27 juin 2017

Barry Lyndon (1975) de Stanley Kubrick

Barry LyndonXVIIIe siècle. Barry est un jeune irlandais sans le sou, qui s’engage dans l’armée à la suite d’un duel, puis déserte, devient ensuite espion puis joueur, fait un mariage d’argent puis connait un irrémédiable déclin…
Après trois films situés dans le futur, Stanley Kubrick plonge dans le passé. Sa tentative de monter Napoléon ayant échouée, le réalisateur anglais jette son dévolu sur un roman picaresque écrit en 1843 par William Makepeace Thackeray (romancier anglais plus connu pour Vanity Fair, La Foire aux vanités). Cette vaste fresque de trois heures est universellement louangée. Il n’est donc point besoin de souligner la beauté des images, la précision des recherches pour une reconstitution très fidèle (la peinture du XVIIIe fut la principale source d’inspiration), les prouesses techniques de l’éclairage à la bougie, l’économie des dialogues dans les scènes fortes, la superbe musique : Haendel, Bach, Mozart, Vivaldi… que du XVIIIe bien entendu, seule entorse Schubert (XIXe)… et caetera. Tout cela est vrai et participe au plaisir de chaque nouvelle vision. Mais c’est aussi  l’occasion de remarquer que Barry Lyndon tire toute sa puissance et son universalité du fait qu’il nous fait plonger au plus profond de l’âme humaine (Stroheim n’est pas loin). Nous éprouvons pour son héros un mélange d’attirance/répulsion car le personnage condense beaucoup des travers de la nature humaine. Le film prend ainsi une autre dimension à nos yeux. A sa sortie, le film fut un échec… sauf en France.
Elle: 5 étoiles
Lui : 5 étoiles

Acteurs: Ryan O’Neal, Marisa Berenson, Patrick Magee, Hardy Krüger, Godfrey Quigley, Leonard Rossiter, Michael Hordern
Voir la fiche du film et la filmographie de Stanley Kubrick sur le site IMDB.

Voir les autres films de Stanley Kubrick chroniqués sur ce blog…

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Barry Lyndon
Le premier plan du film Barry Lyndon de Stanley Kubrick… Woah, quelle composition de plan!

Barry Lyndon
Ryan O’Neal, Gay Hamilton et Leonard Rossiter dans Barry Lyndon de Stanley Kubrick.

Barry Lyndon

Barry Lyndon
Murray Melvin et Marisa Berenson dans Barry Lyndon de Stanley Kubrick.
Pour les fameuses scènes éclairées à la bougie, Kubrick avait réussi à mettre la main sur trois objectifs Zeiss 50mm f0.7 restant d’une commande pour la NASA. Inutile de dire qu’à cette ouverture, la profondeur de champ était passablement réduite et les acteurs ne devaient pas trop bouger de leur place. Il y avait juste un très léger éclairage venant du dessus mais l’essentiel venaient des bougies. Dans le même ordre d’idée (la recherche d’authenticité), l’essentiel des éclairages des scènes intérieures de jour venaient des fenêtres (quitte à ajouter des gros spots à l’extérieur pour stabiliser l’éclairage).

Barry Lyndon
Ryan O’Nealet et Marisa Berenson dans Barry Lyndon de Stanley Kubrick.

26 mai 2017

L’Évangile selon saint Matthieu (1964) de Pier Paolo Pasolini

Titre original : « Il vangelo secondo Matteo »

L'évangile selon saint MatthieuQu’un réalisateur athée et marxiste comme Pasolini porte la vie du Christ à l’écran peut étonner. Le cinéaste venait d’écoper de quatre mois de prison avec sursis pour outrage à la religion pour son moyen métrage Rogopag (La Ricotta) l’année précédente. Que son film reçoive cette fois le Grand prix de l’Office Catholique International du Cinéma (OCIC) surprend encore plus. En revanche, les foudres sont venus des milieux intellectuels parisiens. Pasolini reste en effet très proche des textes. Bien entendu, on pourrait dire qu’il en fait une interprétation politique : il donne le rôle du Christ à un syndicaliste espagnol et ne manque pas d’appuyer les différences de classes entre le peuple et les pharisiens. Mais le propos va beaucoup plus loin que cela : bien qu’il soit athée, Pasolini réédifie/reconstruit le « sacré ». Il faut être un très grand cinéaste pour parvenir à surmonter ce qui serait une contradiction pour beaucoup. Son film acquiert en outre une dimension poétique et philosophique qui naît en partie de son esthétique. Pasolini imprime en nous une forte sensation d’humilité et de dénuement. Les décors en sont les premiers artisans (nous sommes loin des spectacles hollywoodiens) mais cela passe aussi par les corps qui ont une présence étonnante. La musique est superbe et omniprésente, un cocktail inattendu composé d’une bonne dose de Bach (La Passion selon Saint Matthieu, bien-sûr) avec un soupçon de Mozart, de Prokofiev, de Webern, et aussi de blues et de Missa Luba congolais.  Aussi étonnant que cela puisse paraître, L’Évangile selon saint Matthieu est l’un des films les plus aboutis de Pasolini, qui démontre ainsi qu’il n’est pas un cinéaste à ranger dans une petite case.
Elle:
Lui : 5 étoiles

Acteurs: Enrique Irazoqui, Mario Socrate
Voir la fiche du film et la filmographie de Pier Paolo Pasolini sur le site IMDB.

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Remarques :
* Pasolini a en outre réalisé un petit documentaire de 40 mn Repérages en Palestine pour « L’Évangile selon saint Matthieu ». On le voit visiter la Palestine accompagné d’un jésuite progressiste, Don Andrea Carraro. Le réalisateur se désole de ne trouver aucun lieu qui ne soit pas marqué par la modernité mais il s’imprègne des lieux. Ses discussions avec Don Andrea sont intéressantes : bien qu’ils soient fondamentalement opposés, il y a une grande convergence.
* Au final, Pasolini a tout tourné en Italie du Sud où il a trouvé les lieux vierges de toute civilisation qu’il désirait.
* La mère du Christ âgée est interprétée par Susanna Pasolini, la mère du cinéaste.

L'Évangile selon saint Matthieu
Enrique Irazoqui dans L’Évangile selon saint Matthieu de Pier Paolo Pasolini.

L'Évangile selon saint Matthieu
Un quartier semi-troglodytique de la ville italienne de Matera sert de cadre pour le village de Nazareth dans L’Évangile selon saint Matthieu de Pier Paolo Pasolini (lire le commentaire de Jacques C. ci-dessous pour plus d’explications).

24 mai 2017

Napoléon (1927) d’Abel Gance

Napoléon vu par Abel GanceAlléluia ! Après des années d’attente, le chef d’œuvre muet d’Abel Gance, Napoléon, est enfin disponible dans une version digne de ce nom. L’historien Kevin Brownlow s’est attaché sa vie durant à ressusciter ce film mythique, visible ici dans une version de 5h30. Le résultat est à la hauteur des attentes : le spectacle est grandiose !

Ce qui frappe en premier, c’est la modernité et le dynamisme de l’ensemble. Aucun cinéaste, y compris dans l’Avant-garde des années vingt, n’a été aussi loin dans l’inventivité qu’Abel Gance. Cela passe en premier par les mouvements de caméra. Abel Gance veut libérer la caméra de son trépied : il invente une cuirasse pour accrocher la caméra (ancêtre de la steadycam), il fabrique une caméra sous-marine, attache la caméra sur tout ce qui bouge, la suspend à des câbles, l’accroche à un pendulier géant, lui attache des têtes gyroscopiques pour accomplir des mouvements complexes. C’est stupéfiant. Mais le dynamisme vient aussi de l’importante figuration, particulièrement crédible et toujours en mouvement. Tous les récits rapportent qu’Abel Gance avait un charisme et un talent pour mener une foule de figurants, y compris lorsque les conditions étaient difficiles (la prise de Toulon a nécessité quarante jours de tournage sous une pluie battante). Tous semblent pris d’une grande ferveur dans un large mouvement collectif. Et cette ferveur est contagieuse.

Mais le plus spectaculaire est bien entendu le fameux triptyque : trente minutes avant la fin, l’image s’élargit et couvre trois écrans juxtaposés pour un final d’un lyrisme inégalé. L’image finale en bleu, blanc et rouge est d’une puissance indescriptible. Sur le fond, Abel Gance insiste sur la grandeur de Napoléon, ses capacités presque surnaturelles de meneur d’hommes. Il arrange la réalité historique pour renforcer la légende. Gance paraît moins à son aise lorsqu’il s’agit d’évoquer des sentiments personnels : les scènes où Napoléon fait la cour à Joséphine sont les plus faibles. L’interprétation est puissante, d’une grande présence. La musique symphonique de Carl Davis est absolument superbe, une merveille : elle colle à l’image avec une justesse étonnante et vient appuyer avec panache les envolées lyriques.

Six mois après la sortie de Napoléon, l’arrivée du parlant balaya tout sur son passage et toute l’inventivité et la créativité d’Abel Gance tombèrent aux oubliettes. Et bizarrement, après avoir créé trois immenses films muets (J’accuse, La Roue et Napoléon), Abel Gance ne tournera plus que des films plus communs. Ce Napoléon est en tous cas vraiment enthousiasmant, d’un lyrisme époustouflant. Assurément, c’est l’un des plus grands films de tous les temps. (film muet)
Elle:
Lui : 5 étoiles

Acteurs: Albert Dieudonné, Edmond Van Daële, Alexandre Koubitzky, Antonin Artaud, Abel Gance, Gina Manès, Annabella
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Lire aussi le billet sur le blog de la traductrice des livres de Kevin Brownlow

Voir les livres sur le film Napoleon d’Abel Gance
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NapoleonAlbert Dieudonné dans Napoléon de Abel Gance.

Remarques :
Napoléon vu par Abel Gance* Le coffret DVD  est édité par BFI (British Film Institute). Les droits sur le film et sur sa musique sont assez disputés entre BFI (musique Carl Davis), Francis Ford Coppola (musique de Carmine Coppola, son père) et la Cinémathèque Française (musique de Marius Constant). On ne le trouve guère en France. Il faut donc le commander directement sur le site internet de BFI ou sur un site de vente anglais comme Amazon UK. A noter que les intertitres sont bien entendu en anglais et n’ont pas de sous-titres. Les suppléments non plus.
* Ce coffret DVD est sorti fin décembre 2016. Les DVD disponibles avant cette date étaient au mieux la version américaine de Coppola de 220 minutes ou autres versions incomplètes, au pire un assemblage de différentes versions.

* La Cinémathèque Française promet sa propre version pour 2018. Lire un article à ce sujet sur le site de la Cinémathèque, article qui liste bien les différentes versions et promet une version avec de nouveaux éléments. A noter que la musique de Marius Constant n’a pas reçu de très bons échos (voir un exemple avec dans les commentaires la réaction du chef d’orchestre) ; cette partition est basée en partie sur l’originale d’Arthur Honegger. Faire mieux que Carl Davis paraît en tous cas bien difficile mais comme le dit Napoléon, « impossible n’est pas français! » (1)

Napoleon d'Abel GanceLe triptyque est utilisé par Abel Gance soit pour créer une image très large offrant ici une vue sur ses 3000 figurants…
Napoleon d'Abel Gance… soit pour placer trois images différentes.

* Ce Napoléon d’Abel Gance était prévu pour être le premier d’une série de six films sur Napoléon. Il couvre la période de sa jeunesse et de la Révolution française jusqu’au début de la Campagne d’Italie en 1796.

* Napoléon apparaît dans près d’un millier de films (cinéma et télévision). C’est le personnage le plus traité, deux fois plus que Jésus Christ. L’historien Hervé Dumont analyse ce phénomène dans un livre : Napoléon, l’épopée en 1000 films.

Napoleon d'Abel GanceLe ténor russe Alexandre Koubitzky fait un Danton très imposant dans Napoléon de Abel Gance.

Napoleon d'Abel GanceEdmond Van Daële est un inquiétant Robespierre dont la seule vision fait froid dans le dos dans Napoléon de Abel Gance.

Napoleon d'Abel GanceOn ne pourra accuser Abel Gance de s’être réservé le meilleur rôle puisqu’il interprète le sinistre Saint-Just dans son Napoléon.

* Abel Gance fera une version sonore en 1935 sous le titre Napoléon Bonaparte. Ce n’est pas toutefois une sonorisation du film de 1927 : la structure narrative est totalement différente, de nombreuses nouvelles scènes sont tournées. Cette version de 1935 servira de base au Bonaparte et la Révolution produit par Claude Lelouch en 1971.

Napoleon d'Abel GanceLa caméra Debrie sur cette photo est motorisée. Elle est placée sur une luge qui va dévaler une pente (scène de la bataille de boules de neige). (De g. à d.) Simon Feldman (directeur technique qui veille sur les batteries de la caméra), Jules Kruger (directeur de la photo), Alexander Volkoff (assistant-réalisateur), Abel Gance (lunettes de soleil) et un assistant. Photo de tournage de Napoléon de Abel Gance.

Napoleon Abel GanceCette photo montre le harnais/cuirasse porté par Jules Kruger. Un cable relie la caméra Debrie motorisée aux lourdes batteries situées plus ou moins loin en arrière, ce cable pouvant être très long. Photo de tournage de Napoléon de Abel Gance.

Napoleon Abel GanceLe directeur technique Simon Feldman (à droite) contrôle l’installation périlleuse d’une caméra sur un cheval pour la séquence corse, des mécanismes complexes servant à la stabiliser (un peu). Photo de tournage de Napoléon de Abel Gance.

Napoléon Abel GancePour le triptyque de la Campagne d’Italie, trois caméras Debrie motorisées (motorisation synchronisée) étaient montées sur le même trépied. Parallèlement, les images étaient également tournées en couleurs pour un effet 3D (visible avec des lunettes spéciales). Abel Gance a trouvé l’effet saisissant mais a préféré ne pas retenir les images de ces essais de peur que cela distraie les spectateurs du contenu. Photo de tournage de Napoléon de Abel Gance.

Napoleon d'Abel GancePour cette difficile image de la maison natale de Napoléon (en réalité cette ruelle d’Ajaccio fait à peine 3 mètres de large, le recul est très limité), Abel Gance et son directeur de la photographie Jules Kruger ont inventé un objectif grand angle 14mm, le Brachyscope. « C’est comme un télescope que l’on prendrait par le mauvais bout » expliquait Gance. On remarque la déformation des lignes sur les bords (« effet de barillet ») caractéristique des grands angles. Marcel L’Herbier utilisera cette invention pour certaines scènes de L’Argent.

(1) A ce sujet, dans les suppléments du DVD, Carl Davis raconte dans son long interview une anecdote amusante : lors des projections-concerts à Londres, lorsque Napoléon dit « Impossible n’est pas français! », le public ricanait et riait… En revanche, lors d’une projection-concert à Paris, quelle ne fut pas sa surprise de voir que la réplique était accueillie par une ovation du public !

10 mai 2017

Lucrèce Borgia (1935) d’Abel Gance

Lucrèce BorgiaFin du XVe siècle à Rome. Fils du pape Alexandre VI, César Borgia, conseillé par Machiavel, complote pour détruire ses ennemis politiques et mettre la main sur les duchés voisins. Il n’hésite pas à utiliser sa jeune sœur, d’une grande beauté, pour sceller des alliances opportunes… Le personnage historique de Lucrèce Borgia, et la légende qui l’entoure, a été porté à l’écran, petit et grand, à de nombreuses reprises. Cette version d’Abel Gance reste l’une des plus remarquée, pas toujours pour ses qualités cinématographiques mais en tous cas pour le scandale qu’elle suscita : on y voit Edwige Feuillère batifoler nue dans un bassin dont, opportunément, la profondeur ne dépasse guère 1 mètre. A l’époque, cette scène de nudité était d’une grande audace. Ceci mis à part, le scénario présente Lucrèce Borgia comme une victime des manigances criminelles de son frère (thèse la plus souvent partagée aujourd’hui) mais épargne le pape Alexandre VI. L’interprétation est très inégale, assez outrée en ce qui concerne Gabriel Gabrio en César ou Antonin Artaud en Savonarola, plus subtile pour Aimé Clariond en Machiavel. La prestation d’Edwige Feuillère (qui ressemble ici étrangement à Claudette Colbert) est la plus convaincante, le film sera un tremplin pour l’actrice. Tourné sans grande conviction apparente, Lucrèce Borgia est loin d’être le film le plus remarquable dans la filmographie d’Abel Gance.
Elle:
Lui : 3 étoiles

Acteurs: Edwige Feuillère, Gabriel Gabrio, Aimé Clariond, Jacques Dumesnil, Antonin Artaud
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Lucrèce Borgia
Edwige Feuillère (au centre) dans Lucrèce Borgia d’Abel Gance.

9 mai 2017

Lucrèce Borgia (1922) de Richard Oswald

Titre original : « Lucrezia Borgia »

Lucrèce Borgia1498 à Rome. César Borgia tue et assassine tous ceux qui approchent sa cousine (!?) Lucrèce qui est sur le point d’épouser en secondes noces Alphonse d’Aragon… Basé sur un roman d’Harry Scheff, ce film allemand de Richard Oswald est la première grande adaptation des Borgia au cinéma. Marqué par la forte présence de l’acteur Conrad Veidt, le film s’inscrit dans la vogue des films historiques allemands de la première moitié des années vingt. Le scénario est assez confus, prend d’importantes libertés historiques, fait totalement l’impasse sur les motivations politiques de César (d’ailleurs Machiavel est absent). Tout est centré sur le caractère vil et criminel de César Borgia. Conrad Veidt a un jeu très appuyé, prenant souvent des postures menaçantes mais il est incontestablement le pivot du film. La production semble importante. Les scènes de bataille notamment, l’attaque d’un château fortifié vers la fin du film, sont d’une rare ampleur par le décor et une figuration massive. Les quelque 2h10 paraissent toutefois bien longues. (film muet)
Elle:
Lui : 2 étoiles

Acteurs: Conrad Veidt, Liane Haid, Albert Bassermann
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Remarques :
* Etrangement, dans la version américaine visionnée, César et son frère ne sont pas les fils d’Alexandre VI mais ses neveux et, en outre, ils sont les cousins de Lucrèce. Il est probable que cette bizarrerie soit due aux intertitres américains. César n’est donc plus amoureux de sa soeur mais de sa cousine… ce qui est tout de même un peu plus convenable!

* Dans son livre L’écran démoniaque, Lotte H. Eisner souligne l’influence du metteur en scène de théâtre Max Reinhardt sur ces films historiques allemands des années vingt et sur celui-ci en particulier.

* Une scène est étrange par son anachronisme : César Borgia ordonne qu’une femme soit jetée aux lions dans une arène romaine pleine de spectateurs. Rien n’indique qu’il s’agisse d’une scène rêvée ou fantasmée. Sans doute, n’est-ce qu’une allégorie pour montrer la cruauté du personnage.

* Certains critiques américains de l’époque affirment que le film a été tourné en Italie mais, en réalité, il a été tourné en Allemagne, dans les studios de l’UFA principalement.

* C’est William Dieterle qui interprète le rôle de Sforza. Le futur réalisateur a en effet beaucoup tourné en tant qu’acteur dans les années vingt.

Lucrèce Borgia
« Je te maudis César » : Conrad Veidt et Albert Bassermann dans Lucrèce Borgia de Richard Oswald.

Lucrèce Borgia
Liane Haid et Conrad Veidt dans Lucrèce Borgia de Richard Oswald.

19 juin 2016

Le Retour de Martin Guerre (1982) de Daniel Vigne

Le Retour de Martin GuerreDans un petit village paysan de l’Ariège au XVIe siècle, sous le règne de François 1er, Bertrande épouse à 12 ans Martin qui en a 13 dans un mariage arrangé par les familles. L’harmonie n’est pas totale mais ils se forcent à avoir un enfant. Lassé de cette vie et de ses mésententes avec son père, Martin un jour disparaît. Lorsqu’il réapparaît huit ans plus tard, il est devenu un homme séduisant mais tout le monde le reconnaît sans hésiter et l’accueille chaleureusement… Le retour de Martin Guerre est basé sur une histoire authentique que l’historienne américaine Natalie Zemon Davis a relatée dans un livre du même nom. Jean-Claude Carrière et Daniel Vigne l’ont adaptée pour en faire un film où l’intrigue se révèle assez prenante, où notre intérêt croît au fil des rebondissements. La reconstitution historique est soignée et met en lumière certains des codes sociaux du monde paysan de l’époque, où la notion d’héritage a une grande force. Le film montre bien l’organisation sociale d’une petite communauté d’individus et souligne les difficultés de s’assurer de l’identité d’une personne à cette époque. Gérard Depardieu fait une très belle prestation et montre une grande présence à l’écran. Face à lui, Nathalie Baye est d’une belle douceur ; elle est éclairée de telle sorte qu’elle semble souvent échappée d’un tableau de Georges de La Tour. Sans spectaculaire et sans académisme, Le retour de Martin Guerre fait montre de belles qualités.
Elle: 4 étoiles
Lui : 4 étoiles

Acteurs: Gérard Depardieu, Nathalie Baye, Maurice Barrier, Bernard-Pierre Donnadieu
Voir la fiche du film et la filmographie de Daniel Vigne sur le site IMDB.

Remarques :
* En 2014, Daniel Vigne a réalisé pour la télévision un documentaire de 52 minutes intitulé Martin Guerre, retour au village qui revient, trente ans après, à Balagué en Ariège où a été tournée une partie du film. Daniel Vigne vient rendre visite aux habitants du village qui, pour la plupart d’entre eux, s’étaient transformés en paysans du XVIe siècle pour son film.
* Tchéky Karyo est ici dans son premier rôle à l’écran, Dominique Pinon dans son second.

Remake américain (très réussi) :
Sommersby (1993) de Jon Amiel avec Jodie Foster et Richard Gere.

Le retour de Martin Guerre
Gérard Depardieu et Nathalie Baye dans Le Retour de Martin Guerre de Daniel Vigne.

Le Retour de Martin Guerre
?, Nathalie Baye et Gérard Depardieu dans Le Retour de Martin Guerre de Daniel Vigne. L’un de ces plans très inspirés des tableaux de Georges de La Tour.

10 juin 2016

Marie Walewska (1937) de Clarence Brown

Titre original : « Conquest »

Marie WalewskaPologne, 1807. Comme beaucoup de polonais, la comtesse Walewska voient en Napoléon un libérateur des jougs russe et prussien. C’est donc avec un mélange d’admiration et de ferveur patriotique qu’elle rencontre l’empereur. Napoléon tombe instantanément sous son charme… Marie Walewska est un des ces films où Hollywood romance l’Histoire pour servir au plus grand nombre une belle histoire d’amour, de quoi hérisser le poil de tout historien fervent. C’est ici l’histoire de celle qui fut la maitresse de Napoléon de 1807 à 1815, parfois désignée comme « la femme polonaise » de Napoléon. C’est le septième (et ultime) film de Garbo sous la direction de Clarence Brown qui sait donc bien manier la ténébreuse actrice, intimidante pour ses partenaires. Il n’est pas facile de trouver un acteur de sa stature à lui opposer mais force est de constater que Charles Boyer, à défaut d’être parfaitement crédible en Napoléon, est entièrement à la hauteur. L’acteur originaire de Figeac est alors au sommet de sa gloire ; il fait preuve ici d’une palette assez riche de jeu. Certes, il n’y a pas de chimie particulière entre les deux acteurs mais cela sied bien aux personnages. Garbo montre toute la force de son jeu, autant dans la mélancolie, ce qui est habituel, que dans la gaité, ce qui l’est moins. Le film bénéficia de tous les soins, le tournage fut particulièrement long (cinq mois). Malgré cela, le film n’eut qu’un succès relatif et se révéla être un grand gouffre financier pour la MGM. Il n’est pas mineur pour autant mais sans doute manque t-il d’une ou deux scènes de grande envergure qui lui auraient certainement donné de l’ampleur.
Elle:
Lui : 3 étoiles

Acteurs: Greta Garbo, Charles Boyer, Reginald Owen
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Remarques :
* Conquest est souvent présenté comme le film qui a initié la chute de Greta Garbo. De fait, alors qu’elle a touché 500 000 dollars pour faire ce film (soit l’équivalent de 8 millions de dollars de 2016), elle ne touchera que 125 000 dollars pour son film suivant (le délicieux Ninotchka de Lubitsch) soit quatre fois moins.
* Certaines scènes auraient été tournées par Gustav Machatý (le réalisateur austro-hongrois découvreur d’Hedy Lamarr) durant une brève abscence de Clarence Brown pour cause de maladie.
* Le budget du film fut de 2,7 millions de dollars (soit le double de celui de Camille) et n’en rapporta que la moitié. La perte de 1,4 millions fut la plus lourde perte enregistrée pour un seul film par la MGM pour les années 20, 30 et 40.
Nota : à titre de comparaison, le budget de de Gone with the Wind l’année suivante sera de 3,9 millions, nous sommes donc là dans les plus gros budgets.

Marie Walewska
Greta Garbo et Charles Boyer dans Marie Walewska de Clarence Brown.

13 juin 2015

Le Diable boiteux (1948) de Sacha Guitry

Le Diable boiteuxA la Libération, Sacha Guitry est accusé de collaboration, emprisonné, puis libéré pour absence totale de chef d’accusation. Pour laver son honneur, il s’empare de la biographie de Talleyrand et la façonne pour en faire un grand homme politique. Surnommé le Diable boiteux, l’homme fut en effet lui aussi accusé d’avoir retourné sa veste plusieurs fois (monarchiste, jacobin, ministre sous le Directoire, conseiller de Napoléon, de Louis XVIII, etc.). Sacha Guitry le modèle à son image et nous démontre que ce qui ressemblait à de l’opportunisme n’était en réalité qu’une recherche du meilleur moyen de servir la France. Si le film déçoit quelque peu, ce n’est pas du fait de cette interprétation de l’Histoire (après tout, avec Guitry, on sait d’avance que des libertés seront prises) mais plutôt du fait de la mise en scène assez lourde, presque pataude. Le centrage sur Guitry est plus pesant, l’interprétation des autres acteurs parait assez impersonnelle. Les bons mots sont là mais ils sont moins nombreux et chargés de férocité. La fantaisie a laissé la place à une sombre amertume, état d’esprit que l’on peut certes comprendre. L’ensemble paraît hélas un peu long.
Elle:
Lui : 2 étoiles

Acteurs: Sacha Guitry, Lana Marconi, Émile Drain
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Voir les autres films de Sacha Guitry chroniqués sur ce blog…

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Remarques :
* On remarquera les doubles rôles pour les acteurs interprétant les quatre valets de Taylleyrand. Nous retrouvons les mêmes acteurs dans les rôles de gouvernants : Napoléon, Louis XVIII, Charles X et Louis-Philippe.
* Le premier scénario avait été refusé par la censure. Guitry en a alors fait une pièce intitulée Talleyrand et jouée début 1948, pièce qu’il a adaptée en film.

Le Diable boiteux
Lana Marconi et Sacha Guitry dans  Le Diable boiteux de Sacha Guitry.

9 juin 2015

L’invincible Armada (1937) de William K. Howard

Titre original : « Fire Over England »

L'invincible ArmadaA la fin du XVIe siècle, les relations entre l’Angleterre et l’Espagne, alors la nation la plus puissante du monde, sont proches de la rupture. La Reine Elizabeth I s’inquiète de la menace que la puissante marine de guerre espagnole fait peser sur ses côtes. La flotte anglaise serait bien trop faible pour pouvoir résister… Basé sur un roman de A.E.W. Mason, le film anglais Fire Over England retrace l’une des pages les plus glorieuses de l’Histoire de l’Angleterre. C’est aussi, en 1937 où l’Europe ressent la menace nazie, un moyen de rappeler la force de la Nation et la grandeur de se battre pour idéal de liberté et contre l’obscurantisme. Cette production d’Alexander Korda est d’une indéniable qualité, que ce soit dans ses décors soignés, sa mise en scène précise ou ses beaux mouvements de caméra de James Wong Howe. Mais le plus remarquable est certainement la qualité de l’interprétation avec le couple Vivien Leigh et Laurence Olivier (qui marque le début de l’idylle entre les deux acteurs), Raymond Massey ou encore Flora Robson, impériale dans son rôle de reine…
Elle:
Lui : 3 étoiles

Acteurs: Flora Robson, Raymond Massey, Leslie Banks, Laurence Olivier, Vivien Leigh, James Mason
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Voir les autres films de William K. Howard chroniqués sur ce blog…

Remarque :
* La légende veut que c’est en regardant Vivien Leigh dans Fire over England que Myron Selznick (frère de David O. Selznick) a vu en elle l’actrice idéale pour interpréter Scarlet O’Hara dans Autant en emporte le vent.

Fire over England
Vivien Leigh et Laurence Olivier dans L’invincible Armada de William K. Howard

Fire over England
Flora Robson en Reine Elizabeth I dans L’invincible Armada de William K. Howard.
A noter que l’actrice retrouvera le même rôle trois ans plus tard dans L’Aigle des mers de Michael Curtiz (1940).

Fire over England
Assez difficile à reconnaitre : le jeune James Mason dans un petit rôle dans L’invincible Armada de William K. Howard (il ne figure pas au générique initial)

7 février 2015

Exodus (1960) de Otto Preminger

ExodusExodus raconte les évènements qui précèdent la fondation de l’état d’Israël en 1948, depuis l’odyssée du cargo éponyme rempli de réfugiés jusqu’au vote du partage de la Palestine à l’ONU… Adapté d’un roman fleuve de Leon Uris, Exodus a été conçu comme une vaste saga, avec de nombreux personnages et s’étalant sur plus de trois heures. Le scénariste Donald Trumbo a fait un beau travail d’écriture qui donne un bel équilibre entre romance et action politique, même si l’on peut regretter l’emploi de stéréotypes pour générer le lyrisme. Version romancée de faits historiques, Exodus (et notamment son degré d’objectivité) va être diversement apprécié selon le regard que l’on porte sur le conflit qui a suivi ces évènements. Si les sentiments mitigés et embarrassés des anglais sont bien représentés, si l’option de l’action violente est bien montrée comme source de dissensions parmi les juifs et comme futur héritage embarrassant, il faut bien reconnaître que le point de vue arabe n’est jamais montré. Cinématographiquement parlant, Exodus est réussi, bien maitrisé de bout en bout par son réalisateur. Les acteurs font tous une belle prestation, Sal Mineo étant particulièrement remarquable dans un rôle d’homme-enfant. La musique d’Ernest Gold fut oscarisée. Le succès et l’impact du film furent très importants.
Elle:
Lui : 3 étoiles

Acteurs: Paul Newman, Eva Marie Saint, Ralph Richardson, Lee J. Cobb, Sal Mineo, John Derek, Hugh Griffith, Gregory Ratoff, Jill Haworth, Marius Goring, Alexandra Stewart
Voir la fiche du film et la filmographie de Otto Preminger sur le site IMDB.

Voir les autres films de Otto Preminger chroniqués sur ce blog…

Lire une analyse plus complète sur le site DVDClassiks

Voir les livres sur Otto Preminger

Exodus d'Otto Preminger

Remarques :
* Dans ses mémoires, Otto Preminger raconte comment il a racheté les droits du roman de Leon Uris à la MGM en les convaincant qu’ils risquaient un boycott dans les pays arabes : « Moi, je peux me le permettre car je suis un producteur indépendant. » Une fois en possession des droits, Preminger commença à travailler au scénario avec l’auteur, mais peu satisfait des dialogues, écarta ce dernier pour embaucher Albert Maltz (rapidement jugé trop lent) puis Dalton Trumbo, tous deux alors sur la liste noire établie aux heures les plus sombres du maccarthysme. Preminger mit Donald Trumbo sous son vrai nom au générique, ce qui constituait une première et contribua grandement à la réhabilitation des talents mis sur liste noire qui devint ipso facto lettre morte.

* Autres films relatant les mêmes évènements :
Exodus (Il grido della terra) de l’italien Duilio Coletti (1949)
La Bataille des sables (Sword in the desert) de l’américain George Sherman (1949) avec Dana Andrews
deux films beaucoup moins connus et faits « à chaud ».