26 juillet 2013

Fear and Desire (1953) de Stanley Kubrick

Fear and DesireDans une guerre que l’on nous dit imaginaire, quatre soldats se retrouvent derrière les lignes ennemies après le crash de leur avion. Ils errent dans une forêt inconnue, cherchant à rejoindre leur unité… Fear and Desire est le premier long métrage de Stanley Kubrick, celui que si peu de personnes avait vu puisque Kubrick avait pris soin de le retirer de la circulation. C’est certainement sa recherche constante du perfectionnisme qui explique cette décision mais le film est loin d’être sans intérêt. Dans un environnement hostile, c’est une quête de la vérité que poursuivent ces quatre hommes, la vérité sur la nature de l’homme. Le film n’est pas sans maladresse (l’abondance trop importante de gros plans par exemple, traduction la plus visible d’une certaine influence du cinéma soviétique) mais si l’on replace Fear and Desire dans le contexte de son époque, le film nous apparaît étonnamment différent sur le fond et inventif sur la forme. Kubrick assimile ses influences et expérimente. On peut s’amuser à y rechercher les éléments qui préfigurent ses films futurs (1). Fear and Desire nous permet d’assister à la naissance d’un grand cinéaste.
Elle:
Lui : 3 étoiles

Acteurs: Frank Silvera, Kenneth Harp, Paul Mazursky, Stephen Coit, Virginia Leith
Voir la fiche du film et la filmographie de Stanley Kubrick sur le site IMDB.
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Remarques :
* Fear and Desire a été tourné avec un très petit budget, dans les montagnes de San Gabriel en Californie, sans bande son, les voix ayant été rajoutées en studio. Cela se sent nettement mais, tout compte fait, cette étrangeté de la bande sonore ajoute au caractère allégorique du film.
* En 1953, le film a été distribué dans quelques salles Art et Essai new-yorkaises où il était projeté en double programme avec L’Enjôleuse de Buñuel.
* Le scénario a été écrit par Howard Sackler, poète et ami de Kubrick.

(1) Le plus étonnant à mes yeux étant cette rencontre de deux des personnages avec leurs alter-ego plus âgés qui préfigure celle de Bowman à la fin de 2001.

23 juin 2013

Les Quatre Plumes blanches (1939) de Zoltan Korda

Titre original : « The Four Feathers »

Les quatre plumes blanchesA la veille du départ de son unité pour le Soudan, le jeune officier Harry Feversham démissionne de l’armée. Ses trois compagnons lui envoient chacun une plume blanche, symbole de la lâcheté. Sa fiancée se détourne de lui et lui donne une quatrième plume blanche. Blessé dans son honneur, le jeune homme est bien décidé à prouver sa valeur et s’embarque incognito pour l’Afrique… The Four Feathers est un classique du roman d’aventures de l’anglais A.E.W. Mason. Il a été porté de nombreuses fois à l’écran et cette version des frères Korda est considérée comme étant la meilleure. Le film fait partie des premiers grands films en Technicolor, procédé qui permet de donner aux scènes une belle ampleur. Il fut tourné sur place, au Soudan, non sans difficultés du fait de la chaleur. Le nombre de figurants lors des batailles est impressionnant et le film ne faillit pas dans sa recherche du spectaculaire. Sur le fond, le film exalte l’héroïsme individuel et la tradition britannique de bravoure ; on est toutefois  en droit de s’interroger sur la santé mentale d’une personne qui aurait accompli un tel parcours uniquement par fierté (!) Le film exalte également la grandeur de l’Empire britannique et on peut y déceler de petites pointes de racisme.
Elle:
Lui : 3 étoiles

Acteurs: John Clements, Ralph Richardson, C. Aubrey Smith, June Duprez
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Remarques :
* Les frères Korda : Zoltan Korda réalise, Alexandre Korda produit et Vincent Korda crée les décors.
* Le contexte historique du roman est conforme à la réalité : l’expédition anglaise au Soudan menée par Lord Kitchener (1896-1898) s’acheva par la victoire des anglais à Omdurman. Cette bataille fut un massacre ; côté soudanais : 10 000 tués, 13 000 blessés, 5 000 prisonniers ; côté anglais : 47 tués et 380 blessés. Les anglais purent reprendre le contrôle du Soudan et sécuriser leurs positions en Egypte.
* Zoltan Korda tournera une seconde version de The Four Feathers en 1955 dans laquelle il réutilisera le scénario et certaines des scènes de bataille, dont la bataille finale.

Les différentes adaptations du roman de A.E.W. Mason :
1. Four Feathers de J. Searle Dawley (1915, USA, muet)
2. The Four Feathers de René Plaissetty (1921, UK, muet) avec Harry Ham
3. The Four Feathers de Merian C. Cooper, Lothar Mendes et Ernest B. Schoedsack (1929, USA, muet) avec Richard Arlen et Fay Wray
4. Les Quatre Plumes blanches (The Four Feathers) de Zoltan Korda (1939, UK)
5. Les 4 Plumes blanches (Storm over the Nile) de Zoltan Korda et Terence Young (1955, UK) avec Anthony Steel
6. Les Quatre Plumes blanches (The Four Feathers) de Don Sharp (TV 1978, UK) avec Beau Bridges
7. Frères du désert (The Four Feathers) de Shekhar Kapur (2002, USA) avec Heath Ledger et Kate Hudson.

30 janvier 2013

Et maintenant on va où? (2011) de Nadine Labaki

Et maintenant on va où?Dans un petit village isolé du Liban, les femmes chrétiennes et musulmanes s’unissent pour éloigner le spectre de la guerre toute proche et empêcher les hommes de s’enflammer pour un oui ou pour un non. Pour ce faire, elles font preuve d’une grande ingéniosité et sont prêtes à aller très loin… Et maintenant on va où? traite avec humour d’un sujet grave, mettant en relief l’absurdité de cette spirale de violence dans laquelle beaucoup se retrouvent enfermés. Nadine Labaki joue sur plusieurs registres, mêlant habilement les genres, mais garde toujours un ton très juste. La réalisation est assez travaillée avec une caméra très mobile, très près des personnages, souvent au milieu de l’action. Et maintenant on va où? est ainsi très enlevé.
Elle:
Lui : 3 étoiles

Acteurs: Nadine Labaki, Yvonne Maalouf, Claude Baz Moussawbaa
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27 septembre 2012

La flûte enchantée (2006) de Kenneth Branagh

Titre original : « The Magic Flute »

La flûte enchantéeTransposer La flûte enchantée, le célèbre opéra de Mozart, dans un univers de guerre de tranchées qui évoque la guerre de 14-18 est pour le moins surprenant. C’est d’ailleurs un peu perturbant au début mais on se laisse gagner rapidement par le spectacle que nous offre Kenneth Branagh. Il fait un usage très abondant d’images de synthèse, de vastes mouvements de camera, de plans vertigineux mais le résultat nous enveloppe et l’ensemble se révèle prenant. Si tout n’est pas toujours réussi, son film a de beaux moments de fulgurance et fourmille d’inventions visuelles. La flûte enchantée En insistant sur le côté noir et tragique de la guerre, il accentue le contraste avec l’idéalisme du récit. Le livret a été adapté et traduit en anglais, ce qui le rend plus accessible, et quelques (courts) dialogues ont été ajoutés. Belle interprétation. René Pape a une belle présence à l’écran et fait un Sarastro très charismatique avec un jeu pourtant peu expansif. La flûte enchantée de Kenneth Branagh a été éreinté assez durement par la critique française. Il méritait mieux que cela car l’approche très originale de Branagh était un pari audacieux et le résultat est un beau et foisonnant spectacle.
Elle:
Lui : 4 étoiles

Acteurs: Joseph Kaiser, Amy Carson, René Pape
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Autre version :
La flûte enchantée (Trollflöjten) d’Ingmar Bergman (1975)

3 juin 2012

Le pont de la rivière Kwai (1957) de David Lean

Titre original : « The bridge on the river Kwai »

Le pont de la rivière KwaiEn 1943, en pleine jungle birmane, un régiment anglais prisonnier des japonais est affecté à la construction d’un pont. Le Colonel anglais s’oppose au commandant japonais du camp de prisonnier car ce dernier veut faire travailler tous les prisonniers, y compris les officiers… Adapté d’un roman de Pierre Boulle (également l’auteur de La Planète des Singes), Le pont de la rivière Kwai est la première des cinq superproductions de David Lean. Le budget alloué par Sam Spiegel fut important, l’image en technicolor est particulièrement soignée. David Lean parvient à insuffler toute une palette de sentiments et même une certaine sensibilité. Le fond du propos est de montrer comment la guerre exacerbe les situations absurdes, ici générée par le comportement archaïque de deux officiers, l’un japonais, l’autre anglais. L’absurdité atteint son paroxysme dans une fin ambigüe, qui ouvre le champ à la réflexion. Le succès fut immense.
Elle:
Lui : 4 étoiles

Acteurs: William Holden, Alec Guinness, Jack Hawkins, Sessue Hayakawa
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Remarques :
* Les scénaristes Michael Wilson et Carl Foreman étaient alors sur la liste noire pour de supposées sympathies communistes et leurs noms n’apparaissaient pas au générique. L’Oscar de la meilleure adaptation fut donc attribué à Pierre Boulle! Il fallut attendre 1984 pour que l’Académie leur en attribue la paternité.
* L’histoire est librement inspirée de faits réels : le Lieutenant Colonel Philip Toosey a construit deux ponts sur la rivière Kwai qui furent détruits en 1945, deux ans après leur construction.
* Pierre Boulle a été lui-même prisonnier de guerre en Thaïlande.
* Comme on s’en doute, le personnage du soldat américain ne figurait pas dans le roman de Pierre Boulle. Il a été ajouté pour le public américain.
* L’acteur Sessue Hayakawa a eu une longue carrière d’acteur puisqu’il a tourné dans de très nombreux films muets entre 1914 et 1925.

12 mai 2012

Démineurs (2008) de Kathryn Bigelow

Titre original : « The hurt locker »

DémineursEn Irak, une petite équipe de spécialistes est chargée de désamorcer les bombes, mines et véhicules piégés. Pendant que l’un enfile une lourde armure de protection, les autres observent les alentours pour éviter les snippers… Démineurs est un film de guerre d’un style assez inhabituel. Dès la première minute, le film capte toute notre attention et ne nous lâchera pas un seul instant pendant les deux heures de projection. Nous vivons les différentes missions de l’intérieur, presque comme un membre de l’équipe. Etre démineur signifie exposer sa vie à tous les instants. C’est surtout le cas de ce spécialiste interprété brillamment par Jeremy Renner, véritable tête brûlée qui vit ses missions comme un drogué totalement accroc à son shoot d’adrénaline. Katherine Bigelow a un talent certain pour doser ses éléments afin de créer une tension continue et addictive. Au-delà de cette forme si brillante, Démineurs nous fait réfléchir sur le spectacle du film de guerre et de la mort, cette mort qui nous frôle constamment, que nous attendons et qui finit toujours par se manifester.
Elle:
Lui : 4 étoiles

Acteurs: Jeremy Renner, Anthony Mackie, Brian Geraghty, Guy Pearce, Ralph Fiennes
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12 avril 2012

Paradis perdu (1939) de Abel Gance

Paradis perduA Paris, avant la Première Guerre mondiale, Pierre Leblanc, un peintre, rencontre Janine, employée dans une maison de couture au bal du 14 juillet. Ils se revoient peu après et connaissent un vrai bonheur. Pierre montre des talents pour la création de robes. Mais la guerre survient… Paradis perdu est tourné par Abel Gance juste avant la Seconde Guerre mondiale, comme un avertissement de la catastrophe à venir. Le film comporte deux parties assez distinctes. La première, qui montre la construction du bonheur de Pierre et Janine, est assez réussie avec un bon enchainement des scènes et un rythme enlevé. La seconde, plus grave, l’est moins ce qui est assez surprenant pour Abel Gance. Les enchainements sont ici plus brutaux, voire chaotiques avec même un nouveau petit drame en final (lors de l’inauguration) qui semble plutôt plaqué. Paradis perdu fut un film de commande et semble assez mineur dans la filmographie d’Abel Gance.
Elle:
Lui : 2 étoiles

Acteurs: Fernand Gravey, Micheline Presle, Elvire Popesco, Robert Le Vigan
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26 mars 2012

Lune de miel mouvementée (1942) de Leo McCarey

Titre original : « Once upon a honeymoon »

Lune de miel mouvementéeA la veille de la Seconde Guerre mondiale, un journaliste américain en poste à Vienne désire enquêter sur le Baron Von Luber, soupçonné d’être un agent à la solde des nazis. Pour l’approcher, il rend visite à sa fiancée, une jeune américaine de Brooklyn attirée par la richesse… Lune de miel mouvementée est un peu la contribution de Leo McCarey à l’effort de guerre. Comme Lubitsch avec To be or not to be ou Chaplin avec Le Dictateur, il utilise l’arme qu’il connait le mieux : la comédie. Hélas, le résultat est bien en deçà des deux films pré-cités. Leo McCarey tente de faire une symbiose entre la comédie, l’espionnage et le film anti-nazi sans vraiment y réussir. Au final, cela donne un film plutôt bizarre, pas toujours de très bon goût avec une histoire quelque peu extravagante. Certaines scènes, qui auraient dû être fortes, paraissent futiles, parfois même ridicules. Le meilleur est à chercher du côté de l’interprétation avec un Cary Grant parfaitement dans son rôle et quelques scènes électriques avec Ginger Rodgers chargées d’un érotisme subtil (telle la scène du bar de l’hôtel). On remarquera aussi une bonne intégration d’images d’actualités de l’époque.
Elle:
Lui : 2 étoiles

Acteurs: Cary Grant, Ginger Rogers, Walter Slezak
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Lire une autre critique du film avec une bonne présentation  de Leo McCarey sur le site DVDclassik…

9 février 2012

La nouvelle Babylone (1929) de Grigori Kozintsev et Leonid Trauberg

Titre original : « Novyy Vavilon »

La nouvelle BabyloneEn 1870, la population acclame les soldats qui partent se battre contre les prussiens. A Paris, la vie continue. Louise, une jeune vendeuse du grand magasin Nouvelle Babylone, est invitée au bal par son patron. Mais la fête est interrompue par l’annonce de la défaite. Il faut défendre Paris et une souscription populaire est lancée pour acheter des canons. Quand l’armée capitule et cherche à reprendre ces canons sur la butte Montmartre, cela provoque une insurrection… La nouvelle Babylone est un film russe de la fin du muet, l’un des très rares films qui évoquent la Commune de Paris de 1871. C’est un film assez étonnant, souvent exubérant. Les deux réalisateurs font une grande utilisation du mouvement : les scènes de liesse, de danses, de fête sont tourbillonnantes, frénétiques, excessives même. Les scènes montrant l’ardeur au travail sous la Commune sont superbes (telle cette lavandière qui éclabousse largement tout autour d’elle). Ces scènes de grande agitation contrastent avec des scènes plus calmes, parfois statiques même. Le montage est assez remarquable, les réalisateurs juxtaposent des scènes qui semblent au final former un kaléidoscope énivrant. Le jeu des acteurs peut paraître parfois outré. Sur le plan du contenu, le film ne fait pas un récit vraiment chronologique mais reprend quelques temps forts. L’accent est bien entendu mis sur l’opposition de classes. Chostakovitch (alors âgé de 23 ans) composa sa première musique de film pour La nouvelle Babylone, musique dans laquelle il reprend divers airs révolutionnaires français qu’il mêle à un thème d’Offenbach.
Elle:
Lui : 3 étoiles

Acteurs: Yelena Kuzmina, David Gutman, Pyotr Sobolevsky
Voir la fiche du film et la filmographie de Grigori Kozintsev et Leonid Trauberg sur le site IMDB.

Remarques :
Grigori Kozintsev et Leonid Trauberg ont fondé à Leningrad en 1921 le collectif d’avant-garde théâtral FEKS (La Fabrique de l’Acteur Excentrique) qui s’étendit rapidement au cinéma où il tint un rôle important. En 1921, ils avaient 16 et 19 ans.

Versions :
La version la plus complète est actuellement celle durant 1h33, restaurée en 2004 avec la musique de Chostakovitch. Il existe également une version de 1h15 (version allemande du début des années 80), version tronquée avec réintégration de chutes de montage, accompagnée d’une musique au piano.

28 janvier 2012

Cabiria (1914) de Giovanni Pastrone

CabiriaLa victoire dans la Guerre italo-turque en Libye (1911-12) raviva en Italie le désir de récits historiques. C’est ainsi que l’on vit naître les premiers grands péplums au cinéma : ce fut d’abord Quo Vadis en 1913 (le premier long métrage à dépasser les deux heures) mais c’est Cabiria qui frappera les esprits. Il marque un tournant dans l’Histoire du cinéma. Le scénario est extrêmement riche et très prenant. Bien qu’il soit officiellement signé de Gabriele D’Annunzio (écrivain alors très célèbre), c’est Giovanni Pastrone qui l’a écrit, D’Annunzio ayant en réalité seulement réécrit les intertitres (1). Le scénario place des personnes de fiction au sein de faits historiques de la Deuxième Guerre punique (IIIe siècle avant J.C.), l’intrigue étant articulée autour d’une fillette enlevée en Sicile et vendue à Carthage pour être sacrifiée aux dieux. Le sénateur Fulvio et son esclave Maciste sont sur ses traces…

CabiriaLe budget fut colossal. Des décors énormes furent fabriqués, des milliers de figurants engagés. Vu sur grand écran, le film reste impressionnant aujourd’hui. Rien ne paraît faux : par exemple, lorsque le palais s’écroule pendant l’éruption de l’Etna, on ressent la lourdeur des blocs de pierre qui tombent. La traversée des Alpes par Hannibal nous donne froid. Les décors ont toujours une forte présence, ce ne sont jamais des toiles peintes. Les costumes sont riches et très élaborés. Cela donne des scènes fastueuses où la lumière est remarquablement utilisée.

Cabiria Fosco Cabiria est révolutionnaire aussi pour une autre raison : c’est en effet le premier film avec des travellings. On doit certainement à Segundo de Chomón (réalisateur espagnol transfuge de Pathé, ici directeur de la photographie) l’idée de placer la caméra et l’opérateur sur un chariot pour pouvoir les déplacer sans s’arrêter de filmer. Les mouvements sont encore timides, utilisés soit pour donner de l’ampleur à une scène ou à un décor en laissant percevoir ainsi son relief, soit pour focaliser l’attention sur un personnage en se rapprochant de lui (les focales étaient bien évidemment fixes à l’époque, pas question de zoom) ; ils sont timides mais le principe est là. Pendant des années, le terme de « Cabiria movements » sera utilisé dans les studios pour désigner les travellings (2). Le montage est assez élaboré avec des plans de coupe, des gros plans sur des objets, donnant beaucoup de vie à l’ensemble.

Cabiria - affiche française (fin des années 20?) Le jeu des acteurs reste assez théâtral, un peu forcé et manquant souvent de naturel. C’est ce style de jeu qui trahit l’âge du film. Le personnage qui crève l’écran, c’est Maciste interprété par Bartolomeo Pagano, un docker du port de Gênes dont la célébrité sera immédiate. Ce personnage de Maciste, avec sa force herculéenne, sera repris dans des dizaines de films (3). Le film Cabiria eut un succès considérable, en Italie mais aussi aux Etats-Unis. Il a influencé de nombreux cinéastes, notamment D.W. Griffith (4). Souvent tronqué ou montré à une mauvaise vitesse, Cabiria a été restauré dans sa version intégrale de trois heures en 2006. (5)
Elle:
Lui : 4 étoiles

Acteurs: Lidia Quaranta, Umberto Mozzato, Bartolomeo Pagano, Italia Almirante-Manzini
Voir la fiche du film et la filmographie de Giovanni Pastrone sur le site IMDB.

Remarque :
(1) D’après les déclarations de Giovanni Pastrone en 1949, Gabriele d’Annunzio a signé une à une les 30 pages de scénario sans les lire. Il n’a réécrit les intertitres qu’en fin de production. C’est tout de même à lui que l’on devrait les noms de Cabiria et de Maciste.
A noter également que Giovanni Pastrone a signé la réalisation sous le nom Piero Fosco.

(2) Pastrone a déposé un brevet de ce principe (filmer en se déplaçant) qu’il a appelé « carello » (= travelling).

Cabiria - affiche française (fin des années 20?) (3) IMDB liste 49 films avec le personnage de Maciste. Tous ne sont pas de grande qualité, loin de là… Bartolomeo Pagano jouera dans près de trente d’entre eux, de 1914 à 1929. Il n’aura d’ailleurs jamais vraiment d’autres rôles au cinéma.

(4) Cabiria a fortement impressionné D.W. Griffith. Ce film l’aurait décidé à transformer The Mother and the Law qu’il était en train de tourner en une vaste fresque : ce sera Intolérance qui reprend des plans très similaires mais qui va encore plus loin dans la grandeur et l’innovation. Les sculptures monumentales d’éléphants sont reprises par Griffith comme par beaucoup d’autres par la suite. Cabiria a inspiré Sergueï Eisenstein pour ses déplacements de caméra du Cuirassé Potemkine. Cabiria a inspiré Fritz Lang pour la scène du Moloch de Metropolis. Fellini a nommé son personnage Cabiria dans son très beau film Les Nuits de Cabiria en référence à celui-ci.

(5) Les meilleures versions :
– Version de 123 minutes transcrite en 1990. Cette version n’est hélas pas disponible en France mais elle existe aux Etats-Unis éditée par Kino en 2000. Le DVD est ‘zone zéro’ donc lisible par tous les lecteurs (les intertitres sont en anglais, pas de sous-titres). L’image est de belle qualité, la vitesse est bonne, la musique est de Jacques Gauthier qui reprend la partition originale de Manilo Mazza.
– Version de 181 minutes, présentée pour la première fois à Cannes en 2006. Criterion avait alors annoncé la sortie ‘imminente’ d’un DVD. N’étant toujours pas sorti à ce jour, on peut se demander s’il sortira un jour (pour le centenaire?). Espérons-le.