21 février 2014

Amour (2012) de Michael Haneke

AmourOctogénaires et professeurs de musique à la retraite, Georges et Anne vivent ensemble dans leur appartement parisien. Victime d’un accident vasculaire, Anne revient de l’hôpital paralysée du côté droit… Sur le sujet, ô combien délicat, de la fin de vie quand elle se déroule dans les pires conditions qui soient, Michael Haneke reste de façon assez surprenante au seul niveau de la description. Il décrit avec minutie et sans fard cette terrifiante descente, avec une grande justesse aussi, par exemple quand il s’agit de montrer comment la compassion, qui n’est en fait que de la culpabilité, de la fille se révèle être plus une gêne qu’un secours. Mais hélas, Haneke ne cherche pas à apporter une dimension supplémentaire comme l’aurait fait par exemple un Bergman et au final la vision de son film est simplement terriblement éprouvante. Oui, le sujet est difficile à traiter : on peut même se demander si la question de savoir comment gérer une telle situation ne serait-elle pas trop personnelle pour être traitée ? Qui pourrait prétendre donner des leçons en la matière ? Personnellement, je ne vois pas ce qu’un tel film apporte, à part un plaisir quasi masochiste à recevoir ainsi de façon frontale la terrible vision d’une situation que tout le monde redoute. Vu le succès du film, je veux bien croire qu’une dimension m’aurait échappé mais, après avoir consciencieusement lu certaines analyses et critiques positives, je ne l’ai pas encore trouvée.
Elle:
Lui : 1 étoile

Acteurs: Jean-Louis Trintignant, Emmanuelle Riva, Isabelle Huppert
Voir la fiche du film et la filmographie de Michael Haneke sur le site IMDB.

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Remarques :
* Palme d’Or à Cannes en 2012.
* Quand Jean-Louis Trintignant a lu le scénario pour la première fois, il a refusé le rôle et dit à Haneke : « Je suis content de l’avoir lu parce que, ça, c’est un film que je n’irai pas voir. » Ce n’est que grâce à l’insistance du réalisateur et de la productrice qu’il a finalement accepté. L’acteur n’avait rien tourné au cinéma depuis 2003 (un petit rôle dans Janis et John de Samuel Benchetrit) et auparavant Ceux qui m’aiment prendront le train de Patrice Chéreau en 1998.
* Le pianiste est interprété par Alexandre Tharaud en personne, magnifique pianiste (dont les CD sont tous un régal).

25 novembre 2013

Les Hommes contre (1970) de Francesco Rosi

Titre original : « Uomini contro »

Les hommes contrePremière Guerre mondiale. Nous sommes en 1916 dans le nord de l’Italie où les italiens se battent contre les autrichiens. Un général italien qui vient de perdre dans un mouvement de panique une position importante veut la reprendre coûte que coûte. Mais ce sommet de colline se révèle imprenable… Adapté d’un roman d’Emilio Lussu, Les Hommes contre n’est pas sans rappeler Les Sentiers de la gloire de Kubrick. Le film de Rosi est lui aussi un film militant qui dénonce la barbarie de la guerre et ses nombreuses morts inutiles, des morts d’autant plus révoltantes quand elles sont causées par l’obstination aveugle d’un ou deux officiers. Les faits rapportés sont réels et il y eut bien une mutinerie de soldats à l’été 1917 près de Santa Maria la Longa. Les Hommes contre est sorti en 1970, en résonance avec un certain courant pacifique et antimilitariste qui se développait alors. En Italie, un procès pour « dénigrement de l’armée » fut intenté mais se termina par un acquittement. Francesco Rosi est très direct dans sa démarche, nous livrant sans fard une dure réalité qui parle d’elle-même : tout discours devient inutile. L’interprétation est parfaite, jamais appuyée, sans aucun accent mélodramatique. Presque à la limite du documentaire, le film fait aujourd’hui oeuvre de mémoire.
Elle:
Lui : 4 étoiles

Acteurs: Mark Frechette, Alain Cuny, Gian Maria Volonté
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Remarque :
Emilio Lussu a réellement vécu en tant que soldat les évènements décrits (en 1916 et 1917). Il a écrit le livre Les Hommes contre beaucoup plus tard en 1938. Dans le film, il est représenté par le jeune Lieutenant Sassu. Comme son personnage, l’écrivain a été tout d’abord interventionniste (favorable à l’entrée en guerre de l’Italie contre L’Autriche et l’Allemagne) avant de changer d’opinion après avoir vu les atrocités de la guerre. La fin du livre est toutefois différente de la fin du film car il survivra. Dans l’Entre-deux guerres, il aura une activité politique et combattra activement le fascisme naissant. A la fin de la Seconde Guerre mondiale, il sera ministre dans le premier gouvernement d’unité nationale de l’Italie libérée.

>> Pour se faire une idée de l’accueil critique en France du film à sa sortie, lire les extraits de presse sur le site de la Cinémathèque Française.

23 avril 2013

Les Trois Lumières (1921) de Fritz Lang

Titre original : « Der müde Tod »

Les trois lumières(Film muet) Au Moyen-âge, un homme tout vêtu de noir, à la silhouette longiligne et au visage émacié, s’installe à la table d’un couple d’amoureux. A l’insu de la jeune fille, le jeune homme et l’homme tout en noir disparaissent peu après. Elle se lance à sa recherche… Der müde Tod (traduction littérale : La Mort lasse) est le premier film important de Fritz Lang, tourné juste avant Docteur Mabuse. Son scénario est signé par sa future femme, Théa von Harbou, qui a puisé son inspiration dans des contes et ballades germaniques. Original et riche, le film montre toute la créativité du couple. Il se compose en trois histoires très différentes encadrées par un prologue et un épilogue. La Mort met en effet la jeune femme à l’épreuve dans trois environnements, Bagdad, Venise et la Chine, où la mort est à chaque fois administrée par un symbole de pouvoir. « L’amour est aussi fort que la mort » lit-elle dans le Cantiques des cantiques mais c’est surtout contre le pouvoir qu’elle doit se battre à chaque fois et si la Mort est lasse, c’est face à la cruauté des hommes. S’inscrivant dans le courant expressionniste, le film est également original dans sa forme, riche de ses références picturales et agrémenté d’effets spéciaux. Malgré la pluralité de ses composantes, Les Trois Lumières forme un ensemble très cohérent, une véritable oeuvre de création d’un grand cinéaste.
Elle:
Lui : 4 étoiles

Acteurs: Lil Dagover, Walter Janssen, Bernhard Goetzke
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Remarque :
Douglas Faibanks a acheté les droits d’exploitation aux Etats Unis de Der müde Tod et en a retardé la sortie. Il s’est inspiré des effets spéciaux de la partie chinoise pour son film Le Voleur de Bagdad. Der müde Tod n’est ainsi sorti aux Etats Unis qu’en 1924 plusieurs mois après le film de Faibanks.

23 janvier 2013

Mort à Venise (1971) de Luchino Visconti

Titre original : « Morte a Venezia »

Mort à VeniseAu tout début du XXe siècle, un compositeur allemand vieillissant se rend à contrecœur à Venise pour un séjour de repos prescrit par son médecin. A l’Hôtel des Bains où il réside, il croise un adolescent polonais dont la beauté le fascine immédiatement… Mort à Venise est l’adaptation d’un court roman de Thomas Mann (1). C’est une œuvre traversée de nombreux thèmes forts (la recherche de la beauté, le désir, l’Art, l’isolement, le temps qui passe, la mort) où Visconti réalise une symbiose parfaite entre la forme et le sujet. C’est sur la beauté que cette symbiose est la plus évidente : par les costumes et les mouvements de caméra (superbes travellings), Visconti montre qu’il est dans le même type de démarche que son personnage qui a entièrement voué sa vie à la musique. Et surtout, en s’inspirant de Gustav Mahler pour ce même personnage, il réussit la plus belle fusion entre un film et sa musique, l’une des associations les plus parfaites (2). Mort à Venise n’est pas qu’une réflexion sur l’art et la beauté, ou encore sur le désir/fascination qui perturbe toutes nos certitudes : Visconti introduit de manière très forte les thèmes du temps, du déclin, de la mort. Le titre ne laisse aucun espoir et la citation qui ouvre le film est plus sombre encore (3). Visconti était alors lui-même très marqué par ces thèmes. Les images de Venise sont crépusculaires, exprimant la fin d’un monde, l’épidémie de choléra symbolisant la guerre qui approche. Avec peu de dialogues, Mort à Venise est un film qui se déroule lentement, tout en manifestant une forte présence.
Elle: 4 étoiles
Lui : 5 étoiles

Acteurs: Dirk Bogarde, Silvana Mangano, Björn Andrésen, Marisa Berenson, Romolo Valli
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(1) Visconti s’est également inspiré d’un autre roman de Thomas Mann, Le Docteur Faustus, pour les conversations sur beauté et la séquence de la maison close. On peut également penser qu’il a puisé son inspiration dans A la recherche du temps perdu de Proust, notamment pour certaines des séquences de l’hôtel.
(2) Adagietto de la 5e symphonie (4e mouvement) de Gustav Mahler. Cette symphonie a été composée entre 1901 et 1903 par le compositeur, soit la même époque que celle de Mort à Venise.
(3) « Celui qui a contemplé de ses yeux la beauté est déjà voué à la mort. » (Citation d’August von Platen-Hallermünde, poète allemand du début du XIXe)

18 janvier 2013

Restless (2011) de Gus Van Sant

RestlessLe jeune Enoch et Annabel assistent régulièrement et compulsivement à des enterrements. Ils font connaissance. Annabel confie à Enoch qu’elle n’a plus que quelques mois à vivre… Gus Van Sandt aborde dans Restless deux de ses sujets de prédilection : la jeunesse et la mort. Il traite cette histoire avec beaucoup de délicatesse et de fraîcheur. Il lui donne un caractère intemporel et soigne ses images pour traduire la beauté intérieure de ces deux êtres fragiles. Il est bien entendu difficile de ne pas être touché par l’histoire d’une jeune fille condamnée à une mort proche et certaine mais on peut néanmoins trouver ce drame romantique un peu trop naïf et artificiel, regretter que tout semble être fait pour nous émouvoir. Gus Van Sant et le scénariste Jason Lew disent se placer dans le prolongement d’Harold et Maude (1) et de Garden State (2). Beaucoup de critiques ont également fait le rapprochement avec Love Story (3)
Elle: 3 étoiles
Lui : 1 étoile

Acteurs: Henry Hopper, Mia Wasikowska, Ryo Kase
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(1) Harold and Maude d’Hal Ashby (1971) avec Ruth Gordon et Bud Cort.
(2) Garden State de Zach Braff (2005) avec Zach Braff et Natalie Portman
(3) Love Story d’Arthur Hiller (1971) avec Ali MacGraw et Ryan O’Neal.

8 décembre 2012

Dernier caprice (1961) de Yasujirô Ozu

Titre original : « Kohayagawa-ke no aki »
Autre titre français : « L’automne de la famille Kohayagawa »

Dernier capriceÂgé de 60 ans et père de trois filles, Manbei Kohayagawa laisse son beau-fils diriger la petite entreprise familiale de distillerie de saké pour jouir de la vie : il revoit secrètement une de ses anciennes maitresses au grand désespoir de sa seconde fille… Dernier caprice débute comme une comédie sur un thème proche de celui de Fin d’automne, un mariage que l’on aimerait voir arrangé à ceci près que la principale intéressée n’est pas informée. Dernier capriceMais peu à peu, le film change de registre et c’est le personnage de ce patriarche sexagénaire qui est au centre de l’histoire et, avec lui, un certain monde qui est aussi appelé à disparaître (petite entreprise familiale, quartier traditionnel avec son dédale de petites rues, habillement, etc.) On retrouve le thème du changement de culture dans le contraste entre les deux sœurs non mariées : l’une est veuve après un mariage que l’on suppose arrangé, elle porte le kimono traditionnel, l’autre désire faire un mariage d’amour et s’habille à l’occidentale. De multiples objets ou détails soulignent l’américanisation de la société japonaise (1). Mais le thème vers lequel se dirige Ozu est celui de la mort et la dernière image est assez noire ; c’est tout l’art d’Ozu de parvenir à ainsi passer progressivement d’un thème léger à un thème beaucoup plus grave. Une fois de plus, les images sont un ravissement pour les yeux, les plans sont superbes, merveilleusement construits. Si l’on peut trouver le propos un peu moins fort comparé à certains de ses autres films, Dernier caprice n’en est pas moins un très beau film.
Elle:
Lui : 4 étoiles

Acteurs: Ganjirô Nakamura, Setsuko Hara, Yôko Tsukasa, Michiyo Aratama, Daisuke Katô, Haruko Sugimura
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Remarque :
Dernier capriceDernier caprice est le dernier film d’Ozu tourné avec Setsuko Hara et l’avant-dernier film de l’actrice. Quelques jours après la mort de Yasujirô Ozu en 1963, elle disparaitra complètement du monde du cinéma à l’âge de 43 ans : cette très grande vedette, qui fut adulée au Japon par toute une génération, ne fera plus aucune apparition publique. A l’instar de son personnage dans Fin d’automne ou de Dernier caprice, elle se retirera pour vivre seule. Elle vit aujourd’hui à Kita-Kamakura, la ville du sud de Tokyo où est enterré Ozu. Dans ses carnets intimes, le cinéaste parle de tous ses acteurs… sauf Setsuko Hara, ce qui témoigne très certainement de l’intensité de leur relation.

(1) A propos de la chanson, chantée par le groupe d’étudiants, sur l’air de My Darling Clementine : peut-on voir là un petit clin d’œil d’Ozu à John Ford ?

22 février 2012

Le dernier voyage de Tanya (2010) de Aleksei Fedorchenko

Titre original : « Ovsyanki »

Le dernier voyage de TanyaDans un village au bord de la Volga en Russie, Aist est photographe dans une usine de papier. Il est aussi mémorialiste d’un peuple oublié d’origine finnoise dont il fait partie : les Mériens. Son patron lui demande de l’accompagner pour aller incinérer sa femme qui vient de mourir. Il désire l’emmener sur les lieux de leur lune de miel… Le dernier voyage de Tanya est un film à nul autre pareil. Il est étrange tout d’abord par son sujet, ces Mériens dont certainement bien peu de gens connaissaient l’existence : bien qu’ils se soient totalement intégrés dans la société slave, ils ont gardé certaines croyances, certaines coutumes dont beaucoup sont liées à l’eau qui est l’aboutissement ultime, le lieu de la mort, le passage vers un autre monde (1). L’eau est aussi un lieu de passage pour les vivants : les ponts ont une certaine présence dans le film depuis ce pont ondulant posé sur des boudins flottants au début de film jusqu’au pont ultime de la fin (belle métaphore aussi avec cette magnifique vue de nuit sur le pont de la grande ville, gorgé de véhicules alors qu’ils viennent de rencontrer des deux prostituées). Nos deux personnages parlent peu mais agissent avec sureté. Ils font le voyage avec deux petits oiseaux en cage qui les symbolisent, ce sont leur double en quelque sorte.

Le dernier voyage de Tanya est aussi particulier par son traitement. Pour mieux nous faire pénétrer cette Russie imprégnée de la mémoire des peuples qui la composent, le réalisateur filme des plans empreints de mélancolie, de vastes étendues qui font écho au silence des personnages. Aleksei Fedorchenko utilise merveilleusement les profondeurs de champ courtes, créant le flou soit par la focale elle-même, soit par une légère brume naturelle. Certains plans sont très graphiques (ah, ce plan sur le lac où passe sur la rive un interminable train qui crée une bordure mouvante en haut de l’image !) La musique, souvent discrète, participe à la mélancolie qui se dégage du film. Le dernier voyage de Tanya est autant un film beau et poétique qu’une réflexion sur notre acceptation de la mort.
Elle:
Lui : 4 étoiles

Acteurs: Igor Sergeev, Yuriy Tsurilo, Yuliya Aug
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Remarques :
* Le titre original du film Ovsyanki, signifie en russe « bruant », un petit passereau très répandu en Russie.
* Le dernier voyage de Tanya est le troisième film d’Aleksei Fedorchenko (44 ans) mais le premier distribué en France.
* La région où se déroule film est aux environs de Nizhny Novgorod, ville située à 300 kms à l’est de Moscou, au bord de la Volga : voir sur Google Maps (la zone où les Mériens sont implantés suit la Volga vers le nord-ouest jusque Yaroslav et le grand lac 300 kms au nord de Moscou).

(1) Etonnante scène où nous voyons dans un flash-back le père de Aist, poète qui ayant décidé de ne plus écrire, se débarrasse de sa machine à écrire, non pas en la jetant simplement, mais en allant sur au milieu de la Volga gelée, y faire avec grande difficulté un trou dans la glace pour y jeter sa machine au fond de l’eau.