28 octobre 2013

Le héros sacrilège (1955) de Kenji Mizoguchi

Titre original : « Shin heike monogatari »

Le héros sacrilègeDans le Japon du XIIe siècle, le capitaine Tadamori rentre à Kyoto après avoir vaincu une révolte de pirates dans les mers de l’ouest. Les nobles de la cour empêchent l’empereur de le féliciter car il n’est qu’un samouraï. Ce mépris génère un fort ressentiment chez son fils Kiyomori… Avec Le héros sacrilège, Kenji Mizoguchi met en scène une période charnière de l’histoire du Japon, le moment où les nobles et les moines d’influence chinoise vont perdre leurs pouvoirs au profit des samouraïs, ouvrant ainsi une période de pouvoirs plutôt militaires qui va durer 7 siècles. Il est bien entendu possible de faire un parallèle avec le Japon des années cinquante qui, au lendemain de la Seconde Guerre mondiale, était également en mutation, avec la bénédiction des américains. Dans les deux cas, une classe au pouvoir devait céder le pouvoir au peuple. Le héros sacrilège est donc une belle fresque historique, le second (et dernier) film en couleurs de Mizoguchi (1). Le film a été tourné avec des moyens assez importants comme l’attestent plusieurs scènes de grande ampleur avec de très nombreux figurants. Mizoguchi soigne la reconstitution, les décors, les costumes. Fait rarissime chez le cinéaste, la femme est ici vile et cupide, le héros est un homme. Ce fils va se construire en créant la rupture, bravant les interdits, refusant le joug de la caste des nobles ou des religieux. Outre la force du récit, l’autre point fort du film est sa beauté formelle. La mise en scène Mizoguchi appuie subtilement le propos, alternant plans séquences avec un montage plus heurté, jouant avec les couleurs pour renforcer des sentiments. Le héros sacrilège est certes un film inhabituel pour Mizoguchi (et il n’était probablement pas totalement enthousiasmé par le sujet) mais il n’en mérite pas moins de figurer parmi ses plus grandes réalisations.
Elle:
Lui : 5 étoiles

Acteurs: Narutoshi Hayashi, Raizô Ichikawa, Tatsuya Ishiguro, Michiyo Kogure, Yoshiko Kuga, Eitarô Shindô
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Remarques :
* Mizoguchi adapte le roman historique d’Eiji Yoshikawa, Shin heike monogatari, qui donnait une nouvelle version de cette montée au pouvoir du clan Taira (aussi nommé Heike) au XIIe siècle. L’écrivain réhabilitait le rôle de Kiyomori Taira qui était auparavant mal considéré dans la tradition populaire. Mizoguchi n’adapte que la moitié du roman, la seconde sera adaptée en 1956 par Teinosuke Kinugasa : Shin, Heike monogatari: Yoshinaka o meguru sannin no onna, film aujourd’hui perdu. Kinugasa avait déjà réalisé deux ans plus tôt, La Porte de l’enfer (1953), film récompensé par une Palme d’or à Cannes et qui traite de la même époque.

* Mizoguchi n’aime pas les scènes d’action et son scénariste, Yoshikata Yoda, raconte que le cinéaste l’a fait venir au moment de tourner la scène finale avec les palanquins, une scène avec laquelle il était très mal à l’aise et qu’il aurait préféré ne pas tourner.

* Le héros sacrilège a lancé la carrière du jeune acteur Raizô Ichikawa (qui n’a aucun lien de parenté avec le réalisateur Kon Ichikawa) qui est devenu un acteur très célèbre au Japon.

(1) Mizoguchi préférera revenir au noir au blanc pour son film suivant qui sera, hélas, son ultime réalisation.

26 octobre 2013

L’impératrice Yang Kwei-Fei (1955) de Kenji Mizoguchi

Titre original : « Yôkihi »

L'impératrice Yang Kwei-FeiDans la Chine du VIIIe siècle, l’empereur Hiuan-Tsong est inconsolable depuis la mort de l’impératrice, seule la musique lui donne quelque joie. On lui présente une jeune fille d’origines simples qui lui ressemble. D’abord réticent, l’empereur est rapidement charmé par sa fraîcheur et sa sincérité… Basé sur une légende très connue en Chine et même au Japon, L’impératrice Yang Kwei-Fei est le premier film de Mizoguchi en couleurs. Les décors et les somptueux costumes, richement reconstitués, profitent pleinement de ce passage à la couleur. Le film est esthétiquement très beau et le fait d’avoir choisi une histoire se déroulant en Chine permet de jouer avec les tons pastel. Il ne faut pas vraiment chercher à faire une lecture politique ou historique du film, L’impératrice Yang Kwei-Fei est plus l’histoire d’un amour très pur de deux êtres entourés par des personnages dévorés d’ambition ou mûs par des intérêts égoïstes (1). Le personnage de Yang Kwei-Fei est presque virginal, totalement désintéressé, un modèle de vertu qui ira jusqu’au sacrifice suprême (2). Mizoguchi reforme ici le couple de Rashômon, Machiko Kyô et Masayuki Mori, qui ont tous deux une belle présence à l’écran. Si le déroulement de l’histoire n’est pas le point fort du film, L’impératrice Yang Kwei-Fei est très beau et comporte de superbes scènes (la fête populaire, les vergers en fleurs, l’exécution finale).
Elle:
Lui : 4 étoiles

Acteurs: Machiko Kyô, Masayuki Mori, Sô Yamamura, Eitarô Shindô, Eitarô Ozawa
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Remarques :
* Le titre peut se traduire par « La première concubine ». En effet, contrairement à ce que laisse croire la traduction hâtive du titre en français (et également en anglais), Yang Kwei-Fei ne fut jamais impératrice mais seulement première concubine.
* L’impératrice Yang Kwei-Fei est une coproduction entre la japonaise Daiei et la chinoise Shaw Brothers basée à Hong Kong.

(1) Sur ce point, on peut rapprocher L’impératrice Yang Kwei-Fei du film précédent de Mizoguchi Les Amants crucifiés.

(2) Le sacrifice de la femme par suicide (ou, comme ici, par mort acceptée) est un thème que l’on retrouve dans de nombreux films de Mizoguchi.

25 octobre 2013

Les Amants crucifiés (1954) de Kenji Mizoguchi

Titre original : « Chikamatsu monogatari »

Les amants crucifiés A la fin du XVIIe siècle, Mohei est le brillant employé de l’imprimeur des calendriers du palais impérial. La jeune épouse de son patron lui demande de lui consentir un prêt pour aider sa famille car son mari est très avare. Un concours de circonstances va les obliger à s’enfuir ensemble… Les Amants crucifiés est l’adaptation d’une pièce de Monzaemon Chikamatsu écrite en 1715. L’histoire est assez inhabituelle pour Mizoguchi : alors que nombre de ses films précédents montrent l’impossibilité de l’amour parfait, Les Amants crucifiés a pour pivot central une histoire d’amour totalement partagé de deux êtres purs, un amour d’abord non déclaré du fait des conventions sociales mais qui va pouvoir s’exprimer une fois passé dans l’illégalité. Comme le titre le laisse supposer, tout cela se terminera mal, Mizoguchi n’a d’ailleurs aucun attrait pour les happy-ends. Les autres personnages sont en effet particulièrement vils, soit par avarice ou arrivisme, soit par respect des conventions qui pèsent lourdement sur la société. Le traitement par Mizoguchi est à la fois puissant et beau, avec des scènes de fuite assez remarquables et, une fois encore, une très belle scène dans une barque de nuit. Même s’il est un peu moins connu que Les Contes de la lune vague après la pluie ou L’Intendant Sansho, Les Amants crucifiés fait bien partie des plus grands films de Mizoguchi.
Elle: 4 étoiles
Lui : 5 étoiles

Acteurs: Kazuo Hasegawa, Kyôko Kagawa, Eitarô Shindô, Eitarô Ozawa, Yôko Minamida
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Remarques :
* Yoshikata Yoda rapporte dans son livre « Souvenirs de Kenji Mizoguchi » que Mizoguchi ne semblait pas particulièrement enthousiasmé par le projet. Etait-ce dû à sa récente  rupture avec Kinuyo Tanaka ? Au choix de l’acteur principal Kazuo Hasegawa qu’il pensait trop âgé ? A sa déception de n’avoir reçu que des Lions d’argent à Venise alors que Kurosawa avait déjà été récompensé par un Lion d’or ?

* Monzaemon Chikamatsu (1653-1725) écrivait des pièces pour le théâtre de marionnettes (le jôruri, ancêtre du bunraku). Parfois surnommé « le Shakespeare japonais », il est considéré comme le plus grand dramaturge japonais. Ses pièces mêlent souvent amour et suicides. Il est très connu au Japon, d’ailleurs le titre original japonais peut être traduit ainsi : « Un récit de Chikamatsu ».

24 octobre 2013

Une femme dont on parle (1954) de Kenji Mizoguchi

Titre original : « Uwasa no onna »

Une femme dont on parleDans le quartier des plaisirs de Kyoto, Hatsuko dirige une maison de geishas. Elle vient d’aller chercher sa fille qui faisait des études à Tokyo après que celle-ci ait tenté de se suicider à la suite d’une peine de coeur. D’allure et de tempérament moderne, la jeune fille rejette le métier de sa mère… Une femme dont on parle est un film qui a été imposé à Mizoguchi par sa compagnie, la Daiei. L’histoire a toutefois été écrite par Masashige Narusawa et Yoshikata Yoda. Elle met en relief non seulement le fossé des générations mais aussi les difficultés de l’amour et l’impossibilité pour les femmes de ce milieu de sortir de leur condition. Il est, bien entendu, tentant de rapprocher Une femme dont on parle de Les Musiciens de Gion tourné l’année précédente. L’histoire est ici un peu moins puissante, les personnages étant également moins forts. Sur la forme, Mizoguchi semble s’écarter quelque peu des longs plans séquences, utilisant le montage pour insérer fréquemment des gros plans et des champs-contrechamps. Les travelings semblent également plus rares. Une femme dont on parle n’en reste pas moins un beau film empreint d’un certain fatalisme.
Elle:
Lui : 3 étoiles

Acteurs: Kinuyo Tanaka, Tomoemon Otani, Yoshiko Kuga, Eitarô Shindô
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Remarques :
* C’est le dernier film de Mizoguchi avec son actrice fétiche, dont il était plus ou moins secrètement amoureux, Kinuyo Tanaka. L’actrice était en effet passée de l’autre côté de la caméra pour réaliser un premier film et un second film était en projet. Assez égoïstement, Mizoguchi tenta même de bloquer ce second projet. Ils se quittèrent donc en mauvais termes. Kinuyo Tanaka est devenue la première femme réalisatrice japonaise. Elle a réalisé 6 films entre 1953 et 1962 tout en continuant à être une actrice très demandée (entre 1924 et 1976, elle apparaît dans 163 films).

* On peut se demander pourquoi tant de films de Mizoguchi ont pour cadre le milieu des geishas ou de la prostitution. La réponse, il faut aller la chercher dans l’enfance du cinéaste. En 1905 (Kenji a alors 7 ans), la famille Mizoguchi est ruinée et le père est réduit à placer sa fille comme geisha. Ce sacrifice de sa soeur ainée pour faire vivre la famille a marqué durablement le cinéaste. Plus tard, dans les années 30 et 40, il a lui-même beaucoup fréquenté les prostituées (ce qui d’ailleurs était socialement admis à cette époque), éprouvant toujours de la sympathie pour elles.

23 octobre 2013

L’Intendant Sansho (1954) de Kenji Mizoguchi

Titre original : « Sanshô dayû »

L'intendant SanshoAu XIe siècle, le fils et la fille d’un gouverneur exilé pour ses idées humanistes sont vendus comme esclaves à un seigneur brutal et cruel… L’Intendant Sansho est adapté d’une légende populaire japonaise, plus précisément dans sa version écrite en 1915 par Ogai Mori. Nous sommes ici à une époque très ancienne où l’humanité n’est pas encore une valeur de société mais commence à poindre de façon individuelle : les prémices d’une longue transition. « L’homme qui est fermé à la pitié n’est pas humain, sois exigeant envers toi-même et généreux envers les autres », tel est le précepte que le père transmet à son jeune fils avant d’en être séparé. Le parcours des deux enfants sera difficile avant de pouvoir le mettre en pratique. Le récit de Mizoguchi est fort et prenant, toujours admirable de simplicité, sans excès de dramatisation, profondément humaniste. La scène finale est sans aucun doute la fin la plus forte et émouvante de toute la filmographie de Mizoguchi. Du grand cinéma.
Elle: 5 étoiles
Lui : 5 étoiles

Acteurs: Kinuyo Tanaka, Yoshiaki Hanayagi, Kyôko Kagawa, Eitarô Shindô
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Remarques :
* L’Intendant Sansho est l’un des rares films de Mizoguchi qui ne repose pas sur un personnage féminin central et fort.

* La dernière période de Mizoguchi (1950-1956) se partage entre films historiques et films se déroulant à l’époque contemporaine. Il faut garder à l’esprit que Rashômon de Kurosawa fut le premier film japonais à acquérir une renommée internationale (à la suite de son Lion d’Or en 1951) et le désir de faire des films d’époque était aussi celui de retrouver le succès de Rashômon. Ajoutons à cela que Mizoguchi, ayant tout de même débuté vingt ans avant Kurosawa, devait éprouver l’envie d’être reconnu en Occident comme le meilleur cinéaste japonais.

* L’Intendant Sansho remporta un Lion d’Argent au festival de Venise en 1954. Les trois autres films à recevoir cette récompense cette année-là furent La Strada de Fellini, Les Sept Samouraïs de Kurosawa et Sur les quais d’Elia Kazan… Un beau quartet ! On peut saluer la clairvoyance du jury (tout serait parfait si le film qui reçut la récompense suprême, le Lion d’Or, n’avait pas été le Roméo et Juliette de Renato Castellani, film qui a laissé une trace bien moindre…)

* Mizoguchi s’adressa d’abord à Fuji Yahiro pour écrire l’adaptation du texte d’Ogai Mori. Celui-ci étant essentiellement un récit pour enfants, Yahiro écrivit une adaptation dans le même esprit qui ne plût guère à Mizoguchi. Le cinéaste se tourna alors vers son fidèle Yoshikata Yoda.

22 octobre 2013

Les Musiciens de Gion (1953) de Kenji Mizoguchi

Titre original : « Gion bayashi »
Autre titre français « La Fête à Gion »

Les musiciens de Gion ou La fête à GionA Kyoto, une jeune fille se présente chez Miyoharu, geisha de belle réputation. Elle désire apprendre le métier de courtisane afin de prendre la place de sa mère décédée qui travaillait avec Miyoharu. Convaincue par son ardeur, cette dernière accepte de la prendre en charge… Les Musiciens de Gion reprend le même thème que Les Soeurs de Gion, réalisé par Mizoguchi en 1936, mais ce n’est en aucun cas un remake. Le propos est tout à fait différent. Alors que le film de 1936 dressait le portrait de deux geishas aux caractères tout à fait opposés, Les Musiciens de Gion nous montre comment le métier de geisha changeait radicalement de visage dans la société japonaise de l’Après-guerre : la compagnie des geishas était autrefois recherchée essentiellement pour leurs talents dans les arts et pour leur raffinement, sans que cela ne débouche (systématiquement du moins) sur un rapport sexuel. Dans le Japon des années cinquante, ce métier commençait à s’effacer pour laisser la place à une prostitution plus directe. Mizoguchi filme cette histoire avec beaucoup de délicatesse et de sensibilité, sans apitoiement et sans discours moralisateur. Moins réputé que les autres films de Mizoguchi des années cinquante qui lui ont certainement fait de l’ombre, Les Musiciens de Gion n’est pas moins un très beau film.
Elle:
Lui : 4 étoiles

Acteurs: Michiyo Kogure, Ayako Wakao, Seizaburô Kawazu
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21 octobre 2013

Les Contes de la lune vague après la pluie (1953) de Kenji Mizoguchi

Titre original : « Ugetsu monogatari »

Les contes de la lune vague après la pluieDans le Japon du XVIe siècle secoué par des guerres civiles, deux villageois se séparent de leur femme : l’un est potier et désire profiter de la guerre pour vendre ses poteries à la ville et devenir riche, l’autre est paysan et rêve de devenir un grand samouraï… Les Contes de la lune vague après la pluie s’inspire de plusieurs histoires écrites en 1776 par Ueda Akinari dans ses Contes de pluie et de lune (Ugetsu monogatari), un grand classique de la littérature japonaise. Nous suivons le parcours de deux hommes aiguillonnés par l’attrait de la richesse ou des honneurs au point de les aveugler et de causer leur perte. La guerre agit comme un catalyseur : la guerre semble offrir des opportunités (de gloire et/ou de richesse) mais en réalité elle n’apporte qu’exactions, famine et destruction. Le film fustige ainsi autant la guerre que la cupidité. Les Contes paraît moins centré sur le destin de la femme que les films précédents de Mizoguchi : ici, même si la femme est la raison d’être des rêves des grandeurs de l’homme et si elle est la première à en subir les funestes conséquences, c’est l’homme que nous suivons et qui est montré comme une victime. Les contes de la lune vague après la pluie Une grande partie du charme des Contes de la lune vague après la pluie vient de la réunion de deux mondes : le réel et le surnaturel s’entremêlent subtilement par l’esthétisme de la mise en scène, par la délicatesse des mouvements de caméra (notamment ses fameux travelings latéraux), par la beauté de certaines scènes (le lac, le temple, etc.). Tous ces éléments contribuent à nous envelopper d’une atmosphère unique, entre songe et réalité. Depuis 60 ans, Les Contes de la lune vague après la pluie est le film le plus connu de Mizoguchi. Il nous enthousiasme toujours autant aujourd’hui, il fait partie de ces films sur lesquels le temps ne semble pas avoir de prise.
Elle: 5 étoiles
Lui : 5 étoiles

Acteurs: Machiko Kyô, Mitsuko Mito, Kinuyo Tanaka, Masayuki Mori, Eitarô Ozawa
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Remarques :
Les contes de la lune vague après la pluie* Les Contes de pluie et de lune de Ueda Akinari est un recueil de neuf contes fantastiques : Shiramine, Le Rendez-vous aux chrysanthèmes, La Maison dans les roseaux, Carpes telles qu’en songe…, Buppôsô, Le Chaudron de Kibitsu, L’Impure Passion d’un serpent, Le Capuchon bleu, Controverse sur la misère et la fortune.
* Un conte de Guy de Maupassant a également été source d’inspiration pour l’écriture du scénario.
* (Attention ce qui suit dévoile en partie la fin du film)
Kenji Mizoguchi n’a pu tourner la fin qu’il désirait. Le scénario prévoyait que Tobei, samouraï indûment glorieux, profite durablement des honneurs et de sa nouvelle vie tandis que Genjiro ne rentrait pas dans son village et ne se repentait à aucun moment. Mizoguchi désirait ainsi montrer à quel point l’homme et la société étaient perverties. Les studios Daiei refusèrent cette fin trop noire et imposèrent un dénouement plus moralisateur. Mizoguchi en fut assez affecté et critiqua profondément son film quelque temps après sa sortie dans une interview.
* Le film remporta le Lion d’argent à Venise de 1953 (cette année-là, il n’y eut pas de Lion d’or) et devint ainsi l’un des rares films japonais à être largement connus en Occident dans le sillage de Rashômon de Kurosawa.
* A sa sortie au Japon, le film fut assez peu remarqué. Ce n’est qu’après l’excellent accueil reçu en Occident qu’il fut mieux considéré en son pays.

* Les Contes de la lune vague après la pluie est plus précisément tiré de deux des neuf contes du recueil d’Ueda Akinari : La Maison dans les roseaux,et L’Impure Passion d’un serpent.
La Maison dans les roseaux relate l’histoire d’un commerçant qui laisse sa femme dans son village pour aller faire des affaires à la ville. La guerre civile l’empêche de revenir et ensuite ses revers de fortune l’en éloignent encore plus. Ce n’est que sept plus tard qu’il revient dans son village mais c’est le fantôme de sa défunte femme qui l’accueille.
L’Impure Passion d’un serpent raconte comment le dernier fils d’un important pêcheur fait la rencontre d’une très belle jeune femme. Il se rend chez elle et elle lui fait don d’un sabre de samouraï qui s’avère être un sabre dérobé dans un monastère. Lorsque le fils revient à la maison de la jeune femme, la demeure est délabrée et envahie par la verdure. Il réalise qu’il a été victime d’un démon et se rend dans sa famille éloignée. Partout où il va, il rencontre la même jeune femme qui tente de l’attirer et qui, une fois démasquée, reprend une forme de serpent. Le fils ne parvient à se débarrasser de ce sortilège qu’avec l’aide d’un grand prêtre.

19 octobre 2013

La Vie d’O’Haru, femme galante (1952) de Kenji Mizoguchi

Titre original : « Saikaku ichidai onna »

La vie d'O'Haru femme galanteAu XVIIe siècle, O’Haru est Dame d’honneur à la cour impériale de Kyoto. Après s’être laissé courtiser par un homme de moindre rang que le sien, elle est chassée et exilée à la campagne avec sa famille… La Vie d’O’Haru femme galante est adapté d’un roman écrit en 1686 par Saikaku Ihara, écrivain très connu au Japon. Il retrace le parcours d’une femme qui va connaitre la déchéance, passant par de nombreuses situations mais subissant à chaque fois des règles sociales faites pour les hommes et où la femme ne reçoit aucune considération. C’est donc une profonde critique de la société et du comportement des hommes de cette époque féodale, certes révolue au moment où Mizoguchi tourne son film mais qui trouve des prolongements dans notre société moderne. L’art de Mizoguchi est de traiter cette histoire sans mélodrame, montrant avec une belle simplicité et même un certain dépouillement cette fatalité subie. Il se dégage une indéniable beauté de ses images où tout parait à la fois simple et parfait et le propos ne prend que plus de force. Kinuyo Tanaka montre beaucoup de retenue et de délicatesse dans son interprétation. A noter que Mizoguchi ne fait pas vieillir son personnage tout au long du récit ce qui donne un caractère atemporel au film.
Elle:
Lui : 5 étoiles

Acteurs: Kinuyo Tanaka, Tsukie Matsuura, Ichirô Sugai, Toshirô Mifune, Daisuke Katô
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Remarques :
* C’est avec La Vie d’O’Haru femme galante que l’Europe a découvert Mizoguchi lors du Festival de Venise en 1952. Auparavant, Kurosawa était le seul cinéaste japonais connu (depuis peu) en Occident.
* Le film a été tourné avec un budget très réduit, forçant Mizoguchi à utiliser un entrepôt au lieu d’un véritable studio. Le bruit des trains d’une voie ferrée proche obligeait à interrompre fréquemment le tournage.
* Le court rôle de Toshirô Mifune dans ce film sera la seule participation de l’acteur à un film de Mizoguchi.

Pour en savoir plus sur l’écrivain Ihara Saikaku (1642-1693) : lire….

18 octobre 2013

Miss Oyû (1951) de Kenji Mizoguchi

Titre original : « Oyû-sama »
Autres titres français : « Mademoiselle Oyû », « Madame Oyû »

Madame OyûJapon, fin de l’ère Meiji (1). Lorsque Shinnosuke est présenté à Shizu en vue d’un mariage, il est ébloui par sa soeur Oyû, plus âgée. Bien qu’elle soit veuve, les conventions empêchent toutefois cette dernière de se marier car elle reste liée à son défunt mari par l’enfant qu’ils ont eu ensemble… Miss Oyû est adapté d’un roman à succès des années trente de Jun’ichirô Tanizaki. Ce triangle amoureux est rendu très puissant par la force des sentiments et la mise en scène, belle et épurée de Mizoguchi. C’est essentiellement un double portrait de femme, le personnage masculin étant, comme souvent chez Mizoguchi, particulièrement faible : ce sont les femmes qui décident pour lui. Il recherche avant tout la mère qu’il n’a que très peu connue. Les personnalités d’Oyû et de sa jeune soeur sont bien plus développées, fortes sans être complexes. Mizoguchi filme avec une certaine épure, avec une caméra qui sait se faire mobile (travelings latéraux) quand il faut et des cadrages qui jouent avec la distance ou la proximité. Miss Oyû est souvent considéré comme mineur dans la filmographie de Mizoguchi mais cette alliance (tant recherchée par les cinéastes) de force et de simplicité rend ce film assez remarquable.
Elle:
Lui : 4 étoiles

Acteurs: Kinuyo Tanaka, Nobuko Otowa, Yûji Hori
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(1) L’ère Meiji est la période historique du Japon qui va de 1868 à 1912, sous le règne de l’Empereur Meiji. Cette période qui a vu l’ouverture du pays sur le monde extérieur est celle qui a le plus inspiré écrivains et cinéastes.

17 octobre 2013

Spéciale première (1974) de Billy Wilder

Titre original : « The Front Page »

Spéciale premièreC’est la veille de l’exécution d’un soi-disant dangereux extrémiste que l’excellent journaliste Hildy Johnson annonce son départ : il va se marier. Mécontent de perdre son meilleur élément, son rédacteur en chef est prêt à tout pour le retenir… Après l’insuccès d’Avanti, Billy Wilder est à la recherche d’un sujet susceptible de plaire à un large public. Il choisit d’adapter la pièce de Ben Hecht The Front Page déjà porté à l’écran par deux fois. Alors qu’Howard Hawks avait brillamment réussi en s’éloignant quelque peu de la pièce originale, Billy Wilder s’en rapproche et c’est peut-être pour cette raison que le film semble assez retenu, comme prisonnier de son format originel, il semble manquer l’étincelle qui le porterait très haut. Pour mettre toutes les chances de son côté, il a pourtant choisi un duo d’acteurs qui a toujours bien fonctionné, Walter Matthau et Jack Lemmon, mais ils ont trop peu de scènes ensemble. Le résultat reste fort plaisant, le rythme est enlevé et le ton très caustique : le propos est de fustiger une certaine presse peu scrupuleuse de relater la vérité et les hommes politiques passablement corrompus. L’humour joue beaucoup avec la tromperie. Spéciale première ne rencontrera pas le succès attendu et Billy Wilder se jura alors de ne plus réaliser de remakes (1).
Elle:
Lui : 3 étoiles

Acteurs: Jack Lemmon, Walter Matthau, Susan Sarandon, David Wayne, Austin Pendleton, Carol Burnett
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Autres adaptations de la pièce de Ben Hecht :
The Front Page de Lewis Milestone (1931) avec Pat O’Brien dans le rôle du journaliste et Adolphe Menjou dans le rôle du patron de journal.
La Dame du vendredi (His Girl Friday) de Howard Hawks (1940) avec Rosalind Russell(la journaliste) et Cary Grant (le patron).
Switching Channels (Scoop) de Ted Kotcheff (1988) avec Kathleen Turner (la journaliste) et Burt Reynolds (le patron)

(1) Pourtant son dernier film en sera un : Buddy Buddy (1981) est un remake du film d’Edouard Molinaro L’Emmerdeur.