15 février 2015

Les Fraises sauvages (1957) de Ingmar Bergman

Titre original : « Smultronstället »

Les fraises sauvagesLe professeur Borg, âgé de 78 ans, doit recevoir un prix couronnant ses cinquante années en tant de docteur. Il se rend en voiture à l’Université de Lund avec sa belle-fille Marianne. Pendant le trajet, il revit certains éléments de son passé… Ecrit et réalisé par Ingmar Bergman, Les Fraises sauvages fait partie des oeuvres les plus profondes du cinéma. Cet homme qui se sent proche de la mort porte un regard sur sa vie, à la fois par introspection et par le regard des autres, ce qui génère en lui une foule de sentiments variés, parfois contradictoires, qui le désorientent. La forme est aussi enthousiasmante que le fond car Bergman fait preuve d’une remarquable limpidité et d’une grande simplicité dans sa mise en scène ; rien n’est appuyé et pourtant tout est fort. En 1957, Bergman avait déjà une vingtaine de films à son actif mais il n’avait pas encore quarante ans : tant de maturité dans son cinéma et dans son propos qui aborde de nombreux aspects fondamentaux de la vie est assez exceptionnel. C’est d’autant plus étonnant que l’on sait qu’il y a souvent, dans ses films, une certaine identification de Bergman avec son personnage principal. Ce n’est pas un film sombre et amer, comme en témoigne la très belle fin ; la lucidité de son propos le place au-delà de cette simple problématique. Ce n’est pas non plus un film sur la mort, c’est bien plus un film sur la vie, sur ce qui la constitue, sur l’essence-même du passé. Comme j’ai pu personnellement le constater, Les Fraises sauvages est un film que l’on peut voir plusieurs fois, à des moments différents de notre vie, et ressentir différemment. Sa profondeur le permet.
Elle: 5 étoiles
Lui : 5 étoiles

Acteurs: Victor Sjöström, Bibi Andersson, Ingrid Thulin, Gunnar Björnstrand, Max von Sydow
Voir la fiche du film et la filmographie de Ingmar Bergman sur le site IMDB.

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Les Fraises sauvages d'Ingmar Bergman
Ingrid Thulin et Victor Sjöström dans Les Fraises sauvages d’Ingmar Bergman

Remarques :
* Victor Sjöström avait exactement l’âge de son personnage. Rappelons que Victor Sjöström est l’un des plus grands cinéastes du cinéma muet et, à ce titre, l’un des maîtres de Bergman. Ses films sont hélas assez difficiles à voir aujourd’hui. D’abord en Suède, puis à Hollywood entre 1924 et 1930 où il réalisa de grands films (notamment avec Lilian Gish) qui n’eurent jamais le succès qu’ils méritaient, ce cinéaste a toujours fait preuve d’un grand lyrisme dans ses réalisations mais aussi d’inventivité (voir sa filmographie sur IMDB). Les Fraises sauvages est son dernier film en tant qu’acteur puisqu’il est décédé deux ans plus tard.
* La première scène de rêve au début du film est un hommage au très beau film de Victor Sjöström La Charrette fantôme (1921).

17 janvier 2015

La Dernière Vague (1977) de Peter Weir

Titre original : « The Last Wave »

La dernière vagueAlors que des phénomènes météorologiques étranges apparaissent dans le ciel de Sydney, cinq aborigènes sont arrêtés et inculpés pour le meurtre de l’un des leurs dans des circonstances obscures. L’avocat David Burton est chargé de leur défense. Il est loin d’imaginer ce qu’il va découvrir… La Dernière Vague est un film très étrange où interviennent le surnaturel et les croyances liées aux traditions tribales aborigènes. Le plus remarquable est l’atmosphère que réussit à instiller habilement l’australien Peter Weir, dont c’est ici le troisième long métrage. Cette atmosphère d’abord nous intrigue et finit par nous fasciner et même nous envoûter. La frontière entre rêve et réalité paraît bien ténue, le mystère règne. En outre, le film nous montre ce sentiment de respect mêlé d’une culpabilité sourde de la société moderne australienne vis-à-vis des aborigènes. Du fait du traitement si particulier de son histoire, La Dernière Vague a permis d’attirer l’attention sur Peter Weir.
Elle:
Lui : 3 étoiles

Acteurs: Richard Chamberlain, Olivia Hamnett, David Gulpilil
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La Dernière Vague de Peter Weir
Richard Chamberlain et David Gulpilil dans La Dernière Vague de Peter Weir.

21 septembre 2014

Billy le menteur (1963) de John Schlesinger

Titre original : « Billy Liar »

Billy le menteurEmployé dans une entreprise de pompes funèbres, Billy vit toujours chez ses parents. Pour s’évader de sa morne existence, il s’invente un monde imaginaire, déforme la réalité, raconte qu’il va partir à Londres pour travailler comme scénariste pour l’humoriste Danny Boon (1)
Adaptation d’un roman de Keith Waterhouse déjà porté au théâtre, Billy le menteur nous offre le portrait assez attachant d’un jeune anglais assez désillusionné par le monde qui l’attend. Il est le reflet de cette jeunesse du début des années soixante qui aspirait à autre chose que la vie étriquée donnée en modèle par leurs parents. C’est un portrait sans complaisance toutefois car Billy est loin d’être parfait : s’il présente un mélange de naïveté et d’idéalisme, Billy est hélas incapable de s’engager vraiment pour faire aboutir ses projets et esquive tout par le mensonge. Il n’a pas l’audace de franchir le pas. L’humour est constant, par petites touches et l’interprétation de Tom Courtenay donne un certain charme à l’ensemble.
Elle:
Lui : 3 étoiles

Acteurs: Tom Courtenay, Helen Fraser, Julie Christie
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Remarque :
* Billy le menteur est le premier film de Julie Christie avec John Schlesinger, celui qui va vraiment lancer sa carrière.

(1) Aucun lien bien entendu avec l’acteur et humoriste français Dany Boon qui n’était d’ailleurs pas encore né…

Billy le menteur (Billy Liar)Tom Courtenay et Julie Christie dans Billy le menteur (Billy Liar) de John Schlesinger.

13 janvier 2014

Thomas l’imposteur (1965) de Georges Franju

Thomas l'imposteurEn 1914, alors que l’on craint que les allemands prennent Paris, la princesse de Bormes transforme son hôtel particulier en hôpital. Elle est aidée par un jeune sous-lieutenant qui s’est présenté comme le neveu du général De Fontenoy qui s’est illustré au front. Grâce à lui, les portes s’ouvrent et autorisations pour aller chercher les blessés sont plus faciles à obtenir… Thomas l’imposteur est adapté d’un roman que Jean Cocteau a écrit en 1923. L’écrivain a participé à l’écriture cette adaptation par Georges Franju (Cocteau était toutefois décédé au moment du tournage). Le thème est celui de la confrontation de deux mondes : celui du rêve dans l’esprit d’un garçon de 16 ans et celui de la réalité dans l’une de ses formes les plus dures, celle d’une guerre particulièrement meurtrière. La transposition au cinéma est très délicate car les images, par leur nature-même, tendent à renforcer l’un de ces deux mondes, celui de la réalité et le monde du rêve en devient d’autant plus difficile à exprimer. Georges Franju y parvient toutefois plutôt bien, nous gratifiant même de quelques « visions » irréelles (tel ce cheval fou à la crinière en feu ou encore ce lieu étrange où l’on ne sait plus où finit la terre et où commence la mer). Emmanuelle Riva est, une de fois de plus, merveilleuse.
Elle:
Lui : 4 étoiles

Acteurs: Emmanuelle Riva, Jean Servais, Fabrice Rouleau, Sophie Darès, Rosy Varte, Jean-Roger Caussimon
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Remarques :
* Fabrice Rouleau est le fils de Raymond Rouleau, acteur d’origine belge qui a beaucoup tourné dans les années 30, 40 et 50, et que l’on a parfois surnommé « le Cary Grant du cinéma français ». On le retrouve par exemple à l’affiche de Falbalas de Jacques Becker (1945). Il a également réalisé de nombreux films pour le cinéma et la télévision dont Les sorcières de Salem (1957) et Les amants de Teruel (1962).
*  L’homme qui danse avec Emmanuelle Riva lors du bal est André Méliès, le fils de Georges Méliès qui avait déjà joué par deux fois dans des films de Georges Franju : Le grand Méliès (1952) et Judex (1963).

16 juin 2013

Frigo fregoli (1921) de Buster Keaton et Edward F. Cline

Titre original : « The Play House »

Frigo fregoli(Court métrage de 22 minutes) Parmi tous les courts métrages que Buster Keaton a tournés entre 1920 et 1923, The Play House est sans aucun doute l’un des plus remarquables. Il s’ouvre avec une longue scène où Buster Keaton apparaît plusieurs fois dans la même image (jusqu’à neuf fois !), diversement déguisé et se donnant la réplique… Lorsque l’on sait que la seule technique possible à cette époque pour parvenir à un tel résultat était la double exposition, on mesure la rigueur et la maîtrise dont il a fallu faire preuve (1). Le résultat est réussi et assez spectaculaire. Tout cela n’est qu’un rêve mais nous ne sommes pas au bout de nos surprises car Buster Keaton joue avec les faux-semblants pendant tout le reste de The Play House : les apparences sont trompeuses, sa petite amie est devenue double, et il va même jusqu’à prendre la place d’un singe qui copie les comportements des hommes : il mime un singe qui mime les hommes ! Convalescent de sa récente blessure, Buster Keaton n’accomplit pas de cascades dans ce film mais cela n’empêche pas The Play House d’être absolument unique par son inventivité.
Elle:
Lui : 5 étoiles

Acteurs: Buster Keaton, Virginia Fox, Joe Roberts
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Remarque :
Le programme où Buster Keaton est mentionné à chaque ligne est une petite moquerie envers Thomas H. Ince : le réalisateur avait tendance à se mentionner plusieurs fois au générique de ses films.

(1) La double exposition consiste à placer un cache sur une partie de l’objectif, d’enregistrer un personnage, de rembobiner, d’inverser le cache et d’enregistrer le second personnage. Sachant que le défilement de la pellicule n’était pas motorisé, il fallait que l’opérateur tourne sa manivelle à exactement la même vitesse à chaque fois. Pour neuf personnages, il fallait faire cette opération neuf fois. Une boite spéciale a été construite autour de la caméra pour pouvoir actionner les caches.

(2) Buster Keaton s’était gravement blessé (cheville cassée) sur le tournage de The Electric House quelques mois auparavant et avait du stopper toute activité. Il n’était pas encore totalement remis lorsqu’il a tourné The Play House, premier film après son repos forcé. C’est d’ailleurs cette absence des écrans qui donna l’idée à Keaton d’offrir à ses fans non pas un seul Buster Keaton à l’écran mais plusieurs…

30 mai 2013

Les Aventures de Robinson Crusoé (1954) de Luis Buñuel

Titre original : « Robinson Crusoe »

Les aventures de Robinson CrusoéSeul rescapé d’un naufrage, Robinson Crusoé se retrouve seul sur une île de l’Atlantique. Il s’organise pour y vivre… Les Aventures de Robinson Crusoé est une oeuvre de commande. Luis Buñuel raconte dans ses mémoires avoir été peu enthousiasmé à l’idée d’adapter le roman de Daniel Defoe avant de s’intéresser à l’histoire. Le résultat est assez proche du livre mais on peut déceler la patte du cinéaste dans les scènes qu’il a ajoutées, les éléments de vie sexuelle et le rêve avec le père, et aussi dans certains passages sur la religion. Les Aventures de Robinson Crusoé est une belle réflexion sur la solitude, le besoin de vie en société. Le tournage prit plusieurs mois car la pellicule Pathécolor demandait une lumière particulière et Buñuel dit avoir été pratiquement aux ordres du chef opérateur. Le film eut beaucoup de succès et reste la meilleure adaptation de ce classique bien connu de la littérature.
Elle:
Lui : 3 étoiles

Acteurs: Dan O’Herlihy, Jaime Fernández
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Principales autres adaptations en long métrage :
L’île du maître (Man Friday) de Jack Gold (1975) avec Peter O’Toole
Crusoe de Caleb Deschanel (1988) avec Aidan Quinn
Robinson Crusoé de Rod Hardy & John Miller (1997) avec Pierce Brosnan

6 mars 2012

Dodes’ka-den (1970) de Akira Kurosawa

Titre original : « Dodesukaden »

DodeskadenAlors que le Japon est en plein boom économique, Akira Kurosawa adapte un roman de Shûgorô Yamamoto qui met en scène les habitants d’un petit bidonville en bordure d’une grande métropole japonaise. Kurosawa pense que « le miracle économique ne durera pas car il prend appui sur la misère morale et l’injustice ». Loin d’être un film rebutant ou misérabiliste, Dodes’Ka-den est un très beau film, d’une humanité rare. Dodes’Ka-den est une onomatopée que les enfants japonais utilisent pour imiter le bruit du train sur les rails. C’est le bruit que fait l’adolescent Rokuchan en conduisant son tramway imaginaire. Dodeskaden Il ouvre et clôt le film qui est centré sur une douzaine de personnages. Il y a beaucoup de choses dans Dodes’Ka-den : des drames, de l’humour, du rêve, de la poésie, de la beauté. Le film est d’ailleurs très beau plastiquement parlant : pour son premier film tourné en couleurs, Kurosawa a repeint tous les objets, même les plus anodins et a tout filmé en studio. Même le ciel est peint. Cela accroit ce sentiment d’être à côté du monde réel. Le dénuement des personnages permet à Kurosawa de mieux pénétrer les profondeurs de l’âme humaine. Il ne faut surtout pas se laisser effrayer par le sujet, Dodes’Ka-den est un film superbe, d’une très grande humanité.
Elle:
Lui : 5 étoiles

Acteurs: Yoshitaka Zushi, Tomoko Yamazaki, Yûko Kusunoki, Kunie Tanaka
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Remarques :
Entre Barberousse (également adapté d’un roman de Shûgorô Yamamoto) et Dodes’Ka-den, Kurosawa a été pressenti dans le cadre de plusieurs projets à Hollywood mais aucun n’a abouti.

Voir une critique plus complète de Dodes’Ka-den sur Dvdclassik