27 septembre 2014

Jours de pêche en Patagonie (2012) de Carlos Sorin

Titre original : « Días de pesca »

Jours de pêche en PatagonieA 52 ans et après quelques ennuis de santé, Marco Tucci a une autre vision de la vie. Parti de Buenos-Aires, il se rend dans le sud de l’Argentine, en Patagonie, à la fois pour se trouver un nouveau hobby, la pêche au gros, et pour tenter de revoir sa fille qu’il a perdue de vue depuis quelques années… Ecrit et réalisé par l’argentin Carlos Sorin, Jours de pêche en Patagonie est film très humain reposant sur une histoire très simple. De cet homme qui a décidé de se tourner vers les autres, nous partageons les rencontres et les aspirations et peu à peu nous découvrons un peu de sa personnalité. Tout est en nuances, en petits riens qui finissent par former un tout. Carlos Sorin n’utilise aucun effet, aucun mouvement de caméra sophistiqué, mais il sait restituer une belle chaleur humaine. Hormis les deux acteurs principaux, le père et la fille, tous les autres acteurs sont non-professionnels.
Elle: 4 étoiles
Lui : 4 étoiles

Acteurs: Alejandro Awada, Victoria Almeida
Voir la fiche du film et la filmographie de Carlos Sorin sur le site IMDB.

Voir les autres films de Carlos Sorin chroniqués sur ce blog…

Remarque :
* Non seulement la ville de Puerto Deseado existe vraiment (port de pêche isolé de 10 000 habitants non loin de la Terre de Feu, à environ 2 000 kms de Buenos-Aires) mais la petite société qui organise l’excursion de pêche en mer existe elle aussi réellement.

Jours de pêche en Patagonie (Días de pesca)Alejandro Awada dans Jours de pêche en Patagonie (Días de pesca) de Carlos Sorin.

5 septembre 2014

Miss Bala (2011) de Gerardo Naranjo

Miss BalaMexique, années 2000. Alors qu’elle s’apprête à participer à un concours de beauté pour faire plaisir à son amie, une jeune fille est kidnappée par un cartel de la drogue. Elle est ensuite forcée de participer à des opérations… Au travers de cette histoire, le réalisateur mexicain Gerardo Naranjo dresse un portrait de son pays où le trafic de drogue a pris une importance considérable. Il montre à quel point la corruption est omniprésente : les cartels ont visiblement des agents à l’intérieur de la police et sont suffisamment organisés pour obtenir n’importe quelle information ; leur plus grand ennemi reste la DEA américaine (1). C’est un monde sans fard, sans luxe, où règne une amoralité sauvage. L’originalité de l’approche du réalisateur est de montrer cela au travers des yeux d’une innocente victime, impliquée malgré elle dans une situation dont elle ne peut se libérer. On ressent son anxiété, sa peur et sa tension constante par de longs plans-séquences. Au final, Miss Bala montre une indéniable force et une certaine profondeur.
Elle:
Lui : 3 étoiles

Acteurs: Stephanie Sigman, Noé Hernández
Voir la fiche du film et la filmographie de Gerardo Naranjo sur le site IMDB.

(1) La D.E.A. (Drug Enforcement Administration) américaine agit dans presque tous les pays d’Amérique centrale et d’Amérique du Sud pour épauler les autorités dans leur lutte contre les cartels de la drogue.

Miss BalaStephanie Sigman dans Miss Bala de Gerardo Naranjo.

22 août 2014

Bullhead (2011) de Michaël R. Roskam

Titre original : « Rundskop »

BullheadJacky est le fils aîné d’une importante famille d’agriculteurs et d’engraisseurs non loin de Liège en Belgique. A 33 ans, il apparaît comme un être renfermé et imprévisible, parfois violent. Sa collaboration avec un vétérinaire corrompu lui a permis de se forger une belle place dans le milieu de la mafia des hormones. Alors qu’ils s’apprêtent à traiter avec un nouveau revendeur, un enquêteur fédéral est assassiné… Bullhead est écrit et réalisé par Michaël R. Roskam. Pour son premier long métrage, il a réussi à créer une histoire très forte qui mêle habilement le thriller et le drame : sur fond de trafic d’hormones, c’est tout le passé de Jacky et ses lourds secrets qui refont surface. Le tour de force de Michaël Roskam est de parvenir à rendre attachant un personnage extrêmement bourru et violent (et, qui plus est, hors-la-loi) en nous donnant les clés de sa personnalité et en dévoilant sa grande vulnérabilité intérieure. L’atmosphère est lourde, sans édulcoration ; le récit apparaît très ancré dans ses racines locales donnant ainsi un fort parfum d’authenticité. Bullhead est un film rude, brutal même, mais finalement très convaincant par la profondeur de ses personnages.
Elle:
Lui : 4 étoiles

Acteurs: Matthias Schoenaerts, Jeroen Perceval, Jeanne Dandoy
Voir la fiche du film et la filmographie de Michaël R. Roskam sur le site IMDB.
Voir la fiche du film sur AlloCiné.

6 août 2014

The Housemaid (2010) de Im Sang-soo

Titre original : « Hanyo »

The HousemaidUne jeune femme se fait embaucher comme aide-gouvernante dans une riche maison bourgeoise. Elle doit céder aux avances du maitre de maison… Im Sang-soo devait certainement tirer un avantage de présenter The Housemaid comme un remake de La Servante de Kim Ki-young car, en réalité, les histoires n’ont que bien peu de points communs ! Disons plutôt qu’il s’agit d’une variation sur le même thème, à savoir une jeune servante embauchée par une famille. Plus qu’une intrigue psychologique, The Housemaid est un film qui désire explorer les rapports de classe entre riches et pauvres. L’histoire est simple et (hélas) prévisible, Im Sang-soo se focalisant sur le thème du sentiment de supériorité (le mari) et de l’arrivisme (la femme et sa mère). Plusieurs éléments ne sont pas crédibles et la fin est quelque peu outrancière. En fait, si le film se révèle plaisant à regarder, c’est surtout grâce à sa forme élégante : une superbe photographie, une composition des plans qui frise la perfection. Im Sang-soo joue beaucoup avec les symétries, les cadres. C’est un délice pour les yeux. Quel dommage que le contenu ne soit pas de la même qualité !
Elle: 2 étoiles
Lui : 3 étoiles

Acteurs: Jeon Do-yeon, Lee Jung-Jae, Yoon Yeo-jeong
Voir la fiche du film et la filmographie de Im Sang-soo sur le site IMDB.
Voir la fiche du film sur AlloCiné.

Voir les autres films de Im Sang-soo chroniqués sur ce blog…

Voir sur ce blog : La Servante de Kim Ki-Young (1960)…

Remarque :
Im Sang-soo poursuivra son exploration très critique de l’univers des ultrariches avec son film suivant L’Ivresse de l’argent (2012).

2 août 2014

Elena (2011) de Andrei Zvyagintsev

ElenaDans un appartement vaste et froid, Elena vit avec Vladimir, un homme âgé et riche. Elle rend visite régulièrement à son fils sans emploi, auquel elle donne de l’argent, et à ses petits enfants. De son côté, Vladimir a une fille très libre d’esprit qu’il voit de temps à autre… Elena est une fable sur l’argent : bien qu’ils soient (re)mariés, les rapports entre Elena et Vladimir sont fortement marqués par l’argent, ils sont même très proches de rapports employeur à employée. C’est aussi un film sur la coexistence de deux mondes, celui de la réussite et celui de l’assistanat. Elena est en équilibre instable entre ces deux mondes, tentant de garder le lien avec l’un et l’autre. Le plus surprenant est qu’Andrei Zvyagintsev ne prend pas parti, il renvoie dos à dos riches et pauvres. Le film prend ainsi une connotation assez sombre. Finalement, le seul personnage estimable est sans doute celui de la fille (pourtant très antipathique au premier abord). Le réalisateur égratigne au passage la société russe actuelle, gangrénée par la corruption. Andrei Zvyagintsev traite son sujet en partant du quotidien, lentement, avec de très longs plans. Cette lenteur pourra dérouter mais c’est graphiquement très beau, avec une belle utilisation du format large dans les cadrages, et la musique de Philip Glass magnifie l’ensemble.
Elle: 3 étoiles
Lui : 4 étoiles

Acteurs: Nadezhda Markina, Andrey Smirnov, Elena Lyadova
Voir la fiche du film et la filmographie de Andrei Zvyagintsev sur le site IMDB.

Voir les autres films de Andrei Zvyagintsev chroniqués sur ce blog…

17 juillet 2014

The Place Beyond the Pines (2012) de Derek Cianfrance

The Place Beyond the PinesLuke est cascadeur à moto dans les fêtes foraines. De passage à Schenectady, il voit revenir vers lui Romina avec qui il a eu une aventure. Il découvre qu’elle vient d’avoir un fils et qu’il en est le père. Il décide de quitter son spectacle pour subvenir aux besoins de son fils et se fait engager comme mécanicien par un ancien braqueur de banques… L’histoire de The Place Beyond the Pines est en trois actes et s’étale sur deux générations. Elle mêle beaucoup de genres différents : c’est un récit romanesque, c’est un polar, c’est une tragédie, c’est un film social, c’est une histoire de vengeance. Derek Cianfrance semble avoir voulu mettre trop de choses et le résultat donne un peu l’impression d’un fourre-tout qui manque de cohérence et de profondeur. La forme, en revanche, est plus enthousiasmante avec une belle maitrise de la caméra et une réalisation moderne assez plaisante.
Elle:
Lui : 2 étoiles

Acteurs: Ryan Gosling, Bradley Cooper, Eva Mendes, Ray Liotta, Dane DeHaan
Voir la fiche du film et la filmographie de Derek Cianfrance sur le site IMDB.
Voir la fiche du film sur AlloCiné.

Remarque :
Le titre n’a aucun lien direct avec l’histoire. C’est la signification en iroquois du nom de la ville où se déroule l’action et où le film a été tourné : Schenectady (état de New York).

15 juillet 2014

Trois soeurs (2011) de Milagros Mumenthaler

Titre original : « Abrir puertas y ventanas »

Trois soeursTrois jeunes soeurs vivent ensemble dans une grande maison de Buenos Aires. Leur unique parent, leur grand-mère, vient de décéder. C’est l’été. Il fait très chaud. Les soeurs semblent assez proches, elles s’entraident beaucoup, mais ont des caractères différents. Rapidement, chacun s’interroge : rester ou partir ? … Trois soeurs est le premier long-métrage de la réalisatrice argentine Milagros Mumenthaler. Elle en a écrit le scénario. Ses trois jeunes filles sont dans une période de transition, elles sont indécises devant cette liberté inattendue, cette accroissement soudain du champ des possibles ; elles se positionnent les unes par rapport aux autres tout en aspirant à l’indépendance. L’un des thèmes forts de ce film est l’absence, l’absence de la grand-mère récemment décédée mais aussi l’absence des parents disparus depuis plus longtemps. Sur ce thème vient se greffer un début de sentiment d’incertitude sur ses origines (alimenté en outre par un autre élément que l’on découvre en cours de film). L’approche de la réalisatrice est assez étonnante : le scénario pourra sembler assez vide aux yeux de certains par l’absence de grands évènements (mais il ne l’est pas vraiment), le rythme est assez lent, nous sommes dans une position presque contemplative, sentiment accentué par ces mouvements, parfaitement maitrisés, d’une caméra qui semble avoir sa propre liberté. La communication peut parfois être silencieuse. Et il y a aussi les non-dits, de la part des personnages, mais aussi de la réalisatrice : la question des disparitions politiques n’est jamais évoquée mais il y a tout lieu de penser que les parents étaient des militants politiques (ce qui permet d’expliquer en outre « l’autre élément » précité). Trois soeurs est un film qui n’est pas sans défaut, il semble notamment s’étioler par instants (et il est sans doute aisé de rester en surface), mais ce huis clos ne manque pas de force et d’attrait.
Elle: 3 étoiles
Lui : 4 étoiles

Acteurs: María Canale, Martina Juncadella, Ailín Salas, Julián Tello
Voir la fiche du film et la filmographie de Milagros Mumenthaler sur le site IMDB.
Voir la fiche du film sur AlloCiné.

Remarque:
Trois sœurs, le film de Milagros Mumenthaler, n’a aucun lien avec la pièce homonyme de Tchekhov (même si on peut trouver certaines similitudes dans la situation de départ).

 

10 juillet 2014

Derrière la colline (2012) de Emin Alper

Titre original : « Tepenin ardi »

Derrière la collineAu pied de collines rocheuses, Faik mène une vie de fermier solitaire avec son métayer et sa femme. A son fils et ses petits-enfants venus en visite, il parle du danger des nomades qui traversent la région et font paitre leur troupeau de chèvres sur ses terres. La menace est là, invisible… Derrière la colline est le premier film écrit et réalisé par le cinéaste turc Emin Alper. Le film est avant tout une allégorie de la Turquie d’aujourd’hui (1), allégorie qui prend une belle ampleur par ses décors immenses où la nature semble former un cirque naturel. Ce que l’on craint, l’ennemi, est au delà des collines, hors du champ visuel. Son importance est exagérée, les craintes se s’autoalimentent par des conflits internes tus, des maladresses, voire des hallucinations. L’issue de cette escalade est inévitable. Avec une belle lenteur, Emin Alper sait créer une atmosphère, un climat basé sur la suggestion, un peu oppressant parfois, une sorte de huis clos en plein air. Derrière la colline est un film assez atypique. La beauté et la force de cette allégorie le rendent assez enthousiasmant.
Elle: 3 étoiles
Lui : 4 étoiles

Acteurs: Tamer Levent, Reha Özcan, Mehmet Ozgur, Berk Hakman
Voir la fiche du film et la filmographie de Emin Alper sur le site IMDB.
Voir la fiche du film sur AlloCiné.

(1) La Turquie d’aujourd’hui est « empoisonné par la paranoïa et la suspicion », déplore le metteur en scène. « Ici, je parle de la Turquie dont le climat politique est basé sur ce même besoin de se créer un ennemi. Que ce soit les Kurdes ou un soi-disant complot international sans compter d’innombrables conflits internes. Chez nous, les débats ne peuvent jamais être raisonnables. Car les théories du complot sabrent les fondations de tout débat politique », ajoute le réalisateur.

3 juillet 2014

Hannah Arendt (2012) de Margarethe von Trotta

Hannah ArendtEn 1961, la philosophe juive allemande Hannah Arendt est envoyée à Jérusalem par le New Yorker pour couvrir le procès d’Adolf Eichmann, responsable de la déportation de millions de juifs. Alors qu’elle s’attendait à voir un monstre, elle est surprise de ne voir qu’un homme banal, un « falot », un homme « dépourvu de pensée ». Elle en tire un concept philosophique majeur sur la banalité du mal qui fait d’autant plus scandale que, dans le même texte, elle soulève la question des conseils juifs dans les déportations… Comment mettre en scène la pensée au cinéma est une question assez récurrente. La réalisatrice Margarethe von Trotta apporte ici une réponse convaincante, aidée il est vrai par une remarquable interprète, Barbara Sukowa. Loin du maniérisme agaçant des biopics et de ses effets, la cinéaste nous fait simplement accompagner Hannah Arendt dans sa réflexion et c’est cette démarche qui rend le film vraiment passionnant de bout en bout. Un bel exemple de la façon dont le cinéma peut ouvrir à la philosophie.
Elle:
Lui : 5 étoiles

Acteurs: Barbara Sukowa, Janet McTeer, Julia Jentsch
Voir la fiche du film et la filmographie de Margarethe von Trotta sur le site IMDB.
Voir les autres films de Margarethe von Trotta chroniqués sur ce blog…

Remarque :
Le livre écrit par Hannah Arendt à la suite du procès d’Eichmann est Eichmann à Jérusalem – Rapport sur la banalité du mal (Viking Press, 1963 – Gallimard pour la traduction française).

21 juin 2014

Faust (2011) de Aleksandr Sokurov

Faust« Librement inspiré de l’histoire de Goethe, Alexandre Sokourov réinterprète radicalement le mythe. Faust est un penseur, un rebelle et un pionnier, mais aussi un homme anonyme fait de chair et de sang conduit par la luxure, la cupidité et les impulsions. Après Moloch (Hitler), Taurus (Lenine) et Le soleil (Hirohito), Faust est la dernière partie de la tétralogie de Sokourov. » (Présentation du dossier de presse) Après trois films-portraits démystifiant trois dictateurs, Sokurov se penche plus généralement sur la nature humaine, montrant ses faiblesses, ses pulsions. Cet être imparfait n’est-il pas lui-même générateur des totalitarismes qu’il subit ? L’approche de Sokurov est fortement esthétisée, dans un style évoquant le « chaos métaphysique et grotesque d’un Jérôme Bosch » (1). Les premières minutes sont assez dures (si certaines personnes peuvent regarder sans ciller l’autopsie d’un cadavre à moitié putréfié, je dois avouer que je n’en fais pas partie) et le malaise perdure quelque peu durant tout le film, accentué par le rythme soutenu des dialogues et des sons qui forme souvent une certaine agression. Qu’il s’agisse d’une nouvelle et notable interprétation du mythe de Faust est indéniable, mais personnellement j’ai été plutôt rebuté par la forme.
Elle:
Lui : 2 étoiles

Acteurs: Johannes Zeiler, Anton Adasinsky, Isolda Dychauk
Voir la fiche du film et la filmographie de Aleksandr Sokurov sur le site IMDB.
Voir la fiche du film sur AlloCiné.
Voir les autres films de Aleksandr Sokurov chroniqués sur ce blog…

Voir les livres sur Aleksandr Sokurov

Principales adaptations du mythe de Faust :
Faust et Marguerite de Georges Méliès (1897)
La Damnation du Docteur Faust de Georges Méliès (1904)
Faust de F.W. Murnau (1926)
La beauté du diable de René Clair (1950) avec Gérard Philipe et Michel Simon
Marguerite de la nuit de Claude Autant-Lara (1955) avec Michèle Morgan et Yves Montand
Doctor Faustus de Richard Burton et Nevill Coghill (1967) avec Richard Burton et Elizabeth Taylor
Faust d’Alexandre Sokurov (2011)

(1) La formule est de Jean-François Rauger du Monde. Je me permets de la reprendre car je la trouve particulièrement juste et éclairante.