1 juin 2013

Délivrance (1972) de John Boorman

Titre original : « Deliverance »

DélivranceApprenant que la construction d’un barrage va entraîner la disparation d’une rivière de montagne, quatre citadins en mal d’aventures décident de la descendre en canoë. C’est à leurs yeux un hommage à la nature sauvage…
Délivrance est tiré d’un roman de James Dickey qui en a écrit lui-même l’adaptation. Boorman en fait un film puissant qui met à mal le mythe de la nature bienveillante : ces quatre citadins en quête de nature vont se heurter durement à son caractère hostile et primitif et découvrir, bien malgré eux, sa capacité à révéler les instincts. Nous sommes donc loin de l’image du paradis perdu. En outre, Boorman souligne de manière appuyée l’impossibilité de communication entre le monde urbain et le monde rural, y compris au niveau des hommes. La seule passerelle, bien fugitive, entre les deux mondes ne se fait qu’à un instant, grâce à un dialogue musical (1). Délivrance est un film assez dérangeant par son caractère brut et sa violence bestiale. Il n’y a toutefois aucun excès, le film est admirablement construit et maitrisé. Le budget fut pourtant assez réduit, forçant les acteurs à accomplir eux-mêmes beaucoup des scènes périlleuses et à pagayer longuement… Le film est, au final, d’une force peu commune.
Elle: 3 étoiles
Lui : 5 étoiles

Acteurs: Jon Voight, Burt Reynolds, Ned Beatty, Ronny Cox
Voir la fiche du film et la filmographie de John Boorman sur le site IMDB.

Voir les autres films de John Boorman chroniqués sur ce blog…

Remarques :
* Le roman de James Dickey mettait en avant les méfaits de la civilisation sur la nature. John Boorman en a donc presque retourné le propos.
* Au moment de sa sortie, certains ont vu dans Délivrance une allégorie de la guerre du Vietnam (où les soldats américains se sont heurtés à une nature hostile).

(1) Le célèbre morceau Dueling Banjos est basé sur l’instrumental Feudin’ banjos, composé dans les années cinquante par Arthur « Guitar Boogie » Smith, qui mettait face à face un banjo 4 cordes et un banjo 5 cordes (d’où le titre). Dans le film Délivrance, il est interprété par Eric Weissberg (banjo) et Steve Mandell (guitare). Il est devenu sous cette forme l’un des standards incontournables de la musique Bluegrass.

Delivrance

7 réflexions sur « Délivrance (1972) de John Boorman »

  1. Vu son caractère anti-écologique, il est étonnant qu’il soit toujours tant plébiscité, surtout aujourd’hui !

  2. « Anti-écologique » est peut-être un peu fort pour désigner le film mais c’est vrai que Boorman (contrairement au livre apparemment) insiste sur le caractère hostile de la nature à l’état brut.

    (Evitez de lire ce qui suit si vous avez l’intention de voir le film prochainement)

    A propos de sa popularité : Je crois que de nombreux spectateurs et critiques ont vu dans le film surtout une attaque contre le caractère primitif de certaines populations des montagnes, ils ont accordé une grande place à la scène avec les deux montagnards, scène qui est effectivement assez frappante mais qui n’est pas tout le film.
    Le propos majeur du film me semble être que la nature sauvage va pousser ces quatre apprentis-aventuriers à accomplir des actes qu’ils n’auraient jamais faits en temps normal, des actes contraires à leurs convictions, des actes extrêmes. Et ils vont tous en sortir meurtris, blessés dans ce qu’ils ont de plus cher, marqués à vie pour avoir voulu communier avec la nature sauvage. Nous sommes loin du concept de « la nature bienveillante » qui était si répandu à l’époque et qui connait un regain aujourd’hui. Est-ce de l’anti-écologie ? Je n’en suis pas certain car on peut tout de même souhaiter préserver la nature sans se donner entièrement à elle… 😉

  3. Bonjour Luc, bonjour « Lui »,

    Je me permets d’intervenir dans votre débat. Attention également pour ceux qui n’ont pas vu le film à ne pas en lire trop…

    Vous lire m’a donné envie de relire ce que j’avais dit du long-métrage. Je me souviens maintenant que ce n’est pas la question de la nature malveillante qui avait le plus frappé mon attention ici. En effet, je crois effectivement que « Délivrance » est d’abord une histoire d’hommes entre eux. « Lui », vous avez évoqué la rencontre avec les deux montagnards, mais je pense que le ton est donné dès le début avec les autochtones et le fameux duel guitare/banjo. Il y a quelque chose de menaçant dès le début de l’expédition, en somme…

    Mais au-delà de cette opposition entre deux mondes, ce qui m’intéresse dans « Délivrance », c’est qu’il transforme, assez vite et assez radicalement, ce qui est censé être une bande de copains en quatre individualités assez peu solidaires finalement. Quand tout va bien, qu’on prend la route pour s’amuser, on rigole et on fait mine de s’apprécier. Mais aussitôt que quelque chose déraille, il semble qu’un rapport de domination s’installe dans ce petit groupe censé pourtant vouloir vivre une expérience commune. Suis-je le seul à penser que John Boorman a d’abord voulu dénoncer cet aspect de la nature… humaine ?

    En outre, je me souviens avoir été marqué par ce film parce que, quelque temps auparavant, j’avais revu « La forêt d’émeraude », du même John Boorman. La nature y est abordée en sens presque inverse, preuve, je crois, que le réalisateur n’était pas spécialement anti-écologique.

    Enfin bref, un film encore marquant, même aujourd’hui, 41 ans après sa sortie !

  4. Je ne suis pas tout à fait d’accord pour dire que la première rencontre a quelque chose de menaçant. Elle peut être perçue comme menaçante quand on sait à l’avance que l’expédition va mal se passer… mais considérez cette même scène en prélude à une expédition réussie, vous la verrez mieux sous son vrai jour : quatre citadins bravaches qui arrivent pleins de supériorité et de condescendance envers les « hillbillies ». Ils sont incapables de communiquer avec eux, sauf, et de manière ponctuelle, par la musique.

    (ne lisez pas ce qui suit si vous avez l’intention de voir le film)

    Je ne suis pas tout à fait d’accord non plus pour dire que Delivrance est une histoire d’hommes entre eux. D’ailleurs les 4 citadins ne forment pas un groupe uni, ils sont rarement sur le même longueur d’ondes, ce sont 4 individualités très différentes. Boorman, me semble t-il, ne s’intéresse pas aux rapports entre les membres du groupe. Il s’intéresse plus à la nature de l’homme. La nature sauvage va agir comme un révélateur. Dans La Forêt d’Emeraude, la nature agit positivement comme un révélateur , dans Delivrance, elle agit négativement. Elle va révéler le pire aspect de l’inconscient de chacun, souvent en opposition avec le vernis extérieur : le plus sage d’entre eux va ainsi tuer un homme dont le seul tort était de passer par là.

    Ceci dit, Martin, je viens de lire ce que vous aviez écrit sur votre blog, vous parlez d’ « une introspection sur la véritable nature de l’homme », et là je suis tout à fait d’accord… 🙂

  5. Bonjour du samedi 🙂

    Merci pour votre réponse. Je trouve notre échange intéressant et vos arguments pertinents. Cela dit…

    ATTENTION: NE PAS LIRE LA SUITE AVANT DE VOIR LE FILM !

    Je reste convaincu que la première rencontre avec les « hillbillies » (j’ai appris un mot, merci) est porteuse de menaces. La tête de ces gens m’est apparue exagérément « différente ». J’y vois, non pas le regard de Boorman, mais justement celui du quatuor citadin. Je vous rejoins: ces pseudo-héros sont bravaches et condescendants et, limite, prennent les autres pour des sauvages. Par certains aspects, j’ai eu l’impression de voir un film de vengeance, limite un western: tu ne respectes pas NOTRE nature, NOTRE nature te le fait payer !

    En ce sens, « La forêt d’émeraude » est un peu une continuité. Sauf que, cette fois, pas de vengeance, mais une découverte et une sensibilisation, à la manière douce. Encore que, douce, on peut aussi lire l’intrigue de ce second film comme l’histoire d’un enlèvement, il me semble…

    Quoiqu’il en soit, je trouve que c’est justement l’intérêt du cinéma: susciter des émotions et des interprétations différentes. Je crois que les meilleurs films ne sont jamais vraiment univoques.

  6. Merci pour vos commentaires éclairés et éclairants. Il y a des films dont on entend beaucoup parler, qui font partie de la catégorie des films dits « cultes ». Quand on finit par les regarder (ici, 47 ans de retard pour moi), il arrive parfois que l’on soit déçu avec une réaction du genre « tout ça pour ça ? » ou « much ado about nothing ». Cela n’a pas été le cas pour Délivrance. Même si je ne place pas Boorman au panthéon des cinéastes, je trouve que c’est une réussite remarquable. Je suis d’accord avec Martin pour dire que les meilleurs films ne sont jamais vraiment univoques. C’est le cas ici, car la complexité des personnages ouvre beaucoup d’interprétations possibles. Non seulement ils sont complexes, mais ils se transforment au cours du film, notamment Ed et Drew. Lewis se transforme aussi, mais c’est plutôt notre perception qui change, d’un athlète prototype du survivaliste à un homme blessé, réduit à sa souffrance, balloté dans le fonds d’un canot. C’est d’ailleurs le seul regret que j’aie : que Boorman n’ait pas davantage exploré la transformation de Lewis.

    Pour revenir sur la question de l’écologie, je ne perçois pas le film non plus comme un pamphlet contre l’aménagement de la nature. Lorsque les trois survivants arrivent au site de la construction du barrage, les images de construction ne sont pas tournées de façon menaçante, mais plutôt dans un sens apaisant de retour à la civilisation après la confrontation avec la violence de la nature et des montagnards.
    Martin a raison de souligner l’apparition des rapports de domination qui s’installent très vite dans le groupe mais je suis d’accord avec « Lui » pour dire que ce n’est pas le sujet principal du film.

  7. Oui, c’est le propre des grands films d’offrir plusieurs niveaux d’interprétation ou au moins de réflexion.
    Avec Délivrance, je ne pense pas que Boorman prenne position pour ou contre le façonnage de la nature par l’homme, je pense qu’il s’attaque surtout à l’idée d’assimiler la nature primitive à un Eden. Il nous montre qu’elle peut même avoir un effet négatif sur l’homme.
    C’est la revanche de Hobbes sur J.J. Rousseau…

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