7 février 2022

Adieu les cons (2020) de Albert Dupontel

Adieu les consLorsque Suze Trappet apprend qu’elle est sérieusement malade, elle décide de partir à la recherche de l’enfant qu’elle a été forcée d’abandonner quand elle avait quinze ans. Sa quête administrative va lui faire croiser JB, quinquagénaire en plein burn-out…
Adieu les cons est un film français écrit et réalisé par Albert Dupontel. Il s’agit d’une fable burlesque qui fustige certains traits de notre monde moderne. C’est un hommage à Brazil (1984) de Terry Gilliam qui fait une petite apparition (le bonimenteur dans la publicité pour les armes) mais Albert Dupontel ne copie pas. Si on retrouve bien l’utilisation de l’absurde pour tourner en dérision les rouages internes d’une administration devenue trop grosse, il y a beaucoup d’inventivité dans les situations et dans les personnages. Albert Dupontel fait montre de subtilité et de finesse, il n’appuie jamais trop fort sur la pédale. Son récit est ainsi atemporel tout en étant très actuel, loufoque et lunaire tout en étant réaliste, burlesque tout en étant sérieux. Le dosage est parfait. Le cinéaste montre une grande tendresse envers ses personnages malmenés par la vie, l’humanisme du propos est évident. Et sans en avoir l’air, le cinéaste place ici et là des réflexions plus générales dans lesquelles il est facile de se reconnaître. L’ensemble peut dérouter ou enchanter…
Elle:
Lui : 5 étoiles

Acteurs: Virginie Efira, Albert Dupontel, Nicolas Marié, Jackie Berroyer, Philippe Uchan, Bastien Ughetto, Michel Vuillermoz, Laurent Stocker
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Adieu les consVirginie Efira et Albert Dupontel dans Adieu les cons de Albert Dupontel.

11 janvier 2019

Moi, Daniel Blake (2016) de Ken Loach

Titre original : « I, Daniel Blake »

Moi, Daniel BlakeA la suite d’un accident cardiaque, les médecins de Daniel Blake lui interdisent de travailler. Il est toutefois déclaré apte par une compagnie privée mandatée par l’administration. Lors d’un rendez-vous au centre d’emploi, il fait la connaissance de Katie Morgan et se prend de sympathie pour elle…
Pour écrire leur scénario, Ken Loach et Paul Laverty se sont livrés à une longue enquête sur le terrain et recueilli de nombreux témoignages. Leur histoire met en évidence les incohérences et la déshumanisation des services administratifs qui prend souvent des allures kafkaïennes et broie les individus. Tout l’art de Ken Loach est de le faire sans misérabilisme, pointant les défauts sans chercher la polémique ; son propos est surtout humaniste : il nous rappelle qu’il ne faut pas oublier l’humain. Il est difficile de ne pas se prendre de sympathie pour ses personnages. Palme d’or au Festival de Cannes 2016.
Elle: 5 étoiles
Lui : 4 étoiles

Acteurs: Dave Johns, Hayley Squires
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Contexte social (pour mieux comprendre la situation bizarre où Daniel Blake se retrouve) :
Depuis octobre 2008, les autorités du Royaume-Uni considèrent que de nombreuses personnes présentant des problèmes de santé ou de handicap peuvent accéder à un travail. C’est une compagnie privée qui évalue cette possibilité par questionnaire sans consultation du médecin. S’ils sont déclarés aptes, une prestation est versée, l’ESA (Employment and Support Allowance), pour les aider à retrouver une activité. Ils sont tenus de participer à une série d’entretiens concernant leur recherche d’emploi. (Texte repris de Wikipedia et complété)

Moi, Daniel Blake
Dave Johns et Hayley Squires dans Moi, Daniel Blake de Ken Loach.

7 novembre 2018

Une femme douce (2017) de Sergey Loznitsa

Titre original : « Krotkaya »

Une femme douceUne femme envoie régulièrement des colis à son mari incarcéré pour un crime qu’il n’a pas commis. Un jour, le colis lui est retourné, sans aucune précision. Elle part en Sibérie à la recherche d’une explication…
Précisons d’emblée que le film Sergei Loznitsa n’est pas une adaptation de la nouvelle La Douce de Dostoïevski, sur laquelle le long métrage de 1969 Une femme douce de Robert Bresson était basé. Il s’agit d’un regard que le réalisateur ukrainien porte sur la Russie actuelle, avec une vision très kafkaïenne de l’administration, opaque et archaïque, et un portrait très noir de ses habitants. Ajoutez à cela l’omniprésence des réseaux parallèles mafieux et vous obtenez une image plutôt répulsive et même cauchemardesque de la société russe. Le réalisateur semble forcer le trait, certaines séquences sont presque hystériques, et il nous gratifie même d’une longue séquence onirique à la Fellini, sorte de résumé pour les nuls  qui paraît grotesque dans son didactisme. Le forme est étonnante : de longs (et même très longs) plans-séquences qui témoignent d’une grande maitrise de la mise en scène.
Elle:
Lui : 2 étoiles

Acteurs: Vasilina Makovtseva, Liya Akhedzhakova, Valeriu Andriutã
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Une femme douce
Vasilina Makovtseva dans Une femme douce de Sergey Loznitsa.

Remarque :
* Une femme douce est pour Sergei Loznitsa une métaphore d’un pays où les gens « se font perpétuellement violer », y compris par eux-mêmes. « Ce pays est empreint de toutes formes de violences. D’un côté vous avez une totale hypocrisie, un énorme mensonge, une parfaite omerta… et de l’autre des choses absolument horribles qui continuent de se passer chaque jour. Pour moi, tout ça reste une énigme très inquiétante. Au lieu de vivre et de faire les choses de manière tranquille, gaie, sympathique, on doit à chaque étape de son existence emprunter une voie difficile, mensongère, parfois terrible. » (Extrait du dossier de presse)

9 juin 2013

Brazil (1985) de Terry Gilliam

BrazilDans une société dominée par une administration oppressante, un jeune employé tente de s’évader de la grisaille de son quotidien par ses rêves où il vole au secours d’une jeune fille. Un jour, il l’aperçoit en chair et en os et cherche à la rencontrer… Brazil est un film hors-normes comme on en voit peu. Terry Gilliam a imaginé et brillamment mis en images un monde kafkaïen où l’administration a enflé de façon démesurée. Bien que le qualificatif ait souvent été donné au film, ce n’est en aucun cas un monde futuriste, il n’y a d’ailleurs aucun objet ou élément futuriste dans le film. En revanche, on peut dire que Brazil brasse les époques ce qui renforce son côté atemporel : que ce soit dans les objets, les décors ou les costumes, il y a un savant mélange des cinquante dernières années. Mention particulière doit être faite des conduits et tuyaux qui, figure allégorique de l’administration, ont enflés pour devenir aussi envahissant que sources de dysfonctionnement. Sam Lowry est un personnage sans ambition qui tente vainement de s’échapper de ce monde : dans ses rêves, la jeune femme représente l’espoir et le samouraï le système. Terry Gilliam ne cherche pas à adoucir son propos avec un happy end, Brazil est un film plutôt sombre. C’est aussi un film extrêmement riche, qu’il faut voir plusieurs fois ; Terry Gilliam donne libre cours à toute sa créativité. L’humour est très présent mais il peut apparaître très soudainement pour s’effacer aussitôt. Brazil est à classer parmi les 5 ou 10 films les plus créatifs de toute l’histoire du cinéma.
Elle: 5 étoiles
Lui : 5 étoiles

Acteurs: Jonathan Pryce, Robert De Niro, Katherine Helmond, Ian Holm, Bob Hoskins, Michael Palin, Kim Greist
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Remarques :
Brazil* A la sortie du film aux Etats-Unis, Terry Gilliam se heurta à Sid Sheinberg, alors à la tête des Studios Universal. Pour ce dernier, le film était trop long, trop compliqué et avait le défaut de mal se terminer. Il fit refaire un montage, une version de 94 minutes (au lieu de 142) désignée sous le nom « Love Conquers all ». Terry Gilliam fut toutefois habile en médiatisant l’affaire et, finalement, Sheinberg renoncera à sortir cette version courte en salles. Elle ne sera montrée qu’à la télévision. Cette version réduite est présente en bonus de l’édition en LaserDisc (coffret) et de certains DVD. Jack Mathews raconte cette bataille dans son livre « The Battle of Brazil » (Crown, 1987)

* Terry Gilliam a choisi le titre Brazil pour son film après avoir vu un homme seul sur une plage, par mauvais temps dans un environnement industriel et poussiéreux, qui écoutait cette chanson. C’était, à ses yeux, le symbole du fort besoin d’évasion de l’homme malgré l’adversité, son désir de rendre son environnement moins gris.

Brazil* A la sortie du film Les Aventures du baron de Munchausen, Terry Gilliam a parlé d’une « trilogie du rêve » formée par Time Bandits (1981), Brazil (1985) et Munchausen (1988). Il est vrai que les trois films utilisent le rêve comme moyen d’évasion et le personnage principal avance en âge. Terry Gilliam a toutefois déclaré par la suite que parler de trilogie était peut-être un peu prétentieux de sa part…

* Lors du premier rêve de Sam, au début du film, la chanson Brazil est interprétée par Kate Bush.

* La scène où Sam découvre le visage du samouraï qu’il vient de tuer et voit son propre visage peut être interprétée de deux manières :
1. Sam est lui-même un membre de l’administration qu’il combat.
2. Gilliam a lancé lors d’une interview qu’il s’agissait d’une simple boutade car « samouraï » en anglais est proche de « Sam or I » ou encore proche en écriture de « Sam-U-R-I » (= Sam, you are I ).

* La voiture conduite par Sam est une Messerschmitt KR 175 (automobile produite entre 1953 et 1964).

* Le scénario a été écrit par Terry Gilliam, Tom Stoppard et Charles McKeown.

* Avec son humour habituel, Terry Gilliam dit s’être inspiré du livre de George Orwell 1984 tout en précisant aussitôt qu’il n’a jamais lu le livre. Le réalisateur dit avoir pendant longtemps désigné son film sous le titre 1984 ½ (clin d’oeil au 8 ½ de Fellini) mais il peut s’agir d’une boutade car les premiers scripts se nomment The Ministry. D’ailleurs, il n’est pas si proche de l’univers de 1984 : Orwell a imaginé (en 1945) une société où une technologie évoluée était au service d’un pouvoir fasciste. Dans Brazil, la technologie n’est en rien évoluée, elle est poussive et la question du régime politique n’est pas directement abordée. C’est l’administration qui a enflé de façon démesurée et, avec elle, ses dysfonctionnements…


Versions principales :
– Version sortie en Europe de 142 mn
– Version sortie aux Etats-Unis de 132 mn
– Version TV « Love Conquers all » de 94 mn.

Regarder la version Love Conquers all  est intéressant car cela permet de mesurer comment le montage peut créer un film assez différent et également de voir le formatage du cinéma hollywoodien en pleine action. Globalement, cette version met au centre du film l’idylle entre Sam et Jill, supprime toutes les scènes de rêve sauf la première et la dernière (qui devient la fin réelle), simplifie beaucoup de choses, enlève tout ce qui est trop subtil. Sam devient un super-héros qui a vaincu l’administration et gagné le coeur de la belle… Happy end.