1 août 2014

Pattes blanches (1949) de Jean Grémillon

Pattes blanchesDans un petit village breton, le mareyeur Jacques Le Guen revient de la ville avec Odette, une belle jeune femme qui devient rapidement le centre de toutes les attentions. Il y a là le châtelain ruiné Julien de Keriadec, surnommé Pattes blanches en raison des guêtres qu’il porte et qui vit seul dans sa grande demeure, et son jeune frère batard Maurice… Pattes blanches fut écrit par Jean Anouilh (aidé de Jean Bernard-Luc) dans le but de le réaliser lui-même. Une grave maladie le força à demander à Jean Grémillon de le porter à l’écran à sa place. Celui-ci accepta à condition de transposer l’intrigue du XIXe siècle à l’époque actuelle et en Bretagne. Cette histoire est remarquablement écrite, avec des personnages forts et denses : c’est une variation assez noire sur le thème de la séduction, de l’attraction, du ressentiment. La richesse de l’histoire vient en grande partie de la palette de caractères décrits : les cinq personnages principaux sont à la fois complexes et très différents. Tous les rôles sont brillamment tenus, avec une rare intensité. Michel Bouquet est vraiment étonnant, dans un registre « halluciné » qui lui allait si bien au tout début de sa carrière (il a ici 24 ans). Mal né, Pattes blanches n’a jamais rencontré le succès qu’il mérite. C’est pourtant un film superbe.
Elle:
Lui : 5 étoiles

Acteurs: Fernand Ledoux, Suzy Delair, Paul Bernard, Michel Bouquet, Arlette Thomas, Sylvie
Voir la fiche du film et la filmographie de Jean Grémillon sur le site IMDB.

Lire aussi : l’analyse de Yann Gatepin sur le site DVDClassik …

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8 juillet 2014

Mogli pericolose (1958) de Luigi Comencini

Traduction du titre : « Femmes dangereuses »

Femmes dangereusesQuatre couples passent un week-end à la campagne. Pendant que les maris sont partis à la chasse, les femmes parlent des hommes. La jeune Ornella n’est pas d’accord pour dire qu’ils sont tous volages : elle sait qu’elle peut faire confiance à son mari. Son amie Tosca lui propose de faire le pari qu’elle parviendra à le séduire. De retour à Rome, elle met son projet à exécution… Ecrit et réalisé par Luigi Comencini, Mogli pericolose est une comédie légère sur les rapports entre hommes et femmes à l’intérieur du couple et plus précisément sur les dangers de la jalousie excessive. Comme beaucoup des comédies italiennes de cette époque, Mogli pericolose dresse un portrait de la classe moyenne, celle qui sort triomphante de la reconstruction italienne, suffisamment aisée pour oublier tout problème matériel et se concentrer sur ses rapports humains. Le fond est un peu moins superficiel qu’il n’en a l’air même si l’étude n’est pas très profonde. Sans trop forcer le trait ni verser dans la caricature, Comencini utilise les quatre couples pour montrer quatre situations très différentes (confiance, déséquilibre, suspicion, conflit ouvert). L’humour est créé à partir des tensions, des drames qui se nouent. L’ensemble est très amusant, servi par un très bon plateau d’acteurs. On se demande pourquoi le film est si rare.
Elle:
Lui : 3 étoiles

Acteurs: Sylva Koscina, Renato Salvatori, Dorian Gray, Franco Fabrizi, Pupella Maggio, Mario Carotenuto
Voir la fiche du film et la filmographie de Luigi Comencini sur le site IMDB.

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Remarques :
* Mogli pericolose n’est jamais sorti en France. Il a été diffusé pour la première fois à la télévision au Cinéma de Minuit de Patrick Brion en mars 2014.

* A propos de l’humour, Comencini précise :
« Une chose est certaine: pour faire un film comique, il faut inventer des histoires vraiment tragiques. (…) Le rire est une manifestation de la méchanceté humaine. Charlot a toujours fait rire seulement avec ses malheurs. Quand finalement les choses s’arrangent pour lui, sur l’écran apparaît le mot « fin ». Beaucoup plus modestement, Mogli pericolose se propose de faire rire en montrant les dangers et les désastres qui plus ou moins pointent le bout du nez dans toutes nos maisons. Dans le film, ces dangers et ces désastres ne pointent pas le bout du nez, ils débordent avec toute leur force, leur insistance aveugle et persistante, et ils font rire. » (interview publié dans Tempo du 25/11/58 cité dans le livre de Jean A. Gili sur Comencini).
C’est une citation très intéressante même si l’on peut penser que Comencini oublie de prendre en compte le recul qu’offre le cinéma et sa fonction de miroir. C’est en tous cas, un beau sujet de réflexion…

12 janvier 2014

Three Strangers (1946) de Jean Negulesco

Titre français (Belgique) : « Trois étrangers »

Three StrangersA Londres en 1938, une femme attire deux hommes inconnus chez elle le soir du nouvel an chinois car elle croit à une légende : elle possède une statuette en bronze de la déesse chinoise Kwan Yin qui est censée ouvrir les yeux ce soir-là et exaucer le voeu commun de trois étrangers. Ils achètent ensemble un billet de sweetstakes (loterie liée à des courses de chevaux)… La base du scénario de Three Strangers a été écrite par le jeune John Huston qui s’est inspiré d’un épisode qui lui est réellement arrivé à Londres. Il aurait même projeté de le tourner lui-même après Le Faucon Maltais mais la guerre a interrompu le projet. Trois étrangersIl le reprend quelques années plus tard avec Howard Koch pour le compte de Jean Negulesco. C’est le troisième film du réalisateur roumain avec le tandem Lorre/ Greenstreet, tourné avec un budget réduit. Le scénario est riche en histoires parallèles et en rebondissements ; le film offre ainsi un beau mélange d’intrigue policière et de mystère. C’est une belle fable sur la cupidité et la jalousie. Three Strangers n’est jamais sorti en France.
Elle:
Lui : 4 étoiles

Acteurs: Sydney Greenstreet, Geraldine Fitzgerald, Peter Lorre, Joan Lorring
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10 janvier 2014

L’Innocent (1976) de Luchino Visconti

Titre original : « L’innocente »

L'innocentDans l’Italie de la fin du XIXe siècle, l’aristocrate Tullio Hermil a une relation passionnée et tumultueuse avec sa maitresse. Sa femme Guiliana, avec laquelle il n’a guère plus que des rapports amicaux, supporte en silence cette situation. Tout va changer lorsqu’elle rencontre un jeune auteur à succès… L’Innocent est l’ultime film de Luchino Visconti. Il s’inspire d’un roman de Gabrielle D’Annunzio et le film fut parfois accueilli fraichement du fait de la personnalité de cet écrivain (1). L’innocent est toutefois un très beau film tout à fait à l’image du cinéaste. Il s’agit à nouveau de la peintre de cette aristocratie italienne du tournant du siècle qui veut se situer au dessus de toutes règles, cherchant ainsi une liberté de pensée et d’actes mais ne trouvant qu’enfermement et frustration. Tullio est ainsi un être tourmenté, dévoré par le désir, refoulant tout sentiment de culpabilité. La mise en scène de Visconti, pourtant très malade depuis 1972, est remarquable. La photographie est superbe. Plus que dans ses autres films, le décor devient presque un personnage à part entière tant il est présent par sa richesse, accentuant ainsi l’expression d’enfermement, d’étouffement même et d’isolement. Particulièrement complexe, le personnage de Tullio est merveilleusement interprété par Giancarlo Giannini et le film se révèle être particulièrement puissant. Au-delà de la peinture sociale d’une aristocratie moralement plutôt haïssable, c’est à une exploration de la nature humaine que le film nous convie. L’Innocent vient clôturer en beauté la filmographie si riche de Luchino Visconti.
Elle:
Lui : 4 étoiles

Acteurs: Giancarlo Giannini, Laura Antonelli, Jennifer O’Neill, Rina Morelli, Massimo Girotti
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Remarque :
En mars 1976, Luchino Visconti est mort avant d’avoir finalisé le montage et nous voyons donc le film dans une version dont il n’était pas entièrement satisfait.

(1) Gabriele D’Annunzio (1863-1938) est l’un des plus importants écrivains italiens, mais aussi l’un des plus contestables. Homme des extrêmes, il est de ceux qui exploitèrent les écrits de Nietzsche pour en faire une propagande nationaliste, préparant ainsi la montée du fascisme. Il a écrit L’innocente (L’Intrus) en 1892, donc plutôt au début de son oeuvre.

11 avril 2013

Othello (1947) de George Cukor

Titre original : « A Double Life »

A Double LifeUn grand acteur de théâtre, qui vit intensément ses rôles, se prépare à interpréter Othello, le Maure de Venise. Peu à peu, il se laisse submerger par le personnage de Shakespeare au point de ne plus contrôler ses émotions… Ecrit par Garson Kanin et Ruth Gordon (1), le film développe une histoire de dédoublement de la personnalité. Le titre original A Double Life est donc plus représentatif que le titre français Othello qui laisse supposer que le film est une adaptation de la pièce de Shakespeare (2). La construction est assez habile, traduisant bien le glissement progressif de l’acteur. La mise en scène de Cukor est sobre, sans effet inutiles. Le film nous plonge de façon très réaliste dans le monde des acteurs de théâtre. Il a aussi un petit côté « film noir », non seulement dans le développement de l’histoire, mais aussi par la photographie des extérieurs, essentiellement nocturne. A Double Life est tout le contraire d’un film tape à l’oeil. Il a la simplicité et la limpidité des meilleurs films. Il montre aussi une certaine perfection aussi bien dans l’écriture que dans la mise en scène ou l’interprétation.
Elle:
Lui : 4 étoiles

Acteurs: Ronald Colman, Signe Hasso, Edmond O’Brien, Shelley Winters
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(1) Garson Kanin et Ruth Gordon étaient mari et femme. C’est le premier des quatre scénarios que le couple écrira pour George Cukor. A noter également que A Double Life est produit par Michael Kanin, le frère de Garson. Michael est également scénariste (oscarisé en 1942 pour A Woman of the year). Son épouse, Fay Kanin, fait ici une petite apparition en tant qu’une des actrices de la pièce Othello.

(2) Pour une adaptation de la pièce de Shakespeare, on peut se tourner vers la version d’Orson Welles Othello (1952) ou celle de l’anglais Stuart Burge Othello (1965) avec Laurence Olivier.

7 février 2013

Passion ardente (1967) de Yoshishige Yoshida

Titre original : « Jôen »
Autre titre français : « Passion obstinée »

Passion obstinéeOriko a un mari qui lui reproche sa froideur. Rien ne se passe entre eux. Oriko est en réalité hantée par le souvenir de sa mère qui a eu plusieurs amants avant de périr dans un accident… Le propos de Passion ardente est sans doute un peu difficile à cerner et il n’a pas toujours été bien interprété. En réalité, Yoshishige Yoshida nous met, une fois de plus, en présence d’une jeune femme mariée sans amour, à la recherche de son équilibre. Mais cette fois, ce ne sont pas les hommes qui l’empêchent de le trouver, les causes de sa fragilité se situent dans son enfance et dans sa relation (ou plutôt son absence de relation satisfaisante) avec sa mère. De plus, elle nourrit un fort sentiment de culpabilité, se sentant responsable de sa mort. Il faudra qu’Oriko marche sur les traces de sa mère et reproduise l’un de ses actes charnels pour qu’elle commence à se libérer de son emprise et qu’elle puisse envisager vivre sa propre vie. Passion ardente est plutôt moins fort que les autres films précédents de Yoshishige Yoshida, le réalisateur nous gratifiant certes de plans graphiquement très beaux mais qui semblent, cette fois, un peu plaqués. Il a fait un travail étonnant sur la bande sonore, nous surprenant souvent par des solutions audacieuses (une sirène en boucle pour illustrer l’émoi intérieur, le silence d’une scène filmée au travers d’une vitre, le décalage des dialogues, etc.) L’image, en noir et blanc, est très contrasté, plus encore qu’à l’habitude, ce qui donne une image plutôt dure. Ce film de Yoshishige Yoshida est toutefois loin d’être sans attrait.
Elle:
Lui : 3 étoiles

Acteurs: Mariko Okada, Tadahiko Sugano, Shigako Shimegi, Isao Kimura
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Remarque :
Le titre Passion ardente ne facilite pas la compréhension du propos du film. La passion dont il est question est plus recherchée que présente, et si elle est « ardente », ce n’est que dans l’esprit d’Oriko. L’autre traduction, Passion obstinée, me semble mieux traduire les sentiments de cette femme car Oriko désire cette passion, c’est même devenu une obsession chez elle.

14 décembre 2012

Histoire d’herbes flottantes (1934) de Yasujirô Ozu

Titre original : « Ukikusa monogatari »
Autre titre français : « Histoire d’un acteur ambulant »

Histoire d'herbes flottantes(Film muet) Une petite troupe de théâtre assez miséreuse arrive dans une bourgade du sud du Japon. Pour le directeur de la troupe, c’est un retour car c’est ici que vit la femme qu’il a connu vingt ans auparavant et qui lui a donné un fils. Il se fait passer auprès de lui pour son oncle. La maitresse actuelle du directeur découvre ce secret et menace de le dévoiler au fils…
Ecrit par Ozu et Tadao Ikeda, Histoire d’herbes flottantes permet de changer de cadre, délaissant les grandes cités pour se situer dans une petite ville de province. C’est un beau mélodrame, très bien construit, un film très abouti dont la forme vient servir le récit en lui donnant une belle intensité. Histoire d’herbes flottantes est assez étonnant dans sa forme car il montre déjà tout ce qui sera le style d’Ozu. On peut commencer par le générique, le premier à être sur fond de toile de jute, puis le film débute par quelques plans vides et fixes (il y en aura d’autres ensuite), il y a des trains, du linge qui sèche, sa caméra est basse, même très basse parfois, le scénario se déroule lentement avec une bonne progression, l’insertion de quelques scènes comiques dans le drame ; beaucoup de points communs avec ses films plus récents donc. En revanche, Ozu a ici une caméra bien plus mobile que par la suite. Sur la photographie, les éclairages sont assez beaux et il y a quelques très beaux plans de doubles (par exemple, la partie de pêche du père avec le fils ou les deux actrices habillées de façon identique). Histoire d’herbes flottantes est également très bien monté. C’est probablement l’un des films les plus aboutis de sa période muette.
Elle:
Lui : 5 étoiles

Acteurs: Takeshi Sakamoto, Chôko Iida, Kôji Mitsui, Rieko Yagumo, Yoshiko Tsubouchi
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Remarque :
Les « herbes flottantes » du titre font référence aux lentilles d’eau ; cette plante flottante figure souvent dans la poésie japonaise comme une allégorie pour les errements ou une vie sans but.

Remake :
Ozu, qui aimait beaucoup ce film, en tournera une nouvelle version à la fin de sa carrière, un remake assez proche de l’original mais en couleurs et parlant :
Herbes Flottantes (Ukikusa) (1959).

7 juin 2012

La proie du mort (1941) de W.S. Van Dyke

Titre original : « Rage in Heaven »

La proie du mortUn fils de bonne famille, mentalement instable, épouse la dame de compagnie de sa mère. Rapidement, il imagine que sa femme aime son ami d’enfance dont il a toujours été plus ou moins jaloux… Adapté d’un roman signé James Hilton, La proie du mort a été fait dans des conditions particulières : Robert Montgomery, n’appréciant guère que la MGM lui fasse endosser à nouveau le rôle d’un paranoïaque (1), avait décidé de faire la grève du zèle et de débiter son texte sans intonation (2). Le film n’est donc généralement pas bien considéré, le jeu distancié et impassible de Montgomery étant au centre des critiques (certains louèrent toutefois le style qu’il avait trouvé pour le rôle… il est vrai que cela accentue le caractère étrange du personnage). La proie du mort mérite tout de même notre attention. Le suspense y est assez réussi. L’ensemble est prenant grâce aux bonnes prestations d’Ingrid Bergman et de George Sanders et aussi grâce à une bonne fin, bien qu’un peu précipitée.
Elle:
Lui : 3 étoiles

Acteurs: Robert Montgomery, Ingrid Bergman, George Sanders, Lucile Watson
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(1) Robert Montgomery avait eu beaucoup de succès avec La force des ténèbres (Night must fall) de Richard Thorpe (1937) où il interprétait le rôle d’un psychopathe.
(2) Ingrid Bergman raconte ainsi le tournage dans son autobiographie. Robert Montgomery les avait prévenus, George Sanders et elle, dès le début du tournage qu’il ne jouerait pas le jeu. Résultat : deux metteurs en scène ont déclaré forfait avant que W.S. Van Dyke (qu’Ingrid Bergman trouvait odieux) ne prenne la relève.

19 avril 2012

Entrée des artistes (1938) de Marc Allégret

Entrée des artistesC’est la rentrée au cours d’Art Dramatique du Conservatoire de Paris. Isabelle réussit le concours d’entrée et fait la rencontre de François dont Coecilia est amoureuse… Entrée des artistes est un film assez étrange car il semble presque ambivalent : il y a une histoire d’amour qui se mute en drame, partie qui apparaît plutôt conventionnelle (surtout avec le recul du temps) et il y a cette observation d’un petit monde si particulier, celui d’un cours d’art dramatique, partie qui reste fascinante et atemporelle. C’est un plaisir de voir Louis Jouvet diriger ses élèves et les reprendre sur leur interprétation, l’acteur étant lui-même professeur dans la vraie vie. Entrée des artistes L’autre point fort du film, ce sont les merveilleux dialogues d’Henri Jeanson, vifs, enlevés, parfois truculents même, qui sauvent même les scènes les plus faibles. Car il y en a mais il y a aussi des scènes très brillantes comme cette visite du professeur à la famille d’Isabelle, ou des scènes très fortes comme le final ou beaucoup des scènes avec Louis Jouvet. Entrée des artistes déroute (1) car c’est à la fois un drame et un divertissement élégant, assez intellectuel finalement car il demande, du moins aujourd’hui, de prendre un certain recul pour observer et vraiment l’apprécier.
Elle:
Lui : 4 étoiles

Acteurs: Louis Jouvet, Claude Dauphin, Odette Joyeux, Janine Darcey, Roger Blin, Bernard Blier, Julien Carette, Marcel Dalio
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(1) Marc Allégret lui-même fut dérouté par le résultat puisqu’il renia le film dans un premier temps. Il changea d’avis en réalisant qu’il fonctionnait parfaitement, le succès public l’attestant.

28 février 2012

Tourments (1953) de Luis Buñuel

Titre original : « El »

TourmentsEn pleine cérémonie du Jeudi saint dont il est l’un des officiants laïques, un quadragénaire de la haute société remarque une belle jeune femme qui éveille son désir. Il la suit et découvre qu’elle est fiancée à l’un de ses amis. Mais cela ne va pas l’arrêter pour autant… El est un film de la période mexicaine de Luis Buñuel assez comparable en thème et en qualité à La vie criminelle d’Archibald de la Cruz (1955). Librement inspiré d’un roman autobiographique de Mercedes Pinto, il s’agit d’un film psychologique montrant comment la jalousie extrême d’un homme va le conduire à l’impuissance et à la paranoïa (1). Le film est remarquable par le basculement en son milieu : alors que toute la première partie nous fait adopter le point de vue de l’homme prédateur, nous faisant partager son désir, la seconde partie nous fait adopter le point de vue de la femme, nous faisant partager ses souffrances (2). Si Buñuel mêle quelques piques habituelles au clergé et à la bourgeoisie, elles restent assez secondaires, le réalisateur apportant plus de soin à décrire les méandres psychologiques qui transforment le désir en névrose. La tension devient de plus en plus forte pour atteindre un certain paroxysme avec la superbe scène de la machine à écrire. La photographie de Gabriel Figueroa est très belle, les éclairages sont particulièrement travaillés et mettent en relief la beauté de Delia Garcés. El n’eut aucun succès à sa sortie que ce soit en France ou au Mexique (3). Ce n’est que plus tard qu’il sera reconnu comme l’un des tous meilleurs de Buñuel.
Elle:
Lui : 5 étoiles

Acteurs: Arturo de Córdova, Delia Garcés, Manuel Dondé
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Remarque :
C’est Buñuel lui-même qui joue le rôle du personnage principal devenu franciscain, notamment dans cette fameuse scène ultime (et symbolique) où il s’éloigne en zigzag.

(1) Jacques Lacan a présenté le film à ses élèves à plusieurs reprises.
(2) Pour ce changement de point de vue (et aussi pour la scène du clocher), El a souvent été rapproché de Vertigo qu’Hitchcock tournera quelques années plus tard. Il est vrai que le climat général évoque de nombreux films d’Hitchcock et que Delia Garcés ne déparerait pas parmi les « beautés froides » qu’affectionnait le réalisateur anglais.
(3) Les critiques furent mauvaises. Buñuel raconte dans ses mémoires que Cocteau a déclaré qu’avec El, Buñuel s’était « suicidé ». Il ajoute que Cocteau a changé d’avis quelques années plus tard…