13 octobre 2012

Ève (1950) de Joseph L. Mankiewicz

Titre original : « All about Eve »

ÈveAlors que l’actrice de théâtre Eve Harrington reçoit une récompense lors d’une soirée, plusieurs personnes se remémore sa rapide ascension… L’un des plus célèbres films de Joseph Mankiewicz, All about Eve fait partie de ces films qui semblent approcher une certaine perfection. Tout est brillant, à commencer par le scénario très intelligemment écrit par Mankiewicz sur la base d’une nouvelle de Mary Orr. La construction repose sur un flashback raconté par plusieurs personnages, une construction élégante que le réalisateur reprendra encore plus brillamment pour La comtesse aux pieds nus. Les dialogues sont d’une grande richesse avec de nombreuses répliques mémorables. La mise en scène est très maitrisée et l’interprétation admirable : c’est bien entendu Bette Davis qui est la plus remarquable dans son rôle d’actrice hantée par son âge avec ses accès d’humeur et son penchant pour l’alcool mais tous les rôles de premier et second plans sont parfaitement tenus. Cette peinture du monde du spectacle n’est pas dénuée d’acidité, c’est un monde où le mensonge côtoie l’arrivisme et le cynisme, même quand le talent est là. Film presque parfait, All about Eve connut un très grand succès et reçut de nombreux prix.
Elle: 5 étoiles
Lui : 5 étoiles

Acteurs: Bette Davis, Anne Baxter, George Sanders, Celeste Holm, Gary Merrill, Hugh Marlowe, Gregory Ratoff, Thelma Ritter, Marilyn Monroe
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Remarques :
* Mankiewicz a dit s’être inspiré de son ami Elian Kazan pour le personnage de Bill, le metteur en scène.
* La Sarah Siddons Society n’existait pas encore au moment du tournage de Eve. C’est une pure création de Mankiewicz. Du fait du succès du film, des amateurs de théâtre créèrent la vraie Sarah Siddons Society en 1952 et commencèrent à décerner un prix à une actrice particulièrement remarquée au cours de la saison passée. C’est maintenant l’un des prix les plus importants dans le monde du théâtre. Et la statuette remise est identique à celle du film!

20 août 2012

Le secret du rapport Quiller (1966) de Michael Anderson

Titre original : « The Quiller memorandum »

Le secret du rapport QuillerL’agent secret britannique Quiller est envoyé à Berlin pour enquêter sur une mystérieuse organisation nazie… Le secret du rapport Quiller est l’adaptation d’un roman d’Adam Hall par Harold Pinter (1). Il s’inscrit dans cette vogue du film d’espionnage des années soixante et notamment ceux qui montrent une vision à la fois plus réaliste et désillusionnée du monde de l’espionnage (2). C’est un monde de duplicité qui est ici décrit et Quiller, tout excellent professionnel qu’il soit, peine à distinguer où sont ses amis et qui trompe qui. Le portrait de l’espion est ainsi plus humain. Revers de la médaille, nous avons l’impression de tourner un peu en rond dans une intrigue qui peine à avancer. Le film n’est donc pas sans défaut. George Segal manque un peu de présence et les grands acteurs qui l’entourent ont une tendance à cabotiner quelque peu. Les décors n’ont pas non plus de présence suffisante. Le secret du rapport Quiller est surtout un film d’atmosphère.
Elle:
Lui : 3 étoiles

Acteurs: George Segal, Alec Guinness, Max von Sydow, Senta Berger, George Sanders
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(1) Harold Pinter est un dramaturge anglais qui a signé de nombreuses belles adaptations pour le cinéma : The Servant et Accident de Losey, La maîtresse du lieutenant français, … (2) Le secret du rapport Quiller est ainsi assez proche dans son esprit du film de Martin Ritt L’espion qui venait du froid.

1 août 2012

The Moon and Sixpence (1942) de Albert Lewin

Titre original : « The moon and sixpence »

The Moon and SixpenceCharles Strickland abandonne sa vie bien rangée, sa femme et ses enfants pour s’installer à Paris afin d’assouvir sa passion jusque là secrète, la peinture… The Moon and Sixpence est fidèlement adapté du roman homonyme de William Somerset Maugham. Le personnage du roman évoque Gauguin par certains aspects (1) mais ce n’est en aucun cas une biographie de Paul Gauguin. Non, le sujet est tout autre : il s’agit de la confrontation entre une passion qui élève avec un réalisme qui abaisse (2). Strickland se forge une carapace de cynisme et devient même asocial pour se protéger et éviter de retourner à sa morne vie antérieure. De même, sa méfiance envers les femmes (il refuse l’amour car il sent que c’est un piège) se transforme en profonde misogynie. Le film est élégant dans sa forme et ses dialogues, très anglais, George Sanders apportant cette dose d’intelligence et de raffinement qui empêche son personnage d’être odieux. Cette élégance est certes coutumière à Albert Lewin mais il s’agit ici de son premier film. Le réalisateur américain traite déjà de son sujet favori : la peinture.
Elle:
Lui : 3 étoiles

Acteurs: George Sanders, Herbert Marshall, Steven Geray, Eric Blore, Albert Bassermann, Florence Bates
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Remarque :
Le film n’a été restauré dans sa forme originale que très récemment : la partie à Paris est en noir et blanc, la partie à Tahiti est teintée en sépia avec un court passage en couleurs pour nous montrer les peintures murales.

(1) Il y a des similitudes : le changement de vie, Paris, Tahiti. Mais si Charles Strickland rencontre bien un peintre hollandais à Paris, ce dernier est sans talent, il n’a rien à voir avec Van Gogh. Et ensuite, Gauguin n’était pas cynique ou malveillant comme peut l’être Strickland.

(2) La signification du titre The Moon and Sixpence n’est donnée ni dans le roman ni dans le film. On peut la trouver dans une lettre de Somerset Maugham datée de 1956 : « If you look on the ground in search of a sixpence, you don’t look up, and so miss the moon. » (« Si vos yeux sont tournés vers le sol pour chercher une pièce de 6 pences, vous ne pourrez voir la lune. ») Le titre illustre ainsi parfaitement le fond du propos.

24 juillet 2012

A scandal in Paris (1946) de Douglas Sirk

Titre français parfois utilisé : « Scandale à Paris »

Scandale à ParisCette biographie romancée de la première partie de la vie de Vidocq nous raconte comment, après s’être évadé de prison, il est devenu chef de la police… A Scandal in Paris est le troisième film américain de Douglas Sirk. Pour ce film, il a bénéficié d’une totale liberté qui compense largement le budget réduit. Ainsi, il s’agit d’un film assez personnel et Douglas Sirk dira plus tard que c’est là son film préféré. Il est assez européen par son style et par les talents utilisés. A Scandal in Paris est une fantaisie élégante qui utilise avec bonheur les talents naturels de George Sanders pour ce type de rôle, montrant un subtil mélange d’intelligence et de raffinement. Douglas Sirk est surtout connu pour les grands mélodrames de sa fin de carrière. Le méconnu A Scandal in Paris nous montre que le reste de sa filmographie est loin d’être inintéressant.
Elle:
Lui : 4 étoiles

Acteurs: George Sanders, Signe Hasso, Carole Landis, Akim Tamiroff, Gene Lockhart
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Remarque :
Jacques Lourcelles a une très belle formule pour décrire A Scandal in Paris : un « film d’esthète où la gravité affleure sans cesse sous les scintillements d’un divertissement très raffiné. »

7 juin 2012

La proie du mort (1941) de W.S. Van Dyke

Titre original : « Rage in Heaven »

La proie du mortUn fils de bonne famille, mentalement instable, épouse la dame de compagnie de sa mère. Rapidement, il imagine que sa femme aime son ami d’enfance dont il a toujours été plus ou moins jaloux… Adapté d’un roman signé James Hilton, La proie du mort a été fait dans des conditions particulières : Robert Montgomery, n’appréciant guère que la MGM lui fasse endosser à nouveau le rôle d’un paranoïaque (1), avait décidé de faire la grève du zèle et de débiter son texte sans intonation (2). Le film n’est donc généralement pas bien considéré, le jeu distancié et impassible de Montgomery étant au centre des critiques (certains louèrent toutefois le style qu’il avait trouvé pour le rôle… il est vrai que cela accentue le caractère étrange du personnage). La proie du mort mérite tout de même notre attention. Le suspense y est assez réussi. L’ensemble est prenant grâce aux bonnes prestations d’Ingrid Bergman et de George Sanders et aussi grâce à une bonne fin, bien qu’un peu précipitée.
Elle:
Lui : 3 étoiles

Acteurs: Robert Montgomery, Ingrid Bergman, George Sanders, Lucile Watson
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(1) Robert Montgomery avait eu beaucoup de succès avec La force des ténèbres (Night must fall) de Richard Thorpe (1937) où il interprétait le rôle d’un psychopathe.
(2) Ingrid Bergman raconte ainsi le tournage dans son autobiographie. Robert Montgomery les avait prévenus, George Sanders et elle, dès le début du tournage qu’il ne jouerait pas le jeu. Résultat : deux metteurs en scène ont déclaré forfait avant que W.S. Van Dyke (qu’Ingrid Bergman trouvait odieux) ne prenne la relève.

24 avril 2012

La lettre du Kremlin (1970) de John Huston

Titre original : « The Kremlin letter »

La lettre du KremlinUn ex-officier de l’armée est recruté pour diriger une action d’espionnage : il s’agit d’aller à Moscou récupérer une lettre compromettante à la fois pour les américains et les russes… La décennie des années soixante a vu fleurir au cinéma le genre des films d’espionnage faciles et divertissants, James Bond en tête. Avec La lettre du Kremlin, John Huston prend le contrepied de cette image et cela explique en grande partie l’échec commercial du film : loin d’être affriolant, l’univers de l’espionnage qu’il nous dépeint est celui des coups bas, des traitrises, de l’exploitation sans scrupule des faiblesses de l’autre, et pire encore. Un portrait, froid et dur certes, mais certainement plus proche de la réalité. Tous ses personnages n’ont aucun sens moral, ce sont des mercenaires qui peuvent même changer facilement de camp. C’est un film sans héros. L’histoire, adaptée d’un roman de Noel Behn, est complexe, tortueuse même. John Huston filme de façon simple et directe, sans tape à l’œil ni morceau de bravoure. Les personnages ont des particularités très marquées, souvent surprenantes… Le casting, assez international, est de haute volée et, assez logiquement, l’interprétation est remarquable. La lettre du Kremlin est un beau film, une vision sur le monde de l’espionnage (et peut-être sur le monde tout court…)
Elle:
Lui : 4 étoiles

Acteurs: Patrick O’Neal, Bibi Andersson, George Sanders, Max von Sydow, Orson Welles, Richard Boone, Nigel Green, Barbara Parkins
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Remarques :
John Huston fait une apparition dans un petit rôle, celui de l’amiral au début du film.

17 avril 2012

Hangover Square (1945) de John Brahm

Hangover SquareA Londres, au tout début du XXe siècle, le compositeur George Bone doit finir d’écrire un concerto. Il a des périodes d’absence, où il perd le contrôle de lui-même et ne se rappelle de rien ensuite… Avec Hangover Square, le réalisateur d’origine allemande John Brahm cherche à reproduire le succès de son précédent film The Lodger. L’histoire est librement adaptée d’un roman de Patrick Hamilton (1), que l’on peut voir comme une variation du thème de Dr Jekyll et Mr Hyde. Une fois de plus, John Brahm joue beaucoup avec la brume et la nuit pour créer une forte ambiance avec ici un autre élément qui prend une certaine place : le feu. C’est le dernier rôle de l’acteur Laird Cregar qui allait décéder peu de temps après la fin du tournage (2). Il fait une très belle interprétation. Hangover Square est assez intense, à mi-chemin entre le film noir et le film psychologique. Il fait partie des trois ou quatre très beaux films de John Brahm (3).
Elle:
Lui : 4 étoiles

Acteurs: Laird Cregar, Linda Darnell, George Sanders, Faye Marlowe
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Remarques :
(1) Les romans de Patrick Hamilton ont également inspiré Hantise de George Cukor et La Corde de Hitchcock.

Hangover Square(2) Laird Cregar était un acteur de forte corpulence. Désireux de changer complètement, il fit une cure d’amaigrissement drastique, passant de 150 à 100 kgs en peu de temps. Son corps ne résista pas. Après une opération chirurgicale de l’estomac, il est mort d’une crise cardiaque à l’âge de 31 ans, avant même la sortie de Hangover Square.

(3) The Lodger (1944), Hangover Square (1945), The Locket (1946), auxquels on peut ajouter The Brasher Doubloon (1947).

10 avril 2012

Vivre libre (1943) de Jean Renoir

Titre original : « This land is mine »

Vivre librePendant la Seconde Guerre mondiale, dans la France occupée, un maitre d’école préfère ne pas voir la situation tragique de son pays. Secrètement amoureux de sa jeune voisine et collègue, il va se trouver malgré lui mêlé dans des actes anti-allemands… Dans la filmographie de Jean Renoir, les films qu’il a tournés à Hollywood sont les moins bien considérés, Vivre libre plus que tout autre. Sorti en France après la Libération, le film a été vivement critiqué pour le portrait faussé qu’il donnait de son pays. Pour comprendre le film, il faut garder à l’esprit que Vivre libre est film de propagande destiné au public américain : il s’agissait de promouvoir l’engagement militaire américain en Europe. Sur ce plan, le film a certainement atteint son but car ce fut un succès outre-Atlantique. Vu par un français, les défauts du film ressortent bien plus : une France de carton-pâte, la généralisation de la collaboration, une occupation allemande plus pernicieuse que brutale (le Major Keller fait preuve d’une bien grande subtilité dans la gestion des crises), des scènes improbables (le tribunal), des personnages très typés. Mais c’est là le lot de tous les films de propagande et Vivre libre s’en distingue par une belle interprétation, de Charles Laughton notamment. Son discours de fin au tribunal est un brillant et inspiré réquisitoire pour la Liberté, au lyrisme exaltant. Vivre libre n’est pas à classer parmi les grands films de Jean Renoir mais il ne mérite pas la désaffection dont il est l’objet.
Elle:
Lui : 3 étoiles

Acteurs: Charles Laughton, Maureen O’Hara, George Sanders, Walter Slezak, Kent Smith
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Remarques :
Bien que le générique annonce que l’histoire se déroule « quelque part en Europe », il est évident qu’il s’agit de la France, ne serait-ce que par les noms à consonance bien française.

Homonyme :
Vivre libre (Born free) film animalier de James Hill (1966)