16 août 2014

Une femme sous influence (1974) de John Cassavetes

Titre original : « A Woman Under the Influence »

Une femme sous influenceNick (Peter Falk) et Mabel (Gena Rowlands) sont mariés, ils ont trois enfants. Mabel a quelquefois des réactions inattendues qui surprennent son entourage. Pour beaucoup, elle est un peu folle… Avec Une femme sous influence, Nick Cassavetes soulève la question de la place de la femme dans la société des années 70. Comme nous l’indique le titre (1), Mabel n’est pas tout à fait elle-même car elle est sous plusieurs influences qui la tirent dans plusieurs sens. Elle essaye pourtant de tout bien faire, d’être une bonne mère, une bonne épouse, être d’agréable compagnie, mais toutes ces tensions finissent par la perturber car elle est constamment sous la crainte de finir par faire quelque chose de mal. Son comportement étrange est alors une forme d’échappatoire. Elle a de plus la vague conviction que son couple se délite lentement et en ressent une forte culpabilité. De son entourage, Mabel ne reçoit que condescendance, ou pire, hostilité mais pas vraiment d’aide, même de la part de son mari (pourtant aimant, mais qui a parfois tendance à se défiler). On peut aussi dire que Cassavetes soulève également la question de la définition de la normalité mais, personnellement, je ne pense pas que ce soit son principal propos ici. John Cassavetes filme tout cela en longs plans-séquences, caméra à l’épaule, nous immergeant ainsi totalement, faisant tomber toutes les barrières entre le spectateur et cette famille « ordinaire », très moyenne a-t-on envie de dire. L’ensemble est sans doute un peu long (2h30) mais plusieurs scènes sont ainsi rendues très fortes.
Elle:
Lui : 4 étoiles

Acteurs: Peter Falk, Gena Rowlands
Voir la fiche du film et la filmographie de John Cassavetes sur le site IMDB.
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(1) En anglais, l’expression « under the influence » est souvent employé à propos de l’alcool : « To drive under the influence » signifie conduire sous l’emprise de l’alcool, on peut être aussi « under the influence of drugs » ou de quelque chose d’autre qui altère notre comportement. Dans le même ordre d’idée, Mabel a ici un comportement altéré (non pas par l’alcool, bien qu’il semble qu’elle ait l’habitude de boire parfois abondamment mais rien dans son attitude n’en montre les effets, mais plutôt par les tensions qui s’exercent sur elle).

12 juillet 2014

Coup de foudre (1944) de Charles Vidor

Titre original : « Together Again »
Autre titre (Belgique) : « Nous deux »

Coup de foudreLa petite ville de Brookhaven a érigé une statue à son maire dont la droiture est toujours vénérée cinq ans après sa mort. C’est sa femme, Anne, qui a pris sa suite. Très accaparée par sa tâche, elle ne s’est pas remariée. Lorsque la statue est accidentellement décapitée, Anne part à New York chercher un sculpteur pour la remplacer… Le texte de l’affiche le prouve : le titre Together Again s’applique plus aux acteurs qu’à l’histoire. Nous retrouvons à l’écran le couple formé par Irene Dunne et Charles Boyer qui avait été si populaire en 1939 dans Love Affair (Elle et lui) de Leo McCarey (1). Cette fois, ils se retrouvent dans une comédie que l’on rattache au genre screwball, bien que le genre soit en 1944 nettement sur sa fin. Loin des aspects progressistes de certaines comédies screwball, on pourra remarquer que le propos est ici assez ouvertement conservateur : la femme ne se définit que par rapport à l’homme, elle peut avoir une carrière professionnelle (voire politique comme ici) mais elle ne peut être heureuse si elle ne se marie pas et, Together Again - Affiche belge (Nous deux) quand cela arrive, elle doit tout abandonner pour se consacrer à son mari… On pourra aussi s’amuser à relever plusieurs traits nettement misogynes ici et là. Mais ce n’est pas principalement pour cette raison que le film déçoit : la mise en scène de Charles Vidor n’est pas franchement remarquable, l’humour est assez peu présent, les dialogues manquent de brillance. Seul le charme et l’éloquence raffinée de Charles Boyer relève l’ensemble et donne un peu d’intérêt au film.
Elle:
Lui : 2 étoiles

Acteurs: Irene Dunne, Charles Boyer, Charles Coburn, Mona Freeman, Jerome Courtland
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Remarques :
* A noter que (pour une fois) le titre français Coup de foudre est bien trouvé  car le tonnerre joue un rôle non négligeable dans cette histoire.

(1) Les deux acteurs étaient également ensemble dans When Tomorrow comes (Veillée d’amour) de John Stahl (1939). Together Again est donc le troisième film où ils partagent l’affiche.

10 avril 2014

She Wouldn’t Say Yes (1945) de Alexander Hall

She Wouldn't Say YesSusan Lane est une psychologue qui a réussi à s’imposer dans son métier par son expertise dans les rapports humains. En toutes circonstances, elle montre une grande maitrise de ses sentiments et garde le contrôle sur elle-même. Lorsqu’elle fait la connaissance d’un dessinateur de bandes dessinées humoristiques, elle n’a bien entendu aucune intention de céder à ses avances… Produit et coécrit par Virginia Van Upp (1), She Wouldn’t Say Yes est une screwball comedy basée sur un personnage féminin fort. Tout le film repose en effet sur les épaules de Rosalind Russell qui, il est vrai, a l’habitude d’interpréter ce type de rôle de femme très affirmée qui traite d’égal à égal avec les hommes ou qui, comme ici, surpasse nettement les hommes. Elle fait ici une très belle prestation, montrant une belle palette d’expressions et une superbe présence à l’écran. Face à elle, Lee Bowman est bien fade même si cela fait partie de son rôle. Les dialogues sont enlevés avec de bons traits d’humour. L’ensemble est amusant, bien écrit, assez original bien que peu crédible. On peut donc se demander pourquoi She Wouldn’t Say Yes n’a pas eu plus de succès et pourquoi il est, encore aujourd’hui, jugé si sévèrement. Serait-ce parce que tous les personnages masculins sont faibles (voire idiots) et que l’on ne peut s’identifier à aucun d’entre eux ? Cette explication est peut-être un peu simpliste mais elle n’est pas impossible (2). Toujours est-il que le film est injustement très méconnu.
Elle:
Lui : 3 étoiles

Acteurs: Rosalind Russell, Lee Bowman, Adele Jergens, Charles Winninger, Harry Davenport
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(1) Virginia Van Upp a débuté comme scénariste avant de passer à la production. Elle est l’une des rares femmes à avoir été Executive producer à Hollywood. Elle sera l’année suivante la productrice de Gilda.
Nota : Sur le sujet des femmes de cinéma, on peut consulter l’encyclopédie en deux volumes d’Ally Acker : Reel Women (en anglais).

(2) Le propos de She Wouldn’t Say Yes est en effet assez franchement féministe : pour faire rentrer cette femme « dans le rang » (= la forcer à se marier), les hommes devront user d’une supercherie bien peu glorieuse et, pire encore (!), la fin laisse penser que la femme gardera sa suprématie et sa carrière (une fin plus coutumière à Hollywood est de montrer que la femme abandonne sa carrière après son mariage). D’ailleurs, l’image finale est sur ce point significative : dans le train, la femme est seule dans la couchette du dessus, les deux hommes sont entassés au niveau inférieur, le mari est relégué au même niveau que le père (un peu idiot). Le mariage ne va donc pas changer le rapport de forces…!
Si on peut comprendre qu’à l’époque le type de situations où la femme est supérieure à l’homme pouvait déplaire, il est tout de même assez étonnant que cela gêne encore les spectateurs (masculins) aujourd’hui.

19 octobre 2013

La Vie d’O’Haru, femme galante (1952) de Kenji Mizoguchi

Titre original : « Saikaku ichidai onna »

La vie d'O'Haru femme galanteAu XVIIe siècle, O’Haru est Dame d’honneur à la cour impériale de Kyoto. Après s’être laissé courtiser par un homme de moindre rang que le sien, elle est chassée et exilée à la campagne avec sa famille… La Vie d’O’Haru femme galante est adapté d’un roman écrit en 1686 par Saikaku Ihara, écrivain très connu au Japon. Il retrace le parcours d’une femme qui va connaitre la déchéance, passant par de nombreuses situations mais subissant à chaque fois des règles sociales faites pour les hommes et où la femme ne reçoit aucune considération. C’est donc une profonde critique de la société et du comportement des hommes de cette époque féodale, certes révolue au moment où Mizoguchi tourne son film mais qui trouve des prolongements dans notre société moderne. L’art de Mizoguchi est de traiter cette histoire sans mélodrame, montrant avec une belle simplicité et même un certain dépouillement cette fatalité subie. Il se dégage une indéniable beauté de ses images où tout parait à la fois simple et parfait et le propos ne prend que plus de force. Kinuyo Tanaka montre beaucoup de retenue et de délicatesse dans son interprétation. A noter que Mizoguchi ne fait pas vieillir son personnage tout au long du récit ce qui donne un caractère atemporel au film.
Elle:
Lui : 5 étoiles

Acteurs: Kinuyo Tanaka, Tsukie Matsuura, Ichirô Sugai, Toshirô Mifune, Daisuke Katô
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Remarques :
* C’est avec La Vie d’O’Haru femme galante que l’Europe a découvert Mizoguchi lors du Festival de Venise en 1952. Auparavant, Kurosawa était le seul cinéaste japonais connu (depuis peu) en Occident.
* Le film a été tourné avec un budget très réduit, forçant Mizoguchi à utiliser un entrepôt au lieu d’un véritable studio. Le bruit des trains d’une voie ferrée proche obligeait à interrompre fréquemment le tournage.
* Le court rôle de Toshirô Mifune dans ce film sera la seule participation de l’acteur à un film de Mizoguchi.

Pour en savoir plus sur l’écrivain Ihara Saikaku (1642-1693) : lire….

24 juin 2013

Les Soeurs de Gion (1936) de Kenji Mizoguchi

Titre original : « Gion no shimai »

Les soeurs de GionLorsque le commerçant Furusawa fait faillite, il se réfugie chez la geisha Umekichi qui se sent moralement tenue de lui venir en aide. Elle vit avec sa jeune soeur, Omocha, qui a une vision bien différente des hommes qu’elle cherche à utiliser à son profit… Dans la lignée de L’Elégie de Naniwa tourné quelques mois auparavant, Kenji Mizoguchi se penche une nouvelle fois sur la position de la femme dans la société japonaise avec Les Soeurs de Gion. Le monde des geishas lui permet d’avoir deux personnages aux tempéraments marqués et en totale opposition : la soeur la plus âgée s’inscrit dans la tradition, elle est soumise aux hommes, prête à tout accepter pour leur bien-être tandis que la soeur la plus jeune est moderne, cynique, adroite pour manipuler les hommes et exploiter leurs faiblesses à son seul profit. Mizoguchi nous démontre que quelle que soit l’attitude de la femme, elle sera au final utilisée par l’homme et en sortira meurtrie. Une fois encore, l’argent est l’un des agents de cette dépendance. Le constat est implacable et la démonstration suffisamment efficace pour avoir marqué et choqué les esprits de l’époque. Dans Les Soeurs de Gion, le cinéma de Mizoguchi montre déjà une certaine perfection. La construction est admirable. Le cinéaste utilise de longs plans-séquence qui apportent beaucoup de force, de contenu et d’authenticité à son récit. Aucune scène, aucun plan ne semble inutile. Le regard porté par Mizoguchi est extérieur, il ne peut y avoir d’identification du spectateur à l’un des personnages, et pourtant c’est une vision très profonde et intime qu’il nous offre.
Elle:
Lui : 4 étoiles

Acteurs: Isuzu Yamada, Yôko Umemura, Benkei Shiganoya
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Remarque :
Le scénario est signé par Yoshikata Yoda et Kenji Mizoguchi,  libre adaptation d’un roman de l’écrivain russe Alexandre Kouprine « La Fosse aux filles » (1915).

28 janvier 2013

Le Lac de la femme (1966) de Yoshishige Yoshida

Titre original : « Onna no mizûmi »
Autre titre français : « Le lac des femmes »

Le lac de la femmeMariée sans amour à un homme plus âgé qu’elle, Miyako a un amant. Elle se laisse prendre en photo par lui, nue sur un lit d’hôtel. Quelques jours plus tard, effrayée par un homme qui la suit, elle lâche son sac qui contenait les négatifs. L’homme les utilise pour la faire chanter… Adaptation d’un livre du romancier à succès Yasunari Kawabata, Le lac de la femme est centré, non pas sur une intrigue policière, mais sur son personnage principal, une jeune femme qui cherche tout simplement à s’épanouir. Elle ne trouve satisfaction ni dans son mariage, ni dans son aventure extraconjugale et, de façon plutôt paradoxale, c’est la confrontation avec un maître-chanteur qui va lui donner l’illusion de se libérer du carcan machiste de la société ; elle tente de retourner la situation et de reprendre l’initiative. Le film se déroule assez lentement, telle une errance de personnes qui se cherchent. L’image est très belle, d’un noir et blanc très contrasté avec un beau travail sur les blancs, filmant les corps de très près, avec toujours son utilisation si particulière du cadre large (laissant de grands espaces presque vierges). Mariko Okada est d’une grande beauté, Yoshida met superbement en valeur l’actrice qui est alors sa femme. Malgré quelques égarements (tout le passage avec l’équipe de tournage paraît bien superflu), Le lac de la femme porte en lui une vraie réflexion sur la place de la femme, une réflexion que Yoshida laisse totalement ouverte, refusant de donner une fin. Le film est également très beau graphiquement.
Elle:
Lui : 4 étoiles

Acteurs: Mariko Okada, Shigeru Tsuyuguchi, Tamotsu Hayakawa, Keiko Natsu
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Remarque :
On peut penser que le « lac » du titre est symbolique du caractère profond (vaste, voire insondable) du caractère de la femme.