10 juin 2013

Goupi Mains rouges (1943) de Jacques Becker

Goupi mains rougesAppelé par sa famille, un parisien rejoint la ferme familiale du clan des Goupi. Le jour même de son arrivée, Goupi Tisane, une vieille fille autoritaire qui régentait la famille, est retrouvée assassinée… Tourné pendant l’Occupation, Goupi Mains rouges est l’adaptation d’un roman de Pierre Very. Contrairement à la propagande pétainiste de l’époque qui glorifiait le monde paysan nourricier, ce portrait d’une famille rurale qui forme un clan opaque et règle elle-même ses affaires n’est nullement édulcoré : la cupidité est ici le principal moteur des comportements. Méfiance et médisance sont omniprésentes. Goupi Mains rouges est le deuxième film de Jacques Becker qui montre ici une grande maitrise dans la mise en scène, il insuffle beaucoup de vie dans cette histoire au point que l’intrigue policière passe un peu au second plan. Fernand Ledoux est parfait, comme bien souvent, mais le personnage le plus remarquablement interprété est celui de Goupi Tonkin par Robert Le Vigan. Le film eut beaucoup de succès à l’époque grâce à sa qualité bien entendu mais aussi parce qu’il permettait à une population urbaine, lassée de voir certains paysans s’enrichir au marché noir, de prendre en quelque sorte une revanche. Goupi Mains rouges fait partie des films les plus remarquables tournés sous l’Occupation.
Elle:
Lui : 4 étoiles

Acteurs: Fernand Ledoux, Georges Rollin, Robert Le Vigan
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18 mai 2013

The Mystery of the Leaping Fish (1916) de John Emerson

The Mystery of the Leaping Fish(Muet, 24 minutes) The Mystery of the Leaping Fish (= Le Mystère du poisson gonflable) est une petite curiosité. C’est un film vraiment étonnant à la fois par son côté totalement farfelu et débridé mais aussi par son générique : le scénario est signé Tod Browning (futur réalisateur des films avec Lon Chaney entre autres), les intertitres sont d’Anita Loos (qui deviendra ensuite l’une des plus grandes scénaristes d’Hollywood) et l’interprète principal est Douglas Fairbanks. Il s’agit de la prétendue enquête d’un détective qui se prénomme Coke Ennyday (= « de la coke tous les jours »). Le détective porte constamment une ceinture garnie d’une dizaine de seringues d’héroïne et aspire la cocaïne par poignée. Utiliser ainsi la drogue comme ressort burlesque est rare : en 1916, nous sommes à une époque où la censure n’existait pas, ou très peu (1) et il faudra attendre ensuite les années soixante-dix pour pouvoir parler de la drogue avec autant de légèreté. La drogue était déjà répandue dans le milieu du cinéma et c’est une satire outrancière de la dépendance qui est faite ici. De plus, le détective va découvrir un trafic d’opium (inutile de dire qu’il va vérifier lui-même qu’il s’agit bien d’opium). Il y a de bonnes trouvailles (notamment dans son bureau, et il faut voir sa voiture…). Irrévérencieux, absurde, The Mystery of the Leaping Fish est indubitablement assez unique en son genre.
Elle:
Lui : 3 étoiles

Acteurs: Douglas Fairbanks, Bessie Love, Alma Rubens
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(1) La « moralisation » n’interviendra vraiment que quelques années plus tard, notamment à la suite du scandale impliquant Fatty Arbuckle (1921), une jeune fille ayant trouvé la mort lors d’une « fête de débauche » chez l’acteur. C’est à partir de moment que, sous la pression du public, les studios créeront la Motion Pictures Producers and Distributors Association (future MPPA) et mettront l’avocat Hays à sa tête.

26 avril 2013

La Flamme sacrée (1942) de George Cukor

Titre original : « Keeper of the Flame »

La flamme sacréeJournaliste réputé, Steve O’Malley décide d’écrire la biographie d’un héro national qui vient de se tuer dans un accident automobile. Il se heurte tout d’abord au refus de sa veuve mais il parvient finalement à l’approcher. Elle ne semble pas toutefois vouloir coopérer pleinement… La Flamme sacrée est un peu trop hâtivement classé parmi les films de propagande tournés pendant la Seconde Guerre mondiale et donc plutôt mal considéré. Pourtant il ne manque de qualités. Le scénariste Donald Ogden Stewart a affirmé que c’était le film dont il était le plus fier et il a raison car mise en place et progression sont vraiment très bien écrits, distillant une atmosphère où le doute s’installe et grandit au fur et à mesure que l’histoire avance. Seule la fin de ce mélodrame patriotique apparaît plus faible, certainement trop simple et même naïve. Ce type d’enquête n’est pas sans rappeler Citizen Kane (mais pas la construction puisqu’il n’y a pas de flashback ici). Cukor dirige pour la première fois le couple Tracy / Hepburn (1) qui tient toute ses promesses, l’un comme l’autre donnant beaucoup de consistance à leur personnage.
Elle:
Lui : 4 étoiles

Acteurs: Spencer Tracy, Katharine Hepburn, Richard Whorf, Forrest Tucker
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Remarques :
* Comme pour beaucoup de films, mais plus particulièrement ici, il est important de ne pas lire le résumé de l’histoire avant de voir Keeper of the Flame. Il est probable que le film apparaisse bien plus faible quand on sait d’avance ce que le journaliste joué par Spencer Tracy va découvrir.
* Keeper of the Flame est basé sur un roman de I.A.R. Wylie.

(1) Katharine Hepburn et Spencer Tracy ont été réunis pour la première fois quelques mois plus tôt dans l’excellent Women of the year (La femme de l’année) de Georges Stevens (1942). Ils tourneront ensemble 9 films, dont 3 avec Cukor. A la ville, les deux acteurs ont entretenu une liaison forte et durable.

 

20 avril 2013

Le Trésor des Musgraves (1912) de Georges Tréville

Titre anglais : « The Musgrave Ritual »

The Musgrave Ritual(Muet, 18 minutes) Bien que le personnage de Sherlock Holmes ne soit pas parfaitement adapté au cinéma muet, les adaptations des enquêtes imaginées par Conan Doyle furent assez nombreuses dès les débuts du cinéma. Parmi les toutes premières, on trouve une série danoise interprétée par Viggo Larsen en 1909-1910 et une série jouée et réalisée par le français Georges Tréville pour la Société Française des Films Éclair en 1912-1913, avec une production franco-anglaise. Un film a été récemment retrouvé : Le Trésor des Musgraves. Cette enquête du célèbre détective utilise des décors intérieurs et extérieurs. Les plans sont fixes. Dans la construction, on remarquera la présence d’un flashback de plusieurs minutes où le coupable raconte son forfait. Georges Tréville est assez crédible en Sherlock Holmes même si, dans l’ensemble, le jeu des acteurs reste très théâtral (caractéristique de l’époque) et l’on a peu de mal à deviner le coupable dès son apparition! C’est un plaisir de pouvoir voir ce Trésor des Musgraves, bel exemple des toutes premières adaptations de Sherlock Holmes au cinéma.
Elle:
Lui : 2 étoiles

Acteurs: Georges Tréville
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Remarques :
* A la même époque, Georges Tréville a également interprété Arsène Lupin.
* Georges Tréville est à gauche sur la photo ci-dessus.

18 avril 2013

Les caves du Majestic (1945) de Richard Pottier

Les caves du MajesticAu grand hôtel Majestic, le corps d’une riche cliente suédoise est retrouvé dans le vestiaire d’un membre du personnel travaillant au sous-sol dans les cuisines. Le commissaire Maigret et son adjoint Lucas enquêtent sur cette affaire bien mystérieuse… Durant l’Occupation, les adaptations des romans de Simenon furent assez nombreuses ; elles avaient l’avantage d’être bien tolérées et même encouragées par les forces d’occupation car assez neutres. Dans Les Caves du Majestic, c’est Albert Préjean qui incarne Maigret. C’est la troisième fois qu’il tient ce rôle (1). Bien qu’un peu jeune et élancé pour le personnage, il y est assez crédible, montrant une certaine personnalité et une bonne présence. L’intrigue, bien ficelée comme toujours avec Simenon, est servie par de bons dialogues et même une dose d’humour. Le dénouement peut sembler un peu précipité. La grande originalité de ces  Caves du Majestic est dans la présence d’un petit volet social : en plus de trouver le meurtrier, Maigret se met en tête de choisir qui sera le meilleur père pour un petit garçon. Le film étant tourné sous l’Occupation, mise en scène et réalisations restent assez simples.
Elle:
Lui : 3 étoiles

Acteurs: Albert Préjean, Suzy Prim, Jacques Baumer, Denise Grey, Jean Marchat, Fernand Charpin
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Remarques :
* Les Caves du Majestic est  le dernier film produit par la Continental, société de production contrôlée par les allemands. Il ne sortira qu’en août 1945, donc après la Libération, distribué par la toute nouvelle Union Générale Cinématographique (U.G.C.)
* On remarquera l’importance de la nourriture dans le film. Pour la comprendre, il faut replacer le film dans son époque de rationnement : la nourriture était alors une préoccupation majeure. De plus, le scénariste Charles Spaak a écrit l’adaptation alors qu’il était emprisonné par les allemands.
* Le trajet de Charles Spaak et le tournage de Les Caves du Majestic sont racontés et mis en images dans l’excellent film de Bertrand Tavernier Laissez-passer (2002).

(1) Albert Préjean était déjà Maigret dans Picpus (1943) du même Richard Pottier et dans Cécile est morte (1944) de Maurice Tourneur. Les caves du Majestic est la troisième (et ultime) fois où il interprète le célèbre commissaire.

7 avril 2013

Mother (2009) de Bong Joon-ho

Titre original : « Madeo »

MadeoEn Corée, une mère vit seule avec son fils, un garçon de 25 ans environ un peu attardé. Ce dernier se retrouve accusé du meurtre d’une jeune fille. La mère remue ciel et terre pour innocenter son fils, faisant face à l’apathie de la police qui veut classer rapidement l’affaire et à la vénalité d’un avocat bien peu motivé. Elle se met elle-même à la recherche du meurtrier… Mother est un film qui mêle habilement plusieurs genres : la chronique sociale, le policier, le mélodrame familial et même, par moments, la comédie. Il est centré autour du personnage de cette mère très possessive et prête à tout pour sauver son fils. Bong Joon-ho parvient la rendre attachante, sans bien entendu nous faire totalement adhérer à sa conduite. C’est un personnage complexe, une femme à la fois forte et fragile, d’une grande énergie, parfaitement personnifiée par l’actrice Kim Hye-ja. Mother est un film particulièrement riche et marquant.
Elle: 4 étoiles
Lui : 4 étoiles

Acteurs: Kim Hye-ja, Won Bin, Jin Ku, Yun Je-mun, Jun Mi-sun
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29 décembre 2012

Les salauds dorment en paix (1960) de Akira Kurosawa

Titre original : « Warui yatsu hodo yoku nemuru »

Les salauds dorment en paixLe grand patron Iwabuchi marie sa fille avec son secrétaire particulier. Lors du banquet, observé et commenté en aparté par des journalistes, plusieurs incidents se produisent : un policier vient arrêter l’un des comptables de la société, une fausse pièce montée fait allusion au suicide d’un employé de la compagnie… Les salauds dorment en paix est le premier film coproduit par la société de Kurosawa ce qui lui a donné plus de liberté sur le choix de son sujet : il s’attaque ici à la corruption et aux ententes illicites entre administration et grandes sociétés de construction pour les marchés publics. Il met en relief comment ces pratiques mafieuses s’appuient sur la tradition japonaise de grand respect de la hiérarchie. Dans cette recherche de vengeance personnelle, la trame puise son inspiration dans le Hamlet de Shakespeare, auteur qui a déjà inspiré Kurosawa (1). La réalisation est très belle avec une superbe utilisation du format large. Les salauds dorment en paix est l’un des films les moins connus de Kurosawa en Occident.
Elle:
Lui : 5 étoiles

Acteurs: Toshirô Mifune, Masayuki Mori, Kyôko Kagawa, Tatsuya Mihashi, Takashi Shimura, Takeshi Katô, Chishû Ryû, Seiji Miyaguchi
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(1) Kurosawa a adapté Macbeth dans Le Château de l’Araignée, deux ans auparavant.

1 décembre 2012

La fugue (1975) de Arthur Penn

Titre original : « Night moves »

La fugueUn ancien footballeur professionnel devenu détective privé se soit confier une mission par une ex-actrice de cinéma : retrouver sa fille de 16 ans qui a fugué… Arthur Penn réalise La fugue après une longue absence où il s’est plus consacré au théâtre. En apparence, il s’agit d’une banale histoire de détective dans la lignée des films noirs mais il faut dépasser ces apparences pour saisir l’originalité du film. Plus qu’une simple enquête, il s’agit plutôt d’une véritable introspection de la part de ce détective qui cherche à normaliser sa vie et ses rapports avec les autres. A l’image de cette belle (et terrible) ultime scène où il regarde sans pouvoir intervenir, cet homme a ce sentiment d’assister au cours de sa vie à des évènements dont il ne possède pas les clefs. En acceptant des enquêtes, c’est à la recherche de lui-même qu’il désire partir. On peut voir dans ce portrait un peu désabusé une certaine allégorie de l’Amérique post-Watergate. Gene Hackman a une belle présence ; Mélanie Griffith est ici à 17 ans dans son premier rôle important. La fugue est un film banal en apparence mais doté d’une profondeur peu commune.
Elle:
Lui : 4 étoiles

Acteurs: Gene Hackman, Jennifer Warren, Susan Clark, Edward Binns, James Woods, Melanie Griffith
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Remarque :
Le titre original peut surprendre : il pourrait s’agit d’un jeu de mots avec « knight moves » (déplacements de cavaliers aux échecs). Le personnage joué par Gene Hackman est obsédé par une partie d’échec. Il s’agit d’ailleurs d’une véritable partie jouée en 1922 opposant K. Emmrich à Bruno Moritz. Ce dernier avait une position qui lui permettait un mat en 3 coups (de cavalier) mais ne l’a pas vue, a joué autre chose et a perdu. « Ne pas avoir vu cela, il doit l’avoir regretté toute sa vie » dit le détective à Paula. C’est l’obsession de ce détective : ne pas voir les déplacements clés de ses adversaires. Et c’est bien ce qui lui arrive. Une autre explication du titre pourrait être plus simplement dans le sens « déplacements furtifs », ce qui s’inscrit dans la même thématique.

19 novembre 2012

Le dernier de la liste (1963) de John Huston

Titre original : « The list of Adrian Messenger »

Le dernier de la listeUn ex-officier des Services secrets se voit confier par son ami Adrian Messenger une liste de dix noms sur lesquels il lui demande d’enquêter afin de savoir ce qu’ils sont devenus. Il lui promet de lui donner ensuite les raisons de sa demande mais il est tué le lendemain dans un mystérieux accident d’avion… Basé sur un roman de Philip MacDonald, Le dernier de la liste est un film d’enquête qui joue sur le mystère et la dissimulation. L’histoire n’est pas vraiment très crédible mais elle reste suffisamment intrigante pour nous intéresser (du moins selon les standards du cinéma des années soixante, car les amateurs de thrillers modernes risquent de s’ennuyer). Tourné en Irlande, le film comporte deux longues scènes de chasse à courre, John Huston rassemblant ainsi deux de ses passions.Le dernier de la listeEn outre, le réalisateur s’amuse avec la tromperie et le déguisement en introduisant des caméos (courtes apparitions) d’acteurs connus, rendus totalement méconnaissables par un maquillage très poussé. Ils sont même doublés pour éviter que l’on puisse reconnaitre leur voix. Ils ne se dévoilent que lors du générique final. Ce petit amusement a peut-être plutôt desservi le film car il n’est ramené qu’à ce tour de passe-passe. Le dernier de la liste est certes un Huston léger mais il reste un bon divertissement.
Elle:
Lui : 3 étoiles

Acteurs: George C. Scott, Jacques Roux, Kirk Douglas, Burt Lancaster, Robert Mitchum, Frank Sinatra, Tony Curtis, Dana Wynter, Clive Brook
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Remarques :
* Le jeune fils Bruttenholm est joué par Tony Huston (12 ans), le fils de John Huston qui fait lui-même une courte apparition à l’écran en cavalier lors de la chasse.
* Le film a été tourné pour la Joel Production, la compagnie de Kirk Douglas (dont le fils se prénomme Joel).

7 novembre 2012

L’alibi (1937) de Pierre Chenal

L'alibiLe télépathe Winckler tue son vieil ennemi Gordon. Pour se faire un alibi, il demande à une jeune femme qui travaille comme entraineuse dans le même club que lui de dire qu’il a passé la nuit avec elle. La jeune femme accepte car elle a besoin d’argent mais elle ignore pourquoi il lui demande cela… Même si on peut la juger trop prévisible, l’histoire, écrite par Marcel Achard, n’est pas sans intérêt. La distribution comprend deux grands acteurs, chacun dans un rôle qui lui va comme un gant. Et pourtant, L’alibi ne tient pas ses promesses et se révèle même un peu ennuyeux. Rien ne fonctionne, les acteurs semblent débiter leur texte sans y croire, l’ensemble est assez terne et manque d’intensité. Certes, Jany Holt est charmante mais cela ne suffit pas!
Elle:
Lui : 2 étoiles

Acteurs: Erich von Stroheim, Louis Jouvet, Albert Préjean, Jany Holt, Roger Blin
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