28 février 2020

La Tragédie impériale (1938) de Marcel L’Herbier

Autres titres français : « Le Diable de Sibérie » / « La Fin des Romanoff » / « Raspoutine »

La Tragédie impérialeRussie, début du XXe siècle. Raspoutine, paysan illettré mais doué d’un charisme et d’un magnétisme hors du commun, a acquis une réputation de faiseur de miracles. Certains le voient comme un envoyé de Dieu. Le couple impérial de Russie décide de faire appel à lui pour tenter de soulager les souffrances de leur fils hémophile…
La Tragédie impériale est basé sur un roman de l’allemand Alfred Neumann. Tout sonne très juste dans l’évocation de cette figure historique sur laquelle subsistent de grandes zones d’ombre. L’approche retenue est de présenter Raspoutine comme un grand connaisseur de l’âme humaine tout en soulignant certaines contradictions du personnage. Que ce soit dans les décors ou l’éclairage, tout semble parfaitement dosé, sans recherche du spectaculaire. Ce personnage complexe est parfait pour Harry Baur, qui fait une prestation puissante mais mesurée. Les seconds rôles sont parfaitement tenus. L’histoire est prenante. Trop peu connu, le film ressort aujourd’hui en DVD dans une version restaurée. Il le mérite largement.
Elle:
Lui : 4 étoiles

Acteurs: Harry Baur, Marcelle Chantal, Pierre Richard-Willm, Jean Worms, Jany Holt
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Remarque :
* La Tragédie impériale (1938), Adrienne Lecouvreur (1938) et Entente cordiale (1939) sont trois films historiques que Marcel L’Herbier appelle des « chroniques filmées ». Il les considère comme « une leçon d’histoire, très proche de la réalité. Il y a une ligne romanesque mais qui ne me semble nullement plaquée. » (Entretien avec Jacques Siclier, Marcel L’Herbier par Noël Burch, Seghers, 1973)

La Tragédie impérialeHarry Baur et Carine Nelson dans La Tragédie impériale de Marcel L’Herbier.

1 décembre 2018

Forfaiture (1937) de Marcel L’Herbier

ForfaitureDenise Moret arrive en Mongolie pour rejoindre son mari, ingénieur en chef sur un chantier de construction d’une route. Un soir, elle perd une grosse somme d’argent au jeu et, pour éviter d’en parler à son mari très accaparé par son travail, elle va demander de l’aide au prince Lee-Lang, homme puissant de la région…
Forfaiture de Marcel L’Herbier est le remake du film homonyme (titre original : The Cheat) de Cecil B. DeMille. Le réalisateur français connaissait « par cœur » ce merveilleux film muet américain datant de 1915 qui lui a fait découvrir le cinéma. Hélas, sa version a perdu toute la magie, l’ambiguïté et la sensualité de l’original et il ne reste qu’une histoire rocambolesque et improbable. Le plus étonnant dans tout cela est de voir Sessue Hayakawa reprendre son rôle de séducteur asiatique vingt ans plus tard. Il faut aussi saluer la performance de Louis Jouvet dans un personnage particulièrement cynique. En revanche, Victor Francen semble sur-jouer en permanence et Lise Delamare ne montre pas une grande présence à l’écran. Forfaiture de Marcel L’Herbier paraît hélas bien fade en comparaison de son modèle.
Elle:
Lui : 2 étoiles

Acteurs: Victor Francen, Sessue Hayakawa, Louis Jouvet, Lise Delamare, Sylvia Bataille
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Remarques :
* Forfaiture est l’un des rares remakes français de film américain (l’inverse est plus courant).
* Le tripot/salle de jeu s’appelle Le Lotus Bleu… Est-ce un clin d’œil à la bande dessinée Tintin ? (L’album de Tintin du même nom a été publié pour la première fois en 1934-1935, en noir et blanc, dans les pages du journal Le Vingtième Siècle.)

Forfaiture
Victor Francen et Lise Delamare dans Forfaiture de Marcel L’Herbier.

Forfaiture
Louis Jouvet et Sessue Hayakawa dans Forfaiture de Marcel L’Herbier.

18 octobre 2016

Le Bonheur (1935) de Marcel L’Herbier

Le BonheurCaricaturiste de talent et anarchiste, Philippe Lutcher tente d’assassiner la star Clara Stuart à la sortie d’un music-hall. Au procès, cette dernière a une attitude qui surprend tout le monde… Le bonheur de Marcel L’Herbier est un mélodrame assez curieux. Il y a d’abord le propos de la pièce d’Henry Bernstein dont il s’inspire qui peut paraître un peu confus. On peut y voir diverses choses : un drame social situé dans des milieux sociaux opposés, une mise en abyme du spectacle, de la célébrité, l’effacement de la barrière entre la réalité et son image (Clara Stuart semble vivre sa vie comme s’il s’agissait d’une pièce). L’histoire est invraisemblable, ce qui n’est pas grave en soi, mais pour se tirer d’affaire, Marcel l’Herbier doit pratiquer des ellipses aventureuses. Réputé pour son classicisme (du moins depuis les débuts du parlant), il montre ici une indéniable inventivité. Nous sommes très loin du théâtre filmé. Mais le plus curieux est du côté de l’interprétation, point fort du film, avec des acteurs presque pris à contre-emploi. Gaby Morlay montre une fragilité étonnante, très palpable, Charles Boyer est un exalté perturbé par ses sentiments et Michel Simon vient ajouter une touche d’humour en directeur artistique efféminé.
Elle:
Lui : 3 étoiles

Acteurs: Gaby Morlay, Charles Boyer, Jaque Catelain, Michel Simon, Paulette Dubost
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Gaby Morlay dans Le Bonheur de Marcel L’Herbier.

Homonymes :
Le Bonheur d’Aleksandr Medvedkin (1935)
Le Bonheur d’Agnès Varda (1965) avec Jean-Claude Drouot

13 mai 2015

L’Inhumaine (1924) de Marcel L’Herbier

L'inhumaineLa célèbre cantatrice Claire Lescot a de nombreux admirateurs. Pour une soirée, elle a invité une dizaine de ses courtisans parmi lesquels on peut compter un maharadjah, politiciens, hommes d’affaires et un jeune ingénieur qui se meurt d’amour pour elle. Mais la cantatrice reste de marbre face à toutes ces avances… Jeune cinéaste d’avant-garde en ce début des années vingt, Marcel L’Herbier a l’idée de concevoir un film qui soit « une sorte de résumé de toute la recherche plastique en France, deux ans avant l’Exposition des Arts décoratifs ». Il réunit donc un groupe d’artistes de premier plan, Robert Mallet-Stevens et Fernand Leger en tête. Le film est donc plastiquement superbe ce qui lui a valu d’être qualifié de « manifeste des Arts déco ». Même les intertitres sont magnifiques ! Aucune toile peinte ici mais des décors tout en volumes. Il est d’autant plus dommage que Marcel L’Herbier ait négligé le scénario : l’histoire est étirée et, il faut bien l’avouer, parfaitement ennuyeuse. La direction d’acteurs semble approximative. On remarquera que le réalisateur expérimente certains effets sur les scènes de vitesse (ces scènes d’ivresse automobile étaient alors très prisées par les réalisateurs les plus inventifs). L’Inhumaine a été magnifiquement restauré, avec restitution des teintes d’origine, pour ressortir en ce début 2015 accompagné d’une nouvelle musique très réussie, composée par Aidje Tafial.
Elle:
Lui : 3 étoiles

Acteurs: Georgette Leblanc, Jaque Catelain
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Voir le site créé pour la première de l’Inhumaine le 30 mars 2015.

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Crédits :
– Décors extérieurs, architecture : Robert Mallet-Stevens (1886-1945)
– Le laboratoire de l’ingénieur : Fernand Leger (1881-1955)
– Décors intérieurs : Alberto Cavalcanti (1897-1982)
– Le jardin d’hiver : Claude Autant-Lara (1901-2000)
– Le mobilier : Pierre Chareau (1883-1950) et Michel Dufet (1888-1985)
– Sculptures : Joseph Csaky (1888-1971)
– Costumes : robes signées Paul Poiret (1879-1944).

L'Inhumaine de Marcel L'Herbier
La salle à manger créée par Alberto Cavalcanti pour L’Inhumaine de Marcel L’Herbier (la table est entourée d’eau avec des cygnes qui barbotent…) (photo de plateau)

L'Inhumaine de Marcel L'Herbier
Fernand Leger pose dans le décor qu’il a créé pour L’Inhumaine de Marcel L’Herbier : l’atelier de l’ingénieur (photo de plateau).

L'Inhumaine de Marcel L'Herbier
La maison de l’ingénieur a été dessinée par Robert Mallet-Stevens pour L’Inhumaine de Marcel L’Herbier (photo de plateau : sauf erreur de ma part, l’homme à droite est Marcel L’Herbier).

28 juin 2014

Entente cordiale (1939) de Marcel L’Herbier

Entente cordialeA la fin du règne de la reine Victoria, des tensions apparaissent entre la France et l’Angleterre à propos de l’Egypte. Pendant ce temps, le Prince de Galles passe une bonne partie de son temps à Paris où il apprécie la bonne compagnie et fait preuve d’une grande ouverture d’esprit… Entente cordiale est, pour Marcel L’Herbier, une commande. Alors que la guerre paraît chaque jour plus certaine, l’idée est de rappeler comment anglais et français ont, quelque 30 ans plus tôt, oublié leurs différents pour s’unir face à un ennemi potentiel, l’Allemagne ; une situation très identique à celle de 1939. C’est un livre d’André Maurois (1) qui est choisi pour retracer le parcours du roi d’Angleterre Edouard VII, fils de la Reine Victoria. Marcel L’Herbier s’en acquitte avec grand professionnalisme mais sans éclat. Ce film a toutefois atteint le but fixé de propagande puisqu’il fut très populaire à sa sortie en France. Aujourd’hui, Entente cordiale peut paraître un peu terne mais il reste instructif sur cette période de l’Histoire et le film, par son existence-même, a lui-même une indéniable valeur historique.
Elle:
Lui : 2 étoiles

Acteurs: Gaby Morlay, Victor Francen, Pierre Richard-Willm, André Lefaur, Janine Darcey
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Remarques :
* Alors que les autorités britanniques avaient été partie prenante dans la production, le film fut interdit outre-Manche car il n’était pas admis que soit représentés des membres de la famille royale quand leur disparition était trop récente (la reine Victoria est décédée en 1901 et Edouard VII en 1910).
* Auparavant difficile à voir, le film vient de ressortir restauré en DVD.

(1) André Maurois « Edouard VII et son temps » (Editions de France, 1933)

16 juin 2014

La Route impériale (1935) de Marcel L’Herbier

La route impérialeImpliqué malgré lui dans une affaire de trahison dont il sort blanchi, le lieutenant Brent rejoint le régiment de l’armée britannique basé à Bagdad où la Route des Indes est menacée par des rebelles. Il découvre alors que la femme de son colonel est une femme qu’il a beaucoup aimée… Adapté de la pièce de Pierre Frondaie La Maison cernée, déjà portée à l’écran par le suédois Victor Sjöström, La Route impériale est pour Marcel L’Herbier une commande. Il transpose l’histoire de Palestine en Irak, en parfaite résonnance avec la situation géopolitique mondiale de 1935, l’armée britannique se préparant à défendre le Canal de Suez face aux menaces de Mussolini d’envahir l’Ethiopie. Assez prenant, le film est un subtil mélange d’exotisme, de romance et d’héroïsme militaire, un film dans le sillage du succès des Trois Lanciers du Bengale d’Henry Hathaway l’année précédente. Reflet de son époque, le film offre bien entendu  une vision très colonialiste des soulèvements des peuples colonisés. La Route impériale est fort bien mis en scène par Marcel L’Herbier, que ce soit en studio ou en extérieurs (tournés en Algérie), avec de beaux mouvements de caméra. Le succès à l’époque fut important mais, le film ayant été détruit par les allemands pendant l’Occupation, il était devenu extrêmement rare et difficile à voir jusqu’à ce qu’il ressorte restauré en DVD (en mai 2014) avec une intéressante présentation de Mireille Beaulieu qui couvre bien tous les aspects du film.
Elle:
Lui : 3 étoiles

Acteurs: Käthe von Nagy, Pierre Richard-Willm, Jaque Catelain, Pierre Renoir
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Précédente adaptation :
La Maison cernée (Det omringade huset) de Victor Sjöström (1922)

10 juin 2014

Veille d’armes (1935) de Marcel L’Herbier

Veille d'armesA Toulon, les officiers du navire de guerre « Alma » ont organisé une petite fête. Pendant la soirée, l’ordre d’appareiller pour une mission dangereuse tombe et les invités doivent quitter le navire. Mais tout le monde ignore que la jeune épouse du commandant est enfermée dans une cabine à la suite d’un enchaînement de circonstances… Veille d’armes est adapté d’une pièce de Claude Farrère et Lucien Nepoty qui avait déjà été portée par deux fois à l’écran. Pour Marcel L’Herbier, il s’agit plus d’une commande que d’un projet personnel et il en arrange le scénario avec Charles Spaak. Une bonne place est donnée à l’univers de la Marine de guerre et le film a ainsi quelques vertus documentaires, la production ayant même obtenu le concours actif de la Marine Nationale. Il exalte une certaine droiture d’esprit qui était bienvenue en cette période où le risque de guerre se faisait de plus en plus menaçant. Mais le coeur de l’histoire est un mélodrame de la fidélité et de la confiance dont le centre est la belle Annabella. Marcel L’Herbier a soigné la réalisation, l’éclairage est travaillé, certains plans d’intérieur sont vraiment superbes. Le film connut un très grand succès à sa sortie. Il mérite vraiment d’être redécouvert aujourd’hui.
Elle:
Lui : 3 étoiles

Acteurs: Annabella, Victor Francen, Gabriel Signoret, Pierre Renoir, Roland Toutain
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Veille d'armes
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Remarque :
Veille d’armes vient de ressortir restauré en DVD dans une belle édition avec notamment une présentation très complète du film et de son contexte par Mireille Beaulieu (et une superbe pochette! Bel exemple soit dit en passant du travail sur les éclairages).

Précédentes adaptations :
Veille d’armes de Jacques de Baroncelli (1925) avec Maurice Schutz et Annette Benson (film apparemment perdu)
La Femme de Monte Carlo (The Woman from Monte Carlo) de Michael Curtiz avec Lil Dagover et Walter Huston (film plutôt rare).

26 avril 2012

La vie de bohème (1945) de Marcel L’Herbier

La vie de bohèmeDans le Quartier Latin des années 1840, quatre jeunes artistes sans le sou vivent difficilement mais gaiment. Ils se nomment « les mousquetaires de la bohème ». Rodolphe, le poète, fait la rencontre de Mimi… La vie de bohème est adapté du roman autobiographique d’Henry Murger (Rodolphe dans le film), roman mis en opéra par Puccini en 1896 (« La Bohème »). Marcel L’Herbier a tourné cette grande production en 1942 sous l’Occupation mais la lenteur du montage ne permettra de ne le sortir qu’en 1945. Malgré toutes les restrictions, le film bénéficie de décors soignés et d’une certaine ampleur. Le film commence de façon tourbillonnante (tonitruante même), sur le registre de la fantaisie et devient de plus en plus grave ensuite. Le déroulement de la narration est loin d’être parfait même si le découpage en quatre saisons est assez séduisant. Louis Jourdan est parfait, Maria Denis sans doute un peu trop âgée pour le rôle. Marcel L’Herbier adopte une réalisation très classique, sans doute un peu trop, et ce grand mélodrame parait hélas un peu désuet aujourd’hui.
Elle:
Lui : 2 étoiles

Acteurs: María Denis, Louis Jourdan, Giselle Pascal, Suzy Delair, Alfred Adam, Louis Salou
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Autres adaptations :
La vie de bohème d’Albert Capellani (1916)
La bohème de King Vidor (1926) avec Lilian Gish et John Gilbert
Mimi de Paul L. Stein (1935) avec Douglas Fairbanks Jr
La Bohème de Luigi Comencini (1988) avec Barbara Hendricks (opéra)
La vie de bohème d’Aki Kaurismäki (1992)

2 mars 2012

Feu Mathias Pascal (1924) de Marcel L’Herbier

Feu Mathias PascalFils oisif d’une famille italienne ruinée, Mathias Pascal ne rêve que d’une chose : la liberté. Il épouse sans conviction une jeune fille qui est amoureuse de lui. Fuyant une belle-mère acariâtre et une femme devenue indifférente, il s’enfuit à Monte Carlo. Un évènement inattendu va lui donner l’occasion de passer pour mort. Va-t-il ainsi atteindre son idéal de liberté ? Feu Mathias Pascal est adapté d’un roman de Luigi Pirandello par Marcel L’Herbier lui-même. C’est un film assez inclassable : il semble osciller entre le burlesque et le drame. L’acteur russe Ivan Mosjoukine donne au film une dimension exceptionnelle, avec un jeu original et très complet, parfois très léger mais aussi très intense. Marcel L’Herbier a tourné les extérieurs à San Gimignano et à Rome, profitant même des fêtes locales pour filmer des scènes de foule. Pour les intérieurs, la première partie fait la part belle aux éclairages assez sombres pour exprimer l’enfermement alors que la seconde partie est plus lumineuse. Il y a alors de très belles scènes, notamment dans la pension de famille où il joue beaucoup avec les persiennes. Il joue aussi avec les volumes intérieurs, les pièces sont immenses. Marcel L’Herbier a bien entendu quelques effets visuels très originaux, surimpressions, incrustations. Feu Mathias Pascal Le rythme varie, il est le plus souvent enlevé, avec un montage très vif. Le compositeur américain Timothy Brock a composé une partition orchestrale pour Feu Mathias Pascal lors du Festival de Bologne en 2009. Elle est admirable car elle colle parfaitement à l’image et au rythme des scènes. Elle enrichit le film d’une dimension supplémentaire. Le jeune Michel Simon et Pauline carton apparaissent brièvement dans des seconds rôles. (Film muet de 170 mn)
Elle:
Lui : 4 étoiles

Acteurs: Ivan Mosjoukine, Marcelle Pradot, Lois Moran, Michel Simon, Pauline Carton
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Remakes :
L’homme de nulle part de Pierre Chenal (1937) avec Pierre Blanchar
Le due vite di Mattia Pascal de Mario Monicelli (1985) avec Marcello Mastroianni

21 novembre 2011

L’argent (1928) de Marcel L’Herbier

L'argentSaccard, directeur de la Banque Universelle, subit un revers financier important lorsque son ennemi de toujours, le banquier Gunderman, bloque une augmentation de capital d’une filiale stratégique. Il est proche de la ruine. Pour se remettre en selle, il décide de financer l’aviateur Jacques Hamelin qui projette d’aller exploiter des gisements de pétrole en Guyane… Tourné dans les toutes dernières années du cinéma muet, L’argent est une transposition moderne du roman homonyme d’Emile Zola. Marcel L’Herbier, réalisateur qui a fortement contribué à hisser le cinéma au rang d’art véritable au tout début des années vingt, réussit à mettre sur pied cette ambitieuse production dotée de larges moyens (qui seront d’ailleurs dépassés). Composant, parfois difficilement, avec un producteur pointilleux, il a fortement imprimé sa marque sur le film. L’argent est donc bien un film d’auteur.

L'argent Le plus visible de sa démarche réside dans les audacieux et inventifs mouvements de caméra. Le plus célèbre est un vertigineux traveling vertical au dessus de la Corbeille mais il y a beaucoup d’autres travelings, parfois très rapides, qui apportent beaucoup de mobilité. L’autre aspect le plus visible est l’utilisation des flous, soit pour mieux isoler un personnage, soit pour exprimer un sentiment, un état d’esprit, une situation trouble. Très étonnant. Il faut aussi remarquer le montage avec notamment des plans alternés très efficaces. Toute cette créativité pourrait sembler vaine si elle n’était au service de l’intensité du drame qui se noue devant nos yeux.

L'argentLes décors Art-Déco sont superbes. Star auréolée du succès de Metropolis, Brigitte Helm n’a qu’un second rôle, celui de l’intrigante baronne Sandorf. Lascive et féline, elle distille, dans les scènes où elle apparaît, une forte sensualité qui atteint son paroxysme dans son altercation avec Saccard (1). Pierre Alcover donne beaucoup de corps (!) à son personnage. Ce qui est étonnant à propos de Saccard, c’est l’ambivalence des sentiments qu’il nous inspire : il est à la fois odieux, calculateur, entièrement asservi par l’argent, mais il est parfois sympathique, surtout lorsqu’il laisse transparaître sa fragilité. L’autre banquier, Gundermann, est encore plus machiavélique, un personnage très réussi : froid et inexpressif, il ne cesse de caresser l’un de ses chats à longs L'argentpoils.

Tourné un an avant le krach boursier de 1929, L’argent a été donc assez prophétique dans sa dénonciation du pouvoir extrême de l’argent. Il trouve d’ailleurs un nouvel écho aujourd’hui, 80 ans plus tard. L’argent eut un succès mitigé : à sa sortie, il fut mal considéré par la critique et il faut attendre les années soixante pour le voir réhabilité et remis à sa juste place, c’est à dire parmi les 5 ou 10 plus grands films du cinéma muet.
Elle: 5 étoiles
Lui : 5 étoiles

Acteurs: Pierre Alcover, Brigitte Helm, Marie Glory, Alfred Abel, Henry Victor, Antonin Artaud, Jules Berry
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Remarques :
* Le tout jeune et inexpérimenté Jean Dréville a tourné un film de 40 minutes sur le tournage de L’argent : Autour de L’argent. Ce petit film est passionnant, un document précieux.
L'argent * Les scènes de bourse furent réellement tournées à la Bourse (Palais Brongniart à Paris) que Marcel L’Herbier put avoir trois jours à son entière disposition pendant le week-end de l’Ascension. 2000 figurants (dont certains étaient de véritables opérateurs de bourse), une quinzaine de caméras, le réalisateur ne lésina guère sur les moyens. Le résultat est saisissant : l’effervescence de ce temple de la finance est clairement perceptible.  Pour l’un des plans les plus audacieux de toute l’histoire du cinéma, L’Herbier a fait chuter une volumineuse caméra au dessus de la Corbeille depuis la coupole, soit 22 mètres en quasi-chute libre.

(1) Le film/making-of de Jean Dréville nous montre que cette scène (entrevue entre Saccard et la baronne Sandorf) fut la première à être tournée. C’est assez étonnant lorsqu’on voit l’intensité dramatique et sensuelle qu’elle atteint à l’écran.

Remake :
L’argent de Pierre Billon (1936) avec Nicolas Amato et Pierre Richard-Willm (film perdu?)