16 juin 2019

L’étang tragique (1941) de Jean Renoir

Titre original : « Swamp Water »

L'étang tragiqueBen Ragan habite un village en bordure des immenses marais d’Okefenokee, en Géorgie, où il a l’habitude de chasser. Lors d’une expédition solitaire, il y fait la connaissance de Tom Keefer qui s’est réfugié là, après avoir été accusé de meurtre…
Basé sur un roman de Vereen Bell adapté par Dudley Nichols, Swamp Water est le premier film de Jean Renoir aux Etats-Unis. Contre toute attente, notamment celle de la Fox, le cinéaste français fraîchement exilé a choisi une histoire très américaine, probablement car elle lui permettait de mettre en scène des gens simples. Brutalement confronté aux méthodes hollywoodiennes, il eut bien du mal à imposer ses vues face à Darryl F. Zanuck. Renoir voulait tourner en décors naturels en Géorgie alors que Zanuck voulait tout tourner en studio mais, surtout, ce dernier jugeait le réalisateur bien trop lent et trop soucieux de ses mouvements de caméra. Exaspéré par ces différents, Renoir proposa même de démissionner. Malgré tout cela, le résultat est assez remarquable, bien photographié et porté par les excellentes interprétations de Dana Andrews et Walter Brennan.
Elle:
Lui : 3 étoiles

Acteurs: Walter Brennan, Walter Huston, Anne Baxter, Dana Andrews, Virginia Gilmore, John Carradine
Voir la fiche du film et la filmographie de Jean Renoir sur le site IMDB.

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Remarques :
* Initialement embauché pour assister Renoir sur les problèmes de langue, le producteur Irving Pichel dirigea certaines scènes de marais.
* Jean Renoir ne pouvait percevoir les subtilités dans les inflexions des acteurs et beaucoup critiquèrent l’accent californien d’Ann Baxter, rendue ainsi peu crédible en jeune fille des marais de Géorgie.
* Après ses déboires avec la Fox, Renoir quittera le studio pour aller signer chez Universal.

 

Swamp Water
Dana Andrews et Anne Baxter dans L’étang tragique de Jean Renoir.

Swamp Water
Virginia Gilmore, Walter Huston et Dana Andrews dans L’étang tragique de Jean Renoir.

Remake :
Le même roman de Vereen Bell sera adapté de nouveau en 1952 :
Prisonniers du marais (Lure of the Wilderness) de Jean Negulesco avec Jeffrey Hunter, Jean Peters et Walter Brennan qui reprendra le même rôle.

10 août 2017

La Ruée (1932) de Frank Capra

Titre original : « American Madness »

La RuéeLe directeur d’une grande banque est contesté par son conseil d’administration car il octroie trop de prêts. Parallèlement, l’un de ses caissiers subit le chantage d’un gangster pour des dettes de jeu… Tourné au moment-même où Roosevelt introduisait le New Deal, cet American Madness de Frank Capra en reprend certains des thèmes, notamment l’idée que l’argent doit circuler pour relancer l’économie au lieu de dormir dans des coffres de banque. C’est aussi l’un des premiers films à traiter de la panique financière qui avait secoué le pays deux ans plus tôt. Le scénario, signé Robert Riskin, est tout à fait dans l’esprit de nombreux films de Capra avec notamment cette grande foi en l’individu. Sur de nombreux plans, il préfigure It’s a wonderful Life que le réalisateur tournera en 1946. Capra a opté pour des solutions audacieuses au montage, notamment en accélérant certains plans, d’environ un tiers : le rythme est particulièrement enlevé. Walter Huston est assez remarquable dans le rôle du banquier.
Elle:
Lui : 3 étoiles

Acteurs: Walter Huston, Pat O’Brien, Kay Johnson, Constance Cummings, Gavin Gordon
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Remarque :
Le film a été commencé par Allen Dwan avant d’être rapidement remplacé par Capra qui reprit tout à zéro. Allan Dwan réalisera The Inside Story en 1948 sur un thème assez similaire.

American Madness
Pat O’Brien et Walter Huston dans La Ruée de Frank Capra.

6 novembre 2016

Gabriel Over the White House (1933) de Gregory La Cava

Titre français parfois utilisé : « Gabriel au-dessus de la maison blanche »

Gabriel au-dessus de la maison blancheDès sa première conférence de presse, le nouveau président des États-Unis, Judson Hammond, montre qu’il sera un chef d’État médiocre, peu enclin à affronter les grands problèmes du moment. Mais, tombé dans le coma après un accident automobile, il se réveille transformé… Gabriel Over the White House est un film très surprenant puisqu’il décrit un président « touché par la grâce » (ou par l’ange Gabriel plus exactement) qui met en place une dictature de gauche pour lutter contre les fléaux du chômage et du gangstérisme et initier le désarmement mondial. On peut déceler la patte du magnat William Randolph Hearst qui a produit le film et dont les idées radicales et xénophobes flirtaient avec le fascisme. Tourné en 1932 en pleine campagne électorale, Gabriel Over the White House est sorti en mars 1933, quelques semaines après l’entrée en fonction du président Roosevelt, qu’Hearst avait activement soutenu et qui a beaucoup apprécié le film au point de proposer des aménagements de scénario. En revanche, le très conservateur patron de la M.G.M., Louis B. Mayer, a été atterré lorsqu’il a découvert le film une fois fini et a tout fait pour en retarder la sortie. Hormis son contenu, le film n’est pas vraiment remarquable. Grégory La Cava, réalisateur surtout connu pour ses comédies, parvient toutefois à insuffler un bon rythme à l’ensemble qui est ainsi assez prenant. Le film fut un succès à l’époque.
Elle:
Lui : 3 étoiles

Acteurs: Walter Huston, Karen Morley, Franchot Tone
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Remarques :
* Gabriel Over the White House est adapté du roman Rinehard. L’auteur, Thomas Frederic Tweed, est anglais. Il fut conseiller de David Lloyd George, ex-premier ministre, chef du parti libéral anglais.
* Le succès ne fut évidemment pas au rendez-vous en dehors des Etats-Unis. La version anglaise a été légèrement modifiée pour laisser croire que la Grande-Bretagne et les Etats-Unis oeuvraient ensemble pour obtenir le désarmement des autres pays.

Gabriel over the Whie House
Walter Huston (au centre), Franchot Tone et Karen Morley dans Gabriel Over the White House de Gregory La Cava.

27 mars 2016

Kongo (1932) de William J. Cowen

KongoEn Afrique noire, un homme paraplégique et plein de haine contrôle une large zone. Il est assuré de l’obéissance aveugle des indigènes grâce à quelques tours de magie. Depuis dix-huit ans, il prépare sa vengeance envers l’homme qui l’a rendu infirme… Cette pièce Kongo avait déjà été portée à l’écran par Tod Browning peu auparavant, mais en muet (West of Zanzibar, 1928) et c’est à Walter Huston que revient la difficile tâche de reprendre le rôle de Lon Chaney, un rôle que Walter Houston connaît bien toutefois puisque c’est lui qui l’interprétait sur les planches en 1926 à Broadway. Kongo fait partie des films dits « pre-code » (avant la généralisation du Code Hays vers 1934) et cela se sent, non par la présence d’un éventuel contenu sexuel, mais plutôt par la terrible noirceur du propos que la censure ne tolèrera plus peu après. Le personnage central est particulièrement épouvantable, totalement aveuglé par un désir de vengeance qui lui a fait perdre toute humanité. Les personnages plus positifs  sont, quant à eux, dans un état de délabrement tel, que l’empathie ne s’installe que tardivement. Les indigènes ont rôle assez secondaire et sont présentés de façon simpliste comme des primitifs, dangereux mais crédules, une vision assez typique de l’ethnocentrisme des films des années trente. Kongo est assez intense. Walter Huston (le père de John Huston) fait une composition aussi remarquable qu’effrayante. Cette production à petit budget n’a pas trop à rougir de la comparaison avec la version de Tod Browning.
Elle:
Lui : 3 étoiles

Acteurs: Walter Huston, Lupe Velez, Conrad Nagel, Virginia Bruce
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Remarque :
William J. Cowen est un réalisateur dont on ne sait que peu de choses. Après avoir réalisé certaines scènes du King of Kings de Cecil B. DeMille en 1927, il n’a dirigé que 5 longs métrages entre 1928 et 1934. Après Kongo pour la MGM, il réalisera la première version parlante d’Oliver Twist pour le petit studio Monogram, version considérée comme mineure par les rares personnes qui l’ont vue.

Kongo
Walter Huston et Virginia Bruce dans Kongo de William J. Cowen.

Kongo
Virginia Bruce et Lupe Velez dans Kongo de William J. Cowen.

Kongo
Virginia Bruce, Conrad Nagel et Walter Huston dans Kongo de William J. Cowen.

27 janvier 2013

The star witness (1931) de William A. Wellman

The Star WitnessUne famille assiste à l’assassinat d’un policier par un gangster. Tous l’ont vu de près et permettent ainsi à la police de l’identifier. Le caïd est arrêté mais il doit passer en jugement. C’est alors que le gang du malfrat s’en prend à la famille… En 1931, des voix commençaient à s’élever pour reprocher à Hollywood, et plus principalement à la Warner, de faire l’apologie du gangstérisme. Wellman avait d’ailleurs réalisé quelques mois plus tôt Public Enemy qui avait eu beaucoup de succès. Avec The Star Witness (= le témoin clé), la Warner désirait montrer sa bonne volonté pour participer à la lutte contre la criminalité organisée. Il s’agit donc ici d’encourager les citoyens à aider la police (1) et le moins que l’on puisse dire est que le propos est très appuyé : gangsters vraiment abjects, scène d’intimidation vraiment brutale, discours moralisateurs et patriotiques tirant même sur la xénophobie. C’est le personnage du grand-père, un vétéran de la Guerre de Sécession interprété de façon exubérante par Charles « Chic » Sales (très grimmé puisqu’il était alors âgé de 45 ans), qui est principalement utilisé pour déclencher un sursaut patriotique. Malgré la rapidité de tournage, la réalisation de William Wellman est comme toujours très bonne. On remarquera une belle scène de fusillade vers la fin du film, vue au travers des barreaux d’un escalier, avec de beaux jeux d’ombres.
Elle:
Lui : 2 étoiles

Acteurs: Walter Huston, Charles ‘Chic’ Sale, Grant Mitchell, Dickie Moore, Nat Pendleton
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Remarques :
* Il s’agit de l’adaptation d’une pièce de Lucien Hubbard.
* Le plus jeune des deux garçons est interprété par Dickie Moore qui, à 6 ans, en était déjà à son 16e film! Il tournera jusqu’en 1957 dans plus de 100 films. Il est d’ailleurs toujours en vie (en ce début 2013, il a 87 ans).

(1) The Star Witness fut d’ailleurs sorti un peu précipitamment alors que dans l’affaire d’une fusillade à Harlem,  où plusieurs enfants avait été tués, la police éprouvait des difficultés à obtenir des témoignages.

7 janvier 2013

The Shanghai Gesture (1941) de Josef von Sternberg

Titre français parfois utilisé : « Shanghai »

The Shanghai GestureA Shanghai, une jeune femme échappe à la police grâce à l’intervention d’un étrange Dr Omar. Il l’emmène dans une salle de jeux tenue par Mother Gin Sling où il travaille… The Shanghai Gesture est le premier film vraiment réalisé par Josef von Sternberg depuis 1935. Le film est adapté d’une pièce de John Colton qui avait connu un grand succès à Broadway dans les années vingt. C’est un sujet parfait pour Sternberg qui peut revenir ainsi à cet exotisme sensuel qu’il sait si bien mettre en scène. L’atmosphère est très forte, énigmatique, ambigüe, avec de constantes allusions à une certaine dépravation et une corruption que l’affairisme des occidentaux ne fait qu’amplifier. Cette atmosphère est rendu encore plus forte par la mise en scène de Sternberg toujours très inventif dans le placement de sa caméra ou dans ses angles de prises de vue (quel plan que celui où l’on découvre la salle de casino au début du film !) Et ses gros plans sont fabuleux. Car l’autre atout de The Shanghai Gesture, c’est le casting. The Shanghai Gesture Agée de 20 ans, Gene Tierney est d’une beauté à couper le souffle qui contribue à distiller un érotisme, subtil certes mais puissant. Autour d’elle, les personnages sont énigmatiques à souhait. Bien qu’elle ne soit pas présente, le film semble marqué par Marlene Dietrich : le personnage d’Omar, joué par Victor Mature, est le pendant masculin des femmes fatales que Marlene personnifiait avec tant de classe et le personnage de Mother Gin Sling, avec son extravagante coiffure et sa présence altière, semble être taillé sur mesure pour Marlene Dietrich. The Shanghai Gesture Les décors style art-déco sont merveilleux. Sur le fond du propos, le film s’attaque plus au pouvoir de l’argent qu’à la société chinoise (1). Probablement trop subtil et ambigu pour le public américain de l’époque, The Shanghai Gesture n’eut aucun succès à sa sortie et les critiques furent très mauvaises (2). La carrière de Josef von Sternberg fut hélas à nouveau stoppée, il ne tournera son film suivant que dix ans plus tard. Dans les années cinquante, le film sera mieux considéré, essentiellement en France et en Europe. A juste titre… car The Shanghai Gesture est une merveille.
Elle: 5 étoiles
Lui : 5 étoiles

Acteurs: Gene Tierney, Walter Huston, Victor Mature, Ona Munson, Phyllis Brooks, Albert Bassermann
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Remarques :
The Shanghai Gesture* On peut se demander comment un film comme The Shanghai Gesture a pu passer le cap de censure. Avec toute cette dépravation exotique, l’érotisme sous-jacent, la drogue (certes non montrée), les femmes en cages vendues aux marins, le film aurait dû être refusé mille fois. D’ailleurs, avant le film de Sternberg, Will Hays et le Production Code auraient refusé pas moins de 30 projets d’adaptation de la pièce de John Colton !

* Les costumes de Gene Tierney ont été dessinés par Oleg Cassini, son mari depuis seulement quelques semaines, que l’actrice avait réussi à faire engager.

(1) La Chine a émis une protestation à l’époque. Un avertissement en début de film a été placé pour préciser que le film n’avait rien à voir avec la réalité… Mais en fait, c’est plutôt la société américaine qui est visée, la société de l’argent ; cela pourrait d’ailleurs expliquer le mauvais accueil du film aux Etats-Unis.
(2) Il faut toutefois tenir compte du fait que le film est sorti 15 jours après Pearl Harbour ; l’exotisme oriental ne faisait plus beaucoup rêver alors. Mais, encore aujourd’hui, le film semble moins plaire aux cinéphiles américains qu’européens.

The Shanghai GestureThe Shanghai GestureThe Shanghai Gesture


The Shanghai Gesture
The Shanghai Gesture
The Shanghai Gesture

31 janvier 2012

Le château du dragon (1946) de Joseph L. Mankiewicz

Titre original : « Dragonwyck »

Le château du dragonAu milieu du XIXe siècle, une jeune fille de fermier est recrutée par un lointain cousin aristocrate pour être la gouvernante de sa fille. Elle se rend donc dans son vaste château qui domine l’Hudson. Elle est émerveillée mais tout ne se passera pas comme dans ses rêves… Pour sa première réalisation, le brillant scénariste Joseph Mankiewicz hérite d’une adaptation qui ne le tentait guère (1). Il en fait tout de même un film parfaitement maitrisé avec une ambiance très forte, dans le genre « gothique ». De façon étonnante, on trouve dans ce premier film de Mankiewicz des thèmes que l’on retrouvera souvent dans ses œuvres, l’homme aveuglé par son ambition en est un. Gene Tierney apporte tout son charme (2) qui crée un beau contraste avec la rigidité du personnage joué (admirablement) par Vincent Price (3). Bien que ce soit sa première réalisation de Joseph Mankiewicz, Le château du dragon n’est pas moins l’un de ses plus beaux films.
Elle:
Lui : 4 étoiles

Acteurs: Gene Tierney, Vincent Price, Walter Huston, Jessica Tandy
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Remarques :
(1) Après avoir lu une première fois le roman d’Anya Seton, Joseph Mankiewicz conseilla à la Fox de ne pas acheter les droits. Il trouvait que l’histoire ressemblait trop à Rebecca et manquait de force. Lubitsch montra toutefois son intérêt et insista. Mankiewicz commença donc à travailler dessus en tant que scénariste. Quand Lubitsch eut sa première crise cardiaque, il se retira et Zanuck proposa à Mankiewicz de le réaliser lui-même. Ernst Lubitsch restera producteur et il semble que Mankiewicz l’ait trouvé un peu trop présent sur le plateau.

Le château du dragon (2) Anecdote : Sur le plateau de Dragonwyck, Gene Tierney rencontra John Kennedy venu en curieux. Son sourire et ses yeux bleus la chavirèrent. Ils eurent ensuite une aventure ensemble qui dura quelque temps. Dans son autobiographie, elle raconte longement cett aventure et dit se souvenir du film uniquement pour cette raison. Pour elle, le film en lui-même est « forgettable » (oubliable)… Elle a tort.

(3) A noter qu’en 1946, Vincent Price n’était pas encore spécialisé dans les films d’horreur. Ce sera plutôt à partir des années cinquante.