8 décembre 2014

Last Seduction (1994) de John Dahl

 Titre original : « The Last Seduction »

Last SeductionAprès avoir poussé à son mari de faire un coup, Bridget s’enfuit avec le magot le laissant seul avec ses dettes. Elle arrive dans une petite ville perdue au nord de New York où elle ne tarde pas à rencontrer sa prochaine victime… Avec Last Seduction, John Dahl tente de faire revivre la grande époque du film noir et le mythe de la femme fatale. Linda Fiorentino est coiffée à la Veronica Lake pour incarner cette manipulatrice sans scrupule, avec un accent ouvertement mis sur la sexualité et une certaine crudité des dialogues. Dans ce sens, nous sommes assez loin des années quarante où l’on cultivait l’art de la subtilité et de la suggestion. John Dahl réussit tout de même son pari grâce à la performance de son actrice principale. Après un beau départ, l’histoire tourne quelque peu en rond avant de nous offrir une fin plus étoffée. Last Seduction a été produit par une compagnie de télévision (ITC) et a d’abord été diffusé sur la chaîne HBO avant de sortir en salles.
Elle:
Lui : 3 étoiles

Acteurs: Linda Fiorentino, Bill Pullman, Peter Berg
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Remarque :
* L’auteur du scénario est Steve Barancik.

Last Seduction de John Dahl (1994)
Linda Fiorentino, femme fatale dans The Last Seduction de John Dahl.

5 décembre 2014

L’ultime razzia (1956) de Stanley Kubrick

Titre original : « The Killing »

L'ultime razziaRécemment sorti de prison, Johnny Clay a mis au point le braquage d’un hippodrome pour mettre la main sur l’argent des paris. Il s’est allié le concours de quelques complices aux motivations très diverses pour mettre en oeuvre son plan très précis. Le jour du braquage arrive… Troisième long métrage de Stanley Kubrick, The Killing est son premier film majeur. Il s’agit d’un film noir. Si le sujet peut être qualifié de classique, un braquage, le traitement ne l’est absolument pas. C’est la construction qui frappe en premier les esprits : au lieu d’un récit chronologique, Kubrick mêle présent et flash-back, fait des retours en arrière pour décrire le parcours de chacun le jour du braquage (1). L'ultime razziaCette construction, un peu déroutante au début, apporte une vraie richesse à une histoire simple qui en ressort magnifiée. Le facteur humain et quelques objets ou détails mineurs sont mis en avant, ile seront les grains de sable. Dénué de tout maniérisme et d’effets inutiles, parfaitement dosé et équilibré, The Killing montre une grande maitrise de la part d’un réalisateur de 28 ans.
Elle:
Lui : 4 étoiles

Acteurs: Sterling Hayden, Marie Windsor, Elisha Cook Jr., Jay C. Flippen
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Remarque :
* Stanley Kubrick rend hommage à la tradition du film noir en prenant de nombreux acteurs habitués du genre et des séries B dans les rôles secondaires, et comme acteur principal, Sterling Hayden, le héros de Quand la ville dort (Asphalt Jungle) de John Huston (1950).

(1) Quentin Tarantino a mentionné la construction de The Killing comme source d’inspiration pour Reservoir Dogs.

The Killing de Stanley Kubrick (1956)

14 novembre 2014

Les Passagers de la nuit (1947) de Delmer Daves

Titre original : « Dark Passage »

Les passagers de la nuitCondamné pour un crime qu’il n’a pas commis, Vincent Parry parvient à s’évader de la prison de Saint Quentin. Il est recueilli par une jeune femme qui a toujours cru à son innocence… Adapté d’un roman policier de David Goodis, Les Passagers de la nuit est le troisième film du couple mythique Humphrey Bogart / Lauren Bacall. Dans les deux premiers (Le Port de l’angoisse et Le Grand Sommeil), le face à face était quelque peu électrique et, sur ce point, le film de Delmer Daves est décevant. D’une part, Bogart n’apparaît à l’écran sous son vrai visage qu’à la 62e minute (pour s’empresser de quitter aussitôt l’appartement de Lauren Bacall) et, d’autre part, rien ne passe entre eux cette fois. Le pari était audacieux : ne pas montrer le visage du héros pendant toute la première moitié est risqué quand il s’agit d’une grande star (1). Seule sa voix est reconnaissable. Quelques mois après La Dame du Lac de Robert Montgomery, Les Passagers de la nuit utilise en effet le procédé de la caméra subjective, une façon habile de coller au scénario, certes, mais qui se révèle au final plutôt frustrant pour le spectateur. On peut aussi trouver que le scénario est bien peu crédible. Les Passagers de la nuit apparaît plus comme une curiosité.
Elle:
Lui : 3 étoiles

Acteurs: Humphrey Bogart, Lauren Bacall, Bruce Bennett, Agnes Moorehead
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Remarque :
* Cameo : Sur la coupure de journal que Bogart trouve dans le tiroir, la photo du père de Lauren Bacall est celle de Delmer Daves, le réalisateur. Et, dans la gare routière à la fin du film, lorsque l’homme seul tente de nouer contact avec une femme et deux enfants, les deux enfants sont les propres enfants de Delmer Daves.

(1) Rappelons qu’à cette époque Humphrey Bogart était l’acteur le mieux payé d’Hollywood.

8 novembre 2014

La Dame du lac (1947) de Robert Montgomery

Titre original : « Lady in the Lake »

La dame du lacLe détective Phillip Marlowe (1) est chargé par la directrice de collection d’un grand éditeur de retrouver la femme disparue de son patron. Elle espère ainsi que son patron pourra divorcer de sa femme volage et l’épouser, elle… La Dame du lac est adapté d’un roman de Raymond Chandler. Ce film est entré dans l’histoire du cinéma comme étant le premier film entièrement réalisé en vision subjective c’est-à-dire que nous sommes à la place du détective privé et nous voyons ce qu’il voit. Les personnages s’adressent à nous en nous regardant, brisant ainsi le plus grand interdit du cinéma, le fameux « regard caméra ». Le seul moment où nous voyons le héros, c’est lorsqu’il se regarde dans une glace. C’est l’acteur Robert Montgomery qui a su convaincre la MGM de se lancer dans cette entreprise périlleuse et de lui en confier la réalisation (2). Le résultat est assez surprenant, assurément original, plutôt intense lors des tête-à-tête, parfois spectaculaire (lorsque l’on se prend un coup de poing en pleine figure par exemple). La dame du lac En revanche, le procédé peut encourager les acteurs à sur-jouer et le héros manque fatalement d’épaisseur. Entre outre, on peut penser que, assez paradoxalement, le procédé gêne, plus qu’il ne favorise, l’identification du spectateur avec le personnage puisque celui-ci a des réactions qui diffèrent de celles qu’il aurait eues ou, plus simplement, qu’il aimerait voir (3). Audrey Totter est superbe et fait une très belle prestation ; du fait de l’ « absence » du héros, elle est d’ailleurs le personnage le plus fort du film.
Elle:
Lui : 4 étoiles

Acteurs: Robert Montgomery, Audrey Totter, Lloyd Nolan, Leon Ames
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Remarques :
* Avant La Dame du lac, plusieurs films comportaient quelques scènes en caméra subjective. On peut notamment citer le début de Docteur Jekyll et Mr. Hyde (1931) de Rouben Mamoulian. Orson Welles a eu, lui aussi, un projet de film entièrement en caméra subjective.

* Pour écrire l’adaptation, Raymond Chandler s’est en réalité basé sur trois de ses nouvelles : The Lady in the Lake (1939), Bay City Blues (1937) et No Crime in the Montains (1941).

* Dans une lettre à son ami Alex Barris, Raymond Chandler a un jugement très sévère sur le film : «  La technique oeil-de-la-caméra dans Lady in the Lake, c’est un vieux truc à Hollywood. Tous les jeunes scénaristes et les jeunes metteurs en scènes l’ont essayée. « Faisons de la caméra un personnage » ; à un moment ou à un autre, on a entendu ça à toutes les tables de Hollywood.  J’ai connu un type qui voulait que la caméra soit l’assassin ; et ça ne pourrait marcher qu’à condition de tricher énormément. La caméra est trop honnête. » Raymond Chandler dans Lettres, Ed. Christian Bourgeois ou 10/18.

La Dame du Lac - The Lady in the Lake

(1) Le prénom de Philip Marlowe est écrit avec deux « l » dans La dame du lac (inscriptions sur la fenêtre de son bureau dont l’ombre est énorme sur le mur). Est-ce de l’humour de la part de Montgomery ou le reflet de dissensions avec Chandler ? On ne le sait. Ce qui est clairement de l’humour en revanche, c’est le nom au générique de l’actrice interprétant Chrystal Kingsby et, en plus, ce surprenant jeu de mot est en français (il faut mieux éviter de le comprendre dans le générique de début car cela déflore l’énigme).

(2) Auparavant, Robert Montgomery n’avait réalisé qu’une partie de They Were Expendable de John Ford.

(3) On pourra objecter que le problème est le même pour un roman écrit à la première personne. Ce n’est pourtant pas vraiment le cas. La matérialité de l’image engendre des mécanismes différents d’identification. Notons également que, affranchis de ce problème de divergence héros/spectateur grâce à la possibilité d’une interactivité, les jeux vidéo ont réintroduit massivement le principe de la caméra subjective.

26 septembre 2014

Les Intrigantes (1954) de Henri Decoin

Les intrigantesLe très connu directeur de théâtre Paul Rémi est accusé d’avoir poussé son associé Bazine d’une haute passerelle. C’est une lettre anonyme à la police qui le désigne comme un meurtrier alors qu’il affirme qu’il s’agit d’un accident… Les Intrigantes est un film policier signé Henri Decoin, réalisateur dont les meilleurs films sont précisément dans ce genre. C’est un film dont on parle assez peu et, lorsqu’il est cité, c’est souvent du fait de la présence de Jeanne Moreau, ici dans l’un de ses premiers rôles assez convaincants. Pourtant, Les Intrigantes est un film qui ne manque pas d’attrait avec une intrigue bien mise en place. Son intérêt principal est toutefois de nous faire partager la vie d’un théâtre et d’une petite troupe qui met sur pied une pièce qu’ils savent être de piètre qualité (l’auteur de la pièce est interprété par Louis de Funès, ici dans un rôle non comique). L’ensemble manque un peu de puissance, reste en deçà des meilleurs films d’Henri Decoin, mais se regarde sans déplaisir.
Elle:
Lui : 3 étoiles

Acteurs: Raymond Rouleau, Jeanne Moreau, Raymond Pellegrin, Etchika Choureau, Louis de Funès, Robert Hirsch
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Remarques :
* Les intrigantes est adapté d’un roman policier de Jacques Robert, La Machination. L’auteur a participé à l’écriture du scénario.
* Impossible de ne pas remarquer ce plan assez étonnant où le visage de Jeanne Moreau se reflète dans les verres de lunettes de Raymond Pellegrin qui la maintient au sol (le reflet aurait certainement gagné à être un peu moins net). Ce plan fait penser au célèbre plan de L’Inconnu du Nord-Express d’Alfred Hitchcock (1951).

Les IntrigantesJeanne Moreau dans Les Intrigantes de Henri Decoin.

24 septembre 2014

Meurtre d’un bookmaker chinois (1976) de John Cassavetes

Titre original : « The Killing of a Chinese Bookie »

Meurtre d'un bookmaker chinoisCosmo est le propriétaire d’une boite de striptease un peu minable en Californie. Pour payer une dette de jeu à la Mafia, il se voit proposer d’aller tuer un riche bookmaker chinois bien protégé…
A l’énoncé du début de l’histoire de Meurtre d’un bookmaker chinois, on peut s’attendre à un film noir assez classique. Le film de John Cassavetes n’a toutefois rien de conventionnel. L’intrigue et le suspense ne sont ici qu’une toile de fond, ce qui intéresse Cassavetes est de dresser le portrait de son personnage principal, un portrait finalement assez complexe. Cosmo est à la fois lucide et naïf, un hédoniste nageant dans le mauvais goût, paternaliste avec ses girls avec lesquelles il entretient des rapports d’amitié voire plus ; il veut jouir de la vie. Ce type de personnage est tout à fait à l’opposé de ceux que l’on rencontre traditionnellement dans les films noirs. Les truands le sont sans doute un peu moins mais Cassavetes les montre plus vrais que nature, sans édulcoration. John Cassavetes a une fois de plus une approche très personnelle qui rend son film assez unique.
Elle:
Lui : 3 étoiles

Acteurs: Ben Gazzara, Timothy Carey, Seymour Cassel
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Meurtre d'un bookmaker chinois (The Killing of a Chinese Bookie)Ben Gazzara dans Meurtre d’un bookmaker chinois (The Killing of a Chinese Bookie) de John Cassavetes.

13 août 2014

Chair de poule (1963) de Julien Duvivier

Chair de pouleUn évadé, une station service restaurant isolée tenue par un couple dépareillé, un mari affable mais un peu trop âgé pour sa jeune et jolie femme… voilà qui rappelle singulièrement Le facteur sonne toujours deux fois. Pourtant Chair de poule est l’adaptation d’un roman de, non pas James Cain, mais James Hadley Chase (1). C’est l’avant-dernier film de Julien Duvivier, à une époque où il vivait mal les critiques des défenseurs de la Nouvelle Vague envers son cinéma (2). Cette histoire assez noire semble donc bien coller avec son état d’esprit car c’est la noirceur de l’âme humaine qui est ici mise au grand jour. Le moteur des personnages n’est pas l’attirance sexuelle mais le simple appât du gain et la droiture n’est pas récompensée, elle n’a ici pas droit de cité. La réalisation de Duvivier est sans faille, avec de nombreuses scènes fortes et une distribution très riche par la palette de personnages différents : même Jean Sorel, un choix assez critiqué, est ici parfait car sa prestance est justement en décalage total avec l’histoire. Dans le genre policier très noir, Chair de poule est une des plus belles réussites françaises des années soixante et il est vraiment injuste qu’il ait été si longtemps méprisé.
Elle:
Lui : 5 étoiles

Acteurs: Robert Hossein, Jean Sorel, Catherine Rouvel, Georges Wilson, Lucien Raimbourg
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(1) L’écrivain James Hadley Chase a eu la fâcheuse tendance à s’inspirer un peu trop fortement des oeuvres de ses confrères. Il fut condamné plusieurs fois pour cette pratique. Le titre du roman ici adapté est « Come easy –- Go easy » paru en France dans la Série Noire sous le titre « Tirez la chevillette ! » (Gallimard Série noire n° 544, 1960, La Poche noire n° 139, 1971, Carré noir n° 71, 1972).
(2) Les critiques des Cahiers du Cinéma tiraient à boulets rouges sur les réalisateurs de ce qu’ils appelaient la « qualité française » : Julien Duvivier, Claude Autant-Lara, Henri Decoin, … Cette intransigeance mêlée de mépris a fortement marqué toute une génération de cinéphiles, bien au-delà de son époque puisque l’on peut en déceler encore quelques restes aujourd’hui. Avec le recul, on mesure mieux toutefois à quel point ce rejet catégorique était excessif et injuste.

Chair de Poule

23 juin 2014

Livre : Film Noir 100 all-time favorites (2014)

par Paul Duncan et Jurgen Muller (Editions Taschen)

Film Noir 100 all-time favorites(Relié, 23 x 28 cm, 688 pages) Imposant par son épaisseur et son poids, cette anthologie du film noir bénéficie d’une édition de grande qualité, reliée, entièrement imprimée sur fond noir avec une grande place réservée aux photographies. Même si le titre Film noir, 100 all-time favorites est partiellement en anglais, l’édition est bien 100% en français.

Le terme Film Noir est à prendre dans un sens non-restrictif puisque l’ouvrage couvre une période allant jusqu’à 2011. Plus de la moitié des 100 films présentés sont issus des deux grandes décades du genre (40 et 50) mais les auteurs ont tenus à y ajouter des films représentant l’héritage du film noir, y compris dans d’autres pays (France surtout). Dans cette partie, après 1960 donc, la sélection est bien évidemment discutable mais l’intention est, me semble t-il, plus de démontrer que le film noir classique exerce une influence large, générant même des genres hybrides, plutôt que de dresser une liste de films majeurs. En introduction, un texte signé Douglas Keesey intitulé « Introduction au néo-noir » dresse un intéressant état des lieux de cet héritage du film noir en ce début de 3e millénaire.

Dans la grande période du film noir, la sélection est excellente. Chaque film est présenté sur 6 à 8 pages avec un texte de présentation, une mini-biographie du réalisateur ou de l’acteur principal, quelques citations (souvent récentes et françaises) de critiques, le tout généreusement illustré de photographies, toujours superbes. C’est un vrai plaisir de feuilleter le livre au gré de ses envies.

En prologue, on trouvera « Notes sur le film noir », un excellent texte que Paul Schrader a écrit en 1971 et qui est une des meilleures tentatives de définition du genre film noir, suivi d’une belle étude très approfondie du film La Dame de Shanghai d’Orson Welles signée Jürgen Müller et Jörn Hetebrügge.
Note: 4 étoiles

Voir la fiche du livre sur Livres-cinema.info
Voir le livre sur Amazon

Remarque :
Le livre ne fait pas double emploi avec Film Noir également sous la direction de Paul Duncan (Taschen, 2012) qui est une approche analytique du genre. Tout au plus trouvera-t-on certaines photos communes.

24 mars 2014

Gun Crazy (1950) de Joseph H. Lewis

Autre Titre  : « Deadly Is the Female »
Titre français : « Le Démon des armes »

Gun Crazy: Le démon des armesDès son plus jeune âge, Barton a été attiré par les armes. Lorsqu’il va rencontrer la jeune Annie, elle aussi tireuse hors pair, sa vie va basculer et ils vont enchainer les holdups… Produit et mis sur pied par les King Brothers, Gun Crazy est basé sur une histoire de MacKinlay Kantor parue dans un quotidien et réécrite par Dalton Trumbo (1). Cette histoire préfigure des films comme Bonnie & Clyde (1967) d’Arthur Penn ou Badlands (1973) de Malick, fuite en avant d’un jeune couple qui se livre aux braquages pour assouvir ses rêves. Sur le plan de la forme, le film préfigure par certains aspects la Nouvelle Vague avec  ses décors naturels et notamment avec sa scène la plus célèbre, un hold-up filmé en un seul plan-séquence de presque 4 minutes depuis l’intérieur de la voiture du couple. C’est un plan très surprenant. On comprend que Truffaut et Godard se soient pris de passion pour ce film (2). Gun Crazy est un film très différent, assez à part dans le genre du film noir (3). C’est finalement surtout une histoire d’amour, celle d’un jeune couple qui aspire à s’établir et à mener une vie normale, un amour fou qui les aveugle et les précipite dans un trou sans fin. Le personnage de la jeune femme est assez fascinant par son mélange d’ingénuité et de dureté qui le rend assez inoubliable. Le film est très fortement connoté sexuellement même si la censure a été particulièrement vigilante. Sa carrière commerciale a été courte à l’époque mais il a acquis un tout autre statut par la suite : aujourd’hui, c’est souvent le premier titre qui vient à l’esprit pour citer un exemple de film de série B exceptionnel et remarquable.
Elle:
Lui : 4 étoiles

Acteurs: Peggy Cummins, John Dall
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Remarques :
* Le film vient d’être réédité en DVD (1 Blue-ray + 1 normal) incorporé dans un superbe livre de 220 pages signé Eddie Muller qui relate toute la genèse du projet et la réalisation, une gestation assez mouvementée. Le livre est passionnant, fort bien documenté et on ne peut que saluer ce si bel ensemble (même si on peut regretter que le prix soit un peu élevé)… (Voir…) C’est une édition limitée, semble t-il.

Gun Crazy: Le démon des armes* A sa sortie, United Artists a affublé le film du titre ridicule Deadly Is the Female et habillé l’héroïne sur l’affiche d’une robe du soir noire (costume réglementaire de la femme fatale mais qui ne correspond absolument pas à son genre dans le film). Le film a retrouvé son titre original, Gun Crazy, par la suite.

(1) L’excellent scénariste Dalton Trumbo figure au générique sous un pseudonyme car, victime du maccarthysme, il était alors sur liste noire.

(2) En regardant Gun Crazy, Il est difficile de ne pas penser à A bout de Souffle ou à Pierrot le Fou que Godard tournera une décennie plus tard.

(3) Pour s’en convaincre, il suffit de le comparer à They Live by Night, que Nicholas Ray a tourné peu avant, qui met également en scène un couple de braqueurs : un très beau film mais beaucoup plus classique dans son traitement.

15 mars 2014

Péché mortel (1945) de John M. Stahl

Titre original : « Leave Her to Heaven »

Péché mortelUn écrivain fait la rencontre d’une jeune fille de bonne famille dans un train. Elle est fascinée par son visage car l’homme ressemble à son père décédé il y a peu de temps. A leur arrivée, ils s’aperçoivent qu’ils se rendent chez la même personne dans un ranch du Nouveau Mexique. L’attraction réciproque ne fait que grandir et aboutit rapidement à un mariage… Comme le montrent clairement l’affiche et le générique, Leave Her to Heaven est tiré d’un best-seller signé Ben Ames Williams. La Fox en a confié la réalisation à John Stahl, grand spécialiste du mélodrame. Mais, et c’est bien là que réside tout son attrait, Leave Her to Heaven est bien plus qu’un mélodrame puisque, à mesure que l’histoire avance, nous basculons dans le film noir. Très rarement, la symbiose de ces deux genres, mélodrame et film noir, n’a été si réussie. L’histoire est à rapprocher de la vogue des thèmes psychanalytiques à cette époque mais le monumental complexe d’Oedipe non résolu qui en est ici le noeud est toutefois inséré avec une certaine discrétion. L’image, signée Leon Shamroy (1), est absolument superbe avec un Technicolor de toute beauté (des rouges éclatants, une teinte générale brun doré et de belles nuances de bleus, les verts étant judicieusement en retrait). Gene Tierney - Péché mortel Et il y a Gene Tierney… belle et sublime, dont la douceur naturelle rend la noirceur de ses desseins encore plus terrifiante. Elle fait une très belle interprétation de ce personnage complexe sous une façade parfaitement lissée et maitrisée. Face à elle, Cornel Wilde peut paraître un peu fade mais cela correspond à son personnage et la toute jeune (20 ans) Jeanne Crain, alors étoile montante de la Fox, a également un rôle tout en retenue. De nombreuses scènes restent gravées dans nos mémoires : les cendres, la barque et surtout l’escalier… Bien qu’il reste peu connu (pas assez du moins), Leave Her to Heaven est un film vraiment remarquable.
Elle:
Lui : 5 étoiles

Acteurs: Gene Tierney, Cornel Wilde, Jeanne Crain, Vincent Price, Darryl Hickman
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Remarques :
Péché mortel * La fameuse scène de l’escalier a bien failli être coupée par la Censure mais elle a pu être sauvée in extremis.
* Le titre Leave Her to Heaven est tiré d’une phrase d’Hamlet de Shakespeare : le fantôme du père d’Hamlet lui enjoint de ne rien tenter contre sa mère mais de laisser le Ciel se charger de la punir (ce que les distributeurs français ont exprimé bien maladroitement en traduisant par Péché mortel…)
* Dans son autobiographie, Gene Tierney décrit le tournage comme ayant été assez difficile. Le lieu de tournage au bord du lac (Bass Lake en Californie) était difficilement accessible par la route. Le tournage de la scène de la barque eut lieu en novembre et l’eau était glacée : on lui donnait de petites rasades de whisky entre les prises pour réactiver sa circulation sanguine (d’ailleurs, d’après IMDB, le jeune Darryl Hickman aurait été atteint de pneumonie en tournant la scène).

(1) Le directeur de la photographie Leon Shamroy a été oscarisé pour ce film.