10 juin 2013

Goupi Mains rouges (1943) de Jacques Becker

Goupi mains rougesAppelé par sa famille, un parisien rejoint la ferme familiale du clan des Goupi. Le jour même de son arrivée, Goupi Tisane, une vieille fille autoritaire qui régentait la famille, est retrouvée assassinée… Tourné pendant l’Occupation, Goupi Mains rouges est l’adaptation d’un roman de Pierre Very. Contrairement à la propagande pétainiste de l’époque qui glorifiait le monde paysan nourricier, ce portrait d’une famille rurale qui forme un clan opaque et règle elle-même ses affaires n’est nullement édulcoré : la cupidité est ici le principal moteur des comportements. Méfiance et médisance sont omniprésentes. Goupi Mains rouges est le deuxième film de Jacques Becker qui montre ici une grande maitrise dans la mise en scène, il insuffle beaucoup de vie dans cette histoire au point que l’intrigue policière passe un peu au second plan. Fernand Ledoux est parfait, comme bien souvent, mais le personnage le plus remarquablement interprété est celui de Goupi Tonkin par Robert Le Vigan. Le film eut beaucoup de succès à l’époque grâce à sa qualité bien entendu mais aussi parce qu’il permettait à une population urbaine, lassée de voir certains paysans s’enrichir au marché noir, de prendre en quelque sorte une revanche. Goupi Mains rouges fait partie des films les plus remarquables tournés sous l’Occupation.
Elle:
Lui : 4 étoiles

Acteurs: Fernand Ledoux, Georges Rollin, Robert Le Vigan
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26 mai 2013

Vivre sa vie (1962) de Jean-Luc Godard

Vivre sa vie: Film en douze tableauxVendeuse dans un magasin de disques, Nana a du mal à boucler ses fins de mois et se fait expulser de son logement. Pour l’argent, elle se prostitue une première fois et continue ensuite… Troisième long métrage de Jean-Luc Godard, Vivre sa vie porte le sous-titre Film en douze tableaux qui annonce sa structure, assez élégante. C’est le portrait d’une jeune femme de 22 ans qui vend son corps sans vendre son âme, et qui tente de garder le contrôle sur sa vie. Ce portrait prend parfois la forme d’une introspection vue de l’extérieur, ce qui est habile de la part de Godard. Il mêle à cette « pensée en marche » quelques éléments de film noir ; pas toujours très réussie, cette intégration est certainement le côté le moins réussi de son film. Anna Karina est le pivot central de Vivre sa vie : Godard filme celle qui est alors sa femme sous tous les angles, de dos, de face, avec même quelques superbes regards-caméra appuyés. Coiffée à la Louise Brooks, elle montre une magnifique présence, empreinte de naïveté et de douceur. Vivre sa vie est remarquablement construit et développé, Godard montrant une grande maîtrise dans sa réalisation.
Elle: 4 étoiles
Lui : 5 étoiles

Acteurs: Anna Karina, Sady Rebbot
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Remarques :
* Le texte lu par Godard en voix-off dans le dernier tableau est extrait de la nouvelle d’Edgar Allan Poe, « Le Portrait ovale ».
* Le philosophe qui discute avec Anna Karina dans le café est Brice Parain (c’est un vrai plaisir de l’écouter parler).
* Jean Ferrat apparaît dans une scène, devant un jukebox qui joue l’une de ses chansons, « Ma môme ».
* Le jeune homme taciturne qui joue au billard, puis qui lit Edgar Allan Poe est joué par Peter Kassovitz, père de Matthieu Kassovitz.

20 mai 2013

Poulet aux prunes (2011) de Marjane Satrapi et Vincent Paronnaud

Poulet aux prunesInconsolable depuis que son violon a été brisé, le grand musicien Nasser Ali Khan décide de mourir. Il se met au lit et attend la mort qui met plusieurs jours à venir, le temps pour lui de se laisser aller à ses rêveries sur son passé… Après Persepolis, Marjane Satrapi adapte avec son comparse, Vincent Paronnaud, une autre de ses bandes dessinées, Poulet aux prunes, cette fois en film avec des acteurs. Grace à une utilisation intelligente de différentes techniques, ils parviennent à créer une atmosphère à mi-chemin entre réalisme et conte persan. Cette atmosphère nous enveloppe pour nous emmener au gré de l’imagination de Marjane Satrapi dans différentes scènes qui, au final, forment un puzzle nous dévoilant la vie de ce musicien. Il y a beaucoup d’excellentes trouvailles et un humour délicat, souvent en forme de subtile dérision. Mis à part Mathieu Amalric, qui ne semble pas à l’aise dans son personnage et montre un jeu rigide et sans chaleur, l’interprétation est à la hauteur des personnages, sans aucun excès. Poulet aux prunes est un film assez joyeux, inventif avec un brin de magie et fort joliment tourné.
Elle: 4 étoiles
Lui : 4 étoiles

Acteurs: Mathieu Amalric, Edouard Baer, Maria de Medeiros, Golshifteh Farahani, Eric Caravaca, Chiara Mastroianni, Jamel Debbouze, Isabella Rossellini
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16 mai 2013

De bon matin (2011) de Jean-Marc Moutout

De bon matinUn lundi matin, Paul Wertret, cadre dans une banque à Annecy, arrive à son travail, sort un pistolet et tire sur deux de ses supérieurs directs… En se basant sur un fait divers réel survenu en 2004, Jean-Marc Moutout a écrit et réalisé De bon matin, film qui va retracer le portrait psychologique de cet homme. Pourquoi en est-il arrivé à une telle extrémité ? Le propos dépasse le cadre de l’analyse des rapports de force dans le monde du travail, car même si ceux-ci ont un rôle important, l’explication est aussi à chercher du côté de sa vie personnelle : c’est son idéal de vie qui s’écroule. Jean-Marc Moutout filme très près de son personnage comme pour nous faire entrer dans son raisonnement, il parvient à générer l’empathie sans la sympathie. Nous sommes à la fois près et loin du personnage. La construction est également habile, tout le film reposant sur une série de flashbacks sans ordre chronologique rigide.
Elle: 4 étoiles
Lui : 3 étoiles

Acteurs: Jean-Pierre Darroussin, Valérie Dréville, Xavier Beauvois, Yannick Renier
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15 mai 2013

Americano (2011) de Mathieu Demy

AmericanoMartin, qui vit avec Claire une relation sans entrain ni avenir, apprend la mort de sa mère restée en Californie après que ses parents se soient séparés. Il doit se rendre sur place pour s’occuper des formalités. Les images de son enfance refont alors surface… Americano est le premier long métrage de Mathieu Demy, fils d’Agnès Varda et de Jacques Demy. Il en interprète également le rôle principal. Le film est centré sur la quête d’un fils sur les traces de sa mère qu’il a peu connue. Mathieu Demy charge beaucoup trop son personnage qui apparaît à la fois écorché vif, asocial, incohérent et inconséquent. Il a tendance à agir comme un repoussoir. C’est d’autant plus préjudiciable au film que son personnage occupe tout l’espace, les seconds rôles n’étant finalement que bien peu développés.
Elle:
Lui : 2 étoiles

Acteurs: Mathieu Demy, Geraldine Chaplin, Chiara Mastroianni, Salma Hayek
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Remarque :
Toutes les séquences montrant Martin enfant sont extraites du film d’Agnès Varda Le Documenteur (1981) où le petit garçon est interprété par Mathieu Demy. Il avait alors 8 ans. La mère est jouée par Sabine Mamou, qui n’est pas actrice mais monteuse. Le film d’Agnès Varda racontait l’histoire de la secrétaire d’un scénariste qui venait avec son jeune fils à Los Angeles pour les besoins d’un film et qui souffrait de cet exil temporaire.

Homonyme :
Americano de Kevin Noland (2005) avec Joshua Jackson, Leonor Varela et Dennis Hopper

5 mai 2013

Le Havre (2011) de Aki Kaurismäki

Le HavreUn ex-écrivain bohème s’est volontairement exilé au Havre où il est cireur de chaussures. Il vit dans un petit quartier avec sa femme. Il trouve sur son chemin un jeune garçon, immigré clandestin d’Afrique Noire recherché par la police… Le Havre est le premier film qu’Aki Kaurismäki tourne en français. C’est une histoire assez universelle et atemporelle qui met en valeur l’humanité et la solidarité. Aki Kaurismäki insuffle beaucoup d’humour dans son récit, ne serait-ce que par le jeu des acteurs, avec des intonations très policées qui donnent une certaine noblesse (et même une certaine grandeur) aux personnages. C’est un style qui peut bien évidemment surprendre mais il suffit de se laisser gagner par l’atmosphère, finalement assez proche d’un conte. Ce style permet d’ailleurs de s’écarter du réalisme qui n’est pas ici recherché. L’histoire étant atemporelle, Kaurismäki mêle les époques, modernisme et nostalgie des années soixante se côtoient. Et l’image est superbe, Kaurismäki n’a pas son pareil pour créer une palette de couleurs subtile, un brin désuète, et dont les grandes masses de couleur peuvent évoquer l’univers de la bande dessinée style ligne claire. Le résultat lui est propre, assez unique et très beau. Sur le fond, Le Havre n’a pas de solution toute faite à donner, il met seulement en valeur les notions humaines d’humanisme et de liberté.
Elle: 4 étoiles
Lui : 4 étoiles

Acteurs: André Wilms, Kati Outinen, Jean-Pierre Darroussin
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Remarques :
* Originaire du Havre, Little Bob interprète son propre rôle, ainsi qu’un morceau avec son groupe.
* On remarquera la présence de Pierre Etaix, en improbable docteur, et de Jean-Pierre Léaud en voisin dénonciateur.

2 mai 2013

L’Histoire d’Adèle H. (1975) de François Truffaut

L'histoire d'Adèle H.Sous un faux nom, la fille cadette de Victor Hugo, Adèle, arrive par bateau à Halifax en 1863. Elle vient en Nouvelle-Écosse rejoindre un lieutenant de hussards britannique avec lequel elle a eu une brève idylle et qu’elle continue d’aimer avec force. Quand elle entre enfin en contact avec le jeune homme, celui-ci ne semble guère heureux de la revoir et la repousse… En se besant uniquement sur des faits réels et historiques, François Truffaut nous raconte l’histoire d’Adèle Hugo (1). Il porte sur cette histoire d’amour-passion à un seul personnage le même type de regard que sur le cas de L’Enfant sauvage : il observe et décrit ce glissement accepté vers la folie avec un détachement presque clinique. Certes on peut regretter une certaine froideur, qui normalement ne sied guère aux histoires d’amour-passion, mais Truffaut est un grand conteur et nous sommes captivés par son récit ; sa réalisation est d’un grand classicisme dans le sens noble du terme, tout ici est essentiel. Le montage est superbe, privilégiant la continuité du personnage plutôt que la continuité temporelle. C’est le premier grand rôle pour Isabelle Adjani qui livre une belle interprétation du type « habité par son personnage », mais sans aucun excès toutefois. Rejetée à la fois par l’homme qu’elle aime et par sa famille, elle s’enferme peu à peu dans la bulle qu’elle s’est créée. Il faut remarquer à quel point L’Histoire d’Adèle H. est un film à un seul personnage ; cela le rend encore plus remarquable.
Elle: 4 étoiles
Lui : 5 étoiles

Acteurs: Isabelle Adjani, Bruce Robinson
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Remarque :
* Bruce Robinson, l’acteur qui interprète le lieutenant, s’est ensuite tourné vers l’écriture de scénarios puis vers la réalisation.
* François Truffaut fait une apparition « cameo » : il est l’officier qu’Adèle pense avoir reconnu dans la rue peu après son arrivée à Halifax.

(1) Adèle Hugo est le cinquième enfant et la seconde fille de Victor Hugo. Sa mère se prénommait également Adèle. Sa soeur aînée, Léopoldine, s’est tuée dans un accident de bateau à l’âge de 19 ans, peu après son mariage, tragédie dont Victor Hugo n’est jamais vraiment remis. Léopoldine était la fille préférée de ses parents et Adèle a toujours vécu dans son ombre. Adèle a laissé un journal de 6000 pages.

30 avril 2013

Thérèse Desqueyroux (1962) de Georges Franju

Thérèse DesqueyrouxAccusée d’avoir tenté d’empoisonner son mari Bernard Desqueyroux, Thérèse sort libre du tribunal : grâce au témoignage de son époux en sa faveur, elle a bénéficié d’un non-lieu. Sur le chemin du retour, elle repense à sa vie passée et prépare la confession qu’elle va lui faire pour restaurer la communication entre eux… Georges Franju a tenu à faire une adaptation fidèle du roman Thérèse Desqueyroux de François Mauriac (1). L’académicien a d’ailleurs grandement participé à l’écriture du scénario. Franju parvient ainsi à préserver l’esprit littéraire qui, par exemple, se sent nettement dans la qualité des textes de la voix-off de Thérèse et même dans les dialogues. L’histoire met en relief l’immobilisme de la bourgeoisie terrienne de province qui fera tout pour préserver les apparences et conserver l’honneur de la famille. La jeune femme est totalement seule dans ce monde. La réalisation est d’un très beau classicisme. L’interprétation d’Emmanuelle Riva, empreinte à la fois de force et de douceur, confirme qu’elle est bien l’une des plus grandes actrices du cinéma français. Face à elle, Philippe Noiret exprime de manière éclatante toute la médiocrité de son personnage. Ce Thérèse Desqueyroux de Georges Franju est une superbe adaptation littéraire.
Elle: 5 étoiles
Lui : 4 étoiles

Acteurs: Emmanuelle Riva, Philippe Noiret, Edith Scob, Sami Frey
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Remake :
Thérèse Desqueyroux de Claude Miller (2012) avec Audrey Tautou

(1) Pour Thérèse Desqueyroux, roman sorti en 1927, François Mauriac s’est inspiré d’une affaire réelle très similaire et datant de 1905, celle d’Henriette Canaby.

22 avril 2013

Le tableau (2011) de Jean-François Laguionie

Le tableauDans un tableau, laissé inachevé par le peintre, les personnages ont pris vie et une hiérarchie s’est mise en place : le somptueux château a été investi par les « Toupins », personnages finis par le peintre et qui veulent asservir les autres personnages, les « Pafinis » (incomplètement peints) et les « Reufs » (esquisses crayonnées). Le peintre ne va pas revenir, affirment les Toupins pour asseoir leur suprématie. Refusant de baisser les bras, trois personnages vont partir à sa recherche… Le tableau est un film d’animation très original qui a le mérite de trancher assez nettement avec la production américaine actuelle. Il a été fait en 3D mais son aspect évoque le dessin et la peinture. Le réalisateur Jean-François Laguionie a soigné son quatrième film, gestation et réalisation ayant nécessité sept années. L’histoire en elle-même est une belle combinaison de naïveté et de magie. Le tableau peut donc être vu par tous les âges, même les très jeunes. Visuellement, il est très beau, très riche et varié, une source d’émerveillement constant.
Elle:
Lui : 4 étoiles

Acteurs:
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20 avril 2013

Le Trésor des Musgraves (1912) de Georges Tréville

Titre anglais : « The Musgrave Ritual »

The Musgrave Ritual(Muet, 18 minutes) Bien que le personnage de Sherlock Holmes ne soit pas parfaitement adapté au cinéma muet, les adaptations des enquêtes imaginées par Conan Doyle furent assez nombreuses dès les débuts du cinéma. Parmi les toutes premières, on trouve une série danoise interprétée par Viggo Larsen en 1909-1910 et une série jouée et réalisée par le français Georges Tréville pour la Société Française des Films Éclair en 1912-1913, avec une production franco-anglaise. Un film a été récemment retrouvé : Le Trésor des Musgraves. Cette enquête du célèbre détective utilise des décors intérieurs et extérieurs. Les plans sont fixes. Dans la construction, on remarquera la présence d’un flashback de plusieurs minutes où le coupable raconte son forfait. Georges Tréville est assez crédible en Sherlock Holmes même si, dans l’ensemble, le jeu des acteurs reste très théâtral (caractéristique de l’époque) et l’on a peu de mal à deviner le coupable dès son apparition! C’est un plaisir de pouvoir voir ce Trésor des Musgraves, bel exemple des toutes premières adaptations de Sherlock Holmes au cinéma.
Elle:
Lui : 2 étoiles

Acteurs: Georges Tréville
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Remarques :
* A la même époque, Georges Tréville a également interprété Arsène Lupin.
* Georges Tréville est à gauche sur la photo ci-dessus.