21 février 2020

Une année polaire (2018) de Samuel Collardey

Une année polaireAnders Hvidegaard, jeune instituteur danois attiré par l’aventure et les voyages, aspire à une nouvelle vie avant de reprendre la ferme familiale. Il postule pour aller enseigner au Groenland et choisit un petit hameau isolé d’une centaine d’habitants nommé Tiniteqilaaq…
La genèse de ce film est étonnante : le français Samuel Collardey avait choisi de réaliser un long métrage se situant au Groenland et avait finalement jeté son dévolu sur ce petit village. Apprenant que l’institutrice proche de la retraite allait être remplacé par un jeune venu du Danemark, il l’a mis au centre de son film pour observer son intégration. Une année polaire tient ainsi autant du récit scénarisé que du documentaire ; il n’y a aucun acteur professionnel, chacun tient son propre rôle. Le récit est très intéressant car nous découvrons certains aspects de la culture Inuit. L’instituteur, dans un premier temps trop sûr de sa supériorité, aura quelque difficulté à bien la comprendre. Samuel Collardey a soigné ses images, beaucoup de plans sont superbes, notamment ceux pris à l’aide de drones.
Elle: 4 étoiles
Lui : 4 étoiles

Acteurs: Anders Hvidegaard
Voir la fiche du film et la filmographie de Samuel Collardey sur le site IMDB.
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Une année polaireAnders Hvidegaard et Asser Boassen dans Une année polaire de Samuel Collardey.

8 juillet 2019

La Pointe Courte (1955) d’ Agnès Varda

La Pointe-CourtePour tenter de relancer son couple, un homme fait venir sa femme dans le quartier de son enfance : le quartier de pêcheurs de la Pointe Courte à Sète. Ils s’interrogent sur la profondeur de leur amour…
Âgée de 26 ans, la jeune Agnès Varda se lance dans la réalisation d’un long métrage sans aucune connaissance particulière, en ayant vu auparavant à peine une dizaine de films. La Pointe Courte comporte deux aspects distincts : la description presque documentaire de la vie d’un quartier de pêcheurs qui essaie de survivre et les discussions d’un couple en crise qui essaie de se reformer. C’est la première de ces deux composantes qui est de loin la plus réussie. Avec un témoignage très brut, Agnès Varda n’est pas loin du néoréalisme italien (1), elle nous immerge dans cette communauté de pêcheurs très pauvres au sein de laquelle elle a visiblement réussi à se faire totalement accepter. En revanche, le drame au sein du couple est, il faut bien l’avouer, particulièrement ennuyeux. Silvia Monfort et le jeune Philippe Noiret, deux acteurs de théâtre sans expérience de cinéma, récitent leur texte impassiblement, sans émotion, probablement dans une intention de distanciation qui ne réussit ici qu’à nous couper des personnages. Sur le plan de l’image, la recherche esthétique est de tous les plans et l’attirance d’Agnès Varda pour la photographie est visible. Elle sait trouver de beaux plans, se montre inventive et sait exploiter tous les objets. La musique composée par Pierre Barbaud est moderne, sans doute trop intellectuelle pour le sujet. Le film n’eut aucun succès à sa sortie. Avec le recul, La Pointe Courte nous paraît une belle curiosité, un premier essai étonnant.
Elle: 3 étoiles
Lui : 3 étoiles

Acteurs: Philippe Noiret, Silvia Monfort
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La Pointe-CourtePhilippe Noiret et Silvia Monfort dans La Pointe Courte de Agnès Varda.

Remarques :
* Alain Resnais a assuré le montage (qui est parfait).
* La Pointe Courte a souvent été rapproché des films de la Nouvelle Vague. Sous certains aspects, on peut en effet le voir comme un film annonciateur de la Nouvelle Vague.
* Agnès Varda connaissait Sète pour y avoir passé une partie de son adolescence pendant la guerre.
* Silvia Monfort et le jeune Philippe Noiret étaient alors acteurs au TNP où Agnès Varda travaillait comme photographe.

(1) Dans le néoréalisme, le film fait surtout penser à La Terre Tremble de Visconti (1948).

La Pointe-CourteLa Pointe-Courte

Agnès Varda sur le tournage de La Pointe Courte
(l’image a servi de base pour l’affiche du Festival de Cannes 2019).

9 novembre 2015

La Terre tremble (1948) de Luchino Visconti

Titre original : « La terra trema »

La Terre trembleDans un petit village sicilien, tous les hommes partent à la pêche chaque nuit. Avec le prix très bas payé par les mareyeurs, ils peinent à faire vivre leur famille. Chez les Valastro où le père est mort en mer, les plus jeunes ont le sentiment d’être exploités et décident de tenter de se mettre à leur compte… Deuxième long métrage de Visconti (1), La Terre tremble était au départ une commande du Parti communiste italien que Visconti va transformer en une adaptation du roman Les Malavoglia de l’écrivain vériste Giovanni Verga. Son film est à la fois néoréaliste et esthétique : néoréaliste, il l’est par son caractère semi-documentaire et par le fait de faire jouer des acteurs non-professionnels, ce sont les habitants du village, s’exprimant dans leur dialecte. Cela n’empêche pas Visconti de soigner l’esthétisme de son film, par ses cadrages, par la dimension qu’il donne à ses personnages ; cette sophistication formelle n’entame en rien la forte authenticité qui se dégage du film. Sur le fond, il parvient à atténuer le pessimisme du roman et à insuffler un beau lyrisme dans le propos. Malgré un prix à la Nostra de Venise en 1948, le film n’eut pas les faveurs du public, désarçonné par sa longueur (160 minutes) et par l’usage du dialecte sicilien. La Terre tremble est pourtant à classer parmi les grands films néo-réalistes italiens.
Elle:
Lui : 4 étoiles

Acteurs: Antonio Arcidiacono, Giuseppe Arcidiacono
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La terre tremble
Antonio Arcidiacono dans La Terre tremble de Luchino Visconti

Remarques :
* Dans le local des mareyeurs, on peut voir sur le mur une inscription (mal) recouverte de peinture blanche. Il s’agit d’une citation de Mussolini : « Il faut aller résolument vers le peuple ». Visconti veut ainsi souligner que les exploiteurs d’aujourd’hui sont les tyrans d’hier.

* Les assistants-réalisateurs de La Terre tremble sont les deux futurs réalisateurs Franscesco Rosi et Franco Zeffirelli (Rosi réalisera son premier film en 1952 et Zeffirelli en 1958).

* Devant l’insuccès du film, une version raccourcie à 102 mn et doublée en italien fut montée par Rosi et distribuée… sans plus de succès. C’est cette version qui fut distribuée en France à sa sortie en 1952.

26 mars 2015

Stromboli (1950) de Roberto Rossellini

StromboliA la fin de la guerre, une jeune femme originaire des Pays baltes épouse un ex-soldat pour échapper au camp de réfugiés où elle croupissait sans ressources. Il l’emmène dans son île natale, une île inhospitalière sous la menace permanente d’un volcan en activité. La jeune femme a tout de suite un sentiment de rejet envers cet endroit totalement isolé dont elle se sent prisonnière… Stromboli est le premier des films de Roberto Rossellini avec Ingrid Bergman. C’est aussi et surtout le premier de ses films intimistes où il cherche à sonder l’âme humaine, des films plus métaphysiques que les trois films sur la guerre qui le précèdent. A l’aspect presque documentaire du film se mêle le parcours initiatique d’une jeune femme qui sera finalement touchée par la grâce, par le charme de l’île. Stromboli a ainsi une connotation spirituelle et religieuse qui est manifeste dans la célèbre scène de la pêche au thon, scène absolument extraordinaire qui évoque l’Epiphanie, et bien entendu toute la scène finale, véritable aboutissement du parcours de la jeune femme. La sortie du film a été marquée par le scandale des deux côtés de l’Atlantique causé par la liaison entre Ingrid Bergman et Rossellini.
Elle:
Lui : 3 étoiles

Acteurs: Ingrid Bergman, Mario Vitale
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Stromboli de Roberto Rossellini
Ingrid Bergman et Mario Vitale dans Stromboli de Roberto Rossellini

Remarques :
* L’île-volcan de Stromboli est l’une des îles Éoliennes au nord de la Sicile. Le film a bien entendu été tourné sur place. Les habitants des villages, situés au pied du volcan, ont participé au tournage du film. Une éruption eut lieu pendant le tournage, celle que l’on peut voir dans le film.

* Le rôle principal était initialement prévu pour Anna Magnani qui avait une aventure avec Rossellini quand Ingrid Bergman a fait irruption.

* La lettre que Ingrid Bergman a écrite à Rossellini est restée célèbre :
« Cher Monsieur Rossellini,
J’ai vu vos films Rome, ville ouverte et Païsan et les ai beaucoup appréciés. Si vous avez besoin d’une actrice suédoise qui sait très bien parler anglais, qui n’a pas oublié son allemand, qui n’est pas très compréhensible en français, et qui en italien ne sait dire que « ti amo », alors je suis prête à venir faire un film avec vous.
Ingrid Bergman »

* Dans son autobiographie, Ingrid Bergman raconte comment elle a eu beaucoup de mal à se faire aux méthodes « peu professionnelles » de Rossellini et à tourner avec les habitants locaux dont elle ne comprenait pas le moindre mot…

* Mario Vitale avait été engagé comme porteur de matériel.

* Pendant le tournage, Ingrid Bergman et Roberto Rossellini tombèrent amoureux l’un de l’autre. Le scandale fut très important quand on apprit que l’actrice était enceinte. Ils étaient, chacun de leur côté, marié avec enfants. Howard Hughes (alors à la tête de la RKO) fera faire des coupes sans en parler à Rossellini. Des voix réactionnaires se feront entendre jusqu’au sein du Sénat américain et des autorités religieuses feront campagne contre le film. Finalement, le scandale sera bénéfique au film qui fera d’énormes entrées dès le premier jour aux Etats-Unis. Il sera toutefois méprisé par la critique. Ingrid Bergman épousera Rossellini peu après la sortie du film.

* Le film a donné un attrait touristique à l’île qui abrite aujourd’hui 750 habitants dans deux petites enclaves aux deux extrémités. Un port a été aménagé et l’électricité installée. Le volcan s’élève jusqu’à 926 mètres au dessus de la mer, il est en activité quasi permanente. La profondeur des eaux à l’entour étant d’environ 1000 mètres, le volcan se dresse donc sur 2000 mètres.

Stromboli
Le Stromboli aujourd’hui (photo sous licence CC BY-SA 3.0 via Wikimedia Commons)

25 février 2014

La Perla (1947) de Emilio Fernández

Autre titre (USA) : The Pearl

La perlaDu fait de mauvaises conditions maritimes qui durent depuis de nombreux jours, les habitants d’un petit village de la côte mexicaine ne peuvent sortir pêcher les huîtres et n’ont presque plus rien à manger. Aussi, quand le très jeune fils de Quino se fait piquer par un scorpion, le docteur blanc de la ville proche ne veut même pas les recevoir. Peu après, lorsque le temps devient meilleur, Quino pêche une huître avec une superbe et grosse perle… Production mexicaine financée pour moitié par la RKO, La Perla est adapté d’un court roman de John Steinbeck qui intervint comme conseiller sur le tournage (1). Il s’agit d’une fable puissante sur la cupidité. Ce qui frappe en premier est la beauté onirique des images que l’on doit à Gabriel Figueroa (directeur de la photographie qui a également travaillé pour John Ford, John Huston et Luis Buñuel, entre autres). L’image est baignée de lumière, presque surexposée, sans noirs profonds même dans les scènes de nuit. Cette lumière omniprésente apporte une atmosphère céleste à cette fable, la femme de Quino prenant assez souvent l’allure d’une vierge (avec l’enfant c’est encore plus flagrant), et le climat ainsi créé place le récit hors du temps permettant ainsi de mieux mettre en évidence les caractères. L’histoire est simple mais puissante. Outre la peinture très forte de la cupidité et de la perversion, le propos met l’accent sur le clivage social entre les blancs et les indiens et laisse deviner le rôle social de l’espérance. Comme toujours avec Steinbeck, le propos est donc très riche, à la fois social et philosophique. La perla est un superbe exemple de la force du cinéma mexicain de cette période parfois appelée « l’âge d’or du cinéma mexicain ».
Elle:
Lui : 4 étoiles

Acteurs: Pedro Armendáriz, María Elena Marqués, Charles Rooner
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Remarques :
* Deux versions ont été tournées : l’une en espagnol et l’autre en anglais. La Perle fut ainsi le premier film mexicain en langue anglaise à être distribué aux Etats-Unis. La version en anglais fut distribuée sous le titre The Pearl.
* Le roman de Steinbeck n’est sorti qu’après la sortie du film.
* Emilio Fernández est l’un des cinéastes mexicains les plus importants. Il a tourné plus de 40 films, essentiellement dans les années quarante et cinquante ; il a également été acteur, notamment dans La Horde sauvage de Sam Peckinpah (1969).

(1) Pour plus de détails à ce sujet, lire la fiche de l’American Film Institute

1 mars 2013

Le Cochon de Gaza (2011) de Sylvain Estibal

Titre anglais : « When Pigs Have Wings »

Le cochon de GazaLe lendemain d’une tempête, Jafaar, un pêcheur palestinien de Gaza, trouve dans ses filets un cochon vivant. Il ne sait comment faire pour se débarrasser de cet animal impur. Il tente tout d’abord de le proposer discrètement aux observateurs des Nations-Unies mais sans succès… Cette comédie qui se déroule à Gaza est le premier long métrage d’un journaliste et romancier français né en Uruguay, Sylvain Estibal. Il en a écrit lui-même le scénario. Le sujet a beau être délicat, surtout quand il s’agit de faire de l’humour, il sait trouver le ton juste. Son humour n’est jamais méchant ni même trop caustique et il est difficile de ne pas adhérer au fond du propos qui prône le rapprochement des peuples. Sylvain Estibal joue beaucoup avec le côté saugrenu et même ubuesque de certaines situations. Il y a vraiment de belles trouvailles d’humour et de belles réparties. Le Cochon de Gaza est une réussite.
Elle:
Lui : 3 étoiles

Acteurs: Sasson Gabai, Baya Belal, Myriam Tekaïa, Khalifa Natour, Ulrich Tukur
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4 février 2013

The Manxman (1929) de Alfred Hitchcock

The Manxman(Film muet) Sur l’île de Man, Pete est amoureux de la jeune Kate sans se rendre compte que Philip, son ami d’enfance, en est aussi très épris. Pete décide de partir faire fortune à l’étranger pour pouvoir l’épouser et demande à son loyal ami Philip de veiller sur elle en son absence… The Manxman (= « l’homme de l’île de Man ») est le dernier film muet d’Hitchcock. Adaptation d’un roman à succès de Sir Hall Caine, il s’agit d’un mélodrame certes très classique mais fort bien mis en scène par le réalisateur anglais, bien qu’il l’ait plus tard jugé comme étant un film « très ordinaire », et ajoute-t-il « sans humour ». L’atmosphère des îles anglaises est bien transcrite à l’écran avec ce mélange d’isolement et d’autarcie (1). C’est le second film d’Hitchcock avec l’acteur danois Carl Brisson qui montre ici une belle présence à l’écran. Ses plans en « regard caméra » sont étonnants d’intensité. Mais c’est la belle Anny Ondra qui attire les regards : c’est la toute première « blonde hitchcockienne » (elle tournera également dans le célèbre Blackmail, le film suivant du réalisateur). The Manxman est un film fort bien réalisé ; ses faiblesses se trouvent plutôt du côté du scénario, vraiment très conventionnel. Moins connu que The Lodger, le film est à classer parmi les meilleurs films muets d’Hitchcock.
Elle:
Lui : 3 étoiles

Acteurs: Carl Brisson, Malcolm Keen, Anny Ondra
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Remarques :
* The Manxman est l’un des rares films où Hitchcock ne fait pas sa traditionnelle apparition en figurant.
* Serait-ce une facétie du réalisateur ? La phrase la plus importante du film prononcée par Anny Ondra, à un des moments les plus tragiques, n’a pas d’intertitre. On doit donc la deviner (ou la lire sur les lèvres : « Philip, I am going to have a baby ») et nous n’en n’avons confirmation que quelques minutes plus tard grâce à un intertitre d’un autre personnage !

(1) En réalité, le film a été tourné dans le village de Polperro dans les Cornouailles.