30 mai 2015

Complot de famille (1976) de Alfred Hitchcock

Titre original : « Family Plot »

Complot de familleBlanche Tyler passe pour avoir des talents de médium auprès de vieilles dames crédules. L’une d’elles, secouée par l’une de ses séances, lui confie la charge de retrouver le fils de sa soeur abandonné par sa faute à sa naissance. Blanche et son ami se mette à sa recherche… Complot de famille est le dernier film d’Alfred Hitchcock qui avait 76 ans au début du tournage et fêtait ses 50 ans de réalisation (son premier film date de 1925). C’est l’adaptation d’un roman de Victor Canning. Il est de bon ton de prendre Complot de famille de haut et d’annoncer que le Maitre du suspense avait perdu la main. Pourtant, c’est un film très réussi. Certes il n’est pas très hitchcockien : c’est une comédie policière où l’atmosphère est plutôt détendue, les scènes de suspense y sont moins intenses qu’à l’accoutumée et l’histoire n’est pas centrée sur un personnage principal mais sur plusieurs. L’intrigue est un peu tortueuse avec deux histoires juxtaposées mais Hitchcock adopte un style très limpide, il prend tout son temps pour nous l’expliquer ce qui rend le film très accessible. La musique de John Williams contribue à rendre Complot de famille particulièrement plaisant. Hitchcock s’amuse et nous aussi. Sa filmographie se clôt ainsi joliment sur une petite note espiègle.
Elle: 4 étoiles
Lui : 4 étoiles

Acteurs: Karen Black, Bruce Dern, Barbara Harris, William Devane, Ed Lauter
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Complot de famille
Barbara Harris et Bruce Dern dans Complot de famille de Alfred Hitchcock

Complot de famille
Karen Black et William Devane dans Complot de famille de Alfred Hitchcock

Remarques :
* Cameo d’Alfred Hitchcock : (très visible) en ombre chinoise, dans la porte du bureau du registre des naissances et des décès.

* Très inhabituel pour le cinéaste : le passage d’une histoire à l’autre à la 12e minute à la façon « cadavres exquis » (ou façon Fantôme de la Liberté ?).

23 mai 2015

Certains l’aiment chaud (1959) de Billy Wilder

Titre original : « Some Like It Hot »

Certains l'aiment chaud1929. Pour avoir assisté par hasard au Massacre de la Saint-Valentin, deux musiciens fauchés sont recherchés par une bande de gangsters appartenant à la Mafia. Pour leur échapper, ils se déguisent en femmes et rejoignent un groupe musical féminin en partance pour la Floride… Dans Certains l’aiment chaud, Billy Wilder est incontestablement au sommet de son art. En alliant un propos subversif à un équilibre parfait, il approche l’état de grâce et signe le mètre-étalon de la comédie réussie. L’entreprise était pourtant périlleuse. Sur le thème délicat du travestissement et les multiples connotations sexuelles qui en découlent, il eut été facile de déraper vers la vulgarité. Ce n’est à aucun moment le cas et Billy Wilder sait même lui donner une indéniable profondeur. Plutôt de faire des plaisanteries grivoises, il utilise le travestissement sexuel comme un révélateur de la vraie personnalité de chacun des deux protagonistes : ils nous apparaissent au final fort différents l’un de l’autre. De l’autre côté, le caractère de « ravissante idiote » de Marilyn est, plutôt que d’être induit, pleinement revendiqué par le personnage lui-même, ce qui nous la fait apparaître encore plus vulnérable. Tout cela est nimbé d’un humour permanent, jamais gênant, d’une élégance folle. Jack Lemmon est absolument fabuleux, exubérant mais sans excès, toujours au plus juste pour servir le burlesque. Et, cerise sur le gâteau, nous avons cette réplique finale, devenue rapidement ultra-célèbre et qui est bien plus profonde qu’elle ne paraît (elle résume même, en un sens, tout le propos du film). Oui, Certains l’aiment chaud est bien extrêmement proche de la perfection. Du grand art.
Elle: 5 étoiles
Lui : 5 étoiles

Acteurs: Marilyn Monroe, Tony Curtis, Jack Lemmon, George Raft, Pat O’Brien, Joe E. Brown
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Some like it hot
Tony Curtis au saxophone, Jack Lemmon à la contrebasse et Marilyn Monroe à l’ukulele dans Certains l’aiment chaud de Billy Wilder.

Remarques :
* Le film a été tourné en noir et blanc parce que Billy Wilder craignait que ses deux personnages masculins ne pâtissent de la couleur. Il avait certainement raison. Ils auraient certainement paru, au moins par moment, ridicules en couleurs.

* Le scénario est écrit par Billy Wilder et I.A.L. Diamond. C’est à la base le remake d’un film allemand Fanfaren der Liebe de Kurt Hoffmann (1951), lui-même remake d’un film français encore plus méconnu (film perdu), Fanfare d’amour de Richard Pottier (1935).

* Billy Wilder a déclaré peu après que son banquier et son médecin lui avaient interdit de refaire un film avec Marilyn Monroe. Le tournage fut en effet rendu éprouvant par les retards, absences et caprices de l’actrice et ses « difficultés » à apprendre son texte. En revanche, le réalisateur était enchanté d’avoir travaillé avec Jack Lemmon avec lequel il tournera plusieurs films (La Garçonnière, Irma la Douce, Avanti, Special Première, …)

Certains l'aiment chaud
– (Jerry) Je vais être franc avec  vous. Nous ne pouvons pas nous marier.
– (Osgood) Et pourquoi donc ?
– Eh bien, pour commencer, je suis une fausse blonde.
– Aucune importance.
– Je fume, je fume comme un sapeur!
– Ça m’est égal.
– Et j’ai un lourd passé. Je vis avec un joueur de saxophone depuis trois ans.
– Je vous pardonne.
– Je ne pourrai jamais avoir d’enfants.
– Nous pourrons en adopter.
 Well, nobody's perfect!
– Mais vous ne comprenez donc pas… Je suis un homme !
– Bof… personne n’est parfait!
(Joe E. Brown et Jack Lemmon dans Certains l’aiment chaud de Billy Wilder).

19 mai 2015

Griffes jaunes (1942) de John Huston

Titre original : « Across the Pacific »

Griffes jaunesRadié des cadres de l’armée pour faute grave, le capitaine Leland tente de s’engager dans l’armée canadienne. On ne veut pas de lui. Il embarque alors à Halifax sur le navire japonais « Genoa Maru » à destination du Japon et de la Chine via New York et Panama… Griffes jaunes est adapté d’un feuilleton paru dans le Saturday Evening Post signé Robert Carson (1). C’est le troisième film de John Huston qui reprend les acteurs principaux de son premier film Le Faucon maltais : Humphrey Bogart, Mary Astor et Sydney Greenstreet. Le tournage fut perturbé par des problèmes de scénario qui fut régulièrement modifié en fonction de l’actualité (nous sommes alors quelques mois après Pearl Harbour) et la fin restait toujours en suspens quand John Huston, alors âgé de 36 ans, fut appelé sous les drapeaux. Jack Warner a alors chargé Vincent Sherman (2) de le terminer. On comprendra donc pourquoi la fin paraît plutôt bâclée. Sans être un grand film de John Huston, Griffes jaunes est de bonne facture, se situant plutôt au-dessus des autres films de propagande. Bogart a comme toujours une belle présence mais le couple Bogart/Astor est sans doute un peu fade.
Elle:
Lui : 3 étoiles

Acteurs: Humphrey Bogart, Mary Astor, Sydney Greenstreet
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Across the Pacific / Griffes jaunes
Sydney Greenstreet, Humphrey Bogart et Mary Astor dans Griffes jaunes de John Huston.

Remarques :
* Initialement, le scénario était écrit pour se dérouler à Hawaï. Lorsque l’attaque sur Pearl Harbour eut lieu, l’histoire fut déplacée à Panama… mais le titre est resté bien que toute l’action se déroule en Atlantique et à Panama. L’affiche ci-dessus porte un slogan guerrier qui tente de justifier le titre : « Quand Humphrey Bogart dérouille ces japs, on sent qu’il est impatient de traverser le Pacifique ».

* John Huston a raconté que, lorsqu’il a été appelé sous les drapeaux, il a pris un malin plaisir de mettre Humphrey Bogart dans une position désespérée : « Je ne simplifiai pas la tâche de mon successeur. Je ligotai Bogie sur une chaise et le fis garder par trois fois plus de soldats nippons que nécessaire. J’en postai un, mitraillette au poing, devant chaque issue. Puis je téléphonai à Jack Warner : « Je pars pour la guerre. Bogart saura se débrouiller tout seul. » Vincent Sherman reprit le film. Pas question de retourner des scènes. Il fallait trouver le moyen de faire échapper Bogie. Sherman imagina de frapper un des Japonais d’une crise de folie furieuse. Le prisonnier s’évadait à la faveur de confusion générale. » (John Huston par John Huston, Pygmalion 1982, p81).
Bizarrement, on ne voit pas dans le film Bogart ligoté sur une chaise et encore moins une scène de folie furieuse d’un gardien. Le site américain de TCM précise que la scène a du être tournée à nouveau différemment pour ne pas qu’il ne soit pas ligoté.

* Peter Lorre, le quatrième acteur du Faucon Maltais, fait une brève apparition en tant que serveur à l’arrière plan (j’avoue ne pas l’avoir repéré).

(1) Robert Carson est connu pour être l’auteur de l’histoire initiale de A Star is Born (Une étoile est née).
(2) Vincent Sherman venait de terminer Echec à la Gestapo (All Through the Night) avec Humphrey Bogart, ce qui explique certainement ce choix.

Across the Pacific / Griffes jaunes
Keye Luke, Humphrey Bogart et Mary Astor dans Griffes jaunes de John Huston (publicity photo).

Photo de tournage de Griffes Jaunes 1942
Humphrey Bogart, Mary Astor et John Huston sur le tournage de Griffes jaunes (mars /avril 1942).

18 mai 2015

Brooklyn Boogie (1995) de Wayne Wang

Titre original : « Blue in the Face »

Brooklyn BoogieTourné dans la foulée de Smoke, Brooklyn Boogie est une comédie qui en reprend le lieu, un petit commerce de tabac et de magazines en plein Brooklyn. Hormis le buraliste (Harvey Keitel), son employé un peu autiste et le propriétaire (Victor Argo que l’on voyait peu dans Smoke), tous les personnages sont différents. Brooklyn Boogie est d’ailleurs très différent de Smoke : c’est une comédie sans réel scénario, tournée en six jours. Seules certaines situations de départ ont été formalisées par Paul Auster et Wayne Wang qui ont laissé les acteurs en grande partie improviser. Ils ont aussi invité des guest stars : on y voit Lou Reed parler du quartier avant de nous vanter le principe de ses lunettes à verres relevables (les ingénieurs à la NASA veulent les mêmes…), Jim Jarmusch se lancer dans une discussion avec Harvey Keitel sur la cigarette et divers sujets, Michael J. Fox en enquêteur assez hilarant, Lily Tomlin (difficile à reconnaitre) en baba-cool azimuté (oui, sans e à la fin), Mira Sorvino et même Madonna (assez épouvantable) en « télégramme chantant ». John Lurie est également là, au saxophone avec son groupe, The John Lurie National Orchestra. Comme souvent dans le genre happening, l’ensemble est un peu inégal. Les personnages féminins ne sont pas les plus gâtés : Harvey Keitel est affublé d’une petite amie idiote et insupportable (Mel Gorham qui apparaissait brièvement dans Smoke) et doit subir les avances de la femme du propriétaire (Roseanne Barr, une grande figure comique aux Etats-Unis) qui est non moins insupportable. Les plus tatillons pourront parler de misogynie… Mais il y a aussi de bons moments dans cet amusant patchwork qui nous fait l’éloge de Brooklyn.
Elle: 3 étoiles
Lui : 3 étoiles

Acteurs: Harvey Keitel, Giancarlo Esposito, Victor Argo, Michael J. Fox, Lily Tomlin
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Lou Reed dans Brooklyn Boogie de Wayne Wang
Lou Reed dans Brooklyn Boogie de Wayne Wang
« Quand je fume un cigare, je ne pense pas à descendre acheter une bouteille de whisky. Donc finalement le tabac est bon pour la santé… »

Jim Jarmush dans Brooklyn Boogie de Wayne Wang
Harvey Keitel et Jim Jarmusch qui s’apprête à fumer sa dernière cigarette dans Brooklyn Boogie de Wayne Wang.

17 mai 2015

Smoke (1995) de Wayne Wang

SmokeAuggie (Harvey Keitel) tient un petit bureau de tabac à Brooklyn. Là, se croisent Paul (William Hurt), un écrivain en mal d’inspiration, Rashid (Harold Perrineau) un jeune adolescent noir, la borgne Ruby (Stockard Channing) une ancienne maitresse d’Auggie et Cyrus (Forest Whitaker) garagiste manchot… Smoke est le fruit de la collaboration entre Wayne Wang et Paul Auster. L’écrivain a écrit un scénario original où l’on retrouve son univers et le quartier qui lui est cher. Le film est structuré en cinq grands tableaux, chacun se focalisant sur l’un des cinq personnages principaux. Ces personnages ont en commun d’avoir perdu quelqu’un ou d’être à la recherche d’une personne. Ils ont également en commun le fait de mentir ou de travestir la réalité, de petits ou gros mensonges qui sont parfois salutaires. Le scénario est très bien écrit, Wayne Wang a su toutefois contenir le côté littéraire de ces récits qui ne transparaît finalement pas. Belles prestations, intenses, d’Harvey Keitel et de William Hurt. Smoke est un beau film sur l’âme humaine. La fin qui aborde la notion de « l’histoire parfaite » est très belle.
Elle: 4 étoiles
Lui : 3 étoiles

Acteurs: Harvey Keitel, William Hurt, Harold Perrineau, Forest Whitaker, Stockard Channing
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Smoke de Wayne Wang
Tous les matins, le buraliste Auggie prend en photo son magasin à Brooklyn…
Harvey Keitel dans Smoke de Wayne Wang

Remarques :
* Le fils de Paul Auster apparaît brièvement vers le début du film : c’est l’adolescent qui vole un magazine dans la boutique.
* Le personnage de l’écrivain joué par William Hurt s’appelle Paul Benjamin dans le film. Or le nom complet de Paul Auster est Paul Benjamin Auster. Cela confirme, s’il en était besoin, que l’écrivain s’est identifié à ce personnage…

* Le magasin est aujourd’hui une « Pie Shop ». On peut en voir la façade et même l’intérieur dans Google Maps.

11 mai 2015

Zero Dark Thirty (2012) de Kathryn Bigelow

Zero Dark ThirtyAu lendemain du 11 septembre 2001, une jeune recrue de la CIA est envoyée au Pakistan et participe à la traque de Ben Laden… Kathryn Bigelow fait le récit de cette traque qui a duré dix ans et de son aboutissement en plaçant une jeune femme sur le devant de la scène dont la ténacité et même l’obstination serait le principal artisan de la réussite de toute l’opération. Kathryn Bigelow a su éviter tout sensationnalisme et s’est bien gardée de créer un spectacle à partir de ces faits. Elle n’a pas éludé le problème de la torture. On pourrait dire qu’elle n’en fait ni l’apologie ni la condamne, qu’elle la montre avant tout comme ayant été pratiquée. Il est toutefois difficile de ne pas reconnaître qu’elle la justifie puisque, dans son récit, des informations importantes ont été ainsi obtenues. Cette révélation dérangeante (et sa discutable justification) a causé une certaine polémique aux Etats-Unis autour du film. Pour le reste, Zero Dark Thirty passe pour être bien documenté mais l’authenticité en pareil cas est bien entendu difficile à vérifier. La mise en scène de Kathryn Bigelow est nerveuse, très bien maitrisée.
Elle: 3 étoiles
Lui : 3 étoiles

Acteurs: Jessica Chastain, Jason Clarke
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Zero Dark Thirty
Jessica Chastain dans Zero Dark Thirty de Kathryn Bigelow.

Remarque :
* Le terme Zero Dark Thirty dans le langage militaire désigne les trente minutes qui suivent minuit, ce sont les plus sombres de la nuit. Le titre fait ainsi référence à l’assaut final, mené une nuit sans lune, mais aussi au grand secret qui a entouré toute la traque de dix ans.

 

9 mai 2015

Vol au-dessus d’un nid de coucou (1975) de Milos Forman

Titre original : « One Flew Over the Cuckoo’s Nest »

Vol au-dessus d'un nid de coucouDu fait de ses comportements erratiques, le prisonnier récidiviste Randle McMurphy est transféré de la prison à l’hôpital psychiatrique pour examen. Il participe aux thérapies de groupe dirigées par l’infirmière Ratched… Basé sur un roman de Ken Kesey (1)(2), Vol au-dessus d’un nid de coucou fait partie de ces films-évènements qui marquent leur époque (ou en sont la traduction directe, au choix…) Le visionner de nouveau, quarante ans après sa sortie, est intéressant. Il montre une belle longévité et reste aujourd’hui généralement tenu en très haute estime. Si la performance d’acteur paraît toujours aussi exceptionnelle, une spectaculaire opposition entre deux personnes, l’impact du film est nécessairement différent : dans les années soixante-dix, il mettait brutalement les spectateurs face à une réalité qu’ils ignoraient, celle des méthodes coercitives des hôpitaux psychiatriques qui entretiennent les troubles plus qu’ils ne les soignent. Aujourd’hui, où le pilonnage de tout ce qui est institutionnel est le quotidien de millions d’internautes, l’effet coup de poing ne peut être le même ; le film est même dans l’air du temps. Mais cela lui enlève-t-il de ses qualités pour autant ? Au-delà de la dénonciation de méthodes répressives, Vol au-dessus d’un nid de coucou pose d’autres questions : la définition de la « folie » (et quelle attitude adopter face à elle) bien entendu, mais aussi il nous met dans la position du patient, pose des questions sur ses attentes : la scène la plus forte (à mes yeux) est celle où Nicholson découvre que la moitié des membres de son groupe sont des internés volontaires. Toutes ces questions restent toutefois sans réponse, le propos restant sur une simple apologie de l’insoumission et une négation de toute forme d’autorité, ce qui est, il faut bien le reconnaître, assez facile. Cette faiblesse est plus évidente avec le recul (mais faut-il nécessairement apporter une réponse pour dénoncer quelque chose ?) La forme du film de Milos Forman est remarquable : il adopte un style très réaliste, donnant presque au film une atmosphère de documentaire ce qui le rend encore plus percutant ; il a d’ailleurs été tourner dans l’enceinte de l’Oregon State Mental Hospital, plusieurs figurants sont de réels patients, le docteur est un vrai docteur. La mise en scène est sobre, la construction est solide ce qui est admirable puisque tout le déroulement, ou presque, se situe à l’intérieur d’un même lieu (3). Fait avec un budget très modéré, Vol au-dessus d’un nid de coucou fut un immense succès dès sa sortie. Il a conservé aujourd’hui toute sa force.
Elle: 5 étoiles
Lui : 4 étoiles

Acteurs: Jack Nicholson, Louise Fletcher, Danny DeVito, Brad Dourif, Will Sampson
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Vol au-dessus d'un nid de coucou
Brad Dourif, Danny DeVito et Jack Nicholson dans Vol au-dessus d’un nid de coucou de Milos Forman.

Remarques :
* Le titre « Vol au-dessus d’un nid de coucou » vient d’une comptine pour enfants et du fait, qu’en anglais, le mot « cuckoo » désigne une personne dérangée, cinglée.

* L’infirmière Ratched est le rôle principal de la carrière de Louise Fletcher, les films tournés ensuite par l’actrice paraissent bien mineurs. L’expression « Nurse Ratched » est, quant à elle, passée en partie dans le langage courant pour désigner quelqu’un de froid et tyrannique.

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L’un des rares sourires de l’infirmière Ratched : Louise Fletcher dans Vol au-dessus d’un nid de coucou de Milos Forman.

(1) L’auteur Ken Kesey a lui-même travaillé dans un hôpital. Dans le roman, c’est Chief Bromden (le colosse d’origine indienne) qui raconte les faits. Ken Kesey était très mécontent du film. Il a même attaqué les producteurs en justice. Dans son roman, l’hôpital psychiatrique est une allégorie de la société dans son ensemble et le fait de prendre un personnage principal symbole des minorités opprimées s’inscrivait dans cette optique. Cet aspect contestataire, contre toute forme d’establishment, a été gommé par Forman.

(2) C’est Kirk Douglas qui a découvert le roman en 1961 et en a acheté les droits pour le tourner lui-même. Il l’a porté brièvement sur les planches en 1963. Mais le projet cinématographique ne s’est jamais fait, Kirk Douglas ne réussissant pas à convaincre studios et producteurs. Devenant trop âgé pour le rôle, il a finalement confié le projet à Milos Forman (Kirk Douglas a envoyé le livre à Milos Forman dès 1965 mais celui-ci ne l’a jamais reçu. Il suppose que les douaniers tchécoslovaques ont confisqué le livre en tant que littérature occidentale subversive. Ce n’est que dix ans plus tard que Michael, le fils de Kirk, le proposera de nouveau à Forman qui a entre-temps émigré aux Etats-Unis.)

(3) Hormis la scène de pêche… une scène que Milos Forman était très réticent à inclure dans son film. Il est vrai qu’elle est assez inutile. C’est plus une récréation pour le spectateur qu’autre chose… elle permet de soulager la tension.

7 mai 2015

Le Portrait de Jennie (1948) de William Dieterle

Titre original : « Portrait of Jennie »

Le portrait de Jennie Le peintre Eben Adams, qui a bien du mal à vendre ses toiles jugées trop ordinaires, fait la rencontre un soir d’hiver d’une jeune fille habillée de vêtements un peu démodés. Elle disparaît mais il réussit à la revoir quelques jours plus tard. Il lui semble qu’elle a grandi. Elle est pour lui une source d’inspiration… Adapté d’un roman plutôt intimiste de Robert Nathan, Le Portrait de Jennie est une production de David O. Selznick pour sa propre compagnie, la Vanguard Films. L’histoire se situe sur le thème onirique et de l’amour inaccessible. Selznick a tenu à en gommer tous les aspects fantastiques. Malgré tout le talent de Dieterle, le résultat manque d’intensité, le souffle épique voulu par Selznick étant aux abonnés absents si ce n’est dans la fin que Selznick a voulu, selon ses propres dires, « à la Griffith ». Le tournage fut long, dispendieux, compliqué. William Dieterle réussit de belles scènes dans un New York enneigé et parvient à créer une atmosphère éthérée. De nombreuses scènes sont filmées à travers une toile pour donner l’impression d’une peinture animée. La frontière entre réel et irréel s’estompe. Le Portrait de Jennie connut un insuccès total à sa sortie mais avec le temps, il est monté dans l’estime des cinéphiles comme bel exemple de cinéma onirique. On peut toutefois, comme ce fut mon cas, le trouver ennuyeux…
Elle:
Lui : 2 étoiles

Acteurs: Jennifer Jones, Joseph Cotten, Ethel Barrymore, Lillian Gish, Cecil Kellaway, David Wayne
Voir la fiche du film et la filmographie de William Dieterle sur le site IMDB.

Voir les autres films de William Dieterle chroniqués sur ce blog…

Le Portrait de Jennie
Jennifer Jones et Joseph Cotten dans Le portrait de Jennie de William Dieterle

Remarques :
* Le Portrait de Jennie est en noir et blanc, sauf les dernières scènes qui sont teintés (ce qui lui donne un petit aspect « film muet ») et le plan final sur le tableau du titre est en couleurs (à la Levin…)
* Le film est ressorti en 1950 sous le titre The Tidal Wave pour tenter de capter un autre public, mais une fois de plus, sans succès.
* Dans certains cinémas, la scène finale de la tempête fut projetée en Magnascope sur un écran Cycloramic avec un son Multi-Sound. L’effet était saisissant.
* Le Portrait de Jennie est le dernier film du talentueux chef-opérateur / directeur de la photographie Joseph H. August qui a débuté dans les années dix (avec Thomas H. Ince notamment) et a travaillé sur plus de 150 films (dont plusieurs John Ford dans les années trente et quarante).

5 mai 2015

La Diligence vers l’Ouest (1966) de Gordon Douglas

Titre original : « Stagecoach »

La diligence vers l'OuestUne diligence part en direction de la ville de Cheyenne alors que la région est sous la menace de raids indiens meurtriers. Ses six passagers ont des motivations bien différentes de se rendre à leur destination…. On peut parfois se demander quelles motivations peut avoir un metteur en scène à s’attaquer à des films-monuments comme Stagecoach de John Ford. Penser que l’on va pouvoir surpasser ou au moins égaler l’original est passablement présomptueux. Gordon Douglas est un réalisateur aguerri, spécialiste des comédies et des westerns. Sur le déroulement de l’histoire, ce remake est la copie conforme de l’original : on y retrouve les mêmes personnages, les mêmes évènements, mais ici cette histoire n’a aucune force, tout tombe à plat. La poursuite est toutefois un peu différente, placée en forêt, probablement pour qu’elle soit plus spectaculaire. Côté acteurs, si Alex Cord est bien terne par rapport à John Wayne, l’interprétation de Bing Crosby (le médecin alcoolique), de Van Heflin (le shérif) et d’Ann-Margret (la jeune prostituée) sont honorables, voire excellente dans le cas de Bing Crosby dont c’est ici le dernier film. Cela ne suffit pas à sauver ce remake qui paraît bien inutile.
Elle:
Lui : 2 étoiles

Acteurs: Ann-Margret, Bing Crosby, Robert Cummings, Van Heflin, Red Buttons, Slim Pickens, Stefanie Powers
Voir la fiche du film et la filmographie de Gordon Douglas sur le site IMDB.

Voir la présentation de l’original : La Chevauchée fantastique de John Ford (1939)

Stagecoach 1966
Slim Pickens et Van Heflin dans La diligence vers l’Ouest de Gordon Douglas

Stagecoach 1966
Alex Cord, Bing Crosby, Red Buttons et Mike Connors dans La diligence vers l’Ouest de Gordon Douglas.

Stagecoach 1966
Robert Cummings (de dos) et Ann-Margret dans La diligence vers l’Ouest de Gordon Douglas.

 

30 avril 2015

Deux rouquines dans la bagarre (1956) de Allan Dwan

Titre original : « Slightly Scarlet »

Deux rouquines dans la bagarreJune Lyons va accueillir sa soeur Dorothy à sa sortie de prison. June est l’assistante et la petite amie de Frank Jansen qui se présente aux élections pour nettoyer la ville des gangsters. Le principal d’entre eux, Solly Caspar, ne voit pas cela d’un bon oeil… Slightly Scarlet est un film plus intéressant que son titre français, un peu caricatural, ne le laisserait supposer. Ce n’est pas tant par son histoire qui est très classique : on aura bien du mal à lui trouver de l’originalité. Non, si Slightly Scarlett est digne d’être remarqué, c’est bien plus pour ses qualités esthétiques. Les couleurs (Technicolor) sont flamboyantes et la photographie du talentueux John Alton (qui a photographié sept films d’Allan Dwan, c’est ici le dernier d’entre eux) est superbe. Ces couleurs et éclairages permettent de mettre en valeur les deux héroïnes féminines, à commencer par leur chevelure rousse qui nous vaut le titre. Car ce sont bien les deux rouquines qui sont ici les personnages principaux. Arlene Dahl et surtout Rhonda Fleming ont une forte présence sensuelle et certaines scènes ont une indéniable intensité érotique. Très bien réalisé malgré un budget plutôt faible, Slightly Scarlet n’est pas un film à négliger. Patrick Brion a bien raison de le qualifier comme étant « le plus beau, avec Party Girl, des films noirs en couleurs ».
Elle:
Lui : 4 étoiles

Acteurs: John Payne, Rhonda Fleming, Arlene Dahl, Ted de Corsia
Voir la fiche du film et la filmographie de Allan Dwan sur le site IMDB.

Voir les autres films de Allan Dwan chroniqués sur ce blog…

Lire la longue – mais intéressante – critique sur le site DVDClassik

 

Deux rouquines dans la bagarre
Arlene Dahl et Rhonda Fleming sont Deux rouquines dans la bagarre dans le film d’Allan Dwan.

Remarques :
* Le film est librement inspiré d’un roman de James Cain « Love’s Lovely Counterfeit ».
* Lorsque le chef opérateur John Alton demanda à Allan Dwan quel style esthétique il désirait, le réalisateur lui répondit : « Rembrandt, sans aucun doute ! »
* Slightly Scarlet est proche d’être la 400e réalisation d’Allan Dwan qui a débuté en 1911. Il en tournera encore cinq autres après celui-ci (sur les 400, la plupart sont des films d’une ou deux bobines tournés entre 1911 et 1915).