14 septembre 2013

Édouard et Caroline (1951) de Jacques Becker

Édouard et CarolineDans leur petit appartement, un jeune couple s’apprête à se rendre à une soirée mondaine. Edouard, pianiste doué mais inconnu, doit montrer ses talents chez l’oncle de sa femme, Caroline. Ils sont tous deux très tendus et une dispute ne tarde pas à éclater… Le scénario de Edouard et Caroline est particulièrement simple mais il est remarquablement écrit. Son principal auteur est une jeune femme de 21 ans, Annette Wademant qui dit s’être inspirée de sa relation avec Jacques Becker. Il est aussi parfaitement dosé, avec une satire de la société qui ne tombe jamais dans la caricature. Cet équilibre et cette efficacité dans la simplicité fait penser aux meilleures comédies américaines. Il a en plus une grande fraîcheur. L’interprétation par Daniel Gélin et Anne Vernon est parfaite et les seconds rôles sont très bien tenus. Jacques Becker a su composer avec un budget faible, sa mise en scène, elle aussi simple, sait restituer toute la passion et la candeur de ses personnages. Seuls deux lieux sont utilisés et le film se déroule presque en temps réel. Injustement méconnu, Edouard et Caroline est incontestablement à ranger parmi les grandes réussites du cinéma français de comédie. C’est un petit bijou.
Elle: 4 étoiles
Lui : 5 étoiles

Acteurs: Daniel Gélin, Anne Vernon, Elina Labourdette, Jacques François, Jean Galland
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Edouard et Caroline

Remarque :
Avec la même équipe, Jacques Becker a tourné deux ans plus tard Rue de l’Estrapade, toujours sur un scénario d’Annette Wademant.

13 septembre 2013

Le Lys brisé (1919) de David W. Griffith

Titre original : « Broken Blossoms or The Yellow Man and the Girl »

Le lys briséUn jeune chinois quitte son pays pour aller convertir les européens au bouddhisme. Il échoue dans le quartier populaire de Limehouse à Londres où, totalement désillusionné, il tient une petite boutique. Non loin de son échoppe, une jeune fille vit très pauvrement avec son père, un boxeur coléreux qui la terrorise et la bat. Il va tenter de lui venir en aide… Loin de ses grandes productions précédentes, Griffith tourne Le lys brisé au lendemain de la guerre avec un tout petit budget, en seulement 18 jours et 18 nuits (1). Adapté d’une histoire écrite par Thomas Burke, il s’agit d’un grand mélodrame qui oppose le bien et mal, la beauté et le sordide, la cruauté et l’innocence. Sur le fond, il faut en outre noter que le film est sorti aux Etats-Unis à une époque où sévissait un fort sentiment antichinois, la crainte du « péril jaune » ; il faut donc certainement voir dans le propos de Griffith un message de tolérance. Sur la forme, le réalisateur s’est plus attaché à l’atmosphère qu’à la richesse des décors qui sont peu nombreux mais dotés d’une belle force évocatrice. Si le jeu de Donald Crisp est certainement un peu trop marqué, ses expressions étant parfois proches de la grimace, celui de Lillian Gish est assez phénoménal. L’actrice montre d’étonnantes qualités de pantomime et ces scènes où elle utilise ses doigts pour forcer son sourire sont restées célèbres. De son côté, Richard Barthelmess est particulièrement crédible en chinois, le film sera un tremplin pour sa carrière. Le lys brisé culmine d’intensité dans son dénouement avec la scène du placard où Lillian Gish est absolument terrifiée (2) ; une scène très angoissante. Tourné rapidement et simplement, Le lys brisé n’en est pas moins l’un des films les plus remarquables de Griffith. Le misérabilisme appuyé et le jeu marqué des acteurs peuvent le faire apparaître vieilli à nos yeux modernes mais il faut se laisser gagner par son atmosphère et sa puissance évocatrice pour l’apprécier. (Film muet)
Elle:
Lui : 3 étoiles

Acteurs: Lillian Gish, Richard Barthelmess, Donald Crisp
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Remarques :
Le lys brisé* Au moment du tournage, Lillian Gish était très affaiblie par la maladie. L’actrice avait été touchée par l’épidémie de grippe espagnole qui, à cette époque, fit de très nombreuses victimes. Sa performance n’en est que plus admirable.
* Le film fut produit par D.W. Griffith pour être distribué par Adolph Zukor. Ce dernier fut mécontent du film une fois fini et le refusa. Griffith le racheta alors à Zukor le double du prix du tournage pour le distribuer avec sa toute nouvelle compagnie United Artists. Ce fut financièrement très judicieux car le film connut un très grand succès.
* D’après Lilian Gish, le film était si bien planifié et répété que le montage fut réduit à couper le début et la fin de chaque scène avant de les mettre bout à bout. On peut toutefois s’étonner de cette affirmation quand on voit le montage alterné de certaines scènes et les flashbacks.
* Broken Blossoms est tombé dans le domaine public et, de ce fait, les copies disponibles sont très variables en qualité et en durée. Le film fait initialement 90 minutes, certaines scènes sont teintées : bleu, rose/rouge ou couleur or.

Remake :
Le lys brisé (Broken Blossoms) de l’anglais John Brahm (1936) avec Dolly Haas et Arthur Margetson.

(1) Les scènes avec Donald Crisp étaient généralement tournées de nuit car il dirigeait lui-même un autre film pendant la journée (dans toute sa carrière, Donal Crisp a joué dans 173 films et en a dirigé 72).

(2) On raconte que les cris de Lillian Gish lors du tournage de la scène du placard auraient attiré des passants qui cherchèrent à entrer dans le studio pour venir la secourir.

12 septembre 2013

Ce n’est qu’un au revoir (1955) de John Ford

Titre original : « The Long Gray Line »

Ce n'est qu'un au revoirUn immigrant irlandais arrive à l’académie militaire de West Point pour être employé de cuisine. Il va devenir instructeur de sport et y passer plus de 50 ans de sa vie… L’idée de tourner The Long Gray Line est venue d’Harry Cohn : alors que le fraîchement élu président Eisenhower avait réussi à obtenir une trêve en Corée, le dirigeant de la Columbia désirait lui rendre hommage et à l’Académie militaire dont il était issu. Avec son attirance pour le protocole militaire, John Ford était le réalisateur tout désigné pour le mettre en scène. Il reconstitue avec grande fidélité la vie à West Point, avec un caractère irlandais très appuyé et illustre les valeurs qui lui tiennent à coeur : la tradition, la famille, le code de l’honneur. Sur ce plan, le film peut paraître un peu répétitif mais Ford ajoute une dose d’humour à son propos, on peut même parler de comédie. C’est la première fois qu’il tourne en cinémascope, format qu’il a en horreur et qu’il qualifie de « court de tennis ». Effectivement, on ne retrouve pas cette perfection dans la composition à laquelle il nous avait habitués. The Long Gray Line peut sans aucun doute être qualifié de mineur dans la filmographie de John Ford.
Elle:
Lui : 2 étoiles

Acteurs: Tyrone Power, Maureen O’Hara, Robert Francis, Donald Crisp, Ward Bond
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Remarques :
* Le film est adapté du livre autobiographique Bringing Up The Brass: My 55 Years at West Point de Martin Maher, cosigné par Nardi Reeder Campion (1951). Selon l’armée elle-même, Martin Maher serait l’homme qui a connu personnellement le plus grand nombre d’officiers de l’armée des Etats Unis.
* Le titre anglais The Long Gray Line (= la longue ligne grise) fait référence aux alignements de cadets à l’uniforme bleu-gris :  la ligne symbolique du titre est celle des officiers que l’on envoie à la guerre, vers la mort. A ce propos, si John Ford fait une (courte et peu convaincante) petite critique du prix humain à payer, il retourne l’argument un peu plus tard pour se livrer à une virulente attaque contre la classe politique, utilisant ce lourd prix humain pour justifier l’immuabilité des traditions.

11 septembre 2013

La Ferme du pendu (1945) de Jean Dréville

La ferme du penduDans une vaste ferme de Vendée, la mort du patriarche laisse seuls trois frères et leur soeur. Pour l’aîné, il n’est pas question de vendre ou de morceler le domaine. Afin de garder la famille soudée, il use même de son autorité pour empêcher ses frères et soeurs de penser au mariage… La Ferme du pendu est un solide et intense drame paysan qui met en scène l’acharnement d’un homme dont l’attachement à la terre devient obsession destructrice. Il se double d’une description assez minutieuse du monde paysan de l’Entre-deux-guerres, un aspect presque documentaire, Dréville gardant une certaine distance avec ses personnages et évitant tout surcroît de dramatisation. L’interprétation est remarquable ; Charles Vanel apporte une grande intensité à l’ensemble mais tous les rôles sont parfaitement tenus. La Ferme du pendu est le premier film de Bourvil qui n’a ici qu’un petit rôle de commerçant du village qui lui permet tout de même de pousser sa célèbre chansonnette Les Crayons dans la scène du mariage.
Elle:
Lui : 3 étoiles

Acteurs: Charles Vanel, Alfred Adam, Guy Decomble, Lucienne Laurence, Claudine Dupuis, Arlette Merry, Bourvil
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Remarque :
La Ferme du pendu est adapté d’un roman de Gilbert Dupé (1900-1986), écrivain régionaliste qui connut un certain succès.

9 septembre 2013

De rouille et d’os (2012) de Jacques Audiard

De rouille et d'osSans argent, Ali arrive à Antibes chez sa soeur qui l’héberge dans son garage. Sportif et ayant pratiqué la boxe, il trouve du travail comme videur dans une boîte de nuit. C’est ainsi qu’il fait la rencontre de Stéphanie… Jacques Audiard adapte assez librement un recueil de nouvelles de Craig Davidson, auteur américain très attiré par le monde de la boxe. De rouille et d’os est avant tout le récit de la reconstruction de deux êtres, perdus et meurtris, un drame donc, cette fois sans le support d’une intrigue policière. Jacques Audiard appuie le côté écorché vif de ses personnages et les dote d’une grande énergie ce qui donne un style très percussif à son film. Il parvient ainsi à éviter le pathos tout en donnant une belle intensité à son récit. Matthias Schoenaerts et Marion Cotillard sont assez remarquables dans leur interprétation. On peut sans doute reprocher à Jacques Audiard certains effets faciles, tels ces ralentis interminables pour renforcer la dramatisation, et d’avoir trop étoffé son scénario. Les scènes de combats peuvent également paraître un peu pénibles. Mais cela n’empêche pas De rouille et d’os d’être un film puissant qui vient renforcer l’importance de Jacques Audiard dans le cinéma français actuel.
Elle:
Lui : 3 étoiles

Acteurs: Marion Cotillard, Matthias Schoenaerts, Céline Sallette, Corinne Masiero, Bouli Lanners
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7 septembre 2013

Pulsions (1980) de Brian De Palma

Titre original : « Dressed to Kill »

PulsionsInsatisfaite dans son mariage, Kate Miller s’en confie à son psychiatre. Elle se rend ensuite dans un musée où elle est attirée par un bel inconnu… Ecrit par Brian De Palma, Pulsions est un film psychanalytique au suspense puissant dont le vecteur principal est l’attirance sexuelle. Une fois de plus (1), Brian De Palma rend un hommage (très) appuyé à Alfred Hitchcock, le film pouvant être vu comme une nouvelle variation du thème de Psychose. La plus belle scène est incontestablement celle du musée, une longue scène muette où tout se joue sur les regards (l’importance des regards est d’ailleurs une constante dans tout le film). Brian De Palma y montre en outre une grande dextérité dans les mouvements de caméra et Angie Dickinson, toute vêtue de blanc, dégage une présence et une sensualité rares. Cette scène est vraiment remarquable, une merveille. La tension est ensuite constante durant tout le film, parfaitement construit. Comme les meilleurs suspenses, le film fonctionne tout aussi bien après plusieurs visions. Il fait d’ailleurs partie de ces films que l’on n’oublie guère.
Elle:
Lui : 4 étoiles

Acteurs: Michael Caine, Angie Dickinson, Nancy Allen, Dennis Franz
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Remarques :
* La scène du musée, censée se dérouler au Metroplitan Museum of Art de New York, est en réalité tournée dans le Philadelphia Museum of Art.
* Nancy Allen était alors depuis peu la femme de Brian De Palma.

(1) Quatre ans plus tôt, Brian De Palma avait réalisé Obsession inspiré de Sueurs froides d’Alfred Hitchcock.  A noter que le scène du musée de Pulsions fait, elle aussi, référence à ce même film d’Hitchcock.

6 septembre 2013

Le Narcisse noir (1947) de Michael Powell et Emeric Pressburger

Titre original : « Black Narcissus »

Le narcisse noirUne religieuse est envoyée par sa mère supérieure dans une région perdue de l’Himalaya pour y fonder une école et un dispensaire. Elle est accompagnée de quatre nonnes… Le Narcisse noir est adapté d’un roman de Rumer Godden, anglaise qui a grandi en Inde et également auteur du roman Le Fleuve que Jean Renoir adaptera peu après. C’est une histoire assez étrange qui met en scène de façon originale les différences de cultures. Michael Powell en fait un film à la fois assez fort et aussi très beau grâce aux matte paintings  de Walter Percy Day(1) magnifiés par le Technicolor et la photographie de Jack Cardiff. Ce dernier et le directeur artistique Alfred Junge furent tous deux oscarisés pour leur travail. En plus des questionnements et interrogations des nonnes sur leur foi, l’histoire peut être vue comme une métaphore de la fin de la domination anglaise en Inde (2). Le Narcisse noir n’est certes pas un film parfait, notamment sur le plan du déroulement du scénario et du rythme, mais il fait montre d’une belle intensité dans certaines scènes.
Elle:
Lui : 4 étoiles

Acteurs: Deborah Kerr, Kathleen Byron, Sabu, David Farrar, Jean Simmons
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Remarques :
Le narcisse noir* Le film a été tourné en studio avec des décors en toiles peintes et dans un parc exotique du sud de l’Angleterre (Leonardslee Gerdens, Horsham, West Sussex).
* Michael Powell écrit dans ses mémoires : « Black Narcissus est le film le plus érotique que je n’ait jamais tourné. Tout est suggéré, mais l’érotisme est présent dans chacun des plans du début à la fin. »
* Michael Powell y évoque également l’importance de la musique, notamment pour la scène débutant avec le petit Joseph apportant le thé jusqu’à la chute à la cloche (env. 86′ à 91′). Pour ces cinq minutes, tout fut minuté, la musique étant écrite avant de tourner. Il est vrai que l’utilisation parfaite de la musique donne beaucoup de force à cette scène. De plus, Kathleen Byron y est absolument exceptionnelle : lorsqu’elle ouvre la porte, il y a une intensité phénoménale qui se dégage de son regard.
* Dans la version américaine, la censure a imposé de couper toutes les scènes de flashbacks (scènes en Irlande où Sister Cladagh est amoureuse avant d’entrer au couvent).

(1) Lire le premier commentaire ci-dessous pour une explication et une belle illustration de la technique du matte painting.
(2)Le film a été tourné au moment où l’Inde était en plein processus d’indépendance. On pourra cependant noter que le roman de Rumer Gordon avait été écrit dix ans auparavant en 1938. Il était donc assez prophétique.

31 août 2013

Sommaire d’août 2013

À nous la libertéLa Chevauchée fantastiqueDoux oiseau de jeunesseSoigne ton gaucheL'homme au bras d'orL'homme aux cent visagesCosmopolisThe Deep Blue Sea

À nous la liberté

(1931) de René Clair

La Chevauchée fantastique

(1939) de John Ford

Doux oiseau de jeunesse

(1962) de Richard Brooks

Soigne ton gauche

(1936) de René Clément

L’homme au bras d’or

(1955) de Otto Preminger

L’homme aux cent visages

(1960) de Dino Risi

Cosmopolis

(2012) de David Cronenberg

The Deep Blue Sea

(2011) de Terence Davies

Le Signe de VénusVicky Cristina BarcelonaUne riche affaireDimanche d'aoûtLes InnocentsRoxie HartImpardonnablesAdieu Berthe - L'enterrement de mémé

Le Signe de Vénus

(1955) de Dino Risi

Vicky Cristina Barcelona

(2008) de Woody Allen

Une riche affaire

(1934) de Norman McLeod

Dimanche d’août

(1950) de Luciano Emmer

Les Innocents

(1961) de Jack Clayton

Roxie Hart

(1942) de William A. Wellman

Impardonnables

(2011) de André Téchiné

Adieu Berthe – L’enterrement de mémé

(2012) de Bruno Podalydès

Conte des chrysanthèmes tardifsL'école des facteursThe DictatorLa Pêche au trésor

Conte des chrysanthèmes tardifs

(1939) de Kenji Mizoguchi

L’école des facteurs

(1947) de Jacques Tati

The Dictator

(2012) de Larry Charles

La Pêche au trésor

(1949) de David Miller

Nombre de billets : 20

29 août 2013

À nous la liberté (1931) de René Clair

À nous la libertéEmile et Louis tentent de s’évader de prison mais seul Louis y parvient. Il monte une petite affaire de phonographe et, après quelques années, se retrouve à la tête d’un complexe industriel prospère. C’est alors qu’Emile le retrouve… À nous la liberté a été écrit et réalisé par René Clair. C’est son troisième film parlant. Il s’agit d’une comédie utopiste, proche des idées de l’extrême gauche de l’époque. Assez étrangement, René Clair choisit de dénoncer les méfaits du travail à la chaîne et du capitalisme en adoptant un ton très léger. Ponctué par des chansons, le film se situe dans le réalisme poétique du cinéma français du début des années trente. S’il peut paraître appartenir à une autre époque, le film est néanmoins remarquable par sa fraîcheur, sa naïveté et aussi son inventivité. Les décors de Lazare Meerson sont d’un beau futurisme épuré (dans le style du courant Bauhaus) et la photographie est belle. La scène de la chaîne de montage est une merveille d’humour et d’invention ; il est manifeste que Chaplin s’en est inspiré pour Les Temps modernes (1). La scène finale du discours est elle aussi une merveille d’humour. La comparaison du travail à l’usine avec l’univers carcéral est une source constante d’humour, un humour qui, par moments, paraît encore ancré dans le burlesque du muet. Grâce à son utopisme poétique, À nous la liberté n’a pas perdu de son pouvoir de séduction.
Elle:
Lui : 4 étoiles

Acteurs: Henri Marchand, Raymond Cordy, Rolla France, Paul Ollivier
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Remarques :
* Si l’allusion à Charles Pathé fut parfois soulignée, elle est totalement involontaire.
* Le film est sorti en France au moment où la crise de 29 frappait durement l’Europe. Le machinisme et l’automatisation du travail étaient souvent montrés du doigt.
* Petit paradoxe : le slogan « Le travail, c’est la liberté » est resté célèbre alors qu’il est employé de façon ironique par René Clair : ses images montrent plutôt que le travail, c’est la prison.

(1) A la sortie du film de Chaplin Les Temps modernes, en 1935, la Tobis, distributeur d’À nous la liberté, a attaqué Chaplin et United Artists pour contrefaçon. René Clair n’a pas voulu s’associer à cette démarche, tout d’abord par respect envers Chaplin qu’il tenait en haute estime et aussi parce que cela le mettait mal à l’aise, s’estimant avoir été lui-même inspiré par le personnage de Charlot. L’action en justice suivit toutefois son cours et dura plus de dix ans. Un arrangement finira par être trouvé. Précision : la Tobis était une société française à capitaux allemands. En 1935, elle était contrôlée par Goebbels.

25 août 2013

La Chevauchée fantastique (1939) de John Ford

Titre original : « Stagecoach »

La chevauchée fantastiqueUne diligence part de la petite ville Tonto pour rallier Lordsburg. C’est une ligne régulière mais cette fois, le voyage est annoncé dangereux car Geronimo est sur le sentier de la guerre. A son bord prennent place sept personnes d’origines sociales très différentes… Dans le domaine du western, La Chevauchée fantastique est un tel modèle du genre qu’il est difficile d’imaginer à quel point qu’il était novateur à sa sortie. Avant lui, les westerns n’existaient en effet que sous forme de petites productions tournées rapidement (1). Le film de John Ford montre un degré de perfection encore jamais atteint dans le genre. Comme dans la nouvelle de Guy de Maupassant Boule de Suif dont elle est inspirée, l’histoire met un petit groupe de personnes représentatives de l’ensemble de la société dans une situation de danger. Les vraies natures se révèlent. C’est un microcosme non seulement de l’Ouest du XIXe siècle mais aussi de l’Amérique des années trente, l’Amérique de Roosevelt roulant vers une nouvelle prospérité (2). Tous ces personnages vont en tous cas devenir les figures classiques et incontournables du genre. La chevauchée fantastique Le déroulement est parfaitement maitrisé avec une montée graduelle de la tension pour aboutir sur une grande scène d’action. Il y a un beau contraste entre le huis clos des personnages et l’immensité majestueuse du décor. John Ford filme dans Monument Valley pour la première fois. C’est aussi la première fois que John Ford dirige John Wayne qui deviendra son acteur fétiche. La Chevauchée fantastique a servi de modèle à tant de films qu’il traverse le temps sans une ride.
Elle:
Lui : 5 étoiles

Acteurs: Claire Trevor, John Wayne, Andy Devine, John Carradine, Thomas Mitchell, Louise Platt, George Bancroft, Donald Meek
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Remarques :
La chevauchée fantastique* John Ford n’avait pas tourné de westerns depuis treize ans. Avant La Chevauchée fantastique, son précédent western est Three Bad Men (1926, muet).

* Anecdote célèbre : Un journaliste demande à John Ford « Dans la poursuite, pourquoi les indiens ne tirent-ils pas tout simplement dans les chevaux ? » John Ford lui répond : « Parce que cela aurait été la fin du film ! ». Au delà de la boutade (et John Ford n’a jamais beaucoup aimé les interviews), il faut savoir que Ford s’était documenté et savait donc que les indiens répugnaient à tuer les chevaux qui avaient pour eux une grande valeur ; ils s’intéressaient généralement plus aux chevaux qu’aux biens des voyageurs.

* Orson Welles a qualifié La Chevauchée fantastique de parfait manuel de la réalisation de film et dit l’avoir visionné 40 fois durant le tournage de Citizen Kane.

 

La chevauchée fantastique(1) Quelques mois avant La Chevauchée fantastique, le film Jesse James d’Henry King est toutefois sorti sur les écrans. C’est aussi une grande production (de surcroit, en couleurs) mais, moins abouti, le film aura un impact bien moindre que le film de John Ford.

(2) Lors de la Grande Dépression, John Ford a été frappé par le fait que les chômeurs se retrouvent jetés à la rue sans l’avoir mérité. Sa sympathie pour les victimes de la société et des préjugés est manifeste dans La Chevauchée fantastique. Sa représentation du banquier (qui, certes, ne porte pas de jugement mais est en fait indifférent à tout sauf à son magot, il est comme étranger à la société) est également à replacer dans cette optique pour mieux la comprendre.

Remakes :
La Diligence vers l’Ouest (Stagecoach) de Gordon Douglas (1966) avec Bing Crosby et Ann-Margret, un remake bien inutile…
Stagecoach de Ted Post (TV, 1986) avec Willie Nelson, Johnny Cash, Waylon Jennings et Kris Kristofferson