28 décembre 2021

Nous nous sommes tant aimés! (1974) de Ettore Scola

Titre original : « C’eravamo tanto amati »

Nous nous sommes tant aimés! (C'eravamo tanto amati)Italie, 1944. Gianni, Nicola et Antonio se lient d’amitié alors qu’ils ont pris le maquis pour combattre les Allemands. Lorsque sonne l’heure de la libération, un monde nouveau s’offre à eux. Militants fervents, pleins de rêves et d’illusions, les voici prêts à faire la révolution. Mais ils vont avoir des parcours très différents…
Nous nous sommes tant aimés! est un film italien réalisé par Ettore Scola. Il en a écrit le scénario, particulièrement brillant, avec le fameux duo Age et Scarpelli. Il s’agit du constat amer de l’échec des idéaux d’une génération : « Nous voulions changer le monde, mais le monde nous a changés ! » se lamente Nicola. Le récit est habilement construit autour de trois personnages qui symbolisent trois attitudes différentes (l’intellectuel égocentrique, l’arriviste compromis, l’homme simple qui subit mais ne renonce pas). Un personnage féminin, également en perte d’illusions, les relie entre eux. Le propos de Scola est terriblement pessimiste puisque le seul des trois qui s’en tire assez bien est très candide, même un peu simplet. Tous les trois (quatre avec la femme) ont le sentiment d’avoir gâché leur vie. Malgré cette noirceur de propos, le film est amusant, mêlant comédie, engagement politique et drame comme seul le cinéma italien parvient à le faire. Sur ce plan, Nous nous sommes tant aimés! est proche de la perfection. De plus, Ettore Scola s’amuse avec de petits effets visuels ou narratifs, pas toujours parfaitement intégrés au récit mais qui renforcent l’aspect comédie. Le film nous offre aussi une mise en abyme du cinéma avec, en prime, une scène reconstituée du tournage de La Dolce Vita avec Fellini et Mastroianni apparaissant dans leur propre rôle. Cette scène, presque irréelle, symbolise la part de rêve qu’apporte le cinéma. L’interprétation est de tout premier ordre, y compris dans les seconds rôles (Aldo Fabrizi campe un industriel sans scrupule de façon  remarquable). Le film connut un grand succès.
Elle: 4 étoiles
Lui : 4 étoiles

Acteurs: Nino Manfredi, Vittorio Gassman, Stefania Sandrelli, Stefano Satta Flores, Giovanna Ralli, Aldo Fabrizi
Voir la fiche du film et la filmographie de Ettore Scola sur le site IMDB.

Voir les autres films de Ettore Scola chroniqués sur ce blog…
Voir les livres sur Ettore Scola

 Nous nous sommes tant aimés! (C'eravamo tanto amati)Stefano Satta Flores, Vittorio Gassman et Nino Manfredi
dans Nous nous sommes tant aimés! (C’eravamo tanto amati) de Ettore Scola.

Remarques :
* Le film est dédié à Vittorio de Sica qui est décédé alors que le film était en cours de montage. Il en avait toutefois vu une copie de travail. La scène où il apparaît dans le film est un document enregistré par Ettore Scola lors d’une manifestation où De Sica s’exprimait face à des enfants.
* Le premier projet de scénario ne comportait qu’un personnage qui s’enthousiasmait pour Le Voleur de bicyclette et dont l’obsession était de rencontrer De Sica pour le suivre. De Sica jouait son propre rôle et trouvait toujours en face de lui ce grillon bavard qui le suivait, le réprimandait, le persécutait…
(Propos rapportés par Jean A. Gili dans Le Cinéma italien tome 1, éd. 10/18, 1978 et repris dans son merveilleux ouvrage Le Cinéma italien, éd. de la Martinière, 2011)

10 janvier 2017

Une si jolie petite plage (1949) de Yves Allégret

Une si jolie petite plagePar un soir pluvieux, un jeune homme triste arrive dans un village côtier du nord de la France. Il prend une chambre dans l’unique hôtel ouvert, une modeste maison tenue par la nièce de l’ancien propriétaire complètement paralysé et muet. Ce dernier semble reconnaitre le nouvel arrivé… Tout comme Dédé d’Anvers (1948), Une si jolie petite plage est issu de la collaboration entre le scénariste Jacques Sigurd et le réalisateur Yves Allégret (qui, rappelons-le, est le jeune frère de Marc Allégret). C’est à nouveau un film très noir avec ce désenchantement qui marque le cinéma français de l’Après-guerre. Accablé par le lourd poids du destin, les personnages de cette histoire n’espèrent plus, du moins pour eux. Il n’y a pas un seul rayon de soleil à l’horizon, au propre comme au figuré puisqu’il pleut continuellement, une grosse pluie qui détrempe tout et semble vouloir s’insinuer partout. La construction est originale car rien n’est expliqué de prime abord : si on comprend rapidement que ce jeune homme a vécu là par le passé, les indices sont ensuite distillés au compte-goutte et nous ne faisons qu’entrevoir les choses. Ce n’est que vers la fin du film que l’on apprendra de sa bouche toute son histoire. Gérard Philipe est parfait dans ce rôle assez taciturne. L’acteur n’est encore qu’au début de sa carrière, son talent explosera aux yeux du plus grand nombre  peu après au théâtre et, par ricochet, au cinéma. La photographie, signée par le grand Henri Alekan, est superbe.
Elle:
Lui : 3 étoiles

Acteurs: Madeleine Robinson, Gérard Philipe, Jean Servais, André Valmy, Jane Marken, Julien Carette
Voir la fiche du film et la filmographie de Yves Allégret sur le site IMDB.

Voir les autres films de Yves Allégret chroniqués sur ce blog…

Remarque :
* Yves Allégret se permet une amusante petite prouesse technique sur le plan de fin : un couple marche sur la plage, dit une phrase (« Une si jolie petite plage ! »), s’arrête pour regarder la mer et la caméra recule rapidement jusqu’à qu’ils ne deviennent plus qu’un point. Aucune trace n’est visible dans le sable. Sauf erreur de ma part, la seule façon de faire un tel plan est de le filmer à l’envers, le plus délicat étant la synchronisation de la petite phrase.

Une si jolie petite plage
Gérard Philipe et Madeleine Robinson dans Une si jolie petite plage de Yves Allégret.

12 octobre 2015

Contes cruels de la jeunesse (1960) de Nagisa Ôshima

Titre original : « Seishun zankoku monogatari »

Contes cruels de la jeunesseLa jeune Makoto rencontre l’étudiant Kiyoshi lorsqu’il la sauve des griffes d’un homme qui tentait d’abuser d’elle. Kiyoshi en profite pour dépouiller l’homme. L’épisode leur donne l’idée de répéter le scénario pour racketter des hommes d’âge mûr… Découvert très tardivement en France (1), Contes cruels de la jeunesse fait partie des premiers films de la Nouvelle Vague japonaise. Il fut par exemple tourné au moment-même où Godard réalisait A bout de souffle. Nagisa Ôshima n’a alors que 28 ans et sort des sentiers battus et du cinéma codifié non seulement par son sujet, montrer le malaise de sa génération au travers des errances criminelles d’un très jeune couple, mais aussi par sa façon de le traiter : il filme en décors naturels dans la rue en utilisant, chose rarissime pour du format Scope à l’époque, une caméra à l’épaule. Ses parti-pris esthétiques sont assez radicaux, refusant la couleur verte qui « apaise et affadit les sentiments », préférant des couleurs assez saturées, et usant largement de gros plans, de décadrages. Les intérieurs sont assez oppressant et l’atmosphère générale est plutôt dérangeante, traduction du désenchantement de ses deux personnages principaux. Les aspects novateurs de Contes cruels de la jeunesse le rendent vraiment remarquable, même un demi-siècle plus tard.
Elle:
Lui : 4 étoiles

Acteurs: Miyuki Kuwano, Yûsuke Kawazu
Voir la fiche du film et la filmographie de Nagisa Ôshima sur le site IMDB.

Voir les autres films de Nagisa Ôshima chroniqués sur ce blog…

Contes cruels de la jeunesse
Yûsuke Kawazu et Miyuki Kuwano dans Contes cruels de la jeunesse de Nagisa Ôshima.

Remarque :
Yûsuke Kawazu était également l’un des acteurs principaux du très beau film Bon à rien (Rokudenashi) de Yoshishige Yoshida (1960), film de la Nouvelle Vague qui sortit sur les écrans à quelques semaines d’intervalle.

(1) Le film n’est sorti en France qu’en 1986. Il a été récemment redécouvert à Cannes en 2014 dans une version restaurée.

2 décembre 2012

Printemps précoce (1956) de Yasujirô Ozu

Titre original : « Sôshun »

Printemps précoceTrentenaire, Shoji est employé de bureau dans une grande entreprise de Tokyo. Il mène une vie plutôt désenchantée entre ses amis et sa femme avec laquelle il parle peu… Printemps précoce s’inscrit dans la lignée de Le goût du riz au thé vert dans le sens où il nous montre un couple en crise mais cette fois c’est le fond social qui prend le plus d’importance. Ozu nous dresse le portrait d’une certaine classe de population, les petites mains du redressement économique du Japon de l’après-guerre, ces employés de bureau qui remplissent les trains de banlieue du matin. Ozu nous montre des employés las, désillusionnés, sans aspiration. Cette lassitude s’étend à la vie du couple de Shoji, une vie sans joie que seule une jeune femme plus libérée que les autres vient illuminer. C’est une société toujours très patriarcale où les femmes ont bien du mal à se faire une place. Printemps précoce n’est toutefois pas un film triste. Ozu a su faire un film assez vivant en assemblant des scènes de vie, le montage pouvant surprendre. Comme toujours, il a réalisé de très belles images, tels ces départs massifs vers la gare d’employés tous habillés de façon identique.
Elle:
Lui : 4 étoiles

Acteurs: Ryô Ikebe, Chikage Awashima, Teiji Takahashi, Keiko Kishi, Chishû Ryû, Sô Yamamura
Voir la fiche du film et la filmographie de Yasujirô Ozu sur le site IMDB.

Voir les autres films de Yasujirô Ozu chroniqués sur ce blog…

Remarque :
Printemps précoce comporte le dernier traveling de Yasujirô Ozu. Il n’y avait pas beaucoup de travelings jusqu’ici dans ses films mais, après celui-ci, il n’y en aura plus un seul : il ne tournera qu’en plans fixes.

Homonyme :
Printemps précoce (Zao Chun Er Yue) du chinois Xie Tieli (1963)