2 octobre 2013

Le jour du fléau (1975) de John Schlesinger

Titre original : « The Day of the Locust »

Le jour du fléauDans les années trente, un jeune directeur artistique, fraichement diplômé de l’université, arrive à Hollywood pour travailler à la Paramount. Il tombe amoureux de sa voisine, une jeune blonde qui rêve de gloire et d’argent mais doit se contenter de petits rôles de figuration… En adaptant le court roman satirique Nathanael West (1), John Schlesinger en a modifié le propos pour donner une vision apocalyptique d’Hollywood. La reconstitution est très minutieuse, appliquée même. Le scénario se disperse et s’essouffle sur quelques personnages plutôt mal définis. Le film est très inégal, le plus souvent long et ennuyeux avec toutefois quelques grandes scènes plus marquantes : citons le tournage de Waterloo qui se transforme en désastre et surtout, bien entendu, la scène finale, la première d’un film où la foule est prise de folie, sorte de Gomorrhe moderne. Cette dernière scène a assuré la renommée de ce Jour du fléau.
Elle:
Lui : 1 étoile

Acteurs: Donald Sutherland, Karen Black, Burgess Meredith, William Atherton, Geraldine Page
Voir la fiche du film et la filmographie de John Schlesinger sur le site IMDB.

Voir les autres films de John Schlesinger chroniqués sur ce blog…

Remarques :
* Le titre original, littéralement « le jour des sauterelles », fait référence à l’une des dix plaies d’Égypte de la Bible (les sauterelles couvrirent toute la terre, bloquant le soleil et dévorant toutes les plantes).
* La première du film The Bucaneer (Les Flibustiers) de Cecil B. DeMille eut lieu en janvier 1938 à La Nouvelle Orléans (et non à Hollywood). Cette première attira effectivement une foule de 15 000 personnes ce qui engendra de gigantesques embouteillages paralysant la ville (mais il n’y eut pas d’émeute…)
* On peut reprocher à l’acteur jouant le rôle de Dick Powell (arrivant à la première) de ne pas vraiment lui ressembler. Il s’agit pourtant de son fils : Dick Powell Jr.

(1) Nathanael West a écrit le roman The Day of the Locust (en français : L’Incendie de Los Angeles) en 1939. Il a été lui-même scénariste pour la Columbia et connaît donc bien le milieu du cinéma à Hollywood. Le livre décrit toutefois plus les personnes qui gravitent autour des gens de cinéma que les gens de cinéma eux-mêmes.

30 septembre 2013

L’Étoile des étoiles (1947) d’Alexander Hall

Titre original : « Down to Earth »

L'etoile des étoilesLorsque Danny Miller met en scène un show sur le thème de la mythologie grecque, cela ne plait guère aux vraies muses qui se trouvent représentées de façon trop vulgaire. Terpsichore, muse de la danse, obtient de pouvoir descendre sur la Terre, bien décidée à se faire engager comme danseuse afin de modifier le contenu de la pièce… Down to Earth est presque une suite de l’excellent Here comes Mr Jordan du même Alexander Hall : on y retrouve certains des personnages dans un contexte similaire (1). La forme est toutefois bien différente puisqu’il s’agit ici d’une comédie musicale ; la qualité aussi est différente car il faut bien avouer que l’ensemble est assez fade. Le scénario, pourtant original, n’est guère développé, la musique est sans originalité et même les chorégraphies de Jack Cole ne sont pas franchement remarquables (2). Il reste bien entendu le charme et la présence de Rita Hayworth, particulièrement rayonnante, qui sauve le film de l’oubli. Down to Earth eut beaucoup de succès à l’époque.
Elle:
Lui : 2 étoiles

Acteurs: Rita Hayworth, Larry Parks, Marc Platt, Roland Culver, James Gleason, Edward Everett Horton
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Remarques :
* Quand elle chante, Rita Hayworth est doublée par Anita Ellis. Larry Parks est quant à lui doublé par Hal Derwin.
* Dans la filmographie de Rita Hayworth, Down to Earth s’inscrit juste entre Gilda et La Dame de Shanghai, probablement ses deux plus grands films. Nous ne sommes pas ici au même niveau, hélas…
* Clin d’oeil : l’objet que lance Kitty dans le miroir est la même boule à neige que laisse tomber Charles Forster Kane en mourant dans Citizen Kane. C’est un clin d’oeil à Orson Welles qui était alors le mari de Rita Hayworth.

(1) Du film Here comes Mr Jordan (1941), on retrouve le personnage de Mr Jordan, interprété non plus par Claude Rains mais par Roland Culver (physiquement assez proche). Son adjoint, le Messager 7013 est interprété dans les deux films par le même acteur, Edward Everett Morton, tout comme l’agent sportif/artistique, par James Gleason.

(2) Jack Cole deviendra plus célèbre par la suite pour ses chorégraphies (citons par exemple Les hommes préfèrent les blondes ).

28 septembre 2013

Adieu, ma belle (1944) de Edward Dmytryk

Titre original : « Murder, My Sweet »
Autre titre : « Farewell, My Lovely » (UK)
Autre titre français : « Adieu ma jolie »
Autre titre français : « Le crime vient à la fin »

Adieu, ma belleLe détective Philip Marlowe est interrogé par la police. Blessé, il porte un bandage sur les yeux. Il raconte que tout a commencé lorsqu’un homme récemment sorti de prison lui a demandé de retrouver une femme… Adieu, ma belle est l’adaptation du deuxième roman policier de Raymond Chandler qui avait déjà servi de base à The Falcon Takes Over, deux ans auparavant. Cette fois, l’idée est de rester très proche du roman et de son univers. Edward Dmytryk y parvient merveilleusement. Tout d’abord, il prend soin à créer une atmosphère en soignant ses éclairages (1) et surtout il restitue ce sentiment de faire corps avec le détective : en plaçant tout le film dans un flashback et en faisant parler Marlowe en voix-off, il est ainsi très proche de l’esprit du roman qui est écrit à la première personne. Adieu, ma belle De plus, Dick Powell rend le détective très humain : il est notamment beaucoup plus fragile que ne le sera Bogart. L’histoire est bien entendu assez alambiquée, et si elle présente de petits points communs avec The Big Sleep et même The High Window (ses 1er et 3e romans), ce sont les thèmes récurrents des romans de Chandler. On remarquera les scènes hallucinogènes, fort bien rendues. Adieu, ma belle est aujourd’hui un peu dans l’ombre du Grand Sommeil de Hawks mais le film n’en est pas moins une superbe adaptation et mérite bien d’être classé parmi les meilleurs films noirs.
Elle:
Lui : 4 étoiles

Acteurs: Dick Powell, Claire Trevor, Anne Shirley, Otto Kruger, Mike Mazurki
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Remarques :
* Raymond Chandler a déclaré que Murder, My Sweet était la meilleure adaptation cinématographique d’un de ses romans et que Dick Powell était l’incarnation la plus fidèle de son détective Philip Marlowe.
* Le titre du roman de Chandler, Farewell, My Lovely, n’a pas été conservé par la RKO pour le film : le public américain pouvait penser avoir affaire à une comédie musicale, genre dans lequel Dick Powell s’était déjà illustré.
* Connu pour ses comédies, Dick Powell désirait changer de registre : RKO l’avait mis sous contrat pour qu’il tourne des comédies musicales et Dick Powell n’avait accepté que s’il avait la possibilité de d’avoir un rôle dramatique dans au moins un film.
* Murder, My Sweet est le premier film où apparaît le personnage Philip Marlowe (le personnage principal de la précédente adaptation du roman était The Falcon, justicier/enquêteur d’une série de films de la RKO).

Adaptation précédente :
The Falcon Takes Over d’Irving Reis (1942) avec Georges Sanders
Adaptation suivante :
Adieu, ma jolie (Farewell, My Lovely) de Dick Richards (1975) avec Robert Mitchum et Charlotte Rampling

(1) En matière d’éclairage, la scène où Marlowe voit son visiteur en reflet sur sa fenêtre est assez remarquable (à noter qu’Edward Dmytryk a obtenu l’effet en plaçant une vitre entre la caméra et la fenêtre afin d’avoir une tête suffisamment grande pour faire son effet). Tout aussi remarquable à mes yeux est cette scène où Claire Trevor éteint la lumière après avoir passé une robe de chambre : elle se retrouve alors plus éclairée qu’avant et pourtant cela paraît naturel (l’éclairage est alors très focalisé sur elle).

23 septembre 2013

Smithy (1924) de George Jeske

Titre français parfois utilisé : « Un gars du bâtiment »

Smithy(muet, 24 minutes) Rendu à la vie civile, un ancien soldat se fait embaucher sur un chantier de construction… Après un prologue à l’armée où Stan Laurel et James Finlayson s’affrontent hélas un peu trop brièvement, Smithy se déroule essentiellement sur le chantier de construction d’une maison. Stan Laurel apparaît ici sans son futur partenaire Oliver Hardy puisque le duo ne se formera que deux ans plus tard. L’humour est dans une veine d’humour pur slapstick, on se prend des coups et des objets divers sur la tête. Il y a quelques bons gags avec une échelle et aussi dans la queue d’embauche. Stan Laurel est ici totalement impassible, rappelant ainsi quelque peu Buster Keaton. Production Hal Roach.
Elle:
Lui : 2 étoiles

Acteurs: Stan Laurel, James Finlayson
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Remarques :
Il est intéressant de comparer le film avec ce que feront Stan Laurel et Oliver Hardy quatre ans plus tard sur un thème très similaire : Laurel et Hardy constructeurs (The Finishing Touch, 1928) de Clyde Bruckman et Leo McCarey. Un film bien plus abouti.

19 septembre 2013

L’Éventail de Lady Windermere (1925) d’Ernst Lubitsch

Titre original : « Lady Windermere’s Fan »

Lady Windermere's Fan(Film muet) Dans la haute société de Londres, Lord et Lady Windermere occupent une place de premier plan. Un matin, Lord Windermere reçoit une étrange lettre : une certaine Mrs Erlynne demande à le rencontrer pour éviter que certaines informations fâcheuses ne soient divulguées. Il se rend à son domicile… La pièce d’Oscar Wilde, L’Éventail de Lady Windermere, a été portée à l’écran (grand et petit) de nombreuses fois mais la version de Lubitsch reste la plus remarquable. La pièce écrite pour le théâtre comporte une grande quantité de textes et l’adapter en film muet est en soi une gageure. Lubitsch y parvient magnifiquement, de surcroit avec très peu d’intertitres : il réussit à tout dire par l’image, jouant beaucoup avec l’espace, les mouvements de caméra, le déplacement des personnages. La démesure des décors est assez notable : nous sommes dans la haute société et les pièces sont tellement hautes qu’il est impossible d’entrevoir le haut des fenêtres ou des portes (1). Lady Windermere's Fan Lubitsch a modifié quelque peu l’histoire originale mais en a gardé l’esprit, une satire des relations sociales bourgeoises, de l’hypocrisie et de la mesquinerie. A l’inverse des personnages, le spectateur est omniscient : Lubitsch nous dit tout et nous mesurons ainsi à quel point les personnages se trompent et tirent des conclusions erronées à partir d’informations partielles. Le drame et la comédie sont en symbiose, les touches d’humour sont constantes, inventives, subtilement entremêlées au drame qui se déroule devant nous. L’Éventail de Lady Windermere est un vrai petit bijou.
Elle:
Lui : 5 étoiles

Acteurs: Ronald Colman, Irene Rich, May McAvoy, Bert Lytell
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(1) A la vue de ces décors, la fameuse phrase « Doors ! Doors ! Doors ! » de Mary Pickford revient à l’esprit. L’actrice, qui avait joué deux ans plus tôt dans Rosita (1923), le premier film américain de Lubitsch, se plaignait qu’il s’intéresse plus aux portes qu’à elle. Elle l’avait qualifié de « director of doors ».

Autres adaptations :
Lady Windermere’s Fan de Fred Paul (1916)
Lady Windermeres Fächer de l’allemand Heinz Hilpert (1935) avec Lil Dagover
Historia de una mala mujer de l’argentin Luis Saslavsky (1948) avec Dolores del Rio
L’Éventail de Lady Windermere (The Fan) d’Otto Preminger (1949) avec Jeanne Crain, Madeleine Carroll et George Sanders
La séductrice (A Good Woman) de Mike Barker (2004) avec Helen Hunt et Scarlett Johansson

13 septembre 2013

Le Lys brisé (1919) de David W. Griffith

Titre original : « Broken Blossoms or The Yellow Man and the Girl »

Le lys briséUn jeune chinois quitte son pays pour aller convertir les européens au bouddhisme. Il échoue dans le quartier populaire de Limehouse à Londres où, totalement désillusionné, il tient une petite boutique. Non loin de son échoppe, une jeune fille vit très pauvrement avec son père, un boxeur coléreux qui la terrorise et la bat. Il va tenter de lui venir en aide… Loin de ses grandes productions précédentes, Griffith tourne Le lys brisé au lendemain de la guerre avec un tout petit budget, en seulement 18 jours et 18 nuits (1). Adapté d’une histoire écrite par Thomas Burke, il s’agit d’un grand mélodrame qui oppose le bien et mal, la beauté et le sordide, la cruauté et l’innocence. Sur le fond, il faut en outre noter que le film est sorti aux Etats-Unis à une époque où sévissait un fort sentiment antichinois, la crainte du « péril jaune » ; il faut donc certainement voir dans le propos de Griffith un message de tolérance. Sur la forme, le réalisateur s’est plus attaché à l’atmosphère qu’à la richesse des décors qui sont peu nombreux mais dotés d’une belle force évocatrice. Si le jeu de Donald Crisp est certainement un peu trop marqué, ses expressions étant parfois proches de la grimace, celui de Lillian Gish est assez phénoménal. L’actrice montre d’étonnantes qualités de pantomime et ces scènes où elle utilise ses doigts pour forcer son sourire sont restées célèbres. De son côté, Richard Barthelmess est particulièrement crédible en chinois, le film sera un tremplin pour sa carrière. Le lys brisé culmine d’intensité dans son dénouement avec la scène du placard où Lillian Gish est absolument terrifiée (2) ; une scène très angoissante. Tourné rapidement et simplement, Le lys brisé n’en est pas moins l’un des films les plus remarquables de Griffith. Le misérabilisme appuyé et le jeu marqué des acteurs peuvent le faire apparaître vieilli à nos yeux modernes mais il faut se laisser gagner par son atmosphère et sa puissance évocatrice pour l’apprécier. (Film muet)
Elle:
Lui : 3 étoiles

Acteurs: Lillian Gish, Richard Barthelmess, Donald Crisp
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Remarques :
Le lys brisé* Au moment du tournage, Lillian Gish était très affaiblie par la maladie. L’actrice avait été touchée par l’épidémie de grippe espagnole qui, à cette époque, fit de très nombreuses victimes. Sa performance n’en est que plus admirable.
* Le film fut produit par D.W. Griffith pour être distribué par Adolph Zukor. Ce dernier fut mécontent du film une fois fini et le refusa. Griffith le racheta alors à Zukor le double du prix du tournage pour le distribuer avec sa toute nouvelle compagnie United Artists. Ce fut financièrement très judicieux car le film connut un très grand succès.
* D’après Lilian Gish, le film était si bien planifié et répété que le montage fut réduit à couper le début et la fin de chaque scène avant de les mettre bout à bout. On peut toutefois s’étonner de cette affirmation quand on voit le montage alterné de certaines scènes et les flashbacks.
* Broken Blossoms est tombé dans le domaine public et, de ce fait, les copies disponibles sont très variables en qualité et en durée. Le film fait initialement 90 minutes, certaines scènes sont teintées : bleu, rose/rouge ou couleur or.

Remake :
Le lys brisé (Broken Blossoms) de l’anglais John Brahm (1936) avec Dolly Haas et Arthur Margetson.

(1) Les scènes avec Donald Crisp étaient généralement tournées de nuit car il dirigeait lui-même un autre film pendant la journée (dans toute sa carrière, Donal Crisp a joué dans 173 films et en a dirigé 72).

(2) On raconte que les cris de Lillian Gish lors du tournage de la scène du placard auraient attiré des passants qui cherchèrent à entrer dans le studio pour venir la secourir.

12 septembre 2013

Ce n’est qu’un au revoir (1955) de John Ford

Titre original : « The Long Gray Line »

Ce n'est qu'un au revoirUn immigrant irlandais arrive à l’académie militaire de West Point pour être employé de cuisine. Il va devenir instructeur de sport et y passer plus de 50 ans de sa vie… L’idée de tourner The Long Gray Line est venue d’Harry Cohn : alors que le fraîchement élu président Eisenhower avait réussi à obtenir une trêve en Corée, le dirigeant de la Columbia désirait lui rendre hommage et à l’Académie militaire dont il était issu. Avec son attirance pour le protocole militaire, John Ford était le réalisateur tout désigné pour le mettre en scène. Il reconstitue avec grande fidélité la vie à West Point, avec un caractère irlandais très appuyé et illustre les valeurs qui lui tiennent à coeur : la tradition, la famille, le code de l’honneur. Sur ce plan, le film peut paraître un peu répétitif mais Ford ajoute une dose d’humour à son propos, on peut même parler de comédie. C’est la première fois qu’il tourne en cinémascope, format qu’il a en horreur et qu’il qualifie de « court de tennis ». Effectivement, on ne retrouve pas cette perfection dans la composition à laquelle il nous avait habitués. The Long Gray Line peut sans aucun doute être qualifié de mineur dans la filmographie de John Ford.
Elle:
Lui : 2 étoiles

Acteurs: Tyrone Power, Maureen O’Hara, Robert Francis, Donald Crisp, Ward Bond
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Remarques :
* Le film est adapté du livre autobiographique Bringing Up The Brass: My 55 Years at West Point de Martin Maher, cosigné par Nardi Reeder Campion (1951). Selon l’armée elle-même, Martin Maher serait l’homme qui a connu personnellement le plus grand nombre d’officiers de l’armée des Etats Unis.
* Le titre anglais The Long Gray Line (= la longue ligne grise) fait référence aux alignements de cadets à l’uniforme bleu-gris :  la ligne symbolique du titre est celle des officiers que l’on envoie à la guerre, vers la mort. A ce propos, si John Ford fait une (courte et peu convaincante) petite critique du prix humain à payer, il retourne l’argument un peu plus tard pour se livrer à une virulente attaque contre la classe politique, utilisant ce lourd prix humain pour justifier l’immuabilité des traditions.

7 septembre 2013

Pulsions (1980) de Brian De Palma

Titre original : « Dressed to Kill »

PulsionsInsatisfaite dans son mariage, Kate Miller s’en confie à son psychiatre. Elle se rend ensuite dans un musée où elle est attirée par un bel inconnu… Ecrit par Brian De Palma, Pulsions est un film psychanalytique au suspense puissant dont le vecteur principal est l’attirance sexuelle. Une fois de plus (1), Brian De Palma rend un hommage (très) appuyé à Alfred Hitchcock, le film pouvant être vu comme une nouvelle variation du thème de Psychose. La plus belle scène est incontestablement celle du musée, une longue scène muette où tout se joue sur les regards (l’importance des regards est d’ailleurs une constante dans tout le film). Brian De Palma y montre en outre une grande dextérité dans les mouvements de caméra et Angie Dickinson, toute vêtue de blanc, dégage une présence et une sensualité rares. Cette scène est vraiment remarquable, une merveille. La tension est ensuite constante durant tout le film, parfaitement construit. Comme les meilleurs suspenses, le film fonctionne tout aussi bien après plusieurs visions. Il fait d’ailleurs partie de ces films que l’on n’oublie guère.
Elle:
Lui : 4 étoiles

Acteurs: Michael Caine, Angie Dickinson, Nancy Allen, Dennis Franz
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Remarques :
* La scène du musée, censée se dérouler au Metroplitan Museum of Art de New York, est en réalité tournée dans le Philadelphia Museum of Art.
* Nancy Allen était alors depuis peu la femme de Brian De Palma.

(1) Quatre ans plus tôt, Brian De Palma avait réalisé Obsession inspiré de Sueurs froides d’Alfred Hitchcock.  A noter que le scène du musée de Pulsions fait, elle aussi, référence à ce même film d’Hitchcock.

25 août 2013

La Chevauchée fantastique (1939) de John Ford

Titre original : « Stagecoach »

La chevauchée fantastiqueUne diligence part de la petite ville Tonto pour rallier Lordsburg. C’est une ligne régulière mais cette fois, le voyage est annoncé dangereux car Geronimo est sur le sentier de la guerre. A son bord prennent place sept personnes d’origines sociales très différentes… Dans le domaine du western, La Chevauchée fantastique est un tel modèle du genre qu’il est difficile d’imaginer à quel point qu’il était novateur à sa sortie. Avant lui, les westerns n’existaient en effet que sous forme de petites productions tournées rapidement (1). Le film de John Ford montre un degré de perfection encore jamais atteint dans le genre. Comme dans la nouvelle de Guy de Maupassant Boule de Suif dont elle est inspirée, l’histoire met un petit groupe de personnes représentatives de l’ensemble de la société dans une situation de danger. Les vraies natures se révèlent. C’est un microcosme non seulement de l’Ouest du XIXe siècle mais aussi de l’Amérique des années trente, l’Amérique de Roosevelt roulant vers une nouvelle prospérité (2). Tous ces personnages vont en tous cas devenir les figures classiques et incontournables du genre. La chevauchée fantastique Le déroulement est parfaitement maitrisé avec une montée graduelle de la tension pour aboutir sur une grande scène d’action. Il y a un beau contraste entre le huis clos des personnages et l’immensité majestueuse du décor. John Ford filme dans Monument Valley pour la première fois. C’est aussi la première fois que John Ford dirige John Wayne qui deviendra son acteur fétiche. La Chevauchée fantastique a servi de modèle à tant de films qu’il traverse le temps sans une ride.
Elle:
Lui : 5 étoiles

Acteurs: Claire Trevor, John Wayne, Andy Devine, John Carradine, Thomas Mitchell, Louise Platt, George Bancroft, Donald Meek
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Remarques :
La chevauchée fantastique* John Ford n’avait pas tourné de westerns depuis treize ans. Avant La Chevauchée fantastique, son précédent western est Three Bad Men (1926, muet).

* Anecdote célèbre : Un journaliste demande à John Ford « Dans la poursuite, pourquoi les indiens ne tirent-ils pas tout simplement dans les chevaux ? » John Ford lui répond : « Parce que cela aurait été la fin du film ! ». Au delà de la boutade (et John Ford n’a jamais beaucoup aimé les interviews), il faut savoir que Ford s’était documenté et savait donc que les indiens répugnaient à tuer les chevaux qui avaient pour eux une grande valeur ; ils s’intéressaient généralement plus aux chevaux qu’aux biens des voyageurs.

* Orson Welles a qualifié La Chevauchée fantastique de parfait manuel de la réalisation de film et dit l’avoir visionné 40 fois durant le tournage de Citizen Kane.

 

La chevauchée fantastique(1) Quelques mois avant La Chevauchée fantastique, le film Jesse James d’Henry King est toutefois sorti sur les écrans. C’est aussi une grande production (de surcroit, en couleurs) mais, moins abouti, le film aura un impact bien moindre que le film de John Ford.

(2) Lors de la Grande Dépression, John Ford a été frappé par le fait que les chômeurs se retrouvent jetés à la rue sans l’avoir mérité. Sa sympathie pour les victimes de la société et des préjugés est manifeste dans La Chevauchée fantastique. Sa représentation du banquier (qui, certes, ne porte pas de jugement mais est en fait indifférent à tout sauf à son magot, il est comme étranger à la société) est également à replacer dans cette optique pour mieux la comprendre.

Remakes :
La Diligence vers l’Ouest (Stagecoach) de Gordon Douglas (1966) avec Bing Crosby et Ann-Margret, un remake bien inutile…
Stagecoach de Ted Post (TV, 1986) avec Willie Nelson, Johnny Cash, Waylon Jennings et Kris Kristofferson

22 août 2013

Doux oiseau de jeunesse (1962) de Richard Brooks

Titre original : « Sweet Bird of Youth »

Doux oiseau de jeunesseParti depuis quelques années pour réussir, l’ex-barman Chance Wayne revient dans sa ville natale au volant d’une superbe Cadillac décapotable. Il est accompagné d’une ancienne star de cinéma alcoolique qu’il a pris en charge. S’il revient, c’est pour voir son ancien amour Heavenly mais le père de la jeune fille, un politicien conservateur qui dirige la ville, ne voit pas ce retour d’un bon oeil… Quatre ans après La Chatte sur un toit brûlant, Richard Brooks adapte une autre pièce de Tennessee Williams à l’écran, Doux oiseau de jeunesse. Elia Kazan l’avait montée à Broadway avec succès et Brooks en reprend quatre acteurs principaux (1). Comme souvent avec Tennessee Williams, il s’agit d’un drame qui va sonder les tréfonds de l’âme humaine. Ici, tout tourne autour de la soif de réussite et de l’absence de mixité sociale. Chance Wayne (quel nom !) mise sur son physique pour avoir, lui aussi, sa chance et obtenir un raccourci vers le haut de la hiérarchie sociale et, par là même, vers son ancien amour. Paul Newman paraît être l’interprète idéal pour exprimer toutes les facettes de ce personnage finalement plein de naïveté. Il avait de plus l’avantage de bien connaitre le rôle. Il faut excuser la fin en happy end, qui paraît plaquée et même un peu idiote, nécessaire pour que le film passe la censure (2). Doux oiseau de jeunesse connut un grand succès.
Elle:
Lui : 4 étoiles

Acteurs: Paul Newman, Geraldine Page, Shirley Knight, Ed Begley, Rip Torn, Mildred Dunnock, Madeleine Sherwood
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(1) Paul Newman, Geraldine Page, Madeleine Sherwood (Miss Lucy) and Rip Torn (le fils) tenaient le même rôle dans la pièce à Broadway qui fut jouée 375 fois à partir de mars 1959.
(2) Dans la pièce originale, la fin est assez dure : ce que l’on craint que le fils puisse faire à un certain moment (sur le capot de la voiture), il le fait vraiment. Et il n’y a pas de départ ensuite.