2 février 2015

Moana (1926) de Robert Flaherty

MoanaLe succès mondial de Nanook of the North permit à Robert Flaherty et à sa femme Frances d’aller passer deux années entières dans l’archipel des Samoa en plein Pacifique. Grâce à la petite fille du chef Seumanutafa, qui fut ami intime de Robert Louis Stevenson, ils vont pouvoir partager l’existence des Polynésiens qui vivent là en pleine harmonie avec la nature, à l’écart de toute civilisation moderne. Après le grand nord de Nanouk, ces îles prennent l’apparence d’un véritable paradis terrestre avec ses scènes de cueillette, de pêche et de chasse. Moana nous en montre tous les aspects, ce qui est très intéressant. Toute la fin du film est consacrée au rite de passage d’un jeune samoan au statut d’Homme, partie qui il faut bien l’avouer paraît un peu longue, même si le caractère ethnologique de la démarche des époux Flaherty y est très nette (1). Roman Moana Le montage est travaillé, assez remarquable, et le cinéaste utilise parfaitement les gros plans pour nous placer près des corps. Contrairement à son prédécesseur, Moana n’eut pas les faveurs du public. L’une des explications que l’on peut avancer pour expliquer cet insuccès est l’absence de danger apparent ou de tension. Moana de Robert Flaherty est néanmoins un très beau film que nous pouvons voir aujourd’hui dans une version restaurée et (fort bien) sonorisée en 1980 par Monica Flaherty, sa fille, qui a accompagné le tournage… âgée de trois ans. C’est l’un des films fondateurs du genre documentaire.
Elle:
Lui : 3 étoiles

Acteurs:
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(1) Il semblerait que ce rite était tombé en désuétude et qu’il n’ait été ravivé que pour le film.

Moana de Robert Flaherty

5 août 2014

Dersou Ouzala (1975) de Akira Kurosawa

Titre original : « Dersu Uzala »

Dersou OuzalaEn 1902, le géographe militaire russe Vladimir Arseniev explore une région sauvage de la taïga sibérienne. Dans la forêt, il rencontre un vieux chasseur et lui propose de devenir son guide. L’homme s’appelle Dersu Uzala. Sa parfaite connaissance de la forêt va grandement aider l’explorateur et les deux hommes vont devenir amis… Après les échecs commerciaux de Barberousse et de Dodes’ka-den, Kurosawa s’était quelque peu retiré et il a fallu que les soviétiques lui propose cette adaptation pour qu’il retrouve l’envie. Dersou Ouzala décrit la rencontre entre deux hommes qu’à priori tout oppose. Citadin et scientifique, Arseniev reste toutefois très ouvert d’esprit et avide de connaissances face à l’instinctif Derzou, l’homme en communion avec la nature, qui la « sent », pour qui tous les animaux et même les objets sont des « gens ». Cette rencontre est à la fois un récit d’aventures, Dersou Ouzalaavec ses péripéties parfois assez intenses, et aussi une confrontation de deux conceptions de la place de l’homme dans la nature. La mise en scène de Kurosawa est d’un beau classicisme, sans précipitation, empreinte d’une certaine austérité (il serait plus exact de dire, sans ajout superfétatoire de lyrisme). Devant cette simplicité, on reste sous le charme.
Elle: 4 étoiles
Lui : 5 étoiles

Acteurs: Yuriy Solomin, Maksim Munzuk
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Remarques :
Dersou Ouzala* Le film est une coproduction de la japonaise Daiei et de la soviétique Mosfilm.
* Explorateur, géographe et ethnographe, Vladimir Arseniev est un officier-topographe de l’Armée impériale russe qui a exploré la Sibérie orientale au tout début du XXe siècle. Il a écrit deux livres :
Dersu Uzala (1907)
A travers l’Oussouri (1921)
( La Taïga de l’Oussouri – Mes expéditions avec le chasseur golde Derzou pour la traduction française parue chez Payot en 1939)
* La vallée de l’Oussouri, qu’explore Arseniev, est située dans la partie la plus orientale de la Sibérie. Longue de 900 kms, la rivière Oussouri forme sur une partie de son cours la frontière entre la Chine et la Russie. Elle jette ensuite dans le fleuve Amour.
* Les Goldes (ou Hezhen) désignent les populations vivant aux bords des fleuves Amour, Soungari et Oussouri. Le terme Hezhen est le plus général, Golde désignant plus particulièrement ceux qui vivent dans la partie russe.
* Dersu Uzala avait déjà été porté à l’écran en 1961 par Agasi Babayan, réalisateur soviétique d’origine arménienne, version très peu connue.

10 juillet 2014

Derrière la colline (2012) de Emin Alper

Titre original : « Tepenin ardi »

Derrière la collineAu pied de collines rocheuses, Faik mène une vie de fermier solitaire avec son métayer et sa femme. A son fils et ses petits-enfants venus en visite, il parle du danger des nomades qui traversent la région et font paitre leur troupeau de chèvres sur ses terres. La menace est là, invisible… Derrière la colline est le premier film écrit et réalisé par le cinéaste turc Emin Alper. Le film est avant tout une allégorie de la Turquie d’aujourd’hui (1), allégorie qui prend une belle ampleur par ses décors immenses où la nature semble former un cirque naturel. Ce que l’on craint, l’ennemi, est au delà des collines, hors du champ visuel. Son importance est exagérée, les craintes se s’autoalimentent par des conflits internes tus, des maladresses, voire des hallucinations. L’issue de cette escalade est inévitable. Avec une belle lenteur, Emin Alper sait créer une atmosphère, un climat basé sur la suggestion, un peu oppressant parfois, une sorte de huis clos en plein air. Derrière la colline est un film assez atypique. La beauté et la force de cette allégorie le rendent assez enthousiasmant.
Elle: 3 étoiles
Lui : 4 étoiles

Acteurs: Tamer Levent, Reha Özcan, Mehmet Ozgur, Berk Hakman
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(1) La Turquie d’aujourd’hui est « empoisonné par la paranoïa et la suspicion », déplore le metteur en scène. « Ici, je parle de la Turquie dont le climat politique est basé sur ce même besoin de se créer un ennemi. Que ce soit les Kurdes ou un soi-disant complot international sans compter d’innombrables conflits internes. Chez nous, les débats ne peuvent jamais être raisonnables. Car les théories du complot sabrent les fondations de tout débat politique », ajoute le réalisateur.

1 juin 2013

Délivrance (1972) de John Boorman

Titre original : « Deliverance »

DélivranceApprenant que la construction d’un barrage va entraîner la disparation d’une rivière de montagne, quatre citadins en mal d’aventures décident de la descendre en canoë. C’est à leurs yeux un hommage à la nature sauvage…
Délivrance est tiré d’un roman de James Dickey qui en a écrit lui-même l’adaptation. Boorman en fait un film puissant qui met à mal le mythe de la nature bienveillante : ces quatre citadins en quête de nature vont se heurter durement à son caractère hostile et primitif et découvrir, bien malgré eux, sa capacité à révéler les instincts. Nous sommes donc loin de l’image du paradis perdu. En outre, Boorman souligne de manière appuyée l’impossibilité de communication entre le monde urbain et le monde rural, y compris au niveau des hommes. La seule passerelle, bien fugitive, entre les deux mondes ne se fait qu’à un instant, grâce à un dialogue musical (1). Délivrance est un film assez dérangeant par son caractère brut et sa violence bestiale. Il n’y a toutefois aucun excès, le film est admirablement construit et maitrisé. Le budget fut pourtant assez réduit, forçant les acteurs à accomplir eux-mêmes beaucoup des scènes périlleuses et à pagayer longuement… Le film est, au final, d’une force peu commune.
Elle: 3 étoiles
Lui : 5 étoiles

Acteurs: Jon Voight, Burt Reynolds, Ned Beatty, Ronny Cox
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Remarques :
* Le roman de James Dickey mettait en avant les méfaits de la civilisation sur la nature. John Boorman en a donc presque retourné le propos.
* Au moment de sa sortie, certains ont vu dans Délivrance une allégorie de la guerre du Vietnam (où les soldats américains se sont heurtés à une nature hostile).

(1) Le célèbre morceau Dueling Banjos est basé sur l’instrumental Feudin’ banjos, composé dans les années cinquante par Arthur « Guitar Boogie » Smith, qui mettait face à face un banjo 4 cordes et un banjo 5 cordes (d’où le titre). Dans le film Délivrance, il est interprété par Eric Weissberg (banjo) et Steve Mandell (guitare). Il est devenu sous cette forme l’un des standards incontournables de la musique Bluegrass.

Delivrance

15 novembre 2012

Voyez comme ils dansent (2011) de Claude Miller

Voyez comme ils dansentLise entreprend de traverser le Canada d’ouest en Est en train avec une petite caméra pour en faire un film. Elle se remémore les années passées avec Vic, son mari, show man très connu… Adapté du roman La petite fille de Menno de l’américain Roy Parvin, Voyez comme ils dansent est un film qui peine à convaincre. Si la structure est intéressante, Miller cherchant à mêler étroitement les flashbacks au temps réel, le récit semble vraiment trop improbable et les personnages manquent singulièrement d’épaisseur. La confrontation entre les deux femmes, au milieu du film, n’aboutit qu’à peu de choses et se révèle très décevante. Marina Hands fait pourtant une très belle prestation avec toujours une belle douceur dans son jeu, tout en contraste face à James Thiérrée (le petit-fils de Charles Chaplin) au jeu plus spectaculaire mais qui, hélas, ne parvient guère à transmettre le caractère tourmenté de son personnage. On finit donc par se désintéresser assez vite de ce voyage sentimental et salvateur. Belles images de la nature canadienne et, accessoirement, le film est une belle publicité pour le Canadien, ce train qui traverse le Canada en quatre jours.
Elle:
Lui : 2 étoiles

Acteurs: Marina Hands, James Thiérrée, Maya Sansa
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14 septembre 2012

La ballade de l’impossible (2010) de Tran Anh Hung

Titre original : « Noruwei no mori »

La ballade de l'impossibleA Tokyo, à la fin des années soixante, le meilleur ami de Watanabe se suicide. Quelques mois plus tard, il retrouve Naoko, la petite amie de son ami disparu. Elle est fragile et repliée sur elle-même mais accepte de voir Watanabe… Noruwei no mori (1) est un roman d’Haruki Murakami qui a été vendu à plus de dix millions d’exemplaires rien qu’au Japon. C’est le réalisateur français d’origine vietnamienne Tran Anh Hung qui le porte à l’écran, tournant le film en japonais bien que ce ne soit pas sa langue. C’est une histoire très délicate et mélancolique sur la naissance de l’amour, la perte, le remord, le passage à l’âge adulte. Le film paraît assez inégal car il a des moments très intenses mais aussi de longues scènes où le réalisateur tente d’exprimer ce sentiment de langueur de ses personnages par un lyrisme trop appliqué. Il sait toutefois rendre ses personnages attachants. Très belle musique de Jonny Greenwood.
Elle:
Lui : 3 étoiles

Acteurs: Ken’ichi Matsuyama, Rinko Kikuchi, Kiko Mizuhara, Reika Kirishima
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(1) Noruwei no mori est la traduction en japonais de Norwegian Wood, titre d’une chanson des Beatles, écrite par John Lennon en 1965 et qui figure sur l’album Rubber Soul. « I once had a girl / Or should I say she once had me / She showed me her room / Isn’t it good Norwegian wood? » Le pin norvégien en question est celui des meubles du chalet où Lennon (en vacances en Suisse) rencontre son amie, tout comme les meubles du chalet de Naoko dans le film, dont c’est la chanson préférée. A noter que la chanson parle aussi d’un amour qui ne peut aboutir (en réalité, Lennon ne voulait être trop explicite puisqu’il était marié quand il l’a écrite).

3 août 2012

L’arbre aux sabots (1978) de Ermanno Olmi

Titre original : « L’albero degli zoccoli »

L'arbre aux sabotsLa vie d’une ferme lombarde à la fin du XIXe siècle, où vivent cinq familles de paysans sur des terres appartenant à un notable… L’arbre aux sabots est un film unique en son genre. Avec pour acteurs de simples paysans de la région de Bergame (1), filmant en 16 mm entièrement en lumière naturelle, Ermanno Olmi nous immerge dans un monde presque oublié. Les trois heures passent très rapidement. Sur l’espace de quatre saisons, nous assistons et partageons les évènements mais aussi le quotidien de cette vie très rurale. Le travail accompli par Ermanno Olmi est remarquable, la vérité de son regard force l’admiration. Il a su éviter tout spectaculaire et toute facilité pour rester dans la simplicité. Contrairement au 1900 de Bertolucci, L’arbre aux sabots ne porte pas de message politique. Beaucoup ont voulu en trouver un, déceler sous le récit quelque poison idéologique pernicieusement entrelacé… mais il n’en est rien. Le propos d’Ermanno Olmi est plus philosophique (2), il questionne sur le sens profond de la vie : en nous montrant les ancrages de cette société rurale (nature, famille, religion), il nous propose une réflexion sur les ancrages de la nôtre mais sans pour cela prôner un retour à d’anciennes valeurs. L’arbre aux sabots est ainsi un film d’une très grande portée.
Elle: 4 étoiles
Lui : 5 étoiles

Acteurs:
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L'arbre aux sabots(1) Bergame est situé en Lombardie à environ 50 km au nord-est de Milan. Ermanno Olmi est originaire de cette région. Le dialecte parlé dans le film, le bergamesque, est celui de ses grands-parents.  

(2) Dans un interview pour le journal Il Tempo, Olmi décrit ainsi le but de son film L’arbre aux sabots : « Certainement pas par nostalgie d’un monde désormais impossible à proposer, mais par besoin de nous confronter à nouveau avec une réalité que nous avons mise de côté trop hâtivement, sans rien décider de ce qu’il fallait conserver en vue d’une réalité différente mais qui n’est pas sans présenter des exigences semblables au plan spirituel et humain. »

20 juillet 2012

L’arbre (2010) de Julie Bertuccelli

Titre original : « The Tree »

L'arbrePeter et Dawn vivent avec leurs quatre enfants dans le bush australien. La mort brutale de Peter met un terme à leur bonheur. Simone, la fillette, imagine que l’esprit de son père est passé dans le grand arbre qui domine la maison, un gigantesque figuier qui semble doté de vie… L’arbre est la chronique assez émouvante d’une famille frappée par un décès que Julie Bertuccelli a su filmer sans forcer le trait. Le film oscille entre le conte et le réalisme sans vraiment choisir, ce qui le prive de développer sa personnalité. On peut ainsi certainement reprocher au film de manquer un peu profondeur et aussi d’être un peu trop consensuel. Charlotte Gainsbourg trouve le ton juste pour interpréter ce rôle avec beaucoup de sensibilité.
Elle: 3 étoiles
Lui : 2 étoiles

Acteurs: Charlotte Gainsbourg, Morgana Davies, Marton Csokas
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