4 février 2023

La Lune s’est levée (1955) de Kinuyo Tanaka

Titre original : « Tsuki wa noborinu »

La Lune s'est levée (Tsuki wa noborinu)Mokichi Asai vit à Nara auprès de ses trois filles : l’aînée Chizuru, revenue au domicile familial après la mort de son mari ; la cadette Ayako, en âge de se marier mais peu pressée de quitter les siens ; et la benjamine Setsuko, la plus exubérante, qui rêve de partir s’installer à la capitale. Cette dernière est très proche de Shoji, le jeune beau-frère de Chizuru qui loge provisoirement dans un temple à proximité…
La Lune s’est levée est un film japonais réalisé par Kinuyo Tanaka. C’est le deuxième long métrage de cette actrice-star passée à la réalisation (1). Le scénario a été écrit en 1947 par Yasujirō Ozu qui pensait le tourner lui-même mais le projet n’a pu voir le jour. Kinuyo Tanaka connait Ozu de longue date, elle a tourné dans ses tous premiers films dans les années 20 : de plus Ozu l’a activement soutenue dans les difficultés qu’elle rencontrait pour devenir réalisatrice (contrairement à Mizoguchi, dont elle fut l’égérie, qui chercha à la dissuader). De ce fait, le cinéma de Kinuyo Tanaka montre une influence marquée, on retrouve l’atmosphère des films d’Ozu et ses thèmes de prédilection : la famille, le mariage. Cela explique aussi que la réalisatrice n’a pas cherché à modifier le scénario, elle avait un grand respect pour le travail d’Ozu. Certaines phrases notamment dans l’épilogue sont ainsi inattendues de la part d’une femme-réalisatrice. Elle a su toutefois ici et là apporter une touche féminine dans les détails sur le quotidien des femmes. La Lune s’est levée parle de l’éveil à l’amour, de la difficulté à exprimer ses sentiments dans un cadre social assez rigide.
Elle:
Lui : 3 étoiles

Acteurs: Chishû Ryû, Shûji Sano, Yôko Sugi, Mie Kitahara, Kô Mishima, Shôji Yasui, Kinuyo Tanaka
Voir la fiche du film et la filmographie de Kinuyo Tanaka sur le site IMDB.

Voir les autres films de Kinuyo Tanaka chroniqués sur ce blog…

Remarque :
• Le scénario a été amendé à la demande d’un sponsor, la Nippon Telegraph and Telephone Public Corporation (ce qui explique ce passage si étrange sur les télécommunications!)
• La réalisatrice Kinuyo Tanaka tient le rôle d’une servante (Yoneya).

(1) Immense star dans son pays, Kinuyo Tanaka avait plus de 100 films à son actif quand elle est passée à la réalisation. Le désamour de son public suite à une campagne de dénigrement (elle était accusée de s’être trop américanisée lors d’une tournée aux Etats-Unis) la poussa à passer derrière la caméra. Elle fut ainsi la première femme réalisatrice japonaise après la guerre.

La Lune s'est levée (Tsuki wa noborinu)Hisako Yamane, Yôko Sugi et Mie Kitahara dans La Lune s’est levée (Tsuki wa noborinu) de Kinuyo Tanaka.
La Lune s'est levée (Tsuki wa noborinu)Chishû Ryû, Hisako Yamane et Yôko Sugi dans La Lune s’est levée (Tsuki wa noborinu) de Kinuyo Tanaka.

17 avril 2017

Mishima – une vie en quatre chapitres (1985) de Paul Schrader

Titre original : « Mishima: A Life in Four Chapters »

Mishima - une vie en quatre chapitresYukio Mishima est un célèbre écrivain japonais qui, au nom d’un nationalisme radical et meurtri, s’est donné la mort par seppuku, après avoir pris en otage un général et donné un discours aux soldats d’une caserne pour les exhorter à se soulever, le 25 novembre 1970. Ce film de Paul Schrader, issu des studios Zoetrope de Coppola et de LucasFilm de George Lucas, nous retrace son parcours pour tenter d’expliquer son geste dont la signification reste assez obscure et ouverte à interprétations. Il est, en tous cas, plus complexe que l’œuvre d’un simple illuminé d’extrême-droite. S’agit-il d’un geste purement artistique ? Quelle est l’influence de son homosexualité et de son masochisme ? D’où lui viennent ce désir obsessionnel d’agir et cette aspiration à harmoniser action et beauté ? Il faut bien avouer que, en tant qu’occidentaux, certains aspects nous échappent quelque peu (1). Le film offre seulement des pistes. Si l’on peut être déçu de l’absence d’explication, le film est indéniablement enthousiasmant par sa forme. La construction, tout d’abord : quatre chapitres explorant un thème précis, et largement constitués par la mise en scène de trois de ses livres les plus marquants. La photographie ensuite, notamment dans les passages littéraires qui jouissent d’une mise en scène épurée avec de magnifiques décors stylisés créés par Eiko Ishioka. Toute l’équipe artistique est en effet japonaise. Et enfin la musique de Philip Glass, très belle, envoutante dès les premières notes du générique de début. Tous ces éléments contribuent à faire de Mishima – une vie en quatre chapitres un film assez unique en son genre.
Elle:
Lui : 4 étoiles

Acteurs: Ken Ogata
Voir la fiche du film et la filmographie de Paul Schrader sur le site IMDB.
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Remarques :
* Palettes de couleurs :
– Les scènes de 1970 sont en couleurs faiblement saturées.
– Les flashbacks réels sont en noir et blanc.
– Les mises en scène des livres sont en couleurs vives :
– – dominante vert et or pour Temple of the Golden Pavilion
– – dominante rose et grise pour Koko’s House
– – dominante orange/rouge et noir pour Runaway Horses
* La musique :
– Scènes de 1970 : cordes et percussions
– Flashbacks réels : cordes
– Mise en scène des livres : orchestre
* Le film a ouvert le Festival de Cannes 1985 où il fut récompensé du Prix de la meilleure contribution artistique. Malgré ce prix, le film fut un échec commercial.

Mishima
Ken Ogata dans Mishima – une vie en quatre chapitres de Paul Schrader.

Mishima
Le Temple du Pavillon d’or : l’un des décors créés Eiko Ishioka pour dans Mishima – une vie en quatre chapitres de Paul Schrader.

Mishima
Chishû Ryû dans Mishima – une vie en quatre chapitres de Paul Schrader. La courte scène avec l’acteur fétiche d’Ozu avait été coupée de la version distribuée en 1985. Elle a été rétablie dans la version « director’s cut » apparue en 2008.

* Quelques éléments historiques :
– L’empereur Hirohito a renoncé à sa « nature divine » en 1946, au lendemain de la défaite du Japon.
– Depuis 1945, le Japon n’a officiellement plus d’armée mais des « forces d’autodéfense » (il faudra attendre les années 2000 pour voir des militaires japonais engagés dans des actions offensives internationales).
– L’organisation paramilitaire créée par Mishima en 1968, le Takenokai (Société du Bouclier), aspirait au rétablissement de l’empereur et de l’armée. Sa milice a compté jusqu’à 300 hommes, essentiellement des étudiants nationalistes (aujourd’hui, on dit « souverainistes »…) De façon totalement inhabituelle, ils ont pu bénéficier des facilités des forces officielles pour s’entraîner.

* Autre film sur le même sujet :
25 novembre 1970: Le jour où Mishima choisit son destin (2012) de Kôji Wakamatsu. Le cinéaste (plutôt sympathisant des mouvements d’extrême-gauche) analyse le geste de Mishima essentiellement sur le plan de l’engagement politique.

(1) La rapport de Mishima à la beauté est notamment très étrange : le héros de son livre Le Temple du Pavillon d’or veut détruire la beauté car elle le rabaisse, il est incapable de s’élever. Pour Mishima, la beauté est en effet une élévation. Il la mêle avec l’action, pour former l’aspiration ultime. D’où cette étrange fascination pour les corps et pour le sang versé. Faut-il avoir des ancêtres samouraï pour appréhender pleinement cette harmonie entre beauté et action ?

29 décembre 2012

Les salauds dorment en paix (1960) de Akira Kurosawa

Titre original : « Warui yatsu hodo yoku nemuru »

Les salauds dorment en paixLe grand patron Iwabuchi marie sa fille avec son secrétaire particulier. Lors du banquet, observé et commenté en aparté par des journalistes, plusieurs incidents se produisent : un policier vient arrêter l’un des comptables de la société, une fausse pièce montée fait allusion au suicide d’un employé de la compagnie… Les salauds dorment en paix est le premier film coproduit par la société de Kurosawa ce qui lui a donné plus de liberté sur le choix de son sujet : il s’attaque ici à la corruption et aux ententes illicites entre administration et grandes sociétés de construction pour les marchés publics. Il met en relief comment ces pratiques mafieuses s’appuient sur la tradition japonaise de grand respect de la hiérarchie. Dans cette recherche de vengeance personnelle, la trame puise son inspiration dans le Hamlet de Shakespeare, auteur qui a déjà inspiré Kurosawa (1). La réalisation est très belle avec une superbe utilisation du format large. Les salauds dorment en paix est l’un des films les moins connus de Kurosawa en Occident.
Elle:
Lui : 5 étoiles

Acteurs: Toshirô Mifune, Masayuki Mori, Kyôko Kagawa, Tatsuya Mihashi, Takashi Shimura, Takeshi Katô, Chishû Ryû, Seiji Miyaguchi
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(1) Kurosawa a adapté Macbeth dans Le Château de l’Araignée, deux ans auparavant.

18 décembre 2012

Fleurs d’équinoxe (1958) de Yasujirô Ozu

Titre original : « Higanbana »

Fleurs d'équinoxeWataru a beau se dire favorable aux mariages d’amour pour les jeunes, il refuse que sa fille se marie avec le jeune homme qu’elle aime : vexé de n’avoir été préalablement consulté, il s’oppose fermement et définitivement au mariage au risque de provoquer une rupture avec sa fille… Fleurs d’équinoxe est le premier film en couleurs d’Ozu qui aborde à nouveau le problème du mariage arrangé et les conflits entre générations au sein d’une famille. Il met en relief comment le refus d’évoluer ne peut mener qu’à des ruptures comme le montre l’exemple de son ami qui ne voit plus sa fille. Fleurs d'équinoxe Ozu est ici un peu moins subtil que dans ses autres films, il appuie son raisonnement en typant bien personnages et situations. C’est l’un des rares films d’Ozu où l’on voit un personnage si campé sur ses positions et tranchant avec ses proches. Le jeu des acteurs est un peu plus rigide, cela se sent surtout dans les personnages féminins. Fleurs d’équinoxe reste néanmoins un très beau film, avec notamment cette grande beauté graphique si particulière aux films d’Ozu.
Elle: 4 étoiles
Lui : 3 étoiles

Acteurs: Shin Saburi, Kinuyo Tanaka, Ineko Arima, Yoshiko Kuga, Keiji Sada, Teiji Takahashi, Miyuki Kuwano, Chishû Ryû
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Remarques :
* Le titre Fleurs d’équinoxe fait référence à l’amaryllis rouge dont la fleur fleurit à l’équinoxe d’automne. On peut d’ailleurs s’amuser à repérer l’utilisation de la couleur rouge tout au long du film (on peut commencer avec l’affiche : c’est la fille de Wataru qui est en rouge). L’automne est une allégorie pour désigner la génération de ces parents trop ancrés dans leurs traditions.

* Voir aussi nos commentaires sur une précédente vision

17 décembre 2012

Récit d’un propriétaire (1947) de Yasujirô Ozu

Titre original : « Nagaya shinshiroku »

Récit d'un propriétaireDans les faubourgs de Tokyo de l’Après-guerre, un petit garçon est trouvé par quelques habitants d’un quartier. Personne ne veut le prendre en charge et c’est Otane, une quincaillère sans enfants, qui le recueille sans enthousiasme… Récit d’un propriétaire est le premier film qu’Ozu a tourné après son retour de la guerre. Il met en scène un pays assez détruit dans lequel il est difficile de ne pas penser qu’à soi. Ozu filme le retour d’une certaine humanité par la renaissance de l’amour filial. Il parvient toujours aussi bien à mêler un peu d’humour dans un sujet plutôt grave et déroule placidement son récit, sans recherche d’effets mélodramatiques. Récit d’un propriétaire est film assez touchant qui a aussi un côté militant, prônant l’adoption alors que les orphelins de guerre étaient si nombreux.
Elle: 3 étoiles
Lui : 4 étoiles

Acteurs: Chôko Iida, Eitarô Ozawa, Mitsuko Yoshikawa, Chishû Ryû, Takeshi Sakamoto
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12 décembre 2012

Où sont les rêves de jeunesse? (1932) de Yasujirô Ozu

Titre original : « Seishun no yume imaizuko »

Où sont les rêves de jeunesse?(Film muet) Tetsuo est un étudiant qui mène une vie plutôt insouciante et assez peu studieuse. Il a trois amis avec lesquels il est très lié et n’est pas insensible aux charmes de la fille du boulanger. Quand son père meurt soudainement, il se retrouve propulsé à la tête de son entreprise. Il embauche ses anciens amis… Où sont les rêves de jeunesse? démarre sur un ton de comédie burlesque avec toutes les scènes de vie estudiantine et aussi la façon dont le père et le fils éconduisent une fiancée proposée par l’oncle. Ensuite, le film change de registre et vient mettre l’amitié des quatre compères à l’épreuve des réalités économiques. L’amitié peut-elle être la plus forte ? Compromissions, soumission et résignation sont-elles évitables ? En ce sens, le propos du film est assez proche de celui de Chœur de Tokyo mais la question est abordée ici sous un angle différent. Ozu réussit à mettre une certaine force dans son film comme dans cette scène où Shigeko et Tetsuo ont une explication, une scène vraiment bouleversante. Ozu introduit aussi une certaine violence lorsque Tetsuo frappe longuement son ami pour le forcer à relever la tête. Le réalisateur place déjà sa caméra assez bas.
Elle:
Lui : 4 étoiles

Acteurs: Ureo Egawa, Kinuyo Tanaka, Tatsuo Saitô, Chishû Ryû
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Remarque :
Une fois de plus, Ozu place des affiches de films américains dans ses décors : dans la boulangerie/café, on remarque Hell’s Angels d’Howard Hughes (1930) et Billy the Kid de King Vidor (1930) mais il y en a quatre autres. Dans la chambre de Shigeko, c’est un poster de Million Dollar Legs (Folies olympiques) d’Edward F. Cline (1932) avec W.C. Fields et il y en a un second.
Où sont les rêves de jeunesse? Où sont les rêves de jeunesse?Où sont les rêves de jeunesse? Chishû Ryû

Où sont les rêves de jeunesse?Où sont les rêves de jeunesse? Poster = ??Où sont les rêves de jeunesse?

9 décembre 2012

Le Goût du saké (1962) de Yasujirô Ozu

Titre original : « Sanma no aji »

Le goût du sakéTrois quinquagénaires qui se connaissent depuis le collège invitent au restaurant un de leurs anciens professeurs. Le vieil homme leur raconte qu’il vit toujours avec sa fille qui s’est sacrifiée pour ne pas le laisser seul. De ce fait, Hirayama, veuf lui aussi, se décide à marier sa fille le plus tôt possible pour ne pas devenir comme son ancien professeur… Dernier film d’Ozu, Le goût du saké traite de l’un de ses thèmes favoris : la séparation des générations dans une société en pleine transformation, entre traditions et américanisation. Bien sûr, Le goût du saké peut être vu comme une nouvelle variation de Printemps tardif mais, en réalité, il s’inscrit tout aussi bien dans la lignée de tous les films qui l’ont précédé depuis quinze ans. Dans la forme, on y retrouve tous les éléments constitutifs du style d’Ozu : le déroulement très placide du récit, sans dramatisation et sans spectaculaire, les plans fixes très graphiques, caméra au sol, le regard des acteurs. On note toujours cette profondeur dans le propos avec de nombreux thèmes sous-jacents ou induits, tel celui de la mort qui revient dans plusieurs de ses derniers films. Le goût du saké clôt remarquablement la filmographie de ce cinéaste unique qu’était Yasujirô Ozu.
Elle: 5 étoiles
Lui : 5 étoiles

Acteurs: Chishû Ryû, Shima Iwashita, Keiji Sada, Mariko Okada, Nobuo Nakamura, Eijirô Tôno, Kuniko Miyake
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Le Goût du saké

Remarques :
* Une traduction plus fidèle du titre serait plutôt « le goût du congre », le poisson que le vieux professeur mange pour la première avec ses anciens élèves.

* Le goût du saké est sorti en France fin 1978, quelques mois après Voyage à Tokyo. C’est donc le deuxième film d’Ozu que l’on a pu découvrir en France.

* Yasujirô Ozu est décédé l’année suivante en 1963, deux ans après sa mère avec laquelle il vivait depuis presque trente ans. Sur sa tombe ne figure qu’un seul caractère gravé dans un gros bloc de granit, 無 (mu) qui est un terme bouddhiste zen que l’on peut traduire par « le rien constant » ou « l’impermanence ». La traduction couramment donnée, « vide » ou « néant », semble donc bien incomplète.

Le Goût du saké

7 décembre 2012

Fin d’automne (1960) de Yasujirô Ozu

Titre original : « Akibiyori »

Fin d'automneLa jeune Ayako vit veule avec sa mère depuis la mort de son père. Trois amis de jeunesse du défunt se mettent en charge de lui trouver un mari. Mais Ayako n’a aucune envie de quitter sa mère… Fin d’automne reprend le thème de Printemps Tardif qu’Ozu a tourné onze ans auparavant mais sur un registre totalement différent, plus proche d’une comédie. Ce que le film perd en intensité, notamment dans les rapports entre la fille et sa mère, il le gagne en humour. Et le résultat est tout aussi enthousiasmant. Le ton est donc plus léger : si le mariage est arrangé, c’est ici moins par convenance sociale que par les attentions d’un entourage bien intentionné mais quelque peu maladroit. L’humour est ainsi très souvent présent par l’intermédiaire du trio de quinquagénaires, tous trois amoureux de la même femme (la mère) et qui cherchent d’une certaine manière à assouvir leurs désirs que par personne interposée. Par sa forme, le film est enchanteur avec les superbes plans fixes, très construits (1), caractéristiques du style d’Ozu et une belle utilisation de la couleur. Au delà son apparente légèreté, Fin d’automne est un film vraiment admirable.
Elle: 4 étoiles
Lui : 5 étoiles

Acteurs: Setsuko Hara, Yôko Tsukasa, Mariko Okada, Keiji Sada, Shin Saburi, Nobuo Nakamura, Ryûji Kita, Chishû Ryû
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Remarques :
* Setsuko Hara, qui interprétait le rôle de la fille dans Printemps tardif, interprète le rôle de la mère dans Fin d’automne.
* Fin d’automne est sorti en France en 1979. Ce fut ainsi le troisième film d’Ozu à sortir en salles après Voyage à Tokyo et Le goût du saké. En outre, la même année, le Ciné-club d’Antenne 2 avait diffusé Printemps tardif et Printemps précoce. Cela faisait donc cinq films connus.

(1) Hormis la position de la caméra, proche du sol, le style d’Ozu se caractérise par des plans fixes toujours très construits : le sujet principal est généralement centré avec des éléments dans le reste d’image qui servent de repoussoir pour ramener le regard vers le centre. Ainsi, on notera qu’il y a toujours un premier plan, que ce soit des portes coulissantes ouvertes (qui forment un « cadre dans le cadre »), ou une table basse, un objet. Il est d’ailleurs intéressant d’observer la gestion de la profondeur, tous les plans se structurant sur 3, 4 voire 5 niveaux de profondeur.

5 décembre 2012

Bonjour (1959) de Yasujirô Ozu

Titre original : « Ohayô »

BonjourDans un quartier récent de petites maisons serrées les unes contre les autres, deux jeunes garçons envient le poste de télévision d’un de leurs voisins. Face au refus catégorique de leurs parents d’en acheter une, ils entament une grève de la parole… Bonjour est une comédie qui met en scène la vie quotidienne dans un petit quartier moderne où règnent les commérages et les jalousies. Ozu met en relief l’illusion du modernisme, s’amuse avec nos habitudes de communication et nous montre le regard des enfants sur le monde des adultes. Le film est léger, avec beaucoup de fraîcheur et d’humour. Le parallèle a parfois été fait avec les films de Tati. On peut aussi lui trouver un certain caractère atemporel dans le sens où nous assistons aujourd’hui à une survalorisation assez similaire du matériel. Comparé aux autres films d’Ozu, Bonjour est certainement moins profond mais, en contrepartie, il pourra présenter l’avantage d’être facile d’accès.
Elle:
Lui : 4 étoiles

Acteurs: Keiji Sada, Yoshiko Kuga, Chishû Ryû, Kuniko Miyake, Haruko Sugimura
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Remarque :
Ozu avait tourné en 1932 un film sur un thème similaire : Gosses de Tokyo.

4 décembre 2012

Voyage à Tokyo (1953) de Yasujirô Ozu

Titre original : « Tôkyô monogatari »
Autre titre français : « Conte de Tokyo »

Conte de TokyoUn couple de provinciaux âgés vient à Tokyo rendre visite à leurs enfants. Leur fils, médecin de quartier très pris par son travail, et leur fille, commerçante grincheuse et égoïste, ne leur accordent que peu de temps et cherchent à s’en débarrasser en demander à leur belle-sœur de leur faire visiter la ville…
Pour beaucoup d’amateurs de cinéma, la découverte du cinéma de Yasujirô Ozu s’est faite avec Voyage à Tokyo qui fut son premier film à être distribué largement en France à la fin des années soixante-dix. Et ce fut un choc car son cinéma ne ressemblait à rien de ce que nous avions vu précédemment : plans fixes, caméra très basse (de ce fait les personnages, même accroupis, sont toujours vus en légère contre-plongée, ce qui les valorise sans toutefois que le spectateur en soit conscient), les champs-contrechamps à 180 degrés et les regards-caméra des acteurs (1)(ce qui nous met vraiment dans la peau des personnages), les très beaux plans (vides) de transition, la photographie épurée, les plans graphiques, le déroulement très placide du récit avec de vastes ellipses impromptues et surtout cette grande douceur et cette sensation d’harmonie et de sérénité qui se dégagent de ses images. Ozu nous immerge totalement, nous avons l’impression de partager étroitement la vie de ces êtres, le choc purement cinéphilique étant renforcé par le choc culturel. Le fond du propos de Voyage à Tokyo est la déliquescence des liens familiaux du fait de la modernisation de la société japonaise. Le contraste de l’égoïsme des enfants avec la grande pudeur du père ou l’altruisme de la belle-fille viennent appuyer le propos. Ozu n’a besoin d’aucun effet dramatique pour cela. Comme les meilleurs films d’Ozu, Voyage à Tokyo donne l’impression de nous traverser et transformer un petit quelque chose au fond de nous.
Elle: 5 étoiles
Lui : 5 étoiles

Acteurs: Chishû Ryû, Chieko Higashiyama, Setsuko Hara, Haruko Sugimura, Sô Yamamura, Kuniko Miyake, Kyôko Kagawa, Eijirô Tôno
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Remarques :
* Voyage à Tokyo a été écrit par Yasujirô Ozu et Kôgo Noda, son fidèle collaborateur avec lequel il a écrit pratiquement tous ses films des années cinquante et soixante.

* Chishû Ryû est particulièrement bien vieilli car l’acteur a moins de cinquante ans lors du tournage. Il fait une prestation remarquable.

* Voyage à Tokyo n’est sorti en France qu’en 1978 (Etats-Unis : 1964)

(1) Regard caméra = l’acteur regarde en direction de la caméra. Très tôt dans l’histoire du cinéma s’est établie la convention que l’acteur ne doit jamais regarder la caméra. A noter, toutefois, que techniquement parlant dans les films d’Ozu, ce n’est pas exactement un regard caméra, les acteurs regardant très légèrement au dessus ou à côté de la caméra, mais l’impression pour le spectateur est (presque) la même que le regard caméra.