Titre original : « Strangers on a Train »
Lui :
Sortant de deux échecs commerciaux consécutifs, Alfred Hitchcock décide de revenir sur un terrain plus sûr en adaptant un roman de Patricia Highsmith. Un jeune champion de tennis est abordé dans un train par un inconnu qui semble en savoir long sur ses déboires conjugaux. Il lui expose une théorie sur le meurtre parfait où chacun va tuer le gêneur de l’autre. Un échange de meurtres. L’inconnu du Nord Express est très souvent cité comme l’un des chefs d’œuvre de Hitchcock. Pourtant, le film est loin d’être parfait : d’une part les dialogues sont très ordinaires (1) et, d’autre part, l’actrice principale (Ruth Roman, imposée à Hitchcock par la Warner) et même Farley Granger montrent un jeu fade et sans relief. C’est plutôt la forme qui rend le film si remarquable : la construction du récit tout d’abord, l’utilisation d’une grande variété de lieux, les plans originaux (la scène du meurtre vue en reflet dans les verres de lunette est l’une des plus audacieuses du cinéma), la mise en place du suspense, de ces éléments transpire une grande maîtrise qui frise la perfection. Alfred Hitchcock est bien ici le maître du suspense. Il faut aussi souligner la belle prestation de Robert Walker (2), en fils de bonne famille charmeur et schizophrène, et de Marion Lorne (sa mère). L’inconnu du Nord Express permit à Hitchcock de renouer avec le succès, c’est maintenant l’un de ses films les plus connus.
Note :
Acteurs: Farley Granger, Ruth Roman, Robert Walker, Marion Lorne, Leo G. Carroll
Voir la fiche du film et la filmographie de Alfred Hitchcock sur le site IMDB.
Voir les autres films de Alfred Hitchcock chroniqués sur ce blog…
(1) Alfred Hitchcock et Raymond Chandler (engagé par la Warner) ne se sont pas entendus, vraiment pas du tout. Hitchcock a alors engagé un second scénariste (Czenzi Ormonde, une assistante de Ben Hecht) pour réécrire une bonne partie du scénario. Hitchcock raconte que, une fois le découpage fini, auncun écrivain ne voulait écrire les dialogues car personne ne trouvait cela bon.
(2) Robert Walker, acteur très prometteur à la vie personnelle assez tumultueuse, est hélas mort prématurément quelques mois plus tard. Il n’avait que 32 ans.
C’est un peu la tarte à la crème que de parler des meilleurs films d’Hitchcock, car après avoir lu le livre de Truffaut, on en connait tous les ressorts ! Film en N&B, ou le suspens est mené à son paroxysme, il inaugure sa longue liste de réussite des années 50. S’il est vrai que Farley Granger ne brille pas par son charisme, il est parfait dans le rôle d’un personnage faible et aisément manipulable.
D’accord sur la fadeur du jeu du couple.
Cela dit, les jeunes premiers masculins de Hitchcock ont souvent l’air de sortir du placard avec le portemanteau et la naphtaline…
Une raideur de fils à Maman, chic et bien élevé mais un peu beaucoup coincé.
On retrouve cela même chez Cary Grant (excusez le sacrilège) qui me donne parfois l’impression d’imiter Farley Granger ce qui doit vouloir dire que le réalisateur a une part de responsabilité.
Je suis d’accord sur le jeu figé des deux jeunes premiers, même s’il ne m’a pas vraiment dérangé, tant il est « style Hitchcock ». Car bon, il y a souvent un jeu assez stéréotypé chez ses acteurs, et sur ce plan ses films sont quand même très datés (ce qui n’est pas grave, après tout, ça fait aussi parti de leur charme, et n’importe quel film doit être vu en se replaçant mentalement dans une époque — c’est bien sûr particulièrement vrai des films muets).
Beaucoup de personnages sont d’ailleurs vraiment stéréotypés Hitchcock ici, notamment la sœur de la jeune première dans ses premières scènes (avec son franc-parler)… mais qui devient étrangement excessivement hypnotisée dans les deux scènes clefs face au tueur (ces deux scènes m’ont paru assez exagérées, même si c’est ici encore très typique d’Hitchcock, mais ce n’est pas ce que j’aime le plus chez lui). Le père-sénateur est également un archétype du brave-père-avec-des-responsabilités-mais-débonnaire-et-qui-adore-ses-filles, vu dans d’autres films d’Hitchcock. La fin un peu téléphonée permettant de boucler l’affaire en quelques scènes idem (il est clair que le dénouement de ses intrigues a rarement passionné Hitchcock, qui l’expédie souvent en demandant au spectateur beaucoup de bienveillance).
Non, ce qui m’a le plus gêné, c’est le côté bien-pensant du film. Car enfin !, la femme qui se fait assassiner l’a « bien cherché », tel que tout cela est amené par l’œil du cinéaste. Elle est adultère, elle est une garce qui veut profiter de l’argent de son mari, elle sort s’amuser avec deux jeunes hommes, elle allume l’assassin quand elle croit qu’il s’intéresse à elle… Cette partie-là m’a mis mal à l’aise. D’une part parce que cette caricature de garce est très misogyne et lourdingue, ensuite parce ça donne au film un côté « moralisateur réac », enfin parce que dès cet instant j’ai compris que le film finirait bien pour les jeunes premiers (peut-être la conséquence d’avoir trop vu de films d’Hitchcock et d’anticiper sa logique).
Bon, à côté de ça, ça reste un bon film ! Quelques scènes sont très réussies (notamment les fausses pistes, je pense en particulier au « tunnel of love » dans le parc d’attraction, ou la scène avec la grille d’égout, où l’on aurait pu penser que quelqu’un verrait et reconnaîtrait le briquet) et surtout le méchant est remarquable. Quel dommage que Robert Walker soit mort peu après, il promettait !
En fait, à la réflexion, ce film me fait penser à Jeune et innocent — dans une autre variation stylistique.
Bien sûr, il y a de grandes différences : Jeune et innocent n’a pas vraiment de personnage de méchant (le coupable est vu un peu au début et un peu à la fin, c’est tout), il s’attache avant tout au périple des jeunes premiers (donc le déroulement du scénario a peu de points communs), et c’est plutôt une comédie.
Mais il y a aussi de grands points communs dans les tics de construction et de mise en scène :
— La femme adultère qui est tuée au début du film,
— Le brave-père-avec-des-responsabilités-mais-débonnaire-et-qui-adore-ses-filles,
— Le « petit détail qui prouvera l’innocence » (ici le briquet, là la veste volée),
— Le coupable qui se méprend sur la présence des policiers à la fin et qui panique alors qu’ils ne sont pas là pour lui,
— La chute tirée par les cheveux (avec une différence intéressante : dans Jeune et innocent le coupable avoue ; dans L’inconnu du Nord-Express il ne veut pas avouer mais la présence du briquet le fait à sa place, comme si Hitchcock avait compris que les aveux spontanés du coupable sont un peu trop téléphonés et qu’il faut ajouter un peu de finesse).
Reste une différence énorme : Jeune et innocent est un film alerte, avec des jeunes premiers vifs et truculents, reposant sur leur confrontation et leurs réparties (portant, selon moi, ce schéma classique chez Hitchcock à un très haut niveau de qualité, notamment parce que les deux acteurs sont gouailleurs et pétillants), alors que L’inconnu du Nord-Express tire vers le film noir, reposant sur le tueur psychopathe. À partir de là, il n’est pas étonnant que les jeunes premiers soient figés (et parfois confinent au sinistre : l’actrice surjoue un peu le côté « oulala qu’est-ce que je suis inquiète et sérieuse », sans guère adopter d’autre registre) : ils ne sont que les faire-valoir de Robert Walker.
Bref, à la longue, certains films d’Hitchcock utilisent grosso-modo les mêmes techniques, simplement autour d’une intrigue différente. Reste donc à admirer les ficelles en question, qui restent virtuoses !
[Mais je crois que je préfère Jeune et innocent en tant que film, même si j’admire le personnage de Robert Walker ici]
Merci pour cet intéressant rapprochement entre L’inconnu du Nord Express et Jeune et Innocent. Vous m’avez en tout cas donné envie de le revoir (je crois que j’aurais moi aussi tendance à le préférer).
c’est l’intrigue de dial M for murder, le crime était presque parfait, qui m’a fait rechercher strangers on a train vu il y très longtemps.
a un an d’écart, similitude de personnages un peu convenus, un joueur de tennis une femme adultère, deux hommes un dénouement, le procédé pour avoir un alibi faire faire le crime par un autre sur lequel il y a un moyen de pression…. l’inconnu du NE est au niveau de l’intrigue des prises de vue et du suspense bien plus abouti