2 octobre 2016

L’Alliance (1971) de Christian de Chalonge

L'allianceUn homme s’adresse à une agence matrimoniale pour une demande un peu particulière : il n’a pas beaucoup d’exigences sur la personne mais insiste sur le fait qu’elle doit habiter un très grand appartement. Il est en effet vétérinaire et souhaite installer son cabinet. Le mariage a lieu très rapidement. Peu après, il commence à soupçonner sa femme, toujours mystérieuse et secrète… Jean-Claude Carrière a écrit lui-même l’adaptation de son roman L’Alliance et, plus inhabituel, il en tient le rôle principal. Servi par un excellent scénario, le film de Christian de Chalonge est original et surprenant. Pour ne rien dévoiler du développement de l’intrigue, disons simplement que les animaux (de toutes sortes) y tiennent une bonne place, ils sont très présents sans être nécessairement visible à l’écran, et que le dénouement se situe à la frontière de la science-fiction. Cette fin a d’ailleurs des interprétations multiples et amène à une reconsidération totale de tout ce qui précède. Certains plans sont vraiment très réussis. Le caractère étrange de l’ensemble devient parfois inquiétant par l’utilisation habile de la musique. L’Alliance est assez peu connu, il mériterait de l’être plus.
Elle:
Lui : 4 étoiles

Acteurs: Anna Karina, Jean-Claude Carrière, Isabelle Sadoyan, Jean-Pierre Darras
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L'Alliance
Anna Karina dans L’Alliance de Christian de Chalonge.

L'Alliance
Jean-Claude Carrière dans L’Alliance de Christian de Chalonge.

L'Alliance
Anna Karina dans L’Alliance de Christian de Chalonge.

L'Alliance
Anna Karina dans L’Alliance de Christian de Chalonge.

15 juillet 2016

La Femme aux maléfices (1950) de Nicholas Ray

Titre original : « Born to Be Bad »

Born to be BadDonna (Joan Leslie) accueille de bon coeur sa cousine Christabel (Joan Fontaine) sous son toit sans savoir qu’elle va s’arranger pour attirer l’attention de tous les hommes que Donna fréquente, à commencer par son riche fiancé… Born to Be Bad fait partie des premiers films de Nicholas Ray. Ce mélodrame paraît nettement moins remarquable que ses autres réalisations. L’intrigue est finalement assez conventionnelle et donc prévisible, avec une dimension psychanalytique sous-jacente qui reste hélas non développée. L’ensemble est sauvé par une belle interprétation, y compris dans les seconds rôles. Joan Fontaine casse ici son image habituelle de jeune femme parfaite et irréprochable. Le directeur de la photographie est le très expérimenté (et talentueux) Nicholas Musucara. On remarquera de nombreux très beaux plans et la prédilection de Nicholas Ray pour les escaliers… Le talent et l’inventivité de Ray pour la mise en scène sont patents dans la scène d’ouverture qui introduit un à un les principaux protagonistes en un vaste ballet de personnages sur un simple palier.
Elle:
Lui : 3 étoiles

Acteurs: Joan Fontaine, Robert Ryan, Zachary Scott, Joan Leslie, Mel Ferrer
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Remarques :
* Born to Be Bad fait partie des quelques films dont Nicholas Ray refusait de parler.
* La scène de fin en happy end sur le tarmac de l’aérodrome a été ajoutée à la demande d’Howard Hugues (qui venait de racheter RKO Pictures). Cette scène fait sourire tant elle paraît peu crédible. Il est d’ailleurs peu probable qu’elle ait été tournée par Nicholas Ray. Le simple fait de voir soudainement Zachary Scott aux commandes d’un avion surprend… sauf si on se rappelle qu’Howard Hugues est un grand fan d’aviation !
* Le film n’est sorti en France qu’en 1985.

* Homonyme (sans aucun rapport) :
Born to Be Bad de Lowell Sherman (1934) avec Loretta Young et Cary Grant, film de la 20th Century Fox qui n’est, semble t-il, jamais sorti en France.

Born to be bad
Zachary Scott, Joan Fontaine et Mel Ferrer dans Born to be Bad de Nicholas Ray.

Born to be bad
Harold Vermilyea, Joan Leslie et Robert Ryan dans Born to be Bad de Nicholas Ray.

30 mai 2016

La Symphonie nuptiale (1928) de Erich von Stroheim

Titre original : « The Wedding March »

La Symphonie nuptialeA Vienne, en 1914, le Prince Nicki von Wildeliebe-Rauffenburg (Erich von Stroheim) est couvert de dettes. Ses parents souhaitent qu’il épouse une jeune femme infirme (Zazu Pitts), fille de très riches commerçants. Mais il tombe entre temps amoureux d’une jeune fille pauvre (Fay Wray) promise à un boucher rustre… La Symphonie nuptiale n’est que la première partie d’une grande fresque en trois parties. C’est hélas la seule qui ait survécu : la seconde partie a bien été tournée, puis montée par la Paramount qui avait racheté la production ; désavouée par Stroheim, elle ne sera montrée qu’en Europe. La seule copie connue à ce jour a péri dans un incendie à la Cinémathèque française en 1959. Quant à la troisième partie, elle ne fut jamais tournée.
Erich von Stroheim a écrit avec Harry Carr cette histoire qui met l’amour au premier plan sur fond de ruine de l’aristocratie. On retrouve globalement ce thème, cher à Stroheim, de l’argent qui se met en travers de l’amour véritable. La noirceur de l’âme humaine s’expose aussi largement avec le personnage du boucher, repoussant à souhait, et de la mère de la belle. Stroheim fait une fois de plus preuve d’un perfectionnisme extrême, notamment dans la qualité de la reconstitution et dans l’authenticité : la cathédrale est précise dans les moindres détails, le carrosse est celui de l’Empereur François-Joseph, la scène du bordel est tournée avec de vraies prostituées et du vrai champagne acheté en contrebande (rappelons que les Etats-Unis sont alors en pleine Prohibition). Une scène est en Two-strip Technicolor. Le budget a bien entendu explosé avant que le tournage ne soit définitivement arrêté au bout de neuf mois et le premier montage de Stroheim donnait six heures de film. De fait, le rythme est assez lent, la scène de la Fête Dieu où le Prince et Mitzi se rencontrent est particulièrement longue. Le rythme s’accélère ensuite progressivement à mesure que la tension monte. En visionnant La Symphonie nuptiale, on ne peut que regretter de ne pouvoir profiter de l’oeuvre dans son ensemble, telle qu’Erich von Stroheim l’avait conçue. (film muet)
Elle:
Lui : 4 étoiles

Acteurs: Erich von Stroheim, Fay Wray, Matthew Betz, Zasu Pitts, George Fawcett
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Remarques :
* Le film est sorti aux Etats-Unis avec une musique (+ bruitages) synchronisée sur disques Photophone.

* Seconde partie : The Honeymoon (Mariage de Prince) (film perdu)
(ne pas lire ce qui suit avant d’avoir vu la première partie)
Mitzi remplit sa promesse d’épouser le boucher mais, pendant la cérémonie, elle s’évanouit. De rage, le boucher décide de tuer son rival une fois pour toutes et se rend dans le château du Tyrol où le Prince et Cecelia passent une nuit de noces sans amour. Mitzi arrive à temps pour avertir le Prince mais Cecelia est atteinte par la balle du tueur. Alors que les médecins lui ordonnent de rester sans bouger pour guérir, Cecelia, consciente de l’amour du Prince pour Mitzi, se traîne jusqu’à un crucifix géant et y meurt. Nikki rentre à Vienne mais, trouvant l’auberge avec les pommiers fermée, passe son temps au bordel. Lorsque la guerre est déclarée, il est envoyé près de la frontière serbe. Avec sa patrouille, il sauve un couvent attaqué par une bande de renégats dont le boucher fait partie. Or, Mitzi est une novice de ce couvent. Le Prince sauve Mitzi des griffes du boucher. Ils sont mariés à l’autel du couvent.

The Wedding March
Fay Wray et Erich von Stroheim dans La Symphonie nuptiale de Erich von Stroheim.

20 mai 2016

Les Nuits moscovites (1934) de Alexis Granowsky

Les nuits moscovitesA Moscou, en 1916, le Capitaine Ignatoff est soigné à l’hôpital militaire par l’infirmière Natacha dont il tombe instantanément amoureux. La jeune femme est hélas promise par sa famille à un riche négociant, fournisseur de l’armée, bien plus âgé qu’elle et peu avenant…
Alexis Granowsky (1890-1937) est un réalisateur d’origine russe ; premier film en URSS (1925) qui lui causa quelques soucis avec la censure, puis deux films en Allemagne (1931) et quatre films en France dont Les Nuits moscovites adapté d’une histoire de Pierre Benoît que l’auteur choisira de ne pas publier (déjà, ça s’annonce mal). Le film, il faut bien l’avouer, n’a pas grand-chose pour lui : l’histoire est très banale, il est mal dirigé, mal monté et plombé par un exotisme de pacotille. Malgré l’appui de moult musiques entrainantes tsiganes (dont le russe, c’est bien connu, est gros consommateur), on ne croit pas un seul instant à cette Russie toc et francisée. Et quoi de plus naturel que Tino Rossi habillé en napolitain vienne à Moscou pousser la chansonnette en français accompagné par un orchestre russe…?
L’imprécision de la direction est assez nette dans les scènes à forte figuration et a certainement déteint sur les interprétations : celle d’Annabella est très mauvaise, celle de Pierre Richard-Willm bien moyenne, trop impulsif et finalement inconsistant, seul Harry Baur s’en tire honorablement avec sa truculence habituelle (sauf dans la scène finale où il ne parvient vraiment à rien de bon). Comme toujours, on peut trouver qu’il en fait beaucoup mais il est le seul à donner un peu d’allant à cet ensemble par ailleurs bien terne. Alexis Granowsky le refera tourner pour son ultime film, Tarass Boulba en 1936.
Elle:
Lui : 1 étoile

Acteurs: Annabella, Harry Baur, Pierre Richard-Willm
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Les Nuits moscovites
Annabella et Harry Baur dans Les nuits moscovites de Alexis Granowsky.

8 septembre 2015

Gertrud (1964) de Carl Theodor Dreyer

GertrudCopenhague, début du XXe siècle. L’ancienne chanteuse d’opéra Gertrud sent que l’amour a quitté son mariage : son mari Gustav, sur le point d’être nommé ministre, fait passer son travail en premier. Elle lui annonce qu’elle va le quitter. Gertrud entretient une liaison avec Erland, un jeune compositeur. C’est à ce moment que Gabriel, son ancien amour, revient d’un long séjour à l’étranger… Le dernier film de Dreyer surprend par sa forme. Cette pièce du suédois Hjalmar Söderberg, écrite quelque cinquante ans auparavant, est portée à l’écran avec un très haut niveau d’abstraction : décors épurés, longs plans fixes, personnages qui ne se regardent pas, très forte retenue dans l’expression des acteurs. Cette forme a tendance à rebuter au premier abord et pourtant on se laisse happer par les échanges entre Gertrud et les hommes qu’elle a aimés. Cette femme est en recherche d’un certain absolu dans l’amour et Dreyer semble faire de même avec son cinéma. Cette rigidité des postures rend l’intensité d’autant plus palpable, c’est même assez étonnant. A sa sortie, le film fut accueilli très froidement (il est vrai que nous sommes ici très loin du souffle de la Nouvelle Vague !) mais il peut s’apprécier différemment avec le recul. Son caractère atemporel paraît plus évident.
Elle:
Lui : 3 étoiles

Acteurs: Nina Pens Rode, Bendt Rothe, Ebbe Rode, Baard Owe
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Gertrud
Nina Pens Rode dans Gertrud de Carl Theodor Dreyer

9 décembre 2014

La Déesse (1958) de John Cromwell

Titre original : « The Goddess »

La déesseLa Déesse (The Goddess) raconte le parcours d’une jeune fille en manque d’amour qui devient une actrice adulée mais extrêmement perturbée psychiquement. Bien entendu, la production a nié toute ressemblance avec une actrice existante mais tout le monde a reconnu Marilyn Monroe dans ce portrait. Le choix du sujet est étrange car, rappelons-le, Marilyn était alors toujours en vie et on peut se demander s’il n’y avait pas de la part de la Columbia une volonté délibérée d’éreinter l’image de la grande star qui lui avait échappée (1). Le choix de l’interprète principale est tout aussi étrange : Kim Stanley est alors une actrice assez inconnue (elle l’est d’ailleurs restée, hélas) qui n’a ni l’âge ni le physique pour le rôle. Malgré ces handicaps, sa performance est franchement remarquable. Kim Stanley est passée par l’Actors Studio et cela se sent : elle se donne à fond et montre une palette étonnamment riche de sentiments. Les seconds rôles sont en outre très bien tenus. The Goddess est structuré en trois parties, bien séparées avec des titres : l’enfance, l’adolescence et la starification. L’histoire montre comment l’accession au statut de star n’a fait qu’amplifier les manques de la jeune femme qui se retrouve comme enfermée dans son mal-être, sans issue possible. Le film est étrangement prémonitoire du futur destin de Marilyn, quelque quatre années plus tard. Pour sa particularité et pour la performance de Kim Stanley, The Goddess mérite notre intérêt.
Elle:
Lui : 4 étoiles

Acteurs: Kim Stanley, Lloyd Bridges, Steven Hill, Betty Lou Holland
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Remarques :
* John Cromwell est avant tout un réalisateur de mélodrames. Il a débuté avec le parlant à la toute fin des années vingt. Les cinéphiles le connaissent surtout pour The Goddess et pour Dead Reckoning, un film noir très classique de 1947 avec Humphrey Bogart et Lizabeth Scott mais on lui doit aussi une des versions du Prisoner of Zenda, celle de 1937, une biographie de Lincoln, Abe Lincoln in Illinois (1940), et l’intéressant Of Human Bondage avec Bette Davis (1935).

* Le scénario a été écrit par Paddy Chayefsky, à qui l’on doit également The Americanization of Emily (1964).

* John Cromwell a déclaré que son film avait été massacré au montage par Paddy Chayefsky qui a supprimé de nombreuses scènes montrant la réaction des personnages.

* The Goddess est le premier long métrage de Kim Stanley qui avait auparavant beaucoup joué à Broadway et à la télévision. Après ce film, elle y retournera pour continuer sa carrière, ne tournant que très peu de films (5 en tout, le dernier étant L’Etoffe des Héros (1983) où elle tient le bar des pilotes). Au moment du tournage de The Goddess, elle a presque 33 ans, soit le double de son personnage dans la partie « adolescence », ce qui est un peu beaucoup…

(1) La Columbia a eu Marilyn Monroe sous contrat en 1948 mais ne l’a pas gardée, une bévue de plus pour le rustre et borné Harry Cohn (patron de la Columbia) qui l’avait alors déclarée avec sa délicatesse habituelle « pataude et sans aucun talent ».

The Goddess
Kim Stanley dans The Goddess de John Comwell

30 août 2014

Une femme douce (1969) de Robert Bresson

Une femme douceUne jeune femme se jette par la fenêtre et se tue. Fac à elle sur son lit de mort, son mari se souvient de sa première rencontre, de sa vie avec elle…
Adaptation assez fidèle de La Douce, une nouvelle de Dostoïevski, Une femme douce de Robert Bresson n’est pas un film facile à aborder. L’histoire en elle-même est d’une tristesse infinie : une jeune femme se suicide pour échapper à la vie étriquée dans laquelle son mari, un prêteur sur gages surtout intéressé par l’argent, l’a enfermée. De manière assez audacieuse (certains comme Jean-Michel Frodon parlent de « film-essai »), Robert Bresson appuie par sa mise en scène l’austérité du monde dans lequel la jeune femme est enfermée : très peu de dialogues mis à part la voix-off du mari qui raconte (1), silences entrecoupés de bruitages insignifiants, peu d’extériorisation de sentiments, distanciation marquée, et même un long extrait du final d’Hamlet épouvantablement joué sur une scène de théâtre (2). Le problème de cette démarche est que nous ne savons plus très bien si l’austérité vient de l’univers étriqué du mari ou de la mise en scène de Bresson. L’appétit de vie de la jeune femme n’est pas très décelable pour le spectateur, il ne se manifeste que très peu (par son intérêt pour la musique, le cinéma, l’art). Robert Bresson a tenu à prendre des acteurs débutants : si ce sera le seul film de Guy Frangin, Une femme douce ne sera que le premier film d’une longue carrière pour la jeune et talentueuse Dominique Sanda (alors âgée de 20 ans).
Elle:
Lui : 2 étoiles

Acteurs: Dominique Sanda, Guy Frangin
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Remarques :
* Dominique Sanda s’est mariée à l’âge de 16 ans pour divorcer peu après. On peut donc supposer que ce rôle a pu réveiller des échos de sa propre vie.
* Le film que le couple va voir au cinéma est Benjamin ou Les mémoires d’un puceau de Michel Deville (1968).

(1) A noter que le narrateur n’est pas introduit par Bresson : dans la nouvelle de Dostoïevski, c’est également le mari qui raconte. Le fait que les personnages n’aient pas de nom est également dans la nouvelle.

(2) Le but de ce pensum de 10 minutes semble être uniquement de montrer que la jeune femme, alors qu’elle s’ouvre au monde extérieur en s’intéressant à la musique, au cinéma ou à l’art moderne (art cinétique plus précisément), rejette le théâtre pour son aspect artificiel et forcé. Dans la scène qui suit, elle reproche au metteur en scène de la pièce de théâtre d’avoir omis le « conseil aux comédiens » (acte III scène 2) en le citant : « Dites, je vous prie, cette tirade comme je l’ai prononcée devant vous, d’une voix naturelle ; mais si vous la braillez, comme font beaucoup de nos acteurs, j’aimerais autant faire dire mes vers par le crieur de la ville. Ne sciez pas trop l’air ainsi, avec votre bras, mais usez de tout sobrement. (…) »

Une femme douceGuy Frangin et Dominique Sanda dans Une femme douce de Robert Bresson.

13 août 2014

Chair de poule (1963) de Julien Duvivier

Chair de pouleUn évadé, une station service restaurant isolée tenue par un couple dépareillé, un mari affable mais un peu trop âgé pour sa jeune et jolie femme… voilà qui rappelle singulièrement Le facteur sonne toujours deux fois. Pourtant Chair de poule est l’adaptation d’un roman de, non pas James Cain, mais James Hadley Chase (1). C’est l’avant-dernier film de Julien Duvivier, à une époque où il vivait mal les critiques des défenseurs de la Nouvelle Vague envers son cinéma (2). Cette histoire assez noire semble donc bien coller avec son état d’esprit car c’est la noirceur de l’âme humaine qui est ici mise au grand jour. Le moteur des personnages n’est pas l’attirance sexuelle mais le simple appât du gain et la droiture n’est pas récompensée, elle n’a ici pas droit de cité. La réalisation de Duvivier est sans faille, avec de nombreuses scènes fortes et une distribution très riche par la palette de personnages différents : même Jean Sorel, un choix assez critiqué, est ici parfait car sa prestance est justement en décalage total avec l’histoire. Dans le genre policier très noir, Chair de poule est une des plus belles réussites françaises des années soixante et il est vraiment injuste qu’il ait été si longtemps méprisé.
Elle:
Lui : 5 étoiles

Acteurs: Robert Hossein, Jean Sorel, Catherine Rouvel, Georges Wilson, Lucien Raimbourg
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(1) L’écrivain James Hadley Chase a eu la fâcheuse tendance à s’inspirer un peu trop fortement des oeuvres de ses confrères. Il fut condamné plusieurs fois pour cette pratique. Le titre du roman ici adapté est « Come easy –- Go easy » paru en France dans la Série Noire sous le titre « Tirez la chevillette ! » (Gallimard Série noire n° 544, 1960, La Poche noire n° 139, 1971, Carré noir n° 71, 1972).
(2) Les critiques des Cahiers du Cinéma tiraient à boulets rouges sur les réalisateurs de ce qu’ils appelaient la « qualité française » : Julien Duvivier, Claude Autant-Lara, Henri Decoin, … Cette intransigeance mêlée de mépris a fortement marqué toute une génération de cinéphiles, bien au-delà de son époque puisque l’on peut en déceler encore quelques restes aujourd’hui. Avec le recul, on mesure mieux toutefois à quel point ce rejet catégorique était excessif et injuste.

Chair de Poule

18 octobre 2013

Miss Oyû (1951) de Kenji Mizoguchi

Titre original : « Oyû-sama »
Autres titres français : « Mademoiselle Oyû », « Madame Oyû »

Madame OyûJapon, fin de l’ère Meiji (1). Lorsque Shinnosuke est présenté à Shizu en vue d’un mariage, il est ébloui par sa soeur Oyû, plus âgée. Bien qu’elle soit veuve, les conventions empêchent toutefois cette dernière de se marier car elle reste liée à son défunt mari par l’enfant qu’ils ont eu ensemble… Miss Oyû est adapté d’un roman à succès des années trente de Jun’ichirô Tanizaki. Ce triangle amoureux est rendu très puissant par la force des sentiments et la mise en scène, belle et épurée de Mizoguchi. C’est essentiellement un double portrait de femme, le personnage masculin étant, comme souvent chez Mizoguchi, particulièrement faible : ce sont les femmes qui décident pour lui. Il recherche avant tout la mère qu’il n’a que très peu connue. Les personnalités d’Oyû et de sa jeune soeur sont bien plus développées, fortes sans être complexes. Mizoguchi filme avec une certaine épure, avec une caméra qui sait se faire mobile (travelings latéraux) quand il faut et des cadrages qui jouent avec la distance ou la proximité. Miss Oyû est souvent considéré comme mineur dans la filmographie de Mizoguchi mais cette alliance (tant recherchée par les cinéastes) de force et de simplicité rend ce film assez remarquable.
Elle:
Lui : 4 étoiles

Acteurs: Kinuyo Tanaka, Nobuko Otowa, Yûji Hori
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(1) L’ère Meiji est la période historique du Japon qui va de 1868 à 1912, sous le règne de l’Empereur Meiji. Cette période qui a vu l’ouverture du pays sur le monde extérieur est celle qui a le plus inspiré écrivains et cinéastes.

18 septembre 2013

Le Témoin (1978) de Jean-Pierre Mocky

Le témoinRobert Maurisson, un notable de Reims, fait venir son ami Antonio d’Italie pour restaurer les peintures d’une chapelle. Ce dernier va être, bien malgré lui, le témoin d’une affaire plutôt sordide… Adapté d’un roman d’Harrisson Jude, Le Témoin met en scène la grande bourgeoisie de province dans une histoire criminelle. L’esprit peut ainsi évoquer les films de Chabrol mais le style est ici plus brut. Mocky caricature légèrement, mais pour une fois sans excès, leurs moeurs dépravées et leur esprit de corps. La progression de l’histoire est bien contrôlée : si le ton est plutôt léger en début de film, la tension monte peu à peu et le malaise s’installe. Le film de Mocky est également un plaidoyer contre la peine de mort dont les conséquences brutales sont ici montrées assez sèchement. Noiret et Sordi sont tous deux remarquables, chacun étant, il est vrai, dans un rôle qui lui va comme un gant. En regardant Le Témoin aujourd’hui, on se demande bien pourquoi le film a été quelque peu éreinté par la critique à sa sortie. Il est maintenant considéré plus généralement (et à juste titre) comme faisant partie des meilleurs films de Jean-Pierre Mocky.
Elle:
Lui : 4 étoiles

Acteurs: Alberto Sordi, Philippe Noiret, Roland Dubillard, Paul Crauchet
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Remarque :
Initialement, c’est Jean Gabin qui devait jouer le rôle du témoin. Le décès de l’acteur a rendu ce projet impossible. Le film aurait certainement été très différent car, si Alberto Sordi sait donner l’impression d’être sous l’emprise de Noiret, on imagine difficilement ce type de relation avec Gabin.

Homonyme :
Le Témoin (Il testimone) de Pietro Germi (1946)