. La jeune Sue Lyon est étonnante par son alliance de charme et de complexité, exprimant toute l’ambigüité de son rôle : dès sa première scène, on se demande s’il s’agit d’une ingénue ou d’une manipulatrice. On ne le saura jamais. En revanche, le glissement de James Mason vers la folie est patent et son obsession pour une chose qu’il ne peut posséder finit par nous émouvoir.
Elle:
Lui : 4 étoiles

Acteurs: James Mason, Shelley Winters, Sue Lyon, Peter Sellers
Voir la fiche du film et la filmographie de Stanley Kubrick sur le site IMDB.

Voir les autres films de Stanley Kubrick chroniqués sur ce blog…

Voir les livres sur Stanley Kubrick

Lolita
Sue Lyon dans Lolita de Stanley Kubrick.

Lolita
James Mason et Sue Lyon dans Lolita de Stanley Kubrick.

Lolita
Marianne Stone et Peter Sellers (au premier plan) écoutent subrepticement James Mason et Sue Lyon (à l’arrière plan) dans Lolita de Stanley Kubrick.

Remarques :
* Kubrick avait demandé à Nabokov d’écrire le scénario et s’en mordit les doigts quand il reçut un manuscrit de 400 pages. Il entreprit alors de le simplifier et de le transformer… Nabokov a estimé que Kubrick n’avait utilisé qu’environ vingt pour cent de son texte tout en s’estimant heureux du résultat.

* Kubrick a beaucoup développé le personnage de Clare Quilty (Peter Sellers) .

* Stanley Kubrick raconte : « L’un des problèmes majeur avec le livre, et avec le film, même dans son adaptation, c’est que le principal intérêt de l’histoire se résume à la question : « Est-ce qu’Humbert va coucher avec Lolita ? » … Pour éviter ce problème dans le film, Nabokov et moi, nous sommes tombés d’accord pour qu’Humbert tue Quilty sans explication dès le début, pour faire en sorte que le public se demande pendant tout le film ce que Quilty avait bien pu faire. » (interview de Joseph Gelmis, 1970)

* A l’origine, Peter Sellers devait se déguiser en femme pour jouer le rôle du psychologue scolaire (il existe une photo de tournage où l’on voit Sellers ainsi déguisé). Mais au dernier moment, Sellers et Kubrick sont tombés d’accord pour dire que ce serait trop exagéré et le personnage du Docteur Zemph fut inventé sur place.

Remake :
Lolita d’Adrian Lyne (1997) avec Jeremy Irons, Dominique Swain, Melanie Griffith

5 décembre 2014

L’ultime razzia (1956) de Stanley Kubrick

Titre original : « The Killing »

L'ultime razziaRécemment sorti de prison, Johnny Clay a mis au point le braquage d’un hippodrome pour mettre la main sur l’argent des paris. Il s’est allié le concours de quelques complices aux motivations très diverses pour mettre en oeuvre son plan très précis. Le jour du braquage arrive… Troisième long métrage de Stanley Kubrick, The Killing est son premier film majeur. Il s’agit d’un film noir. Si le sujet peut être qualifié de classique, un braquage, le traitement ne l’est absolument pas. C’est la construction qui frappe en premier les esprits : au lieu d’un récit chronologique, Kubrick mêle présent et flash-back, fait des retours en arrière pour décrire le parcours de chacun le jour du braquage (1). L'ultime razziaCette construction, un peu déroutante au début, apporte une vraie richesse à une histoire simple qui en ressort magnifiée. Le facteur humain et quelques objets ou détails mineurs sont mis en avant, ile seront les grains de sable. Dénué de tout maniérisme et d’effets inutiles, parfaitement dosé et équilibré, The Killing montre une grande maitrise de la part d’un réalisateur de 28 ans.
Elle:
Lui : 4 étoiles

Acteurs: Sterling Hayden, Marie Windsor, Elisha Cook Jr., Jay C. Flippen
Voir la fiche du film et la filmographie de Stanley Kubrick sur le site IMDB.
Voir les autres films de Stanley Kubrick chroniqués sur ce blog…

Voir les livres sur Stanley Kubrick

Remarque :
* Stanley Kubrick rend hommage à la tradition du film noir en prenant de nombreux acteurs habitués du genre et des séries B dans les rôles secondaires, et comme acteur principal, Sterling Hayden, le héros de Quand la ville dort (Asphalt Jungle) de John Huston (1950).

(1) Quentin Tarantino a mentionné la construction de The Killing comme source d’inspiration pour Reservoir Dogs.

The Killing de Stanley Kubrick (1956)

27 juin 2014

Livre : The Making Of Stanley Kubrick’s « 2001 – A Space Odyssey » (2014)

par Piers Bizony (Editions Taschen)

The Making Of Stanley Kubrick's 2001(19 x 44 cm, 1386 pages) L’éditeur Taschen vient d’éditer un remarquable ouvrage sur le film de Stanley Kubrick 2001, l’odyssée de l’espace dans un coffret métallique en forme de monolithe. L’éditeur précise que « cet ensemble de quatre volumes abondamment illustrés présente des centaines de photos et de documents inédits, ainsi qu’un témoignage personnel du coscénariste de Kubrick, Arthur C. Clarke. (…)
The Making Of Stanley Kubrick's 2001Volume 1 : Photographies de plateau
Volume 2 : Dans les coulisses (inclus des entretiens avec les acteurs principaux, les chefs décorateurs et les experts en effets spéciaux)
Volume 3 : Fac-similé du scénario original
Volume 4 : Fac-similé des notes de production originales de 1965
Bonus surprise: une petite BD comique.  »

Cette édition-monument en anglais est limitée à 1500 exemplaires. Elle est vendue 500 € …

Il s’agit en fait d’une version très enrichie d’un livre de Piers Bizony 2001: Filming the Future (Aurum Press, 1994) qui a été traduit en français sous le titre 2001, le futur selon Kubrick (Ed. Cahiers du cinéma, 2000), livres hélas très difficiles à trouver aujourd’hui.

Voir la fiche du livre sur Livres-cinema.info
Voir la présentation sur le site de Taschen

 

 

26 juillet 2013

Fear and Desire (1953) de Stanley Kubrick

Fear and DesireDans une guerre que l’on nous dit imaginaire, quatre soldats se retrouvent derrière les lignes ennemies après le crash de leur avion. Ils errent dans une forêt inconnue, cherchant à rejoindre leur unité… Fear and Desire est le premier long métrage de Stanley Kubrick, celui que si peu de personnes avait vu puisque Kubrick avait pris soin de le retirer de la circulation. C’est certainement sa recherche constante du perfectionnisme qui explique cette décision mais le film est loin d’être sans intérêt. Dans un environnement hostile, c’est une quête de la vérité que poursuivent ces quatre hommes, la vérité sur la nature de l’homme. Le film n’est pas sans maladresse (l’abondance trop importante de gros plans par exemple, traduction la plus visible d’une certaine influence du cinéma soviétique) mais si l’on replace Fear and Desire dans le contexte de son époque, le film nous apparaît étonnamment différent sur le fond et inventif sur la forme. Kubrick assimile ses influences et expérimente. On peut s’amuser à y rechercher les éléments qui préfigurent ses films futurs (1). Fear and Desire nous permet d’assister à la naissance d’un grand cinéaste.
Elle:
Lui : 3 étoiles

Acteurs: Frank Silvera, Kenneth Harp, Paul Mazursky, Stephen Coit, Virginia Leith
Voir la fiche du film et la filmographie de Stanley Kubrick sur le site IMDB.
Voir les autres films de Stanley Kubrick chroniqués sur ce blog…

Remarques :
* Fear and Desire a été tourné avec un très petit budget, dans les montagnes de San Gabriel en Californie, sans bande son, les voix ayant été rajoutées en studio. Cela se sent nettement mais, tout compte fait, cette étrangeté de la bande sonore ajoute au caractère allégorique du film.
* En 1953, le film a été distribué dans quelques salles Art et Essai new-yorkaises où il était projeté en double programme avec L’Enjôleuse de Buñuel.
* Le scénario a été écrit par Howard Sackler, poète et ami de Kubrick.

(1) Le plus étonnant à mes yeux étant cette rencontre de deux des personnages avec leurs alter-ego plus âgés qui préfigure celle de Bowman à la fin de 2001.

25 mai 2013

Le baiser du tueur (1955) de Stanley Kubrick

Titre original : « Killer’s Kiss »

Le baiser du tueurEn attendant de prendre le train qui va l’emmener loin de New York, un homme se remémore les évènements des trois derniers jours, comment il s’est mis « dans un sacré pétrin »… Alors âgé de 27 ans, Stanley Kubrick a tourné Le baiser du tueur avec un budget extrêmement réduit, filmant de façon quasiment clandestine dans les rues, tout en décors naturels dans un esprit proche de la Nouvelle Vague. Il en a écrit lui-même le scénario en s’inspirant du climat des livres policiers de Mickey Spillane. Le film n’est pas sans défaut : l’histoire est tout de même assez faible, la direction d’acteurs reste rudimentaire et la postsynchronisation enlève beaucoup de naturel. Toutefois, le film porte en lui beaucoup d’inventivité dans les plans et de soin à leur mise en place, préfigurant ainsi les films futurs du cinéaste. Certaines scènes sont remarquables : le combat de boxe est vraiment étonnant par les multiples angles de caméra et la scène de bagarre dans l’entrepôt de mannequins est une belle trouvaille.
Elle:
Lui : 3 étoiles

Acteurs: Frank Silvera, Jamie Smith, Irene Kane
Voir la fiche du film et la filmographie de Stanley Kubrick sur le site IMDB.

Voir les autres films de Stanley Kubrick chroniqués sur ce blog…

Remarques :
* Ayant utilisé un magnétophone non professionnel, Kubrick a été forcé de postsynchroniser bruitages et dialogues. L’actrice Irene Kane n’étant alors plus disponible, c’est la voix d’une autre actrice, Peggy Lobin, que l’on entend.
* La ballerine est interprétée par Ruth Sobotka qui est la soeur d’Irene Kane également dans la vie réelle. A noter que cette scène constitue un second niveau de flashback, procédé plutôt rare alors.

12 février 2013

Shining (1980) de Stanley Kubrick

Titre original : « The Shining »

ShiningUn ex-professeur qui essaie d’écrire un roman est embauché pour garder un vaste hôtel isolé dans les montagnes du Colorado pendant les longs mois d’hiver. Avec sa femme et son jeune fils, ils vont rester seuls pendant de nombreux mois dans cette immense demeure qui reste marquée par son passé…… Adaptation d’un roman de Stephen King, Shining est l’un des films les plus effrayants qui soient, l’irruption de la folie meurtrière chez un écrivain en panne d’inspiration sous l’influence de phénomènes plutôt surnaturels. Kubrick ne se conforme à aucun moment aux règles classiques du genre de l’épouvante pour livrer un film très créatif et totalement inégalé, un film qui peut être abordé et interprété de multiples manières. Dans sa forme, Shining est une merveille : tourné presque entièrement à la Steadycam, procédé alors très nouveau, le film regorge de plans audacieux, de travelings inoubliables comme ces plans où l’on suit le petit garçon qui pédale à toute allure sur son tricycle. Stanley Kubrick utilise merveilleusement le dédale des interminables couloirs, l’immensité des pièces et l’atmosphère de cette vaste bâtisse du début du siècle. La minutie et le perfectionnisme légendaire du réalisateur transparaît dans chacune des scènes. Shining est un film à nul autre pareil.
Elle: 4 étoiles
Lui : 5 étoiles

Acteurs: Jack Nicholson, Shelley Duvall, Danny Lloyd
Voir la fiche du film et la filmographie de Stanley Kubrick sur le site IMDB.
Voir les autres films de Stanley Kubrick chroniqués sur ce blog…

Remarques :
Shining* La version initiale et complète dure 146 minutes. Après quelques jours d’exploitation, Kubrick a coupé la scène finale (un happy end qui montrait Wendy et Danny à l’hôpital pour nous faire savoir qu’ils étaient sauvés) et ramené ainsi la durée à 142 minutes. Pour la sortie en Europe, des coupes furent faites par le réalisateur pour faire une version de 115 minutes ; les coupes portent surtout sur Tony, l’ami imaginaire du garçon et sur l’explication de ses pouvoirs.

* L’hôtel qui a servi pour le tournage des extérieurs est le Timberline Lodge sur la montagne Mt Hood dans l’Oregon, hôtel qui, lui, reste ouvert pendant l’hiver…! Les intérieurs ont été tournés en studios en Angleterre.

* Stephen King a précisé que le titre The Shining lui avait été inspiré par les paroles d’Instant Karma de John Lennon (« We all shine on…… »)

Diane Arbus - Jumelles identiques (Roselle, New Jersey, 1967)* L’image des deux fillettes est très directement inspirée (on pourrait même dire, copiée) de la célèbre photographie de Diane Arbus : « Jumelles identiques (Roselle, New Jersey, 1967) »

* Stanley Kubrick avait pris soin que Danny Lloyd (âgé de 6 ans) ne se rende pas compte du contenu réel du film. L’enfant pensait jouer dans un film classique. Danny Lloyd n’a vu une version expurgée qu’à l’âge de 13 ans et n’a pu voir le film en entier qu’à l’âge de 17 ans.

* Le proverbe « All work and no play makes Jack a dull boy », bêtement traduit par « Un tien vaut mieux que deux tu l’auras », signifie en réalité « à toujours travailler sans pouvoir s’amuser, les enfants s’abrutissent », ce qui donne un sens ironique et plus monstrueux à la scène.

18 septembre 2012

Orange mécanique (1971) de Stanley Kubrick

Titre original : « A clockwork orange »

Orange mécaniqueDans un futur proche, le jeune Alex et ses trois compagnons prennent plaisir à se livrer à de très violentes agressions. Il est arrêté et se propose pour suivre un traitement expérimental… A sa sortie, Orange mécanique fit forte sensation, un film superbe mais fortement dérangeant. Cette adaptation d’un roman d’Anthony Burgess arrivait à une époque où naissait une querelle entre prisons et hôpitaux : ne faut-il pas  mieux guérir la violence plutôt que la punir ? Orange mécanique apporte sa réponse en nous montrant que le libre arbitre est le bien le plus précieux et qu’il doit être préservé quel qu’en soit le prix (donc même si cela signifie de ne rien pouvoir faire contre cette violence). La forme que Kubrick donne à son film en a décuplé l’impact : par ses décors, en prenant les éléments de la pop culture de ce début des années soixante dix (habillement, décoration, art) pour les généraliser à l’ensemble de la société, mais aussi par ses superbes travellings, ses effets (ralentis), sa voix-off avec ce langage inventé, mélange d’anglais et de russe, et bien entendu par cette magnifique utilisation de la musique classique qui donne une grande dimension à de nombreuses scènes (ou parfois apportent de l’humour comme cette Ouverture de Guillaume Tell sur une scène de partouze en accéléré). Le magnétisme qui se dégage de l’interprétation de Malcom McDowell contribue également à rendre le film difficilement oubliable, même aujourd’hui quarante ans après sa sortie.
Elle: 4 étoiles
Lui : 5 étoiles

Acteurs: Malcolm McDowell, Patrick Magee, Michael Bates, Warren Clarke, Adrienne Corri
Voir la fiche du film et la filmographie de Stanley Kubrick sur le site IMDB.

Voir les autres films de Stanley Kubrick chroniqués sur ce blog…

Remarques :
* Le titre Orange mécanique fait référence à l’état d’Alex après son traitement : bien qu’il ait l’apparence d’un être humain (l’orange), il n’est qu’un automate.
* Alex et ses acolytes sont censés avoir 15 ans. Malcom McDowell en avait 27 au moment du tournage et n’a nullement l’apparence d’un adolescent.

9 janvier 2012

Docteur Folamour (1964) de Stanley Kubrick

Titre original : « Dr. Strangelove or: How I learned to stop worrying and love the bomb »

Docteur FolamourAtteint de paranoïa aigue, un général américain lance une flotte de bombardiers porteurs de bombes nucléaires sur l’U.R.S.S. Il coupe toute communication pour empêcher de les rappeler. Son but est de forcer son pays à entrer en guerre générale… Avec Docteur Folamour, Stanley Kubrick choisit l’humour pour souligner les dangers de l’escalade de l’armement nucléaire (1). La force de cette histoire est de reposer sur des bases assez réalistes, presque documentaires par certains aspects, et d’avoir des personnages particulièrement haut en couleur. Dépeindre les dirigeants politico-militaires comme des fous qui ne contrôlent rien est hautement subversif. Côté acteurs, le plus remarquable est bien entendu Peter Sellers qui interprète trois rôles différents (2), dont le fameux Docteur Folamour, transfuge allemand qui ne peut s’empêcher de faire le salut nazi quand il s’enthousiasme un peu trop… Tout aussi savoureuse est la performance de George C. Scott qui réussit à ne jamais trop surjouer son personnage caricatural de général belliciste (3). Slim Pickens est également assez mémorable en pilote texan à l’accent à couper au couteau. Il est difficile de ne pas noter les nombreuses allusions sexuelles, à commencer par le générique (le ravitaillement en vol d’un bombardier sur une chanson d’amour), le nom des personnages (4), la petite amie du général (scène mémorable du coup de téléphone pendant qu’il est aux toilettes), etc. Comme l’ont fait remarquer certains historiens, cette façon de faire la collusion entre sexe et politique rapproche Kubrick de Buñuel. Le film eut beaucoup de succès et reste toujours aussi drôle aujourd’hui. Docteur Folamour est un petit chef d’œuvre d’humour noir.
Elle: 5 étoiles
Lui : 5 étoiles

Acteurs: Peter Sellers, George C. Scott, Sterling Hayden, Slim Pickens, Peter Bull, James Earl Jones, Tracy Reed
Voir la fiche du film et la filmographie de Stanley Kubrick sur le site IMDB.

Voir les autres films de Stanley Kubrick chroniqués sur ce blog…

Remarques :
(1) L’humour n’était pas l’intention première de Kubrick. Le roman dont l’histoire est tirée est un livre très sérieux : « Red Alert » (ou « Two hours to doom ») de l’anglais Peter George (alias Peter Bryant, un ex-militaire). Mais après le choix de Peter Sellers comme acteur principal et une première approche du scénario, Kubrick engagea Terry Southern, le roi de la comédie satirique, pour réécrire le tout dans une optique plus loufoque.
(2) C’est la Columbia qui a insisté pour que Peter Sellers joue plusieurs rôles. Il l’avait déjà fait avec grand succès dans La souris qui rugissait de Jack Arnold (1959). Il était même prévu qu’il joue aussi le pilote de l’avion mais l’acteur refusa.
(3) George C. Scott et Kubrick n’étaient pas pleinement d’accord sur l’orientation à donner au personnage. Pour avoir ce qu’il voulait, Kubrick aurait demandé à Scott d’exagérer son personnage dans les premières prises comme entrainement, en promettant de ne pas utiliser ces prises. Bien entendu, il les utilisa. Quand le film fut terminé, George C. Scott aurait juré de ne plus jamais travailler pour Kubrick. Il faut noter également que George C. Scott n’est pas exactement un antimilitariste…
(4) Le général s’appelle Buck Turgidson (Buck = mâle, Turgid = enflé) alors que sa partie de jambes en l’air est toujours remise. Le président se nomme Merkin Muffley (Merkin = faux poils pubiens, Muff= grosse bourde mais aussi, toujours en argot, le sexe féminin) et il est chauve ! (Merkin est aussi un terme péjoratif utilisé par les anglais pour désigner un américain.) On peut aussi noter que Mandrake = mandragore qui est un aphrodisiaque, que le nom de l’ambassadeur russe, De Sadeski, est évidemment une référence à Sade, etc.

A voir aussi, sorti la même année,  le même sujet traité de façon très différente :
Point Limite le très beau film de Sidney Lumet (1964) avec Henri Fonda