10 décembre 2015

Quai d’Orsay (2013) de Bertrand Tavernier

Quai d'OrsayJeune diplômé de l’ENA, Arthur Vlaminck est embauché en tant que chargé du « langage » au ministère des Affaires Étrangères, c’est-à-dire écrire des discours. Il est intégré dans une équipe de conseillers où chacun a une spécialité précise au service du ministre, un personnage exubérant et fantasque… Quai d’Orsay est l’adaptation d’une bande dessinée d’Abel Lanzac (pseudonyme du diplomate Antonin Baudry) et Christophe Blain sortie en 2010. Antonin Baudry s’est inspiré de sa propre expérience, le ministre en question étant Dominique de Villepin. Si le film nous montre de l’intérieur les coulisses d’un ministère, c’est avant tout une comédie, on pourrait même parler de farce tant le personnage du ministre paraît caricatural. On s’amuse beaucoup dans la première demi-heure des bons mots et des coups d’éclats mais, hélas, le film tourne ensuite en boucle, utilisant les mêmes ressorts dans des situations différentes. Toutefois, le rythme est très enlevé, maintenant le spectateur de cette ritournelle en état d’alerte permanente. Sur le fond, on peut trouver que le propos surfe sur le populisme ambiant en montrant un ministre guignolesque. Mais on peut aussi trouver qu’il montre que, derrière une façade qui joue sur les discours simplificateurs, il y a dans un ministère des personnes constamment sur le qui-vive qui résolvent des problèmes passablement complexes (le personnage joué par Niels Arestrup est librement inspiré de l’ancien directeur du cabinet du ministre des Affaires étrangères, Pierre Vimont). Heureusement, Thierry Lhermitte est excellent, retrouvant ici le type de grand rôle comique dans lequel on ne le voit plus beaucoup aujourd’hui. Quand il n’est pas à l’écran, on attend impatiemment qu’il revienne…
Elle:
Lui : 2 étoiles

Acteurs: Thierry Lhermitte, Raphaël Personnaz, Niels Arestrup, Julie Gayet, Anaïs Demoustier, Thomas Chabrol
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Quai d'Orsay
Niels Arestrup, Raphaël Personnaz et Thierry Lhermitte dans Quai d’Orsay de Bertrand Tavernier.

24 septembre 2015

Camouflage (1977) de Krzysztof Zanussi

Titre original : « Barwy ochronne »

CamouflagePologne, années soixante-dix. Lors d’une université d’été, en marge d’un concours d’exposés de linguistique, un jeune professeur enthousiaste et idéaliste s’oppose à un de ses collègues plus âgés à propos des pressions et compromissions… Plutôt mal connu en France, le réalisateur polonais Krzysztof Zanussi est l’un des grands représentants de la nouvelle vague polonaise (« Nowa fala ») qui a débuté à la toute fin des années soixante. Il a écrit lui-même cette réflexion à la fois psychologique, philosophique et politique. Elle explore de nombreux sujets, notamment le conformisme et la corruption, et de façon plus générale, l’éthique. L’essentiel du film réside dans les discussions vives et acerbes de ces deux professeurs et si le début du film peut laisser craindre une situation plutôt manichéenne, la suite nous emmène dans des réflexions plus profondes : le personnage le plus riche est le professeur plus âgé, d’abord présenté comme arriviste et soumis aux autorités mais qui se montre ensuite bien plus complexe, manipulateur, rusé mais finalement extrêmement désillusionné comme en témoigne sa toute dernière phrase qui vient clore le film de façon assez noire. Les questions soulevées sont intéressantes et, si les sous-entendus politiques sont évidents (nous sommes là en pleine période de la Pologne communiste, trois ans avant la création-même de Solidarność), ces réflexions sur l’éthique de vie sont suffisamment générales pour s’appliquer en dehors de ce contexte si particulier (en remplaçant aujourd’hui le politique par l’économique par exemple). Les deux acteurs sont merveilleux. Camouflage est un film brillant.
Elle:
Lui : 5 étoiles

Acteurs: Piotr Garlicki, Zbigniew Zapasiewicz
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Camouflage de Zanussi
Zbigniew Zapasiewicz et Piotr Garlicki sont les deux professeurs du film de Krzysztof Zanussi Camouflage.

16 juin 2015

Les Diables (1971) de Ken Russell

Titre original : « The Devils »

Les diablesSous Louis XIII, le cardinal de Richelieu veut soumettre les villes fortifiées pour étendre son pouvoir. Certaines d’entre elles ont leurs propres lois. C’est le cas de la ville de Loudun temporairement dirigée par le prêtre (et grand séducteur) Urbain Grandier qui a décrété l’entente entre les catholiques et les protestants. Richelieu veut le voir disparaître… Les Diables est adapté du livre Les Possédées de Loudun (1952) d’Aldous Huxley qui a fait des recherches poussées sur ce terrifiant fait divers du XVIIe siècle. Ken Russell en a fait un film exubérant, baroque, une spectaculaire dénonciation des basses manoeuvres de Richelieu qui utilise la religion pour accroitre son pouvoir politique. Malgré les apparences, le récit est proche de la réalité historique et c’est là tout l’art de Ken Russell de maitriser ainsi le propos tout en allant très loin dans le domaine de l’hystérie et de l’outrance. Le cinéaste anglais est aussi un provocateur : de ce fait, le film a subi des coupes et nous ne pouvons en voir la version complète que depuis 2011. Les décors sont remarquables : grandioses et épurés, ils donnent un certain côté atemporel au récit. Les Diables de Ken Russell est un film dérangeant, même éprouvant mais c’est une oeuvre dotée d’une grande force.
Elle:
Lui : 4 étoiles

Acteurs: Vanessa Redgrave, Oliver Reed, Dudley Sutton, Gemma Jones, Michael Gothard
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Les Diables de Ken Russell
La ville de Loudun et ses grands remparts immaculés dans Les diables de Ken Russell

Les Diables de Ken Russell
Vanessa Redgrave dans Les diables de Ken Russell

Remarques :
* Le livre d’Aldous Huxley est disponible en format poche aux Editions Tallandier sous le titre « Les Diables de Loudun ».

* Précédent film sur les possédées de Loudun :
Mère Jeanne des anges (Matka Joanna od aniolów) du polonais Jerzy Kawalerowicz (1961)

4 février 2015

Amator (1979) de Krzysztof Kieslowski

AmatorUn employé achète une caméra pour filmer sa fille qui vient de naître. Quand son patron apprend cela, il lui demande de filmer un évènement de son entreprise. C’est le début d’une passion… L’Amateur (parfois titré Le Profane) fait partie des premiers longs métrages du polonais Krzysztof Kieslowski qui livre un peu de lui-même dans ce récit. Comme il a pu l’être lui-même, son héros est gagné par une passion dévorante du cinéma qui phagocyte peu à peu sa vie personnelle et lui donne un regard nouveau sur le monde qui l’entoure. Il apprivoise son langage, le cadrage, le montage. Il va aussi découvrir son pouvoir, sa fonction au sein d’une société, la force du documentaire, sa portée politique, avec comme inévitable corollaire (du moins en pays communiste comme l’était la Pologne), la censure. L’Amateur est ainsi une belle réflexion sur le rôle du cinéma, sur l’implication de l’artiste dans son art et ses interrogations, tout cela presque sans en avoir l’air car Kieslowski reste très près de son personnage.
Elle:
Lui : 4 étoiles

Acteurs: Jerzy Stuhr, Malgorzata Zabkowska, Stefan Czyzewski
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Remarque :
* Le réalisateur Krzysztof Zanussi (l’un des grands représentants de la Nouvelle Vague polonaise et par ailleurs ami dans la vraie vie de Kieslowski) interprète lui-même son propre rôle.

Amator de Krzysztof Kieslowski
Jerzy Stuhr est le cinéaste amateur dans le film L’Amateur de Kieslowski. Il utilise ici une caméra 8mm Quartz 2 de fabrication russe. Derrière lui se tient Malgorzata Zabkowska.

Amator de Krzysztof Kieslowski
Vers la fin du film, la seconde caméra qu’il utilise est la légendaire Krasnogorsk K3, caméra 16mm à visée reflex de fabrication russe avec zoom Meteor (une caméra que Kieslowski a lui-même utilisée à ses débuts… mais pas pour L’Amateur qui est tourné en 35mm).
En savoir plus sur cette caméra

16 janvier 2015

Tempête à Washington (1962) de Otto Preminger

Titre original : « Advise and Consent »

Tempête à WashingtonLe président des Etats-Unis a décidé de nommer Robert Leffingwell au poste de Secrétaire d’État (soit le chef du département chargé des Affaires étrangères). Ce choix doit être ratifié par le Sénat mais l’affaire s’annonce difficile car les prises de positions de Leffingwell en faveur de la paix ne font pas l’unanimité à l’intérieur même de son parti…
Tempête à Washington est l’adaptation d’un copieux roman d’Allen Drury, correspondant du New York Times à Washington qui a reçu le Prix Pulitzer. Inspiré de personnages réels (le président étant basé sur Franklin Roosevelt), l’histoire décrit les basses manoeuvres qui sont monnaie courante à Washington. Bien qu’il s’attaque plus aux hommes qu’aux institutions et qu’il se révèle être finalement à la gloire de la démocratie à l’américaine, le film fut parfois critiqué à sa sortie pour la mauvaise image qu’il donnait des Etats-Unis (1). Le tour de force de Preminger est d’une part de réussir à nous intéresser sur un sujet à priori rébarbatif mais surtout de montrer une maitrise totale et parfaite de la mise en scène malgré le très grand nombre de personnages.
Elle:
Lui : 3 étoiles

Acteurs: Henry Fonda, Walter Pidgeon, Charles Laughton, Gene Tierney, Burgess Meredith, Franchot Tone, Lew Ayres
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Remarques :
* Le film reçut l’aide du gouvernement qui donna l’autorisation de filmer à l’intérieur du Capitole.
* Dans son autobiographie, Otto Preminger mentionne un article, à l’époque paru dans Le Monde, qui vantait la liberté d’expression aux Etats-Unis, affirmant qu’un tel film n’aurait pas être tourné en France car le gouvernement français était intouchable (Otto Preminger Autobiographie JC Lattès 1981 p. 173).
* Tempête à Washington est de dernier film de Charles Laughton. Déjà très affaibli par son cancer pendant le tournage, il décédera quelques mois plus tard.
* Tempête à Washington marque le retour à l’écran de Gene Tierney après une longue dépression nerveuse.

(1) Ces critiques font penser à celles que reçut  Mr. Smith au sénat (1939) de Frank Capra. Les deux films sont d’ailleurs assez proches dans l’esprit.

Tempête à Washington (1962) de Otto PremingerCharles Laughton et Walter Pidgeon en pleine joute verbale au Sénat dans Tempête à Washington d’Otto Preminger.

26 novembre 2014

Lucky Luciano (1973) de Francesco Rosi

Lucky LucianoEn 1946, les Etats-Unis expulsent vers la Sicile le mafioso Lucky Luciano qui purgeait une longue peine de prison. La raison officielle de cette grâce inattendue est « pour services rendus ». S’installant à Naples, il va alors mettre sur pied un énorme trafic d’héroïne… Dix ans après sa mort, Francesco Rosi se livre à un grand travail d’investigation sur le rôle joué par le chef de Mafia Lucky Luciano. Il décortique patiemment les rapports entre les américains et la Mafia italienne qui va profiter de l’Après-guerre pour se renforcer. Francesco Rosi a une approche très formelle, évitant tout spectaculaire et toute surcharge émotionnelle. Il est sans doute parfois trop didactique. Son sujet est extrêmement vaste, avec de très nombreuses implications ; par moments, cette richesse peut hélas engendrer une certaine confusion mais finalement elle rend sa démonstration assez implacable. Le film comporte de belles scènes, puissantes. Gian Maria Volonté est magistral dans ce personnage d’une grande froideur. Même s’il est moins parfait que L’Affaire Mattei, tourné l’année précédente, Lucky Luciano figure parmi les grands films politiques de Francesco Rosi.
Elle: 3 étoiles
Lui : 3 étoiles

Acteurs: Gian Maria Volonté, Vincent Gardenia, Silverio Blasi, Charles Cioffi, Edmond O’Brien, Rod Steiger
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Remarque :
* Les raisons de la grâce de Lucky Luciano ne sont toujours pas connues avec certitude. L’une des hypothèses avancées serait l’intervention de la mafia pour préparer le débarquement en Sicile, les américains préférant éviter les contacts avec la Résistance sicilienne, infestée selon eux par les communistes.

Gian Maria Volonté dans Lucky Luciano (1973)

18 novembre 2014

Les 3 jours du condor (1975) de Sydney Pollack

Titre original : « Three Days of the Condor »

Les 3 jours du condorUn romancier sans succès travaille pour la CIA. Son service, situé dans une maison anonyme new-yorkaise, est chargé de lire tous les romans d’espionnage qui paraissent pour y détecter d’éventuelles fuites ou y trouver de nouvelles idées. Un jour, alors qu’il était sorti chercher les déjeuners, deux hommes font irruption et abattent méthodiquement les six occupants des bureaux… Les 3 jours du condor est un film d’espionnage qui met en scène les agissements assez troubles de la CIA. Il s’inscrit dans une époque où certains évènements (Watergate, agissements de la CIA en Amérique du Sud, usure de la guerre du Viet-Nam, etc.) favorisaient une remise en cause des institutions aux Etats-Unis. Même s’il n’est pas toujours crédible, le scénario est assez habile dans sa façon de créer tension et suspense. La mise en scène de Sydney Pollack est efficace. Assez original, le personnage joué par Robert Redford n’a certes aucun entrainement en tant qu’espion mais a de la ressource grâce à tous les romans d’espionnage qu’il a lus. Les scènes de romance avec Faye Dunaway sont un peu plus convenues mais ont le mérite de relâcher un peu la tension. Les 3 jours du condor est un film assez prenant.
Elle:
Lui : 3 étoiles

Acteurs: Robert Redford, Faye Dunaway, Cliff Robertson, Max von Sydow
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Remarques :
* Le roman best-seller de James Grady (journaliste free-lance spécialiste de l’investigation) dont le film est l’adaptation a pour titre « Six Days of the Condor ».
* Pour montrer que le personnage joué par Robert Redford est un original, le film le montre allant à son travail en… Solex, ce qui ne devait effectivement être pas très courant à New York.
* Cameo : Sydney Pollack est le chauffeur de taxi qui manque de peu de renverser Robert Redford.

Les 3 jours du Condor

3 juin 2014

Les Troubles d’Adalen (1969) de Bo Widerberg

Titre original : Ådalen 31

Ådalen 31En 1931, alors qu’une grève dure depuis plusieurs semaines dans une petite ville au nord de Stockholm, un adolescent s’initie à la vie et à l’amour. Mais, lorsque les patrons font venir des ouvriers de l’extérieur, les grévistes se mobilisent pour repousser les « jaunes ». L’armée est alors appelée en renfort… Les Troubles d’Adalen est un film écrit et réalisé par le suédois Bo Widerberg qui s’inspire de faits historiques : un carton à la fin du film nous apprend que c’est à la suite des évènements d’Adalen et de l’émoi qu’ils suscitèrent que les sociaux-démocrates purent prendre le pouvoir et ajoute que la Suède est depuis cette date gouvernée par les sociaux-démocrates (ce qui est toujours vrai aujourd’hui). Ådalen 31 est réalisé à une époque où le socialisme suédois est en difficulté et Widerberg semble vouloir en rappeler les fondements. Mais son film n’est pas seulement un film politique car il commence comme une chronique sociale presque champêtre où Kjell, le fils d’un des grévistes, tombe amoureux de la fille du directeur. L’approche de Widerberg est pleine de délicatesse, il utilise la fraicheur et l’innocence pour mettre en relief les différences de classe, évoque des questions assez profondes par petites touches comme cette scène où la femme du directeur montre à Kjell un livre de peinture et lui apprend à prononcer « Pierre-Auguste Renoir » : cette façon très touchante de montrer le désir de s’élever et les vertus de l’éducation et de la connaissance est assez remarquable. Le contexte de la grève n’est alors qu’à peine présent et ce n’est qu’aux deux-tiers du film que les « évènements » prennent leur place. Le déroulement est alors plus percutant mais, même dans cette partie, Widerberg est indéniablement plus influencé par la Nouvelle Vague que par Eisenstein. Il ne joue pas la carte du lyrisme et de l’héroïsme mais préfère mettre en valeur la volonté de bâtir sur de nouvelles bases.
Elle:
Lui : 4 étoiles

Acteurs: Peter Schildt, Kerstin Tidelius, Roland Hedlund, Marie De Geer, Anita Björk
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22 mai 2014

Lincoln (2012) de Steven Spielberg

LincolnAbraham Lincoln est l’homme politique le plus admiré outre-Atlantique, il est un modèle, une inspiration pour le plus grand nombre (tous bords confondus, nous n’avons pas vraiment d’équivalent en France) car il correspond à l’idée d’une certaine grandeur de valeurs morales appliquée à une nation. Très peu de réalisateurs se sont toutefois risqués à mettre en scène sa biographie. Steven Spielberg a choisi de se concentrer sur la fin de sa vie et plus particulièrement sur le mois de janvier 1865 où Lincoln a bataillé pour faire voter par la Chambre des Représentants le XIIIe amendement, celui qui abolit l’esclavage. Il livre un film inspiré avec une interprétation impressionnante de Daniel Day-Lewis. Tommy Lee Jones est, lui aussi, assez remarquable. Certes, les tractations pour s’assurer du vote des représentants peuvent paraître un peu longues mais c’est le personnage de Lincoln qui est ici intéressant, Spielberg parvenant à restituer toute la stature de l’homme politique visionnaire.
Elle: 2 étoiles
Lui : 4 étoiles

Acteurs: Daniel Day-Lewis, Sally Field, David Strathairn, Tommy Lee Jones
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Principales biographies d’Abraham Lincoln au cinéma :
Abraham Lincoln (1930) de David Wark Griffith avec Walter Huston
Vers sa destinée (Young Mr. Lincoln, 1939) de John Ford avec Henry Fonda
Abraham Lincoln (1940) de John Cromwell avec Raymond Massey

28 mars 2014

Citizen Kane (1941) de Orson Welles

Citizen KaneLe magnat de la presse Charles Foster Kane vient de mourir. Un journaliste enquête sur sa vie pour découvrir le sens de ses dernières paroles : « Rosebud »… Toujours cité parmi les plus grands films de toute l’histoire du cinéma, Citizen Kane est probablement, avec Naissance d’une Nation de Griffith, celui qui a eu le plus d’influence sur les autres réalisateurs. Véritable condensé de créativité, Citizen Kane fait suite à une décennie, celle des années trente, où le cinéma hollywoodien s’est fortement normalisé. Grâce au succès de son émission radiophonique La Guerre des Mondes, une adaptation du roman H.G. Wells tellement bien mise en scène qu’elle jeta la panique dans une partie de l’Amérique, le jeune Orson Welles va bénéficier, à 25 ans et pour son premier film, de ce dont tout réalisateur rêve sans jamais l’obtenir : une carte blanche totale. Entièrement libre, il va bousculer toutes les règles. Il sait toutefois s’entourer de quelques professionnels aguerris, notamment Herman J. Mankiewicz (le frère aîné de Joseph L. Mankiewicz) à l’écriture du scénario et Gregg Toland, talentueux directeur de la photographie.

La construction est totalement inhabituelle : non seulement tout le film est un flashback (1) mais en plus les dix premières minutes nous donnent en quelque sorte le sommaire du film qui se construit ensuite autour de cinq récits précis de la part de cinq personnes différentes (2). L’autre grande innovation de Citizen Kane est dans l’utilisation d’une grande profondeur de champ : Orson Welles désire que tout soit net pour être proche de la vision humaine et, pour ce faire, non seulement il utilise des objectifs grands-angles mais en plus il réalise certains trucages de superposition qui lui permettent par exemple de placer des objets nets au tout premier plan. Le placement de la caméra est aussi très original avec des plongées spectaculaires mais surtout des contre-plongées (la caméra étant parfois placée dans un trou dans le sol). Combinées aux grands- angles, ces contre-plongées nous permettent de voir largement les plafonds alors que l’usage était jusqu’alors de tourner sans plafond (ne serait-ce qu’à cause du système des éclairages). L’utilisation de l’ombre et la lumière est aussi remarquable, un personnage pouvant être totalement en ombre chinoise avant de faire quelques pas pour apparaître en pleine lumière.

C’est sans doute sur le fond que le film paraît le plus faible : si le personnage de Kane est inspiré du magnat de la presse Randolf Hearst et si le propos est de montrer la puissance de l’argent et la faiblesse des hommes ainsi que le caractère multiforme d’une vérité qui serait dès lors inatteignable, la démonstration manque parfois de fil directeur en semblant s’égarer dans ses ramifications multiples. Le propos reste toutefois fort et marquant, suffisamment en tous cas pour que Randolph Hearst fasse tout pour saborder la carrière du film et qu’il y parvienne. Citizen Kane a en effet été un échec commercial malgré un accueil enthousiaste du public et de la critique, les exploitants de salle préférant éviter de se mettre à dos les journaux de Hearst. Avec le recul, Citizen Kane apparaît comme un tournant dans l’histoire du cinéma, Orson Welles apportant un souffle nouveau de créativité et remettant au premier plan la notion d’auteur-réalisateur.
Elle: 5 étoiles
Lui : 5 étoiles

Acteurs: Orson Welles, Joseph Cotten, Dorothy Comingore, Agnes Moorehead, Everett Sloane
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(1) Comme pour toutes les autres innovations de Citizen Kane, Orson Welles n’a pas inventé le flashback. The Power and the Glory de Preston Sturgess (1933) entre autres avait déjà l’ensemble du récit encapsulé dans un flashback. Il en est de même pour les fameux plafonds… Orson Welles n’a d’ailleurs jamais prétendu avoir tout inventé. Ce qui est remarquable, c’est d’avoir tant d’innovations dans un seul et même film.

(2) Au départ du projet, les récits devaient porter sur les mêmes évènements, chacun nous donnant une version différente, ce qui aurait été encore plus novateur. Ce procédé narratif sera celui de Rashômon de Kurosawa quelque dix ans plus tard. L’idée a toutefois été gardée en partie car certains évènements sont racontés plusieurs fois.