7 avril 2016

L’invitation (1973) de Claude Goretta

L'invitationRémy Placet est un modeste employé de bureau avec des manies de vieux garçon, toujours très proche de sa mère. Peu après la mort de cette dernière, il invite ses collègues de bureau à passer une journée dans la luxueuse maison à la campagne qu’il a obtenue en échange de la maison maternelle, convoitée depuis longtemps par des promoteurs. Il engage même un maitre d’hôtel stylé pour bien les recevoir… Dans la filmographie du réalisateur suisse Claude Goretta, L’invitation tient une place un peu à part puisqu’il s’agit d’une satire sociale sous forme de comédie : sous l’effet du cadre champêtre et de l’alcool, les inhibitions vont tomber et chacun va révéler un pan plus ou moins insoupçonné de sa personnalité. Nos yeux modernes pourront trouver que le film a vieilli, notamment parce que ce procédé de « faire tomber les masques » n’est plus aussi original aujourd’hui qu’il pouvait l’être en 1973. Goretta met en relief deux points principaux : la façade sociale et le conformisme. Le propos n’est donc pas si daté que cela, même si les termes ne recouvriraient plus exactement la même chose aujourd’hui. Avec le recul, on peut trouver qu’une certaine naïveté émane du propos, ce qui ajoute à son charme. Les personnages sont suffisamment tranchés et Goretta introduit un maître d’hôtel assez inhabituel et énigmatique. Tous les rôles sont très bien tenus avec une mention particulière à la pétillante Cécile Vassort et à Michel Robin dont le jeu est, comme toujours, aussi juste que délicat.
Elle:
Lui : 3 étoiles

Acteurs: Jean-Luc Bideau, François Simon, Jean Champion, Corinne Coderey, Michel Robin, Cécile Vassort, Rosine Rochette
Voir la fiche du film et la filmographie de Claude Goretta sur le site IMDB.

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L'invitation
Cécile Vassort, Rosine Rochette et Jean-Luc Bideau dans L’invitation de Claude Goretta.

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Jean Champion, Jean-Luc Bideau, , Pierre Collet et Michel Robin dans L’invitation de Claude Goretta.

L'invitation
Debouts : Rosine Rochette, Neige Dolsky, Corinne Coderey et Jean Champion
Penchés : Pierre Collet, Jean-Luc Bideau et François Simon
Au sol : Michel Robin.

6 avril 2016

Les Arpenteurs (1972) de Michel Soutter

Les arpenteursTout commence avec un panier de légumes que Lucien met sous une haie, à l’abri des oiseaux. Il n’ose pas aller le porter à sa jolie voisine car sa femme affirme que c’est une prostituée. Il demande à Léon, un géomètre (arpenteur) de passage, d’aller le porter à sa place… Ecrit et réalisé par le suisse Michel Soutter, l’un des trois grands artisans genevois du cinéma suisse des années 70, les deux autres étant Goretta et Tanner (1), Les Arpenteurs ne se raconte pas vraiment. La construction surprend mais on adhère très rapidement au film. Arpenter, c’est « marcher de long en large à grandes enjambées entre les maisons, les gens et les sentiments », indique un carton à la fin du film. Arpenter, c’est ce que semblent faire les personnages du film de Michel Soutter : ils explorent leur univers sentimental et affectif pour découvrir s’ils « vivent à l’envers » ou « à l’endroit ». Le personnage central est Alice (Marie Dubois), toujours dans un univers d’enfance, trop joueuse, involontairement cruelle aussi. Son innocence forme un barrage, ceux qui l’aiment n’osent franchir le pas. Face à elle, Léon (Jean-Luc Bidault) à l’apparence si massive, perd lui aussi son assurance. Tout l’art de Michel Soutter a été de créer un univers poétique qui semble avoir son propre rythme et son propre langage fait des répliques inattendues ou parfois de silences. Il parvient à un bel équilibre. Son film est léger en apparence, assez amusant mais aussi plutôt profond.
Elle:
Lui : 4 étoiles

Acteurs: Marie Dubois, Jean-Luc Bideau, Jacques Denis, Jacqueline Moore
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(1) Alain Tanner, Claude Goretta, Michel Soutter, Jean-Louis Roy et Jean-Jacques Lagrange (remplacé par la suite par Yves Yersin) appartenaient au « Groupe 5 », une association de cinéastes genevois qui se sont unis pour produire leurs films. Les cinéastes étaient proches de la Télévision suisse romande.

 

Les Arpenteurs
Jean-Luc Bideau et Marie Dubois dans Les Arpenteurs de Michel Soutter.

Les Arpenteurs
Marie Dubois et Jacques Denis dans Les Arpenteurs de Michel Soutter.

5 avril 2016

Les Fantômes du chapelier (1982) de Claude Chabrol

Les fantômes du chapelierDans la ville de Concarneau, aux alentours de 1960, Léon Labbé tient une boutique de chapeaux en face d’un tailleur d’origine arménienne. Intrigué par le comportement de Labbé, le tailleur a fini par comprendre qu’il est certainement l’étrangleur qui sévit depuis quelques semaines en s’attaquant à des femmes… Les Fantômes du chapelier est l’adaptation d’un roman de Georges Simenon qu’il suit de façon très fidèle. Ce n’est pas l’intrigue policière qui forme l’intérêt du film (on sait dès le début qui est le coupable) mais le jeu qui s’installe entre le chapelier sûr de lui malgré sa folie et le timide et effacé tailleur qui ne sait quoi faire de sa découverte. Ce n’est pas le jeu du chat et de la souris mais plutôt la recherche d’une valorisation, qu’obtient le criminel par le regard porté sur lui, un regard qui évolue en complicité. Il joue avec le feu et s’en amuse, mais ne se rend pas compte à quel point il existe par le regard de l’autre. La mise en scène de Chabrol est assez remarquable par sa précision et aussi par l’extraordinaire composition de Michel Serrault qui déploie une impressionnante palette de sentiments, passant de l’un à l’autre avec une rapidité prodigieuse. Et bien entendu, nous retrouvons dans Les Fantômes du chapelier la peinture sociale de la bourgeoisie de province, l’un des thèmes favoris de Chabrol.
Elle: 4 étoiles
Lui : 4 étoiles

Acteurs: Michel Serrault, Charles Aznavour, Monique Chaumette, François Cluzet, Isabelle Sadoyan, Aurore Clément
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Remarques :
* Très visibles en cours de film, deux affiches de cinéma sont un peu contradictoires sur le plan des dates : celle de Carrefour de Curtis Benhardt date de 1938 alors que celle de Ben-Hur de William Wyler date de 1959.

* Simenon a écrit trois versions successives de la même histoire : Le Petit Tailleur et le chapelier (1947), Bénis soient les humbles (1948) et Les Fantômes du chapelier (1949). C’est surtout le dénouement qui change entre les versions. Le film de Chabrol suit la troisième version.

Les fantômes du chapelier
Michel Serrault et Charles Aznavour dans Les fantômes du chapelier de Claude Chabrol.

4 avril 2016

The Lost Moment (1947) de Martin Gabel

Titre français parfois utilisé : « Moments perdus »

Moments perdusPrêt à tout, un éditeur américain se rend à Venise pour tenter de récupérer les lettres d’amour d’un célèbre poète décédé. La destinataire de ces lettres vit toujours, âgée de 105 ans. Sous une fausse identité, l’éditeur parvient à sous-louer une chambre dans la demeure où elle vit avec sa jeune nièce très distante… Produit par Walter Wanger, The Lost Moment est une adaptation de l’une des nouvelles les plus célèbres d’Henry James, Les Papiers d’Aspern. Son point fort n’est pas dans son interprétation : Susan Hayward a sans aucun doute un jeu trop marqué dans son effort de paraître mystérieuse, Robert Cummings est un peu fade et le rôle d’Agnes Moorehead, dont le visage est à peine visible et en tous cas méconnaissable, se réduit à marmonner quelques phrases. Non, si le film est si attirant et même fascinant, c’est grâce à l’atmosphère générale qui se dégage de l’histoire et de ses décors : presque tout le film se déroule au sein d’une mystérieuse et vaste demeure vénitienne donnant sur le canal. Cette atmosphère paraît être en équilibre entre le rêve et fantastique sans franchement tomber dans l’un ou l’autre. C’est assez superbe. Ce film, qui n’eut que peu succès à sa sortie et qui n’est jamais sorti en France, mérite largement d’être découvert.
Elle:
Lui : 4 étoiles

Acteurs: Robert Cummings, Susan Hayward, Agnes Moorehead, Joan Lorring, Eduardo Ciannelli
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Remarques :
* The Lost Moment est l’unique réalisation de Martin Gabel qui fut l’un des compagnons d’Orson Welles dans la Mercury Theatre Company à la fin des années trente. Il a ensuite fait une carrière d’acteur. Ses rôles les plus marquants furent en gangster dans le remake de M par Joseph Losey (1951) et dans Bas les masques de Richard Brooks (1952). On le voit aussi dans Marnie d’Alfred Hitchcock.

* Le poète est supposé être Percy Shelley (1792-1822). Le petit portrait que l’on voit dans le film lui ressemble fortement. Henry James a dit être parti d’une anecdote au sujet d’un admirateur de Shelley.

* L’histoire est simplifiée car, dans la nouvelle de James, la nièce n’est pas une beauté comme peut l’être Susan Hayward, bien au contraire.

The Lost Moment
Robert Cummings et Agnes Moorehead dans The Lost Moment de Martin Gabel.

The Lost Moment
Susan Hayward dans The Lost Moment de Martin Gabel.

The Lost Moment
Robert Cummings dans The Lost Moment de Martin Gabel.

3 avril 2016

Le Crabe-Tambour (1977) de Pierre Schoendoerffer

Le Crabe-TambourSur un bâtiment de la Marine Nationale chargé de porter assistance aux bateaux de pêche français près de Terre-Neuve, un commandant et son médecin-capitaine évoque un homme qu’ils ont bien connu, surnommé Crabe-Tambour, un officier qu’ils ont connu en Indochine et qui a eu ensuite un parcours trouble… Pour écrire son roman Le Crabe-Tambour qui a servi de base à ce film, Pierre Schoendoerffer s’est inspiré de la vie de Pierre Guillaume, un officier de marine condamné pour avoir participé au putsch d’Alger en 1961 et pour être passé ensuite du côté de l’OAS. Le film se présente comme une suite de discussions, d’évocation de souvenirs illustrés de flashbacks. Le propos de ces officiers est marqué par la désillusion, la nostalgie, mais aussi une froide lucidité qui génère le sentiment d’être mis de côté et dépassé. Pierre Schoendoerffer se montre en totale empathie avec eux et ne porte aucun jugement, aucune condamnation sur leurs dérives. En choisissant le très photogénique Jacques Perrin pour incarner le personnage principal et en lui plaçant comme compagnon inséparable un chat noir, il fait même de son personnage central une figure mythique voire christique, la personnification d’un idéal. Tout cela est un peu gênant et, aussi, un peu ennuyeux. Le plus beau reste les images de mer déchaînée et le réalisme des scènes de vie à bord, c’est toujours ce genre de scènes que Schoendoerffer réussit le mieux, d’autant plus que Raoul Coutard est derrière la caméra. Le film connut un beau succès, salué par trois Césars.
Elle:
Lui : 2 étoiles

Acteurs: Jean Rochefort, Claude Rich, Jacques Perrin, Aurore Clément, Jacques Dufilho
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Le Crabe-Tambour
Jean Rochefort et Claude Rich dans Le Crabe-Tambour de Pierre Schoendoerffer.

Le crabe-Tambour
Jacques Perrin dans Le Crabe-Tambour de Pierre Schoendoerffer.

2 avril 2016

Intrigues en Orient (1943) de Raoul Walsh

Titre original : « Background to Danger »

Intrigues en OrientPendant la Seconde Guerre mondiale, un espion nazi tente d’assassiner l’ambassadeur allemand en Turquie en laissant croire que les coupables sont des russes. Son but est de pousser la Turquie qui est restée neutre à se mettre sous protection allemande. Son plan ayant échoué, il va tenter autre chose… Intrigues en Orient est adapté d’un roman d’Eric Ambler adapté par le grand scénariste W.R. Burnett. Le film fait partie des « petits » Raoul Walsh, le réalisateur avouant dans ses mémoires l’avoir « expédié ». C’est un de ces films destinés à renforcer le sentiment patriotique des américains. Il est néanmoins très bien fait et très prenant, la tension monte graduellement et on ne s’ennuie pas une seconde. Nous retrouvons face à face Sydney Greenstreet et Peter Lorre, tandem que la Warner a utilisé plusieurs fois, avec bonheur le plus souvent, au début de la décennie quarante. Tout laisse à penser que le studio tentait là de retrouver le succès qu’avait eu Casablanca. C’est George Raft qui, cette fois, interprète l’américain intrépide, déterminé et sans peur.
Elle:
Lui : 3 étoiles

Acteurs: George Raft, Brenda Marshall, Sydney Greenstreet, Peter Lorre, Osa Massen
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Background to danger
George Raft et Osa Massen dans Intrigues en Orient de Raoul Walsh.

Background to danger
Peter Lorre, Brenda Marshall et George Raft dans Intrigues en Orient de Raoul Walsh.

Background to danger
George Raft et Sydney Greenstreet dans Intrigues en Orient de Raoul Walsh.

1 avril 2016

Seul sur Mars (2015) de Ridley Scott

Titre original : « The Martian »

Seul sur MarsLa mission Arès 3 sur Mars doit être arrêtée prématurément à cause d’une violente tempête. Lors de l’évacuation précipitée, l’astronaute Mark Watney est frappé par une antenne et emporté hors de vue, par le vent. La biométrie de son scaphandre indique au commandant qu’il est mort. Le lendemain, Mark, qui n’est que blessé, se réveille et découvre qu’il est seul… Seul sur Mars est adapté du roman homonyme d’Andy Weir dont il suit la trame assez fidèlement si ce n’est que toutes les explications techniques ont sauté et que la fin est plus acrobatique. Certes, la technique aurait certainement rebuté un public large mais l’intérêt du roman, ce qui fait son originalité, est justement de nous faire entrer dans la tête de ce martien forcé et de suivre ses raisonnements, ses déductions et sa façon méthodique de résoudre les problèmes. Sans cet aspect, le film devient bien plus classique, avec une tension moindre car tout paraît assez facile, voire évident. Pire encore, et c’est paradoxal pour une adaptation d’un livre de hard SF (1), l’histoire peut paraître scientifiquement incohérente aux yeux d’une personne qui n’a pas lu le livre. Ridley Scott aurait pu compenser la suppression du côté technique par l’ajout d’un surcroît d’âme, apporter une dimension plus philosophique par exemple, mais il ne l’a pas fait. Le film reste toutefois un spectacle plaisant, bien ficelé avec de beaux plans assez crédibles de la planète rouge. Et Matt Damon a une indéniable présence.
Elle:
Lui : 3 étoiles

Acteurs: Matt Damon, Jessica Chastain, Kristen Wiig, Jeff Daniels
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(1) La hard science-fiction est un genre de science-fiction où tout ce qui est décrit ou mis en oeuvre est cohérent scientifiquement (du moins à l’époque où le livre est écrit).

Seul sur Mars
Seul sur Mars de Ridley Scott.

Seul sur Mars

Seul sur Mars
Matt Damon dans Seul sur Mars de Ridley Scott.