12 novembre 2013

Holy Motors (2012) de Leos Carax

Holy MotorsUn homme est conduit dans une immense limousine à différents endroits de Paris pour une dizaine de « rendez-vous » où il tient un rôle à chaque fois différent… En préambule, Leos Carax se met en scène en dormeur qui se réveille, sort de sa chambre pour se retrouver dans une immense salle de spectacle où des spectateurs figés attendent. Holy Motors est en effet le premier long métrage depuis Pola X (1999). Le film a été qualifié de chef d’oeuvre par la critique avec une unanimité dont elle a le secret. On peut être un peu plus nuancé face à cet OVNI cinématographique. Certes, il montre de belles fulgurances et des moments d’une beauté envoutante. Certes, il sait nous surprendre, nous déstabiliser, casser nos repères, questionner sur les rapports entre spectacle et réalité et, par là même, sur notre vie (qui pourrait n’être qu’une succession de rôles)… mais ces réflexions ne sont finalement qu’effleurées. Holy Motors donne parfois l’impression d’être plus un film de performance (celle de Denis Lavant est évidente), une performance hélas assez froide et même déshumanisée. Holy Motors reste toutefois très intéressant, ne serait-ce que par le foisonnement d’idées cinématographiques de Leos Carax.
Elle: 2 étoiles
Lui : 4 étoiles

Acteurs: Denis Lavant, Edith Scob, Eva Mendes, Kylie Minogue, Michel Piccoli
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4 août 2013

Conte des chrysanthèmes tardifs (1939) de Kenji Mizoguchi

Titre original : « Zangiku monogatari »

Les contes des chrysanthèmes tardifsA la fin du XIXe siècle, le jeune Kikunosuke fait partie d’une famille illustre d’acteurs du théâtre kabuki. Son jeu est jugé très mauvais par tous. Personne n’ose le lui dire, même son père, le grand Kikugorô Onoe. Seule Otoku, la jeune nounou de la famille, ose lui parler pour lui ouvrir les yeux. Il se développe alors entre eux une amitié qui se transforme rapidement en amour… Sous prétexte de mettre en scène les débuts du renommé Kikunosuke Onoe VI (1), Kenji Mizoguchi centre son film sur le destin de cette jeune femme Otoku qui se sacrifie pour que puisse se développer l’art de l’acteur (2). Conte des chrysanthèmes tardifs est ainsi un drame très émouvant, puissant par les émotions qu’il provoque chez le spectateur. Cette force ne vient pas seulement de l’histoire mais aussi de la forme que Mizoguchi développe avec maestria de film en film : les plans-séquences, la position de la caméra souvent assez haute, le cadrage, l’utilisation de plans moyens qui permet des mouvements circulaires de caméra, … c’est un film que l’on peut aussi ne regarder que pour analyser la forme, très inventive et déjà très aboutie, toujours au service de l’histoire dont elle décuple la force.
Elle:
Lui : 5 étoiles

Acteurs: Shôtarô Hanayagi, Kakuko Mori, Kôkichi Takada, Yôko Umemura
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Remarque :
La scène la plus célèbre de Conte des chrysanthèmes tardifs : Mizoguchi met en scène le premier grand dialogue entre Otoku et Kikunosuke par un long plan-séquence, un lent traveling latéral en contre-plongée (comme si nous observions les personnages depuis une barque sur le fleuve alors qu’ils marchent sur un ponton de bois sur la rive par exemple) où nous suivons les personnages en train de marcher l’un derrière l’autre tout en se parlant. Lorsqu’ils s’arrêtent, la caméra s’arrête… avant de reprendre son mouvement lorsqu’ils reprennent leur marche. L’éclairage nocturne est superbe, détachant les visages des silhouettes. C’est sans aucun doute l’un des plus beaux plans de l’histoire du cinéma.

(1) Kikunosuke Onoe VI est ce grand acteur de kabuki que l’on peut voir dans le court métrage La Danse du lion de Yasujirô Ozu (1936).

(2) On notera aussi qu’un second personnage féminin est implicitement Kikunosuke lui-même : écrasé par la personnalité de son père, il ne parviendra à s’en libérer dans son jeu d’acteur qu’en se spécialisant dans l’interprétation de rôles féminins.

11 avril 2013

Othello (1947) de George Cukor

Titre original : « A Double Life »

A Double LifeUn grand acteur de théâtre, qui vit intensément ses rôles, se prépare à interpréter Othello, le Maure de Venise. Peu à peu, il se laisse submerger par le personnage de Shakespeare au point de ne plus contrôler ses émotions… Ecrit par Garson Kanin et Ruth Gordon (1), le film développe une histoire de dédoublement de la personnalité. Le titre original A Double Life est donc plus représentatif que le titre français Othello qui laisse supposer que le film est une adaptation de la pièce de Shakespeare (2). La construction est assez habile, traduisant bien le glissement progressif de l’acteur. La mise en scène de Cukor est sobre, sans effet inutiles. Le film nous plonge de façon très réaliste dans le monde des acteurs de théâtre. Il a aussi un petit côté « film noir », non seulement dans le développement de l’histoire, mais aussi par la photographie des extérieurs, essentiellement nocturne. A Double Life est tout le contraire d’un film tape à l’oeil. Il a la simplicité et la limpidité des meilleurs films. Il montre aussi une certaine perfection aussi bien dans l’écriture que dans la mise en scène ou l’interprétation.
Elle:
Lui : 4 étoiles

Acteurs: Ronald Colman, Signe Hasso, Edmond O’Brien, Shelley Winters
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(1) Garson Kanin et Ruth Gordon étaient mari et femme. C’est le premier des quatre scénarios que le couple écrira pour George Cukor. A noter également que A Double Life est produit par Michael Kanin, le frère de Garson. Michael est également scénariste (oscarisé en 1942 pour A Woman of the year). Son épouse, Fay Kanin, fait ici une petite apparition en tant qu’une des actrices de la pièce Othello.

(2) Pour une adaptation de la pièce de Shakespeare, on peut se tourner vers la version d’Orson Welles Othello (1952) ou celle de l’anglais Stuart Burge Othello (1965) avec Laurence Olivier.

31 janvier 2013

Coups de feu sur Broadway (1994) de Woody Allen

Titre original : « Bullets Over Broadway »

Coups de feu sur BroadwayDans les années vingt à Broadway, un auteur et metteur en scène peine à trouver un financement pour sa nouvelle pièce. Le seul commanditaire qu’il trouve est un caïd de la pègre qui demande en contrepartie un rôle majeur pour sa petite amie, une danseuse sans talent… Coups de feu sur Broadway est une comédie basée sur le choc de deux mondes qu’à priori tout oppose : le monde du théâtre et les truands. On peut toujours avoir quelques regrets quand Woody Allen ne joue pas lui-même, mais il était assez habile de sa part de laisser le rôle de l’auteur car il l’aurait certainement rendu trop sympathique et trop présent. Ici, le jeu de John Cusack rappelle inévitablement celui de Woody Allen, mais en un peu plus fade ce qui colle parfaitement à l’histoire. Coécrit avec Douglas McGrath (1), le scénario est brillant avec une grande attention portée au détail et beaucoup de subtilité dans les relations de fascination entre l’auteur et deux des personnages. L’humour fonctionne parfaitement et l’homme de main Cheech est un personnage particulièrement réussi et mémorable. Coups de feu sur Broadway est une variation originale et amusante sur les affres de la création.
Elle: 4 étoiles
Lui : 4 étoiles

Acteurs: John Cusack, Dianne Wiest, Jennifer Tilly, Chazz Palminteri, Jack Warden
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Remarque :
Woody Allen avait déjà utilisé le milieu des truands dans Broadway Danny Rose (1984), film avec lequel on peut faire certains rapprochements.

(1) Douglas McGrath est ensuite passé à la réalisation avec notamment Emma, l’entremetteuse (1996) d’après Jane Austen, Nicholas Nickleby (2002) d’après Dickens et Scandaleusement célèbre (2006).

13 octobre 2012

Ève (1950) de Joseph L. Mankiewicz

Titre original : « All about Eve »

ÈveAlors que l’actrice de théâtre Eve Harrington reçoit une récompense lors d’une soirée, plusieurs personnes se remémore sa rapide ascension… L’un des plus célèbres films de Joseph Mankiewicz, All about Eve fait partie de ces films qui semblent approcher une certaine perfection. Tout est brillant, à commencer par le scénario très intelligemment écrit par Mankiewicz sur la base d’une nouvelle de Mary Orr. La construction repose sur un flashback raconté par plusieurs personnages, une construction élégante que le réalisateur reprendra encore plus brillamment pour La comtesse aux pieds nus. Les dialogues sont d’une grande richesse avec de nombreuses répliques mémorables. La mise en scène est très maitrisée et l’interprétation admirable : c’est bien entendu Bette Davis qui est la plus remarquable dans son rôle d’actrice hantée par son âge avec ses accès d’humeur et son penchant pour l’alcool mais tous les rôles de premier et second plans sont parfaitement tenus. Cette peinture du monde du spectacle n’est pas dénuée d’acidité, c’est un monde où le mensonge côtoie l’arrivisme et le cynisme, même quand le talent est là. Film presque parfait, All about Eve connut un très grand succès et reçut de nombreux prix.
Elle: 5 étoiles
Lui : 5 étoiles

Acteurs: Bette Davis, Anne Baxter, George Sanders, Celeste Holm, Gary Merrill, Hugh Marlowe, Gregory Ratoff, Thelma Ritter, Marilyn Monroe
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Remarques :
* Mankiewicz a dit s’être inspiré de son ami Elian Kazan pour le personnage de Bill, le metteur en scène.
* La Sarah Siddons Society n’existait pas encore au moment du tournage de Eve. C’est une pure création de Mankiewicz. Du fait du succès du film, des amateurs de théâtre créèrent la vraie Sarah Siddons Society en 1952 et commencèrent à décerner un prix à une actrice particulièrement remarquée au cours de la saison passée. C’est maintenant l’un des prix les plus importants dans le monde du théâtre. Et la statuette remise est identique à celle du film!

17 septembre 2012

Upstream (1927) de John Ford

Upstream(Film muet) Une pension de famille héberge des artistes de show business et des acteurs qui ont bien du mal à trouver des contrats. L’un d’entre eux a une occasion de rêve : aller jouer Hamlet à Londres… Alors qu’il était considéré comme définitivement perdu, Upstream a été retrouvé en 2009 en Nouvelle Zélande et restauré. C’est en soi un petit évènement. Upstream est un film plutôt inhabituel pour John Ford. C’est une comédie qui fustige la vanité. John Ford décrit de près cette petite communauté disparate et haute en couleur, il nous immerge dans cette pension de famille où l’essentiel du film se déroule ; il montre une tendresse certaine pour ses personnages. Certes, Upstream n’est pas un film majeur de John Ford mais c’est une comédie plaisante avec une belle caractérisation des personnages.
Elle:
Lui : 3 étoiles

Acteurs: Nancy Nash, Earle Foxe, Grant Withers, Raymond Hitchcock
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Remarque :
Le titre Upstream peut paraître étrange, même si Mandare dit à Brashingham : “Go upstream to your success!” avec le mot upstream mis en italique dans l’intertitre pour bien qu’on le remarque. L’expression est bien étrange… En réalité, la Fox avait prévu de sortir un film avec Dolores Del Rio appelé Upstream et avait déjà commencé à annoncer sa sortie aux distributeurs et au public. Or le projet fut abandonné. Quand le film de John Ford fut terminé, la Fox décida de changer son titre initialement prévu The Public Idol en Upstream et l’intertitre fut alors rajouté !

8 septembre 2012

L’homme aux mille visages (1957) de Joseph Pevney

Titre original : « Man of a thousand faces »

L'homme aux mille visagesVingt sept ans après la mort de Lon Chaney, Universal décide de consacrer un film à la vie de cet acteur hors normes et tourmenté, l’un des plus populaires du studio dans les années vingt. L’homme aux mille visages n’échappe pas à hélas aux clichés et travers hollywoodiens notamment en mettant fortement l’accent sur les déboires conjugaux de Lon Chaney et sur sa lutte pour récupérer son fils mais le film est rendu remarquable par la performance de James Cagney qui réalise de véritables prouesses pour faire revivre le talentueux acteur. Trois scènes de films sont brièvement recréées : The Miracle Man de 1919 où ce que fait Cagney est même plus spectaculaire que dans l’original(1), Notre-Dame de Paris de 1923 et Le Fantôme de l’opéra de 1925, trois films Universal(2).
Elle:
Lui : 3 étoiles

Acteurs: James Cagney, Dorothy Malone, Jane Greer
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Remarques :
* Le jeune Irving Thalberg est interprété par Robert J. Evans, jeune homme découvert au bord d’une piscine par Norma Shearer et qui deviendra ensuite… producteur et directeur de production à la Paramount.
* La scène-clé du début du film, où la femme de Lon Chaney découvre ses parents et les rejette, est une invention de scénariste. Dans la réalité, elle les connaissait avant leur mariage.
* L’actrice qui joue la soeur de Lon Chaney est Jeanne Cagney, soeur de James Cagney.

(1) The Miracle Man de George Loane Tucker (1919) est un film perdu dont seules quelques scènes subsistent. La scène de la fausse guérison est l’une d’elle. Elle est en réalité plus rapide et vue de plus loin que celle de L’homme aux mille visages où James Cagney est vraiment étonnant. En revanche, Cagney ne parvient pas à ramper sur le sol comme Lon Chaney.
(2) Après Le Fantôme de l’Opéra (1925), Lon Chaney a quitté Universal pour passer à la M.G.M. (tout comme Irving Thalberg d’ailleurs). D’autre part, The penalty (1920), qui a été un formidable tremplin pour la carrière de Lon Chaney, est un film Goldwyn ; c’est pourquoi il n’est ici qu’à peine évoqué.

8 mai 2012

What Price Hollywood? (1932) de George Cukor

What Price Hollywood?Une jeune serveuse se fait remarquer par un metteur en scène alcoolique qui lui donne l’occasion de tourner une petite scène… What Price Hollywood? est l’un des premiers films de George Cukor, c’est même son premier film d’importance. Il le tourne grâce à son ami David O. Selznick, récemment entré à la RKO comme directeur de production. Le film nous montre Hollywood vu de l’intérieur, d’une façon qui ne nous avait jamais été montrée. Si d’autres films avaient déjà mis en scène l’industrie du cinéma, ils jouaient le plus souvent sur les côtés les plus superficiels : l’attrait des stars et de la célébrité. What Price Hollywood? nous montre le revers de cette célébrité avec deux trajectoires croisées : l’une montante, celle de la star, et l’autre descendante, celle du metteur en scène. Le lien qui les unit est à la fois délicat et fort, très humain. Les personnages ont une indéniable profondeur. Par certaines scènes, What Price Hollywood? nous montre aussi les coulisses d’un tournage, les moyens mis en œuvre, le rôle du metteur en scène. Le personnage du producteur évoque furieusement David O. Selznick. Là où le film est le plus faible, c’est dans sa partie centrale qui se focalise trop sur l’idylle entre l’actrice et son mari d’origine aristocratique, joué très platement par Neil Hamilton. Ce défaut sera corrigé dans les remakes (le mari et le metteur en scène seront fondus en un seul personnage) ; What Price Hollywood? sera en effet repris trois fois sous le nom A star is born. L’un de ces remakes sera dirigé par Cukor lui-même.
Elle:
Lui : 3 étoiles

Acteurs: Constance Bennett, Lowell Sherman, Neil Hamilton, Gregory Ratoff, Brooks Benedict
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Remakes :
Une étoile est née (A star is born) de William A. Wellman (1937) avec Janet Gaynor et Fredric March
Une étoile est née (A star is born) de George Cukor (1954) avec Judy Garland et James Mason (comédie musicale)
Une étoile est née (A star is born) de Frank Pierson (1976) avec Barbra Streisand et Kris Kristofferson (comédie musicale)

20 avril 2012

Somewhere (2010) de Sofia Coppola

SomewhereJohnny Marco, acteur célèbre, réside à l’hôtel Château Marmont à Hollywood. Seulement tenu à faire quelques rares apparitions pour la promotion de son dernier film, il ne sait pas quoi faire de ses journées. Son ex-femme lui demande de s’occuper de sa fille de 11 ans pendant quelques jours… Somewhere est presque une expérience cinématographique : pour nous faire toucher du doigt, le vide profond de la vie cet acteur, Sofia Coppola dépouille son film de tout récit et allonge des scènes où il ne se passe rien. On a l’impression d’atteindre un point ultime : nous sommes au-delà du minimalisme, on ne pourra sans doute pas aller plus loin dans la création du vide. Son personnage est plutôt un peu dépressif mais sans l’être vraiment : non, il n’est tout simplement rien, une simple marionnette que l’on utilise. Comme on le sait, Sofia Coppola s’inspire de sa propre enfance, de son propre ressenti mais cela ne rend pas le film plus intéressant pour cela, mais nombriliste, certainement… Du côté de la photographie, rien de remarquable non plus, du moins pour nous sauver de l’ennui.
Elle:
Lui : 1 étoile

Acteurs: Stephen Dorff, Elle Fanning
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