25 février 2017

Le Montreur d’ombres (1923) de Arthur Robison

Titre original : « Schatten – Eine nächtliche Halluzination »

Le Montreur d'ombresAux alentours de 1800, un bourgeois et sa femme reçoivent pour un dîner. La femme se complait à se laisse désirer par les invités, le mari est jaloux. Un montreur d’ombres parvient à s’introduire pour montrer son spectacle. Il va dévoiler à tous les conséquences de leur attitude et cela va leur glacer le sang… Le Montreur d’ombres est considéré comme l’un des films majeurs de l’expressionnisme allemand. Plutôt rare, il fait partie de ces films dont on entend parler mais qui restent difficiles à voir. Hormis dans un prologue qui nous présente de façon plutôt fastidieuse les personnages, le film ne comporte aucun intertitre, ce qui donne d’autant plus d’importance à l’image. Les personnages ne parlent pas d’ailleurs. L’histoire est assez simple mais joue avec subtilité sur les éclairages et les ombres dont on voit toutes les formes et toutes les fonctions : l’ombre qui trahit, l’ombre qui effraie, l’ombre qui trompe, l’ombre qui dévoile, l’ombre qui amuse et même l’ombre qui se substitue aux vivants devenus simples spectateurs de leur destin. Le sous-titre allemand est bien choisi : « Une hallucination nocturne ». Ce sont les ombres qui agissent sur le déroulement de l’histoire, faisant prendre telle ou telle tournure aux évènements. L’image de Fritz Arno Wagner est superbe, les décors sont simples pour mieux jouer avec la lumière et il faut noter également l’utilisation étonnante des miroirs. L’atmosphère est très forte, intrigante, angoissante. Le jeu des acteurs est typique de l’expressionnisme allemand, un jeu assez théâtral aux mouvements saccadés. Les ombres ont toujours une grande importance dans les films muets allemands mais Le Montreur d’ombres va plus loin que tous les autres et, en ce sens, il est un film assez unique en son genre.
Elle:
Lui : 4 étoiles

Acteurs: Alexander Granach, Fritz Kortner, Gustav von Wangenheim, Ruth Weyher, Rudolf Klein-Rogge
Voir la fiche du film et la filmographie de Arthur Robison sur le site IMDB.

Voir les livres sur l’expressionnisme allemand

Remarques :
* Arthur Robison est américain de naissance mais a grandi et fait ses études en Allemagne. Hormis Le Montreur d’ombres, il a réalisé une vingtaine de films jugés de peu d’intérêt, y compris sa première version de The Informer en 1929 (six ans avant John Ford). Georges Sadoul a ainsi dit de lui qu’il était « l’homme d’un seul film ».

* Le film restauré est accompagné par une musique très contemporaine que, personnellement, je suis incapable d’écouter. J’avais heureusement la possibilité de couper le son mais il faut faire attention à ce point pour une vision en salles.

le Montreur d'ombres
le Montreur d'ombresFritz Kortner dans Le Montreur d’ombres de Arthur Robison.

30 juillet 2014

La Femme nue et Satan (1959) de Victor Trivas

Titre original : « Die Nackte und der Satan »

La femme nue et SatanLe Docteur Abel (Michel Simon) a inventé un sérum qui lui a permis de maintenir en vie la tête d’un chien après la mort de son corps. Se sachant sur le point d’avoir un arrêt du coeur, il demande à son assistant fraichement recruté, le Docteur Ood, de lui faire une transplantation cardiaque. Il ignore que ce dernier a d’autres desseins… La Femme nue et Satan : derrière ce titre qui peut paraître un peu racoleur, se cache l’un des films les plus étranges qui soient. On peut le classer parmi les films de science fiction, rayon « savant fou », mais il ne ressemble vraiment à aucun autre. La présence de Michel Simon (doublé en allemand) dans un rôle si particulier (une tête seule) rend en effet le film assez unique. D’origine russe, le réalisateur Victor Trivas a débuté comme décorateur en Allemagne dans les années vingt, travaillant alors avec Pabst notamment, et en a gardé des amitiés : ainsi le chef décorateur de ce film n’est autre qu’Hermann Warm, l’un des chefs décorateurs du Cabinet du Dr Caligari, qui a joué ici sur le contraste entre de grandes pièces avec des passages étroits. Bien entendu, héritage de l’expressionisme, les éclairages sont assez travaillés. L’histoire n’est à aucun moment crédible mais cela importe peu, La Femme nue et Satan est assez unique.
Elle:
Lui : 3 étoiles

Acteurs: Horst Frank, Karin Kernke, Michel Simon
Voir la fiche du film et la filmographie de Victor Trivas sur le site IMDB.

Remarque :
Victor Trivas a peu réalisé. Son film le plus marquant est Niemandsland (La Zone de la mort), un pamphlet pacifique réalisé dans l’Allemagne de 1931, dont les nazis ont détruit toutes les copies présentes en Allemagne. Réfugié en France puis aux Etats Unis, il a ensuite surtout travaillé comme scénariste (notamment pour Orson Welles et Otto Preminger). Revenu en Allemagne, il tourne La femme nue et Satan qui sera son ultime réalisation.

23 avril 2013

Les Trois Lumières (1921) de Fritz Lang

Titre original : « Der müde Tod »

Les trois lumières(Film muet) Au Moyen-âge, un homme tout vêtu de noir, à la silhouette longiligne et au visage émacié, s’installe à la table d’un couple d’amoureux. A l’insu de la jeune fille, le jeune homme et l’homme tout en noir disparaissent peu après. Elle se lance à sa recherche… Der müde Tod (traduction littérale : La Mort lasse) est le premier film important de Fritz Lang, tourné juste avant Docteur Mabuse. Son scénario est signé par sa future femme, Théa von Harbou, qui a puisé son inspiration dans des contes et ballades germaniques. Original et riche, le film montre toute la créativité du couple. Il se compose en trois histoires très différentes encadrées par un prologue et un épilogue. La Mort met en effet la jeune femme à l’épreuve dans trois environnements, Bagdad, Venise et la Chine, où la mort est à chaque fois administrée par un symbole de pouvoir. « L’amour est aussi fort que la mort » lit-elle dans le Cantiques des cantiques mais c’est surtout contre le pouvoir qu’elle doit se battre à chaque fois et si la Mort est lasse, c’est face à la cruauté des hommes. S’inscrivant dans le courant expressionniste, le film est également original dans sa forme, riche de ses références picturales et agrémenté d’effets spéciaux. Malgré la pluralité de ses composantes, Les Trois Lumières forme un ensemble très cohérent, une véritable oeuvre de création d’un grand cinéaste.
Elle:
Lui : 4 étoiles

Acteurs: Lil Dagover, Walter Janssen, Bernhard Goetzke
Voir la fiche du film et la filmographie de Fritz Lang sur le site IMDB.

Voir les autres films de Fritz Lang chroniqués sur ce blog…

Remarque :
Douglas Faibanks a acheté les droits d’exploitation aux Etats Unis de Der müde Tod et en a retardé la sortie. Il s’est inspiré des effets spéciaux de la partie chinoise pour son film Le Voleur de Bagdad. Der müde Tod n’est ainsi sorti aux Etats Unis qu’en 1924 plusieurs mois après le film de Faibanks.

21 janvier 2013

L’Armée des 12 singes (1995) de Terry Gilliam

Titre original : « 12 monkeys »

L'armée des 12 singesAprès une gigantesque épidémie qui a presque éradiqué toute vie humaine sur Terre, forçant les quelques survivants à vivre en sous-sol, un petit groupe de scientifiques envoie un homme dans le passé dans l’espoir de modifier le présent… L’armée des 12 singes est inspiré du film expérimental de Chris Marker La Jetée. Contrairement à son habitude, Terry Gilliam n’en a pas écrit le scénario (1). Ce n’est pas un remake car le thème du voyage dans le temps est poussé beaucoup loin dans ses paradoxes et la confusion qu’il génère. La filiation de L’armée des 12 singes avec Brazil est manifeste : on retrouve cet environnement néo-baroque où la technologie et la bureaucratie jouent des rôles pernicieux et favorisent l’oppression, les décors inspirés en partie de l’expressionnisme allemand, le caractère déboussolé et impuissant de son personnage principal, une certaine vision cauchemardesque du modernisme. L’interprétation est parfaite, la plus étonnante avec le recul étant sans doute celle de Brad Pitt. Malgré la complexité de son scénario, L’armée des 12 singes fut un succès, le plus grand succès commercial de Terry Gilliam.
Elle:
Lui : 5 étoiles

Acteurs: Bruce Willis, Madeleine Stowe, Brad Pitt, Christopher Plummer
Voir la fiche du film et la filmographie de Terry Gilliam sur le site IMDB.

Voir les autres films de Terry Gilliam chroniqués sur ce blog…

Remarques :
* Tout comme La Jetée, le film de Terry Gilliam rend hommage au film Vertigo (Sueurs froides) d’Alfred Hitchcock par l’intermédiaire de la fameuse scène du tronc multi-centenaire. Alors que Chris Marker avait refait cette scène, Terry Gilliam diffuse l’originale quand ses personnages vont dans un cinéma pour se cacher. En outre, dans cette scène, Madeleine Stowe porte le même manteau que Kim Novak.

* Le titre du film vient du roman de Lyman Frank Baum Le Magicien d’Oz où le roi est parvenu à convaincre douze singes de devenir soldats pour lui, en leur promettant de la nourriture à volonté.

* Bien que ce ne soit précisé à aucun moment, le scénario situe les scènes du « futur » en 2035, ce qui est logique vu l’âge du personnage joué par Bruce Willis.

(1) C’est Universal qui a acquis les droits de La Jetée et confié l’écriture du scénario à David Peoples (qui avait travaillé notamment sur Blade Runner).

21 janvier 2008

Le Cabinet du Docteur Caligari (1919) de Robert Wiene

Titre original : « Das Kabinett des Doktor Caligari »

Le Cabinet du Dr CaligariLui :
Film-manifeste de l’expressionnisme allemand, Le Cabinet du Docteur Caligari tient une place à part dans l’histoire du cinéma. Ce sont bien entendu les décors qui frappèrent en premier les spectateurs : maisons de travers, rues tordues, aucun angle droit dans l’architecture… Ces décors, tout en tentures peintes, sont l’œuvre d’un groupe de peintres expressionnistes Der Sturm qui professait que « les films doivent être des dessins vivants ». Effectivement, nous avons l’impression d’être coupés de la réalité, d’être transportés ailleurs et cette sensation accentue l’étrangeté du récit et le déséquilibre mental du narrateur. La force des décors ne doit pas faire passer au second plan toute la portée du scénario de Carl Mayer et Hans Janowitz. Maintes fois qualifié de visionnaire, ce scénario (écrit juste au lendemain de la guerre de 14-18) fustige l’autoritarisme, celui qui transforme les hommes en automate : certains historiens du cinéma y ont vu une prédiction de la montée du nazisme. Le jeu des acteurs, quant à lui, passe assez nettement au second plan. Le Cabinet du Dr Caligari Sans doute, on peut regretter sur ce point que la réalisation fut confiée à un cinéaste de moyenne envergure (alors qu’initialement, le film devait être tourné par Fritz Lang qui se retira assez rapidement, hélas). Le Cabinet du Docteur Caligari reste remarquable à visionner 90 ans plus tard, le plus bel exemple de l’expressionnisme allemand au cinéma.
Note : 5 étoiles

Acteurs: Werner Krauss, Conrad Veidt, Friedrich Feher, Lil Dagover
Voir la fiche du film et la filmographie de Robert Wiene sur le site imdb.com.

Le Cabinet du Docteur Caligari eut un remake (peu réussi, plutôt une transposition de l’histoire) : The cabinet of Caligari (1962) de Roger Kay.
Une parodie aurait été réalisée en 1930 : Das Kabinett des Dr. Larifari de Robert Wohlmuth.