1 août 2017

Gunga Din (1939) de George Stevens

Gunga DinA la frontière nord de l’Inde, aux alentours de 1880, l’armée britannique est harcelée par les Thugs qui sabotent leurs installations et pillent les villages. Trois sergents, bagarreurs et amis de longue date, sont chargés d’aller les attaquer avec un petit détachement au sein duquel figure un porteur d’eau indien appelé Gunga Din… Avec l’intention de reproduire l’énorme succès des Trois Lanciers du Bengale (Paramount, 1935), la RKO acquiert dès 1936 les droits sur le poème de Kipling, Gunga Din. L’histoire de base a été écrite par Ben Hecht et Charles MacArthur. Le film est empreint de ce colonialisme primaire caractéristique des années trente mais ce n’est pas pour cette raison qu’il déçoit. Tout d’abord, le mélange de genres paraît bien mal dosé : de l’aventure, des batailles et un humour sans finesse. Les acteurs, visiblement en roue libre, cabotinent et sont hilares y compris dans les situations les plus dramatiques, ce qui leur enlève toute intensité. Ensuite, Georges Stevens n’est indéniablement pas très l’aise dans le film de guerre (ce sera sa seule incursion dans le genre) et l’ensemble manque de rythme et de caractère épique. Enfin faire passer Cary Grant pour un anglais semble possible (après tout, il l’est… ou, au moins, l’était) mais pour Victor McLaglen, c’est franchement « mission impossible » (et pourtant il l’est aussi!) et le film n’essaie même pas : tous ces « britanniques » font très américains. Le mauvais goût culmine avec l’apparition de Kipling dans l’épilogue (la famille de l’écrivain a obtenu que la scène soit retirée dans certaines versions). Le succès fut très important et, bizarrement, le film continue d’être tenu en assez haute estime aujourd’hui.
Elle:
Lui : 2 étoiles

Acteurs: Cary Grant, Victor McLaglen, Douglas Fairbanks Jr., Sam Jaffe, Eduardo Ciannelli, Joan Fontaine
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Gunga Din
Cary Grant, Victor McLaglen et Douglas Fairbanks Jr. dans Gunga Din de George Stevens.

Gunga Din
Cary Grant et Sam Jaffe dans Gunga Din de George Stevens.

Remarques :
* Le projet fut d’abord confié à Howard Hawks mais la RKO mais, après le fiasco de Bringing Up Baby, il sera écarté au profit de Georges Stevens. Hawks était également jugé trop lent (donc couteux) mais, au final, Stevens fut encore plus lent que Hawks et Gunga Din fut alors la production la plus coûteuse pour la RKO.
* William Faulkner aurait travaillé sur le scénario.
* Blake Edwards parodie Gunga Din dans la scène d’ouverture de La Party (1969) avec Peter Sellers grimé en indien comme l’est ici Sam Jaffe.
* Remake :
Les 3 Sergents (Sergeants 3) de John Sturges (1962) avec Frank Sinatra, Dean Martin et Sammy Davis Jr., la même histoire transposée dans l’Ouest américain.

27 avril 2016

Ugly (2013) de Anurag Kashyap

UglyA Bombay, les parents de Kali, 10 ans, sont divorcés. Sa mère s’est remariée avec un commissaire de police qui la maintient cloitrée. Un samedi, alors que Kali passe la journée avec son père, elle disparaît. Tout porte à croire qu’elle a été enlevée. Bien qu’ils se détestent au plus haut point, le père et le beau-père se mettent à sa recherche… Ugly est le dixième long métrage d’Anurag Kashyap, chef de file du nouveau cinéma indépendant indien. Nous sommes loin de l’univers féérique de Bollywood : l’univers d’Ugly est assez glauque et souligne les travers de la société indienne contemporaine. Ses personnages sont souvent aveuglés par leur individualisme et leurs querelles, chacun cherchant à profiter de la situation, si tragique soit-elle. Le portrait de la police n’est pas très flatteur : un commissaire aux méthodes particulièrement violentes et des subalternes pas très futés. Le déroulement du scénario tient parfois du puzzle, avec des flash-back qui surviennent sans crier gare ; le montage est rapide. La cohérence d’ensemble est assez remarquable quand on sait que les dialogues furent en grande partie improvisés. Ugly est un beau film très nerveux, assez sombre et sans concession, remarquablement réalisé.
Elle:
Lui : 4 étoiles

Acteurs: Rahul Bhat, Ronit Roy, Tejaswini Kolhapure
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Remarque :
* La sortie du film en Inde a été retardée de presque 1 an parce qu’Anurag Kashyap refusait que son film affiche les messages anti-tabac. En effet, la législation indienne est très stricte à ce sujet : les messages d’avertissement sur les dangers du tabac sont obligatoires dès qu’un personnage fume à l’écran (le pays compte 250 millions de fumeurs… ouille). Il n’est pas le seul à s’être insurgé contre cette règle : par exemple, Woody Allen a refusé de sortir Blue Jasmine en Inde pour cette raison.

Ugly
Rahul Bhat, le père de la fillette, dans Ugly de Anurag Kashyap.

Ugly
Ronit Roy (au centre), l’inquiétant commissaire de Ugly de Anurag Kashyap.

14 décembre 2015

La Grande Ville (1963) de Satyajit Ray

Titre original : « Mahanagar »

La Grande villeSubrata est employé de banque. Son salaire ne lui permet que difficilement de faire vivre sa famille, d’autant qu’il a ses parents âgés à charge. Lorsque sa jeune femme Arati émet l’idée de travailler, il finit par donner son accord tout en sachant que son père, très traditionnel dans ses idées, ne pourra l’accepter… La Grande Ville est le dixième long métrage de Satyajit Ray et le premier à se situer à l’époque contemporaine. Il porte un regard sur la société indienne en pleine évolution de moeurs en se concentrant sur les relations à l’intérieur de la famille. Car c’est dans la famille elle-même que cette femme qui désire travailler trouve l’opposition la plus vive et le fait qu’elle le fasse dans l’intérêt de tous n’atténue nullement la « faute » à leurs yeux. L’art de Satyajit Ray est de mêler cette peinture sociale assez militante à une histoire dotée de rebondissements et même d’un certain suspense. Cet ensemble parfait nous place en empathie totale avec cette femme qui est superbement interprété par Madhabi Mukherjee. Belle, intelligente et déterminée, le cinéaste en fait une héroïne idéale pour que le spectateur soit conquis. La Grande Ville est un film au propos fort et porteur d’espoir.
Elle: 5 étoiles
Lui : 4 étoiles

Acteurs: Anil Chatterjee, Madhabi Mukherjee
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La Grande Ville
Madhabi Mukherjee dans La Grande ville de Satyajit Ray.

29 novembre 2015

Le Tigre du Bengale / Le Tombeau hindou (1959) de Fritz Lang

Titre original : « Der Tiger von Eschnapur / Das indische Grabmal »

1ere partie : « Le Tigre du Bengale »
2eme partie : « Le Tombeau hindou »

Le Tigre du BengaleAu début du XXe siècle, en Inde, un architecte allemand a répondu à l’invitation du maharadjah d’Eschnapur de venir restaurer le palais et construire des hôpitaux. En chemin, il sauve la vie d’une jeune danseuse en éloignant un tigre féroce. La jeune femme se rend elle aussi à Eschnapur, le maharadjah l’ayant fait venir en espérant se faire aimer d’elle… Il faut préciser en tout premier que Le Tigre du Bengale et Le Tombeau hindou forment un seul et même film en deux parties ; même si cela reste possible, il n’est pas judicieux de les voir séparément. Le Tigre du Bengale met en place les personnages et installe une situation génératrice de puissantes tensions qui n’éclatent vraiment que dans Le Tombeau hindou, riche en action et mouvementé.

Le Tombeau hindouA la fin de sa carrière, Fritz Lang fait un retour aux sources : 26 ans après l’avoir quittée, il revient en Allemagne pour tourner une nouvelle version d’un scénario écrit en 1921 par Thea von Harbou (1) et qu’il n’avait pu réaliser lui-même, s’étant fait souffler le projet par l’autrichien Joe May. Richard Eichberg en avait fait un remake en 1938 d’une qualité assez moyenne mais le projet de Lang est d’une toute autre ampleur, doté d’un budget important. Comme le plus souvent dans les scénarios de Thea von Harbou, les personnages sont animés par des pulsions assez simples, la passion, l’ambition, la jalousie, et l’histoire les place dans des situations elles-aussi simples mais limpides et très fortes. La perfection esthétique, épurée avec une grande économie de mouvements de caméra, fait écho à cette simplicité du propos et ajoute à la profondeur de l’ensemble. Fritz Lang retrouve l’esprit avec lequel il tournait ses films muets pour aller sonder les profondeurs de la nature humaine. L’image est très belle, fastueuse et riche en couleurs. Debra Paget est d’une grande beauté mais le personnage le plus remarquable est certainement celui de Chandra, le maharadjah, auquel Walter Reyer donne une belle intensité. Le Tigre du Bengale peut être délicat à faire apprécier à des yeux modernes qui vont parfois ne voir là qu’un film kitsch avec des effets trop visibles (oui, le cobra est en carton-pâte, mais quelle importance ?) Le film a d’ailleurs divisé dès sa sortie et l’historien Jacques Lourcelles remarque à juste titre que ses détracteurs lui ont reproché ce qui justement fait sa force : « une inactualité géniale qui réduit l’univers à quelques désirs contradictoires et monstrueux de l’homme… »
Elle: 5 étoiles
Lui : 5 étoiles

Acteurs: Debra Paget, Paul Hubschmid, Walther Reyer, Claus Holm, Sabine Bethmann
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Le Tombeau hindou
Debra Paget dans Le Tombeau hindou de Fritz Lang

le Tombeau hindou
Walther Reyer dans Le Tombeau hindou de Fritz Lang

le Tombeau hindou
Debra Paget dans Le Tombeau hindou de Fritz Lang

le Tigre du Bengale
Walther Reyer, René Deltgen et Jochen Brockmann dans Le Tigre du Bengale de Fritz Lang

(1) Fritz Lang et Thea von Harbou se sont mariés en 1922.

Précédentes versions :
* Das indische Grabmal de Joe May (1921) en deux parties :
1 Die Sendung des Yoghi (= La mission du Yogi)
2 Der Tiger von Eschnapur
avec Conrad Veidt dans le rôle du maharadjah.

* Der Tiger von Eschnapur de Richard Eichberg (1938) en deux parties :
1 Der Tiger von Eschnapur
2 Das indische Grabmal
avec Philip Dorn dans le rôle du maharadjah.

4 novembre 2015

Le Héros (1966) de Satyajit Ray

Titre original : « Nayak »

Le HérosAu sommet de la gloire, un acteur bengali doit se rendre à Delhi pour y recevoir un prix. Dans le train, il fait plusieurs rencontres qui l’amènent à s’interroger sur sa vie… Ecrit et réalisé par Satyajit Ray, Le Héros démarre par un tableau assez idyllique de cet acteur sûr de lui et de son succès. Cette assurance va se fissurer au cours du voyage grâce à la présence d’une jeune femme qui affiche un apparent désintérêt pour son personnage public. Des flashbacks et des scènes de rêves viennent se mêler à celles du voyage pour former un ensemble riche, d’une belle profondeur. Satyajit Ray n’affirme pas que les choix que cet acteur a fait dans sa vie sont mauvais mais il nous laisse entrevoir qu’ils ne sont pas forcément les bons. Ray utilise les personnages secondaires pour élargir le propos et brosser un portrait de la société indienne : un vieux passéiste, un homme d’affaires moderne, un arriviste prêt à jeter sa femme dans les bras d’un client potentiel, et d’autres. Le Héros est un film très fluide, une réussite de plus dans la filmographie de ce passionnant réalisateur indien.
Elle:
Lui : 4 étoiles

Acteurs: Uttam Kumar, Sharmila Tagore
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Le Héros
Sharmila Tagore et Uttam Kumar dans Le Héros de Satyajit Ray.

Remarques :
* A la simple lecture du synopsis, on ne peut que penser aux Fraises sauvages de Bergman. Si l’on ajoute qu’il y a des séquences de rêves, la ressemblance n’en paraît que plus forte. Satyajit Ray a toutefois affirmé que la ressemblance était accidentelle et qu’il avait vu Les Fraises sauvages après avoir fait Le Héros (Entretien avec Henri Micciollo, Satyajit Ray, Editions L’Âge d’Homme, 1981, page 298).

* Uttam Kumar qui interprète l’acteur était lui-même un acteur très populaire (il était alors âgé de 40 ans). Il a tourné dans plus de 200 films entre 1948 et 1987.

19 octobre 2015

Charulata (1964) de Satyajit Ray

CharulataA Calcutta, en 1879, la jeune Charulata s’ennuie dans sa belle et grande maison. Son mari, tout occupé à publier un hebdomadaire politique, ne s’occupe guère d’elle. Il profite même du séjour de son cousin, jeune et enjoué qui se destine à la littérature, pour lui demander de pousser son épouse à reprendre la plume… Adapté d’un roman de Rabindranath Tagore, Charulata est un drame sentimental se déroulant presqu’en huis clos. C’est un film très harmonieux, d’une très grande délicatesse, où nous avons l’impression d’effleurer les personnages. La mise en scène de Satyajit Ray est proche de la perfection que ce soit dans ses placements ou mouvements de caméra, ses nombreux gros plans. Il en découle une sensation de grande fluidité (1) et même, pourrait-on ajouter, de musicalité. Les premières minutes du film sont souvent citées comme l’une des plus remarquables ouvertures de film : il n’y a pratiquement pas une parole et pourtant, dans cette mise en place du personnage principal, tout est dit. Le récit se situe à une période charnière de l’histoire de l’Inde et Ray nous fait sentir en arrière-plan le bouillonnement et les aspirations au renouveau, un certain idéalisme qui rend le personnage du mari d’autant plus maladroit dans les relations avec ses proches. Charulata est un très beau film, probablement la meilleure introduction au cinéma si attirant de Satyajit Ray.
Elle: 5 étoiles
Lui : 5 étoiles

Acteurs: Soumitra Chatterjee, Madhabi Mukherjee, Shailen Mukherjee
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Remarques :
* La nouvelle Nastanirh (Le nid brisé) de l’écrivain bengali Rabindranath Tagore a été publiée en 1901.
* La scène de la balançoire est certainement un hommage à Jean Renoir (Partie de campagne).

 

Charulata
Madhabi Mukherjee dans Charulata de Satyajit Ray
.

Charulata
Madhabi Mukherjee et Soumitra Chatterjee dans Charulata de Satyajit Ray
.

 

(1) Seuls les zooms ne semblent pas très heureux et se remarquent beaucoup trop mais il faut préciser, à la décharge de Satyajit Ray, que l’effet de zoom était une « maladie » répandue chez les réalisateurs dans les années 60 et le début des années 70. Heureusement, l’attrait pour le zoom s’est ensuite éteint…

5 février 2015

Le Fil du rasoir (1946) de Edmund Goulding

Titre original : « The Razor’s Edge »

Le fil du rasoirAnnées 1920. Profondément marqué d’avoir vu à la guerre un de ses camarades mourir devant lui, le jeune Larry Darrell ne peut se résoudre à suivre le chemin tout tracé qui s’ouvre devant lui : un mariage dans la bonne société avec Isabel qui l’aime plus que tout et une confortable carrière dans la finance. Il sent qu’il doit d’abord trouver quel sens donner à sa vie… Le Fil du rasoir est un film de producteur, en l’occurrence Darryl F. Zanuck qui s’est pris de passion pour le roman de Somerset Maugham écrit en 1944. Commencé avec George Cukor, que Zanuck exclut rapidement à la suite de dissensions, le film sera finalement réalisé par Edmund Goulding avec un budget important, 89 décors différents et plus de trois mois de tournage. Vu aujourd’hui, on peut trouver des défauts à ce grand  mélodrame, regretter par exemple la présence de certains clichés, mais si l’on dépasse ces apparences, Le fil du rasoir apparaît comme un film qui sort du lot par son propos : aspirations métaphysiques et mysticisme oriental, sujets bien peu photogéniques au demeurant, n’étaient guère courants à cette époque. Le cinéma hollywoodien s’étant en grande partie bâti sur l’exposition du rêve américain, les films qui proposent une alternative au matérialisme en tant que source unique du bonheur ou de l’accomplissement de soi, ne sont pas légion. Tyrone Power, lui aussi de retour de guerre (la Seconde), montre une belle conviction dans cette recherche de la sérénité, un chemin que le sage dit être « aussi étroit que le fil d’un rasoir ». Le personnage de Gene Tierney, égoïste et matérialiste, est sans doute un peu trop typé. Clifton Webb est parfait, dans un rôle de personnage mondain snob qu’il a si souvent interprété. Le film est indéniablement un peu trop long (2 h 25) mais sans aller jusqu’à générer l’ennui. Le Fil du rasoir fut un grand succès.
Elle:
Lui : 4 étoiles

Acteurs: Tyrone Power, Gene Tierney, John Payne, Anne Baxter, Clifton Webb, Herbert Marshall, Lucile Watson
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Remarques :
* Edmund Goulding avait pour méthode de faire répéter très longuement ses acteurs avant de filmer en longs plans-séquences avec de beaux mouvements de caméra. Il utilisait assez peu les gros plans sur les acteurs.
* Anne Baxter reçut l’Oscar du meilleur second rôle pour ce film.
* Remake :
Le Fil du rasoir (The Razor’s Edge) de John Byrum (1984) avec Bill Murray.

Le fil du rasoir
(de g. à d.) Herbert Marshall, Clifton Webb (assis), Gene Tierney, Anne Baxter (assise) et Tyrone Power dans Le Fil du rasoir (20th Century Fox, 1946).

30 mars 2014

Les Joueurs d’échecs (1977) de Satyajit Ray

Titre original : « Shatranj Ke Khilari »

Les joueurs d'échecsNous sommes en 1856, dans la province d’Awadh au nord de l’Inde. Alors qu’ils avaient signé un traité d’amitié très avantageux pour eux, les anglais désirent reprendre le contrôle total de la région et prennent le prétexte d’une prétendue mauvaise gestion pour forcer le souverain à se démettre. Pendant ce temps, deux aristocrates oisifs passent leurs journées à jouer aux échecs… Les Joueurs d’échecs est basé sur des faits historiques. C’est le seul film de Satyajit Ray en langue hindi (et non bengali) et qui soit situé dans une ville musulmane alors que le cinéaste est hindouiste. Le film met en parallèle deux histoires : l’une est plutôt grave et historique, elle montre comment l’Angleterre a fini de faire main basse sur l’Inde par la traitrise ; l’autre est plus légère, montrant comment deux bourgeois ne se soucient que de leur jeu préféré, insensibles à leur environnement, délaissant même leur femme. Ce parallèle surprenant a pu dérouter les spectateurs (le film fut un échec commercial). L’attitude de ces deux joueurs, sorte de combattants d’opérette (descendants pourtant de vrais combattants), symbolisent l’indifférence générale dans laquelle l’annexion de l’Inde par l’Angleterre s’est déroulée. Satyajit Ray soigne ses décors, les couleurs sont superbes, et ses personnages. De façon inhabituelle pour lui, il a réuni un plateau d’acteurs indiens très connus. Face à eux, Richard Attenborough interprète un général décidé à accomplir sa mission coûte que coûte, tout en contraste avec Tom Alter, son aide de camp, le seul anglais qui comprenne la civilisation indienne comme en témoigne les savoureux dialogues avec le général. Film assez subtil, aux changements de tons surprenants, Les Joueurs d’échecs est un beau film dans lequel il faut se laisser envelopper, l’un des meilleurs de ce grand cinéaste indien.
Elle:
Lui : 4 étoiles

Acteurs: Sanjeev Kumar, Saeed Jaffrey, Shabana Azmi, Victor Banerjee, Richard Attenborough
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6 septembre 2013

Le Narcisse noir (1947) de Michael Powell et Emeric Pressburger

Titre original : « Black Narcissus »

Le narcisse noirUne religieuse est envoyée par sa mère supérieure dans une région perdue de l’Himalaya pour y fonder une école et un dispensaire. Elle est accompagnée de quatre nonnes… Le Narcisse noir est adapté d’un roman de Rumer Godden, anglaise qui a grandi en Inde et également auteur du roman Le Fleuve que Jean Renoir adaptera peu après. C’est une histoire assez étrange qui met en scène de façon originale les différences de cultures. Michael Powell en fait un film à la fois assez fort et aussi très beau grâce aux matte paintings  de Walter Percy Day(1) magnifiés par le Technicolor et la photographie de Jack Cardiff. Ce dernier et le directeur artistique Alfred Junge furent tous deux oscarisés pour leur travail. En plus des questionnements et interrogations des nonnes sur leur foi, l’histoire peut être vue comme une métaphore de la fin de la domination anglaise en Inde (2). Le Narcisse noir n’est certes pas un film parfait, notamment sur le plan du déroulement du scénario et du rythme, mais il fait montre d’une belle intensité dans certaines scènes.
Elle:
Lui : 4 étoiles

Acteurs: Deborah Kerr, Kathleen Byron, Sabu, David Farrar, Jean Simmons
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Remarques :
Le narcisse noir* Le film a été tourné en studio avec des décors en toiles peintes et dans un parc exotique du sud de l’Angleterre (Leonardslee Gerdens, Horsham, West Sussex).
* Michael Powell écrit dans ses mémoires : « Black Narcissus est le film le plus érotique que je n’ait jamais tourné. Tout est suggéré, mais l’érotisme est présent dans chacun des plans du début à la fin. »
* Michael Powell y évoque également l’importance de la musique, notamment pour la scène débutant avec le petit Joseph apportant le thé jusqu’à la chute à la cloche (env. 86′ à 91′). Pour ces cinq minutes, tout fut minuté, la musique étant écrite avant de tourner. Il est vrai que l’utilisation parfaite de la musique donne beaucoup de force à cette scène. De plus, Kathleen Byron y est absolument exceptionnelle : lorsqu’elle ouvre la porte, il y a une intensité phénoménale qui se dégage de son regard.
* Dans la version américaine, la censure a imposé de couper toutes les scènes de flashbacks (scènes en Irlande où Sister Cladagh est amoureuse avant d’entrer au couvent).

(1) Lire le premier commentaire ci-dessous pour une explication et une belle illustration de la technique du matte painting.
(2)Le film a été tourné au moment où l’Inde était en plein processus d’indépendance. On pourra cependant noter que le roman de Rumer Gordon avait été écrit dix ans auparavant en 1938. Il était donc assez prophétique.

30 mars 2013

Marin malgré lui (1921) de Fred C. Newmeyer

Titre original : « A Sailor-Made Man »

A Sailor-Made Man(Muet, 47 min) Un jeune homme oisif et lunaire demande en mariage la fille d’un magnat de l’acier. Le père refuse et le met au défi de prouver sa valeur en trouvant un vrai travail. Passant devant un bureau de recrutement, le jeune homme décide de s’enrôler dans la marine… A Sailor-Made Man est le premier film d’Harold Lloyd d’une durée supérieure à 2 bobines (env. 25 min), la durée habituelle des films burlesques à l’époque. Ce ne fut pas intentionnel : c’est en visionnant l’ensemble de ce qui avait été tourné (l’équivalent de 4 bobines) Marin malgré lui et en le testant auprès d’un public test qu’Harold Lloyd décida de ne pas faire les coupes prévues pour le ramener à 2 bobines. Et il  a eu raison car A Sailor-Made Man est fort bien construit, sans aucun temps mort et les gags sont particulièrement variés et très bien amenés. Le fait de placer une bonne partie de l’action en Inde (en réalité, filmé sur la côte au nord de Malibu) permet d’introduire des gags nouveaux et la poursuite avec le Radjah et ses sbires est particulièrement réussie. A Sailor-Made Man est un film burlesque de très bon niveau.
Elle:
Lui : 4 étoiles

Acteurs: Harold Lloyd, Mildred Davis, Noah Young, Dick Sutherland
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A Sailor-Made Man (Russie)
Curiosité :

Affiche russe de A Sailor-Made Man d’Harold Lloyd.