23 janvier 2013

Mort à Venise (1971) de Luchino Visconti

Titre original : « Morte a Venezia »

Mort à VeniseAu tout début du XXe siècle, un compositeur allemand vieillissant se rend à contrecœur à Venise pour un séjour de repos prescrit par son médecin. A l’Hôtel des Bains où il réside, il croise un adolescent polonais dont la beauté le fascine immédiatement… Mort à Venise est l’adaptation d’un court roman de Thomas Mann (1). C’est une œuvre traversée de nombreux thèmes forts (la recherche de la beauté, le désir, l’Art, l’isolement, le temps qui passe, la mort) où Visconti réalise une symbiose parfaite entre la forme et le sujet. C’est sur la beauté que cette symbiose est la plus évidente : par les costumes et les mouvements de caméra (superbes travellings), Visconti montre qu’il est dans le même type de démarche que son personnage qui a entièrement voué sa vie à la musique. Et surtout, en s’inspirant de Gustav Mahler pour ce même personnage, il réussit la plus belle fusion entre un film et sa musique, l’une des associations les plus parfaites (2). Mort à Venise n’est pas qu’une réflexion sur l’art et la beauté, ou encore sur le désir/fascination qui perturbe toutes nos certitudes : Visconti introduit de manière très forte les thèmes du temps, du déclin, de la mort. Le titre ne laisse aucun espoir et la citation qui ouvre le film est plus sombre encore (3). Visconti était alors lui-même très marqué par ces thèmes. Les images de Venise sont crépusculaires, exprimant la fin d’un monde, l’épidémie de choléra symbolisant la guerre qui approche. Avec peu de dialogues, Mort à Venise est un film qui se déroule lentement, tout en manifestant une forte présence.
Elle: 4 étoiles
Lui : 5 étoiles

Acteurs: Dirk Bogarde, Silvana Mangano, Björn Andrésen, Marisa Berenson, Romolo Valli
Voir la fiche du film et la filmographie de Luchino Visconti sur le site IMDB.

Voir les autres films de Luchino Visconti chroniqués sur ce blog…

(1) Visconti s’est également inspiré d’un autre roman de Thomas Mann, Le Docteur Faustus, pour les conversations sur beauté et la séquence de la maison close. On peut également penser qu’il a puisé son inspiration dans A la recherche du temps perdu de Proust, notamment pour certaines des séquences de l’hôtel.
(2) Adagietto de la 5e symphonie (4e mouvement) de Gustav Mahler. Cette symphonie a été composée entre 1901 et 1903 par le compositeur, soit la même époque que celle de Mort à Venise.
(3) « Celui qui a contemplé de ses yeux la beauté est déjà voué à la mort. » (Citation d’August von Platen-Hallermünde, poète allemand du début du XIXe)

4 réflexions sur « Mort à Venise (1971) de Luchino Visconti »

  1. Nous en parlons vraiment différemment, vous et moi, même si je l’ai presque autant aimé que vous. Ne souhaitant pas trop en dévoiler à vos lecteurs, je voulais revenir sur un point que vous abordez: cette épidémie de choléra. Quand je l’ai découverte dans le film, m’a semblé d’abord le fruit de l’imagination du compositeur. J’ai trouvé l’idée de Visconti plutôt incongrue, mais je me suis dit que c’était aussi l’élément déclencheur d’un rapprochement plus significatif avec qui-vous-savez.

    Qu’en pensez-vous ?

    Quelle que soit l’interprétation, je crois que je continuerai d’aimer « Mort à Venise ». Et dire que l’Hôtel des Bains a été transformé en complexe immobilier de luxe…

  2. C’est le propre des plus beaux films de pouvoir être abordé de façons très différentes… A mon humble petit avis, il ne faut pas voir dans Mort à Venise une simple histoire d’attirance physique d’un homme mûr pour un jeune garçon. Tadzio est ange… on ne fait pas l’amour avec un ange !

    Non, ce compositeur a dédié sa vie à son art, la musique. C’est un créateur. Toute sa vie a été consacrée à la recherche de la beauté absolue. Et tout à coup, elle se présente à lui, au moment où il s’y attend le moins. Et il se sait pas quoi faire de cette irruption dans sa vie, car elle remet en cause beaucoup de son existence. C’est pour cette raison que lui reviennent toutes ces discussions théoriques avec son ami. Ces discussions sont un peu ronflantes mais à la base il y une vraie question, la question préalable à toute recherche de la beauté : faut-il la chercher ou la créer ?

    Il ne sait pas quoi faire de cette beauté qui se présente à lui. C’est donc plus un problème conceptuel que simplement physique. Il ne tente d’ailleurs pas d’entrer en contact avec « l’ange » malgré les invitations et les regards. A un seul moment, il fait le parallèle avec une prostituée qu’il a connue comme pour tenter de remettre cela dans un schéma plus simple, plus rassurant pour lui, mais il est forcé de repousser l’idée.

    Quant au choléra, c’est avant tout la mort. Elle marque toute cette histoire. Elle est inéluctable et annoncée : dans le titre déjà, puis dès les premières images (cette fumée très noire qui sort de la cheminée du bateau qui l’emmène à Venise) et dans cette étonnante scène du gondolier qui le mène de force à sa destination, sorte de « passeur d’âmes » qui le mène vers la mort… etc.

    Une mort annoncée et désirée… Comme nous l’indique la citation en ouverture, comment pourrait-il vivre après avoir contemplé la beauté absolue ? Il sait qu’il ne pourra la transcrire dans sa création, arriver à une telle perfection. Donc sa vie, pour lui, n’a plus de sens. Son seul désir est que la beauté lui survive, qu’elle ne meure pas.

    Mort à Venise est un film qui ne pourrait sortir aujourd’hui… enfin, si peut-être, mais il faudrait prendre autre chose qu’un jeune garçon pour symboliser l’ange… 😉

    J’ai lu sur votre blog que l’Hôtel des Bains allait disparaître… Dommage.
    Comme certainement d’autres d’amateurs de cinéma, je suis allé le voir lors d’un voyage à Venise. Il était bien entendu moins séduisant que dans le film, en bordure de rue, avec ces énormes grillages qui ferment les plages privées italiennes.

  3. L’épidémie de choléra fait écho au déclin de ce vieil homme comme les provocations du jeune garçon accentuent son côté pitoyable illustré cruellement par la scène du maquillage.Je crois également que le personnage du jeune homme est plutôt, en effet, à considerer comme un symbole . Le naufrage de la vieillesse qui rêve de beauté absolue, de jeunesse, de vie donc . Comme la fin d’un monde et d’une vie à Venise accompagnée de cette superbe musique neo romantique qui accompagne si bien la déchéance. Superbe et infiniment tragique !

  4. CONTAMINATION
    Il y a des villes comme ça qui cristallisent des métaphores comme celle de la beauté telle Venise vouée un jour à disparaitre engloutie dans les flots qui l’ont vu naitre de la main de l’homme. Des villes décors, théâtre et opéra, romans et films, ou généralement on vient du monde entier en lune de miel. Ne serait-ce pas plutôt une ville musée faite pour y mourir, comme Hemingway et son double dans « Au-delà du fleuve et sous les arbres »?
    Venise cité lacustre mortifère est peu à peu gangrénée par le bacille du choléra amené par les bateaux du port, et que l’on tente de masquer en la déguisant – ne sommes nous pas dans une ville carnavalesque? – par un désinfectant fait de chaux blanche nauséabonde que la municipalité répand sur les places
    Gustav von Aschenbach, le protagoniste, que l’on a vu enveloppé d’un plaid dans une chaise sur le pont du bateau, costume de lin blanc, panama, lunettes, y débarque pour se reposer en villégiature car il est en convalescence, accablé d’un mal indéfini. On sait que chez les malades la sensibilité est souvent accrue et principalement celle de la beauté qui se présente comme un chemin à suivre. Aschenbach la rencontre sous la forme des apparitions successives d’un ange jeune adolescent étranger qu’il va se mettre à suivre dans le dédale des canaux, comme Scottie filait Madeleine avec fascination dans l’hypnose en spirale irrépressible de Vertigo. Ici convalescent rime avec adolescent
    il y a aussi des films comme ça, qui échappent à la raison habituelle et dont on ne peut faire le tour d’un commentaire
    De la nouvelle d’à peine cent pages de Thomas Mann parue en 1912, après un bref séjour à Venise l’année précédente où il rencontre un jeune noble polonais adolescent qu’il nommera Tadzio dans sa nouvelle, Luchino Visconti tire un film de 2h15 (et encore se passe t’il des deux premiers chapitres) dont il garde le cadre historique du début de siècle. L’ouverture, passant du bleu profond de la nuit au glissement à travers les premières brumes matinales qui s’estompent sur l’entrée du bateau glissant sur le grand écran de la lagune comme dans une toile de Turner sur l’adagio de Gustav Malher est en soi prodigieuse de métamorphose de cette beauté d’un monde qui va contaminer tout le cours du film jusqu’à sa chute. A cette époque Visconti travaille sur l’adaptation d' »A la recherche du temps perdu » et cela se sent à bien des égards
    La ville devient de plus en plus suffocante, lépreuse, tandis qu’Aschenbach s’affaiblit de plus en plus, suffocant. Il attendait plus ou moins que quelque chose au soir de sa vie (lui) arriva, mais ne s’attendait pas à être foudroyé par l’ange en plein coeur. Cette révélation de l’ordre du mystère vient trop tard, il ne peut que prendre conscience qu’il passe à coté, qu’il est passé à coté, qu’il est trop tard malgré tous les masques de carnaval dont on le pare (chez le barbier), mais n’est-ce pas là plutôt un masque mortuaire pour achever la métamorphose. Aschenbach se rajeunit-il ou s’approche t’il d’avantage de la mort? « Et maintenant le signor peut tomber amoureux sans crainte » lui dit son embaumeur en ajoutant une fleur à la boutonnière
    Mort à Venise est rempli de zooms combinés à des travellings qui instaurent des mouvements perpétuels de circulation, de longs plans sans dialogue, de poses et de musiques dans des pastels d’images et des brillances décoratives qui accompagnent l’errance, la solitude et la mort d’Aschenbach sur la plage de l’hôtel des Bains, à coté de l’appareil photo planté seul sur son trépied, face au miroir scintillant de l’eau, le regard tourné en direction du geste du bras de l’ange
    Méditatif, contemplatif, mélancolique, symbolique et toute sorte d’épithètes qualificatifs s’appliquent au film car on y parle rarement en premier des acteurs tant ils s’amalgament à l’entreprise du récit viscontien, certes il faut reconnaitre la performance sur le fil de Dirk Bogarde mais on songe que Visconti aurait pu l’interpréter lui même, tout comme on l’a déjà dit pour le prince du Guépard ou le vieil amateur d’art misanthrope de Violence et passion, autant de testaments possibles du cinéaste

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