9 juin 2013

Brazil (1985) de Terry Gilliam

BrazilDans une société dominée par une administration oppressante, un jeune employé tente de s’évader de la grisaille de son quotidien par ses rêves où il vole au secours d’une jeune fille. Un jour, il l’aperçoit en chair et en os et cherche à la rencontrer… Brazil est un film hors-normes comme on en voit peu. Terry Gilliam a imaginé et brillamment mis en images un monde kafkaïen où l’administration a enflé de façon démesurée. Bien que le qualificatif ait souvent été donné au film, ce n’est en aucun cas un monde futuriste, il n’y a d’ailleurs aucun objet ou élément futuriste dans le film. En revanche, on peut dire que Brazil brasse les époques ce qui renforce son côté atemporel : que ce soit dans les objets, les décors ou les costumes, il y a un savant mélange des cinquante dernières années. Mention particulière doit être faite des conduits et tuyaux qui, figure allégorique de l’administration, ont enflés pour devenir aussi envahissant que sources de dysfonctionnement. Sam Lowry est un personnage sans ambition qui tente vainement de s’échapper de ce monde : dans ses rêves, la jeune femme représente l’espoir et le samouraï le système. Terry Gilliam ne cherche pas à adoucir son propos avec un happy end, Brazil est un film plutôt sombre. C’est aussi un film extrêmement riche, qu’il faut voir plusieurs fois ; Terry Gilliam donne libre cours à toute sa créativité. L’humour est très présent mais il peut apparaître très soudainement pour s’effacer aussitôt. Brazil est à classer parmi les 5 ou 10 films les plus créatifs de toute l’histoire du cinéma.
Elle: 5 étoiles
Lui : 5 étoiles

Acteurs: Jonathan Pryce, Robert De Niro, Katherine Helmond, Ian Holm, Bob Hoskins, Michael Palin, Kim Greist
Voir la fiche du film et la filmographie de Terry Gilliam sur le site IMDB.
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Remarques :
Brazil* A la sortie du film aux Etats-Unis, Terry Gilliam se heurta à Sid Sheinberg, alors à la tête des Studios Universal. Pour ce dernier, le film était trop long, trop compliqué et avait le défaut de mal se terminer. Il fit refaire un montage, une version de 94 minutes (au lieu de 142) désignée sous le nom « Love Conquers all ». Terry Gilliam fut toutefois habile en médiatisant l’affaire et, finalement, Sheinberg renoncera à sortir cette version courte en salles. Elle ne sera montrée qu’à la télévision. Cette version réduite est présente en bonus de l’édition en LaserDisc (coffret) et de certains DVD. Jack Mathews raconte cette bataille dans son livre « The Battle of Brazil » (Crown, 1987)

* Terry Gilliam a choisi le titre Brazil pour son film après avoir vu un homme seul sur une plage, par mauvais temps dans un environnement industriel et poussiéreux, qui écoutait cette chanson. C’était, à ses yeux, le symbole du fort besoin d’évasion de l’homme malgré l’adversité, son désir de rendre son environnement moins gris.

Brazil* A la sortie du film Les Aventures du baron de Munchausen, Terry Gilliam a parlé d’une « trilogie du rêve » formée par Time Bandits (1981), Brazil (1985) et Munchausen (1988). Il est vrai que les trois films utilisent le rêve comme moyen d’évasion et le personnage principal avance en âge. Terry Gilliam a toutefois déclaré par la suite que parler de trilogie était peut-être un peu prétentieux de sa part…

* Lors du premier rêve de Sam, au début du film, la chanson Brazil est interprétée par Kate Bush.

* La scène où Sam découvre le visage du samouraï qu’il vient de tuer et voit son propre visage peut être interprétée de deux manières :
1. Sam est lui-même un membre de l’administration qu’il combat.
2. Gilliam a lancé lors d’une interview qu’il s’agissait d’une simple boutade car « samouraï » en anglais est proche de « Sam or I » ou encore proche en écriture de « Sam-U-R-I » (= Sam, you are I ).

* La voiture conduite par Sam est une Messerschmitt KR 175 (automobile produite entre 1953 et 1964).

* Le scénario a été écrit par Terry Gilliam, Tom Stoppard et Charles McKeown.

* Avec son humour habituel, Terry Gilliam dit s’être inspiré du livre de George Orwell 1984 tout en précisant aussitôt qu’il n’a jamais lu le livre. Le réalisateur dit avoir pendant longtemps désigné son film sous le titre 1984 ½ (clin d’oeil au 8 ½ de Fellini) mais il peut s’agir d’une boutade car les premiers scripts se nomment The Ministry. D’ailleurs, il n’est pas si proche de l’univers de 1984 : Orwell a imaginé (en 1945) une société où une technologie évoluée était au service d’un pouvoir fasciste. Dans Brazil, la technologie n’est en rien évoluée, elle est poussive et la question du régime politique n’est pas directement abordée. C’est l’administration qui a enflé de façon démesurée et, avec elle, ses dysfonctionnements…


Versions principales :
– Version sortie en Europe de 142 mn
– Version sortie aux Etats-Unis de 132 mn
– Version TV « Love Conquers all » de 94 mn.

Regarder la version Love Conquers all  est intéressant car cela permet de mesurer comment le montage peut créer un film assez différent et également de voir le formatage du cinéma hollywoodien en pleine action. Globalement, cette version met au centre du film l’idylle entre Sam et Jill, supprime toutes les scènes de rêve sauf la première et la dernière (qui devient la fin réelle), simplifie beaucoup de choses, enlève tout ce qui est trop subtil. Sam devient un super-héros qui a vaincu l’administration et gagné le coeur de la belle… Happy end.

4 avril 2013

Radio Days (1987) de Woody Allen

Radio DaysAu tout début des années quarante, la radio tient une grande place dans la vie de la famille du petit Joe … Woody Allen a puisé dans ses souvenirs personnels (1) et les a extrapolés quelque peu pour former ce Radio Days qui évoque, avec une nostalgie évidente, l’âge d’or de la radio. Le film ne raconte pas une histoire à proprement parler, c’est plutôt une succession d’anecdotes habilement ordonnées (2), avec des retours sur certains personnages. Le film est toutefois centré sur cette famille haute en couleur de Rockaway Beach (près de Brooklyn), famille qui présente certaines similitudes avec celle du cinéaste. Il met bien en relief le contraste entre un certain idéal de vie distillé par la radio et la vie réelle des auditeurs, la radio apportant une bonne part de rêve et d’évasion. Woody Allen place bien entendu beaucoup d’humour dans toutes ces scènes et utilise très largement la musique (3). Radio Days est un petit délice.
Elle: 5 étoiles
Lui : 4 étoiles

Acteurs: Dianne Wiest, Mia Farrow, Seth Green, Julie Kavner
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Remarque :
Le tournage de Radio Days a fait l’objet d’un livre étonnant de Thierry de Navacelle qui l’a suivi jour après jour, pendant plusieurs mois. Il nous le raconte avec grande précision, rapportant heure après heure tout ce qui se passe sur le plateau. Même le nombre de prises est indiqué. C’est un document assez unique car il nous permet d’assister au travail d’un grand metteur en scène. Ce livre de quelque 400 pages n’est hélas plus édité aujourd’hui mais on peut le trouver facilement en occasion : Woody Allen Action ! par Thierry de Navacelle (Editions Sylvie Messinger, 1987) ou en édition originale : Woody Allen on location (William Morrow ed., 1987).

(1) Etant né en 1935, Woody Allen avait presque 7 ans au moment de Pearl Harbour, ce qui est assez proche de l’âge supposé de Joe, le petit garçon de Radio Days (l’acteur Seth Green avait 11 ans au moment du tournage). Woody Allen était toutefois trop jeune pour avoir écouté La Guerre des Mondes de Welles (diffusé le 30 octobre 1938). L’autre évènement majeur hors période est le fait divers de la petite fille tombée dans un puits qui s’inspire de l’accident de Kathy Fiscus qui a ému l’Amérique toute entière en 1949 (à une époque où la télévision commençait à émerger).

(2) Sur ce plan de l’absence de fil narratif suivi et de la juxtaposition d’anecdotes, on peut rapprocher Radio Days de l’Amarcord de Fellini.

(3) A noter que, peu avant la fin du film, c’est réellement Diane Keaton qui chante le très beau You’d Be So Nice to Come Home To de Cole Porter.

21 mars 2013

Colors (1988) de Dennis Hopper

ColorsA Los Angeles, un policier expérimenté doit faire équipe avec un jeune plein de fougue. Ils patrouillent dans les quartiers infestés par de très nombreux gangs… Ce n’est pas tant la relation entre les deux policiers, qui peut paraître très classique, qui fait l’originalité de Colors mais plutôt le traitement très réaliste, du moins proche de la réalité, du quotidien des patrouilles de policiers face aux gangs. Il en découle une indéniable authenticité presque documentaire. Cela n’empêche pas les deux rôles principaux d’être merveilleux tenus, le tandem formé par Robert Duvall et Sean Penn montrant une certaine richesse et donnant de l’épaisseur à l’ensemble. Denis Hopper sait éviter tout sensationnalisme et tout sentimentalisme pour se concentrer sur son sujet. Il montre aussi beaucoup de maitrise dans les scènes d’action, avec des poursuites très prenantes. La violence est bien entendu omniprésente, paraissant aussi inutile qu’inéluctable. La musique donne une large place au rap avec également des morceaux originaux d’Herbie Hancock. Le style très réaliste de Colors a été, par la suite, largement copié par de très nombreux films et séries policières.
Elle:
Lui : 3 étoiles

Acteurs: Sean Penn, Robert Duvall
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3 mars 2013

Blade Runner (1982) de Ridley Scott

Blade RunnerDans un futur proche, un ancien chasseur de primes est rappelé pour traquer des réplicants, des androïdes très perfectionnés, qui se sont évadés des mondes extérieurs où ils sont normalement confinés… Plus que l’adaptation du roman de Philip K. Dick « Les androïdes rêvent-ils de moutons électriques ? », Ridley Scott s’est attaché à recréer une atmosphère de film noir dans un environnement ultra futuriste. Blade Runner emprunte ainsi autant à Chandler qu’à Dick, Harrison Ford personnifiant un Philip Marlowe du futur. Par rapport au livre, l’histoire paraît plus simple, même si on a pu lui prêter plus d’interprétations qu’elle n’en porte (1). La grande force du film Blade Runner est dans l’environnement futuriste créé, noir et oppressant, montrant une mégapole surpeuplée, un immense Chinatown grouillant et envahi de technologie, survolé par des vaisseaux publicitaires géants. Le côté inhumain est renforcé par l’absence de plein jour et une pluie battante omniprésente. Les décors, qui montrent une filiation avec ceux de Metropolis, ont été dessinés par Syd Mead, désigner futuriste de génie (2) ; les effets spéciaux sont créés par l’excellent Douglas Trumbull (3). L’ensemble est très crédible et nous sommes littéralement immergés dans ce monde aussi fascinant qu’anxiogène. Blade Runner est ainsi plutôt un film d’atmosphère et c’est sans doute pour cette raison que le film fut plutôt mal reçu aux Etats-Unis à sa sortie (mais mieux en Europe). Ce n’est qu’à partir de 1992 que Blade Runner sera mieux considéré et acquierera son statut de film mythique.
Elle:
Lui : 5 étoiles

Acteurs: Harrison Ford, Rutger Hauer, Sean Young, M. Emmet Walsh, Daryl Hannah
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Les trois versions principales :
1) La version commerciale de 1982 avec une voix off (Harrison Ford) et une scène de fin en voiture rajoutée au dernier moment par les producteurs (il s’agit en réalité de plans non utilisés de Shining de Kubrick !)
2) La version Director’s Cut de 1992 sans voix off.
3) La version Final’s Cut de 2007 pour laquelle certaines scènes ont été tournées à nouveau par Ridley Scott.

(1) Avec la version de 1992, la question de savoir si Deckard est lui aussi un réplicant a pu ressurgir, donnant ainsi au film une tout autre dimension, questionnant sur la notion même d’humanité.
(2) Syd Mead a également dessiné le formidable univers électronique de Tron (1982), créé des décors de Star Trek (1979), 2010 (1984), Aliens 2 (1986), etc.
(3) Douglas Trumbull a également créé les effets spéciaux de 2001, l’Odyssée de l’espace (1968), Rencontres du troisième type (1977), Star Trek (1979), …

19 février 2013

Eijanaika (1981) de Shôhei Imamura

EijanaikaEn 1866 au Japon, le paysan Genji revient dans son village après une longue absence et découvre que sa femme a été vendue. Il part à sa recherche dans le quartier des plaisirs d’Edo (aujourd’hui Tokyo). Le Japon est alors dans une période troublée, à la veille d’un changement d’ère ; les fiefs de Satsuma et de Choshu complotent tous deux pour renverser le shogunat et agissent pour que le peuple des quartiers populaires et les paysans se révoltent… C’est grâce au grand succès de La vengeance est à moi que Shôhei Imamura a pu réaliser Eijanaika, une grande et coûteuse fresque historique qui se penche sur la fin de l’époque d’Edo, la fin des shoguns et des samouraïs (1). Imamura s’intéresse plus aux groupes qu’à des individus en particulier : le personnage principal n’est ni Genji, ni sa femme, mais plutôt le peuple de ce quartier populaire. Ainsi le film est un entrelacs de plusieurs petites histoires personnelles sur fond de grande histoire (le soulèvement populaire), ce qui le rend assez touffu dans ses apparences. Il y a beaucoup de complots, de manipulations, d’agissements par personne interposée et la situation est rendue encore plus complexe par le fait que certains agissent simultanément pour des parties opposées. Il est probablement impossible, surtout pour un spectateur occidental, de tout saisir avec une seule vision mais il suffit de se laisser porter la très grande vitalité du film. Eijanaika est en effet un film porteur d’une grande ardeur de vivre, de vigueur et de mouvement. Imamura réussit même à placer de bonnes doses d’humour ce qui est assez remarquable. Le fond de son propos est de montrer comment les couches les plus populaires de la société sont utilisées par les classes dirigeantes dans leurs luttes de pouvoir, organisant des soulèvements pour mieux les réprimer dès que la situation risque de devenir incontrôlable. La mise en scène est parfaitement maitrisée et les quelque 2h30 de film passent rapidement. Handicapé par la richesse de son scénario, Eijanaika n’a pas eu le succès qu’il mérite, ni au Japon, ni en Europe où il fut très peu distribué. C’est pourtant un film superbe.
Elle:
Lui : 5 étoiles

Acteurs: Kaori Momoi, Shigeru Izumiya, Ken Ogata, Shigeru Tsuyuguchi, Masao Kusakari
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Remarque :
« Eijanaika » signifie « pourquoi pas », c’est le mot scandé lors de cette révolte.

(1) En 1867 débutera l’ère Meiji qui verra le Japon s’ouvrir vers le monde extérieur et se moderniser. Meiji sera l’empereur du Japon de 1867 jusqu’à sa mort en 1912.

12 février 2013

Shining (1980) de Stanley Kubrick

Titre original : « The Shining »

ShiningUn ex-professeur qui essaie d’écrire un roman est embauché pour garder un vaste hôtel isolé dans les montagnes du Colorado pendant les longs mois d’hiver. Avec sa femme et son jeune fils, ils vont rester seuls pendant de nombreux mois dans cette immense demeure qui reste marquée par son passé…
Adaptation d’un roman de Stephen King, Shining est l’un des films les plus effrayants qui soient, l’irruption de la folie meurtrière chez un écrivain en panne d’inspiration sous l’influence de phénomènes plutôt surnaturels. Kubrick ne se conforme à aucun moment aux règles classiques du genre de l’épouvante pour livrer un film très créatif et totalement inégalé, un film qui peut être abordé et interprété de multiples manières. Dans sa forme, Shining est une merveille : tourné presque entièrement à la Steadycam, procédé alors très nouveau, le film regorge de plans audacieux, de travelings inoubliables comme ces plans où l’on suit le petit garçon qui pédale à toute allure sur son tricycle. Stanley Kubrick utilise merveilleusement le dédale des interminables couloirs, l’immensité des pièces et l’atmosphère de cette vaste bâtisse du début du siècle. La minutie et le perfectionnisme légendaire du réalisateur transparaît dans chacune des scènes. Shining est un film à nul autre pareil.
Elle: 4 étoiles
Lui : 5 étoiles

Acteurs: Jack Nicholson, Shelley Duvall, Danny Lloyd
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Remarques :
Shining* La version initiale et complète dure 146 minutes. Après quelques jours d’exploitation, Kubrick a coupé la scène finale (un happy end qui montrait Wendy et Danny à l’hôpital pour nous faire savoir qu’ils étaient sauvés) et ramené ainsi la durée à 142 minutes. Pour la sortie en Europe, des coupes furent faites par le réalisateur pour faire une version de 115 minutes ; les coupes portent surtout sur Tony, l’ami imaginaire du garçon et sur l’explication de ses pouvoirs.

* L’hôtel qui a servi pour le tournage des extérieurs est le Timberline Lodge sur la montagne Mt Hood dans l’Oregon, hôtel qui, lui, reste ouvert pendant l’hiver! Les intérieurs ont été tournés en studios en Angleterre.

* Stephen King a précisé que le titre The Shining lui avait été inspiré par les paroles d’Instant Karma de John Lennon (« We all shine on… »)

Diane Arbus - Jumelles identiques (Roselle, New Jersey, 1967)* L’image des deux fillettes est très directement inspirée (on pourrait même dire, copiée) de la célèbre photographie de Diane Arbus : « Jumelles identiques (Roselle, New Jersey, 1967) »

* Stanley Kubrick avait pris soin que Danny Lloyd (âgé de 6 ans) ne se rende pas compte du contenu réel du film. L’enfant pensait jouer dans un film classique. Danny Lloyd n’a vu une version expurgée qu’à l’âge de 13 ans et n’a pu voir le film en entier qu’à l’âge de 17 ans.

* Le proverbe « All work and no play makes Jack a dull boy », bêtement traduit par « Un tien vaut mieux que deux tu l’auras », signifie en réalité « à toujours travailler sans pouvoir s’amuser, les enfants s’abrutissent », ce qui donne un sens ironique et plus monstrueux à la scène.

21 novembre 2012

La loi du désir (1987) de Pedro Almodóvar

Titre original : « La ley del deseo »

La loi du désirPablo est un cinéaste en vogue qui ne cache pas son homosexualité. Il a de nombreuses aventures sans vouloir s’attacher vraiment. Il écrit le scénario de son prochain film pour sa sœur Tina, une femme plutôt exubérante… La loi du désir étant produit par la compagnie de production qu’il a montée avec son frère, Pedro Almodovar bénéficie vraiment pour la première fois d’une grande liberté pour écrire et tourner son film. Ainsi, on y trouve déjà beaucoup de thèmes chers au cinéaste qui n’hésite pas à briser les derniers tabous de l’Espagne postfranquiste. Sous une légèreté qui n’est qu’apparente, c’est un film assez riche, à plusieurs facettes. Bien entendu, le plus visible est cette mise en avant d’une sexualité très libre, d’une homosexualité assumée et de la transsexualité. Mais il y a aussi cette analyse de l’importance du désir, la passion qui peut nous porter trop loin, ce désir qui ici transforme un film d’étude de caractères en un film policier. Et enfin, il y a une certaine réflexion sur le rapport du metteur en scène à la vie, Almodovar mettant certainement dans son personnage un certaine part de lui-même, ce metteur en scène qui cherche parfois à écrire sa propre vie comme l’un de ses scénarios. Souvent drôle, parfois exubérant et pas toujours de très bon goût, La loi du désir est un film empreint d’un désir de liberté, d’un cinéma sans entrave ; il préfigure plusieurs des films ultérieurs du cinéaste.
Elle:
Lui : 3 étoiles

Acteurs: Eusebio Poncela, Carmen Maura, Antonio Banderas
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2 novembre 2012

Travail au noir (1982) de Jerzy Skolimowski

Titre original : « Moonlighting »

Travail au noirTrois ouvriers et un contremaître arrivent de Varsovie à Londres pour refaire à neuf le pied-à-terre de leur patron polonais. Ils ont un mois pour le faire. Seul Nowak, le contremaître, parle anglais. Un jour, il découvre que les lignes téléphoniques avec la Pologne sont coupées… Pour attirer l’attention sur l’état d’urgence décrété en son pays (1), le polonais Jerzy Skolimowski fait un film très original, à plusieurs niveaux de lecture. Le volet politique n’est pas le plus proéminent dans Travail au noir même s’il est bel et bien là, pesant de tout son poids sur l’évolution de l’histoire. L’action se passe d’ailleurs à Londres et non à Varsovie. C’est plutôt l’observation de ce petit groupe, isolé, presque coupé du monde, où le contremaître Nowak est le seul à pouvoir raisonner, sa position sociale étant renforcée par sa faculté à maitriser l’anglais et donc à communiquer avec le monde extérieur. Il va devoir aller nettement au-delà de ses seules prérogatives, ses trois ouvriers lui étant de fait livrés corps et âme, il va se comporter de façon despotique. Quelle belle allégorie. C’est aussi un film qui montre les petites mesquineries de la société anglaise, faisant preuve d’un certain humour sur ce point. Travail au noir fut réalisé très rapidement (écrit en onze jours et tourné en vingt-trois jours) (2) mais cela ne l’empêche pas d’être un film assez fort, finalement assez complexe, une approche très originale des évènements qui se déroulaient alors en Pologne, mêlant habilement humour et drame ; c’est l’un des films qui ont marqué le début des années quatre vingt.
Elle: 4 étoiles
Lui : 5 étoiles

Acteurs: Jeremy Irons, Eugene Lipinski, Jirí Stanislav
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(1) En décembre 1981, face à la montée du syndicat Solidarność et par crainte d’une intervention militaire soviétique en Pologne, le premier ministre le général Jaruzelski déclare la loi martiale. Couvre-feu, arrestation des opposants, grèves brutalement réprimées, l’état de siège durera jusqu’en juillet 1983. Jaruzelski restera au pouvoir jusqu’en 1990, laissant la place à Lech Walesa, fondateur de Solidarność. On sait, depuis l’ouverture des archives soviétiques, que l’URSS n’avait pas l’intention d’intervenir en Pologne. Le général Jaruzelski a été inculpé en 2007 de « crime communiste » pour avoir instauré la loi martiale en 1981.

(2) Travail au noir fut présenté à Cannes en mai 1982, soit seulement cinq mois après l’instauration de la loi martiale en Pologne.

Lire aussi : une bonne analyse du film par Olivier Bitoun sur DVDClassik

26 septembre 2012

Mon oncle d’Amérique (1980) de Alain Resnais

Mon oncle d'AmériqueMon oncle d’Amérique est basé sur les recherches d’Henri Laborit sur le comportement humain qu’il voit influencé par quatre éléments : la subsistance, la récompense, la punition (qui peut engendrer la lutte ou la fuite) et l’inhibition. Alain Resnais illustre son propos avec le parcours professionnel et sentimental de trois personnages, deux hommes et une femme. La construction est élégante : récits et exposé des théories sont subtilement entremêlés, avec une belle utilisation de la voix-off ; Alain Resnais sait en outre trouver la juste distanciation pour attiser notre intérêt. Plus que le récit en lui-même, c’est ici la démarche intellectuelle qui importe mais le film reste très facilement abordable. Seul un grand réalisateur comme Alain Resnais pouvait réussir à éviter tous les travers et trouver l’équilibre parfait. Bien entendu, un tel film pourra être apprécié diversement, trop didactique pour les uns, critiquable du fait des théories exposées pour les autres (le film fut assez mal reçu par les milieux scientifiques). Mais il n’est nul besoin d’adhérer pleinement aux théories de Laborit pour apprécier le film, Mon oncle d’Amérique est enthousiasmant à la fois par sa forme et aussi en tant que film qui stimule la réflexion.
Elle: 4 étoiles
Lui : 5 étoiles

Acteurs: Gérard Depardieu, Nicole Garcia, Roger Pierre, Nelly Borgeaud, Pierre Arditi
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Voir les livres sur Alain Resnais

Remarque :
Les deux petites îles bretonnes du film Mon oncle d’Amérique sont les îles Logoden, dans le Golfe du Morbihan. L’une des deux est effectivement privée. Détail amusant : le nom Logoden est dérivé du breton Logod qui signifie « les souris ».

Mon oncle d'Amérique

23 septembre 2012

La messe est finie (1985) de Nanni Moretti

Titre original : « La messa è finita »

La messe est finieAprès plusieurs années sur une île isolée(1), le jeune prêtre Don Guilo est nommé dans la banlieue de Rome. Il retrouve sa famille et ses amis qui ont bien changé et font des choix de vie qui ne lui paraissent pas bons… La messe est finie s’inscrit dans la lignée du film précédent de Nanni Moretti Bianca qui était déjà une réflexion sur la recherche du bonheur. Ici, Don Guilo doit écouter sa famille, ses amis, ses paroissiens mais il a bien du mal à avoir une influence sur eux, condamné à les regarder s’écarter de la voie du bonheur. Contrairement à ce que l’on pourrait supposer, La messe est finie n’est en rien un film anticlérical, Moretti nous montre cet homme plutôt comme un idéaliste, qui devient intransigeant du fait de son impuissance à accomplir sa mission : sauver les hommes. Dans sa forme, le film peut surprendre par l’enchainement des scènes qui semblent parfois tronquées de leur dénouement mais, en réalité, ce dénouement est assez secondaire. Moretti a placé une bonne dose d’humour tout au long du film, ce qui lui évite toute pesanteur. La messe est finie n’est toutefois pas sans défaut, on ressent une certaine répétition parfois, mais ce film porte en lui une réflexion intéressante.
Elle:
Lui : 3 étoiles

Acteurs: Nanni Moretti, Margarita Lozano, Roberto Vezzosi
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(1) On reconnaît, me semble t-il, l’île de Ponza, une petite (et très belle) île située au large, à environ mi-chemin entre Rome et Naples.