3 novembre 2013

Rivière sans retour (1954) de Otto Preminger

Titre original : « River of No Return »

Rivière sans retourAprès une longue absence, le fermier Matt Calder retrouve son fils de neuf ans qu’il a peu connu. Tous deux vont s’installer dans une petite ferme isolée. L’enfant tient à dire adieu à Kay, une jeune chanteuse de saloon qui l’a hébergé. Quelques jours plus tard, ils voient passer sur un radeau pris dans les rapides Kay et son amant, un joueur qui a gagné dans des conditions douteuses une concession de mine d’or. Matt leur vient en aide… Rivière sans retour est le premier film en cinémascope d’Otto Preminger. C’est un film de commande (par contrat, le réalisateur doit encore un film à la Fox) dans un genre qu’il affectionne peu à priori, le western. Tourné en extérieur au Canada, dans les Alberta Rockies, le film profite pleinement des grands espaces et des rivières tumultueuses. Si personne n’était enthousiasmé par le tournage, le résultat n’en est pas moins remarquable. Rivière sans retour est un western calme et plutôt apaisant, sans grande scène d’action en dehors de la navigation dans les rapides, et qui repose sur des personnages attachants. Aujourd’hui, on le qualifierait certainement de « feel-good movie ». Loin des ses habituels rôles de sex-symbol, Marilyn Monroe joue ici avec beaucoup de fraicheur et même une certaine profondeur. A mesure qu’ils se débarrassent de leurs préjugés, les personnages gagnent une indéniable épaisseur. Rivière sans retour sera le seul western d’Otto Preminger.
Elle: 5 étoiles
Lui : 4 étoiles

Acteurs: Robert Mitchum, Marilyn Monroe, Rory Calhoun, Tommy Rettig
Voir la fiche du film et la filmographie de Otto Preminger sur le site IMDB.
Voir les autres films de Otto Preminger chroniqués sur ce blog…

Remarques :
* Quand elle chante, Marilyn Monroe serait doublée par Gloria Wood. (Information vue sur IMDB seulement.) Rectification : Ce serait uniquement les vocalises de One Silver Dollar qui auraient été doublées par Gloria Wood, c’est à dire 5 secondes environ.
* Jean Negulesco a revendiqué la réalisation de certaines scènes qui avaient besoin d’être refaites.
* Otto Preminger raconte dans autobiographie que Marilyn Monroe avait beaucoup de mal à se remémorer son texte et qu’il fallait faire en général une vingtaine de prises. Preminger a rapidement pris en grippe la répétitrice de Marilyn, Natasha Lytess, « une allemande qui se faisait passer pour russe », qui orientait le jeu de l’actrice dans le mauvais sens. Marilyn ambitionnait de devenir une actrice dramatique et suivait hélas ses recommandations. Lorsque la répétitrice à commencé à donner des conseils à l’enfant Tommy Retig, Preminger a tenté de lui interdire le plateau mais Marilyn fit intervenir Zanuck. Preminger ajoute : « Marilyn n’était que pâte d’argile dans les mains de charlatans tels que Natasha Lytess. »
* A la fin du tournage, Otto Preminger se jura de ne plus travailler pour un studio et vendit sa maison californienne pour racheter son contrat qui le liait encore à la Fox.

2 novembre 2013

Montparnasse 19 (1958) de Jacques Becker

Autre titre : « Les amants de Montparnasse »

Les amants de Montparnasse Paris, 1919. Le peintre Modigliani est alcoolique et miséreux. Deux femmes s’intéressent à lui : une riche anglaise excentrique et Jeanne Hébuterne, une fille de bonne famille qui va tout quitter pour vivre avec lui… Montparnasse 19 retrace de façon romancée la dernière année de la vie de Modigliani (1). Le film a certainement beaucoup souffert de sa gestation tourmentée : le projet était initialement celui de Max Ophüls, inspiré d’un roman de Michel-Georges Michel avec des dialogues d’Henri Jeanson. A peine débuté, le tournage fut interrompu par la mort de Max Ophüls et le projet fut confié à Jacques Becker qui commença par réécrire en partie les dialogues. Henri Jeanson quitta alors la production. Le résultat laisse bien dubitatif. A aucun moment, Gérard Philipe n’est vraiment Modigliani, on peut d’ailleurs se demander s’il était vraiment l’acteur idéal pour ce rôle. L’ensemble paraît hélas bien terne.
Elle:
Lui : 1 étoile

Acteurs: Gérard Philipe, Anouk Aimée, Lilli Palmer, Gérard Séty, Lino Ventura
Voir la fiche du film et la filmographie de Jacques Becker sur le site IMDB.
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Lire une analyse plus complète (et d’un avis différent) sur le site DVDClassik

(1) Modigliani est mort en janvier 1920 à l’âge de 35 ans.

1 novembre 2013

Dollars (1971) de Richard Brooks

Titre original : « $ »

DollarsAlors qu’il installe des systèmes de sécurité dans une grande banque de Hambourg, l’américain Joe Collins met au point un plan pour dévaliser, avec son amie Divine, les coffres loués par des trafiquants de drogue. Il est certain que ceux-ci ne porteront pas plainte… Après l’échec commercial de son film précédent The Happy Ending, Richard Brooks se doit de prouver à ses producteurs qu’il peut encore faire des films à succès. Il écrit donc une histoire de casse intelligent où des petites crapules volent des grosses crapules. Le titre Dollars laisse présumer un contenu sous-jacent dénonçant l’attrait de l’argent mais il n’en est rien. L’histoire est assez classique et il est bien difficile d’y trouver la marque de Richard Brooks. Le point fort du film est plutôt à chercher du côté de son efficacité et de son énergie. La poursuite qui occupe une bonne partie de la seconde moitié du film est pleine de rebondissements. L’ensemble est toutefois un peu long et, surtout, un peu vain.
Elle:
Lui : 2 étoiles

Acteurs: Warren Beatty, Goldie Hawn, Gert Fröbe, Robert Webber, Scott Brady
Voir la fiche du film et la filmographie de Richard Brooks sur le site IMDB.

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31 octobre 2013

Sommaire d’octobre 2013

La Rue de la honteLe héros sacrilègeL'impératrice Yang Kwei-FeiLes Amants crucifiésUne femme dont on parleL'Intendant SanshoLes Musiciens de GionLes Contes de la lune vague après la pluie

La Rue de la honte

(1956) de Kenji Mizoguchi

Le héros sacrilège

(1955) de Kenji Mizoguchi

L’impératrice Yang Kwei-Fei

(1955) de Kenji Mizoguchi

Les Amants crucifiés

(1954) de Kenji Mizoguchi

Une femme dont on parle

(1954) de Kenji Mizoguchi

L’Intendant Sansho

(1954) de Kenji Mizoguchi

Les Musiciens de Gion

(1953) de Kenji Mizoguchi

Les Contes de la lune vague après la pluie

(1953) de Kenji Mizoguchi

La Vie d'O'Haru, femme galanteMiss OyûSpéciale premièreA Girl in Every PortQue la fête commence?Un vrai crime d'amourFolies olympiquesNoix de coco

La Vie d’O’Haru, femme galante

(1952) de Kenji Mizoguchi

Miss Oyû

(1951) de Kenji Mizoguchi

Spéciale première

(1974) de Billy Wilder

A Girl in Every Port

(1952) de Chester Erskine

Que la fête commence…

(1975) de Bertrand Tavernier

Un vrai crime d’amour

(1974) de Luigi Comencini

Folies olympiques

(1932) de Edward F. Cline

Noix de coco

(1929) de Robert Florey
et Joseph Santley

Quatorze JuilletLe MillionSous les toits de ParisLes ImplacablesAstérix et Obélix: Au service de Sa MajestéLe PigeonLe jour du fléau

Quatorze Juillet

(1933) de René Clair

Le Million

(1931) de René Clair

Sous les toits de Paris

(1930) de René Clair

Les Implacables

(1955) de Raoul Walsh

Astérix et Obélix: Au service de Sa Majesté

(2012) de Laurent Tirard

Le Pigeon

(1958) de Mario Monicelli

Le jour du fléau

(1975) de John Schlesinger

Nombre de billets : 23

29 octobre 2013

La Rue de la honte (1956) de Kenji Mizoguchi

Titre original : « Akasen chitai »

La rue de la honteDans une maison de tolérance du quartier des plaisirs de Tokyo, cinq femmes se vendent aux passants alors qu’une loi limitant la prostitution est sur le point d’être votée… Sept ans après Les Femmes de la nuit, Mizoguchi nous montre l’univers de la vie des prostituées des années cinquante dans Akasen chitai, littéralement « Le Quartier de la ligne rouge » (1). Sous influence américaine, le Japon est alors sur le point de légiférer pour limiter la prostitution (ce sera fait quelques mois après la sortie du film). Mizoguchi nous montre les motivations de ces cinq femmes, comment la prostitution peut être le moyen de survivre, d’échapper à une situation difficile, tout en étant un piège dont on ne peut s’extraire. L’argent est à la base de toutes les situations. Comme dans tous ses autres films, le propos de Mizoguchi n’est jamais moralisateur : il ne porte pas de jugement, ne donne pas de solution miracle, son propos est essentiellement humaniste. Il montre aussi qu’une loi ne peut tout résoudre. S’il est revenu au noir et blanc après deux films historiques en couleurs, le cinéaste semble adopter un style différent. Son montage est plus nerveux, il abandonne le plan-séquence et choisit une musique électronique très moderne, presque expérimentale. Ces éléments viennent appuyer le sentiment que c’est un regard nouveau qu’il porte sur ce monde qui a bien changé. La Rue de la honte a connu un très grand succès, ce fut le plus grand succès de Mizoguchi des années cinquante.
Elle: 4 étoiles
Lui : 4 étoiles

Acteurs: Machiko Kyô, Ayako Wakao, Michiyo Kogure, Aiko Mimasu, Kenji Sugawara, Yasuko Kawakami, Eitarô Shindô
Voir la fiche du film et la filmographie de Kenji Mizoguchi sur le site IMDB.

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Remarques :
* La Rue de la honte est le dernier film de Kenzi Mizoguchi. Déjà très malade pendant le tournage, il mourra d’une leucémie cinq mois après la sortie, en août 1956, alors qu’il travaillait sur son film suivant, Saikaku Ihara, Une histoire d’Osaka.

* On remarquera que le générique qui ouvre La rue de la honte (1956) rappelle celui des Femmes de la nuit (1948) : un lent panoramique sur la ville de Tokyo. Mais alors que celui des Femmes de la Nuit nous montrait une ville dévastée par les bombardements, le panoramique de La Rue de la honte nous laisse voir un Tokyo encore convalescent mais déjà bien reconstruit. Ce panoramique sur le quartier de Yoshiwara, au nord de la ville, s’achève sur l’imposant temple Honzan Higashihongan-ji qui émerge seul d’une mer de petits bâtiments.

* Seulement deux ans séparent La Rue de la honte de Une femme dont on parle mais le monde de la prostitution y est décrit bien différemment. Ici, il n’est plus question d’être entre deux mondes, les geishas et leur raffinement ont laissé la place aux prostituées « modernes » qui racolent de façon quelque peu insistante.

* Les américains pressaient le gouvernement japonais à réguler la prostitution non seulement pour des questions morales mais aussi parce que le nombre de maladies vénériennes chez les soldats américains des forces d’occupation était à un niveau alarmant.

Remake :
Rue de la joie (Akasen tamanoi: Nukeraremasu) de Tatsumi Kumashiro (1974)

(1) La ligne rouge dont il est question est celle qui délimite le quartier des plaisirs sur la carte de Tokyo. Le titre a été traduit de façon approximative en anglais, Red Light District pour l’Angleterre et, pire encore, Street of Shame (= rue de la honte) aux USA. Ce dernier titre nous prouve, si besoin est, que les distributeurs cherchent rarement à respecter le propos des auteurs : en effet, le plus est remarquable dans le film est le fait que Mizoguchi sait nous montrer la vie et les motivations de ces prostituées sans porter de jugement moral.

28 octobre 2013

Le héros sacrilège (1955) de Kenji Mizoguchi

Titre original : « Shin heike monogatari »

Le héros sacrilègeDans le Japon du XIIe siècle, le capitaine Tadamori rentre à Kyoto après avoir vaincu une révolte de pirates dans les mers de l’ouest. Les nobles de la cour empêchent l’empereur de le féliciter car il n’est qu’un samouraï. Ce mépris génère un fort ressentiment chez son fils Kiyomori… Avec Le héros sacrilège, Kenji Mizoguchi met en scène une période charnière de l’histoire du Japon, le moment où les nobles et les moines d’influence chinoise vont perdre leurs pouvoirs au profit des samouraïs, ouvrant ainsi une période de pouvoirs plutôt militaires qui va durer 7 siècles. Il est bien entendu possible de faire un parallèle avec le Japon des années cinquante qui, au lendemain de la Seconde Guerre mondiale, était également en mutation, avec la bénédiction des américains. Dans les deux cas, une classe au pouvoir devait céder le pouvoir au peuple. Le héros sacrilège est donc une belle fresque historique, le second (et dernier) film en couleurs de Mizoguchi (1). Le film a été tourné avec des moyens assez importants comme l’attestent plusieurs scènes de grande ampleur avec de très nombreux figurants. Mizoguchi soigne la reconstitution, les décors, les costumes. Fait rarissime chez le cinéaste, la femme est ici vile et cupide, le héros est un homme. Ce fils va se construire en créant la rupture, bravant les interdits, refusant le joug de la caste des nobles ou des religieux. Outre la force du récit, l’autre point fort du film est sa beauté formelle. La mise en scène Mizoguchi appuie subtilement le propos, alternant plans séquences avec un montage plus heurté, jouant avec les couleurs pour renforcer des sentiments. Le héros sacrilège est certes un film inhabituel pour Mizoguchi (et il n’était probablement pas totalement enthousiasmé par le sujet) mais il n’en mérite pas moins de figurer parmi ses plus grandes réalisations.
Elle:
Lui : 5 étoiles

Acteurs: Narutoshi Hayashi, Raizô Ichikawa, Tatsuya Ishiguro, Michiyo Kogure, Yoshiko Kuga, Eitarô Shindô
Voir la fiche du film et la filmographie de Kenji Mizoguchi sur le site IMDB.
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Remarques :
* Mizoguchi adapte le roman historique d’Eiji Yoshikawa, Shin heike monogatari, qui donnait une nouvelle version de cette montée au pouvoir du clan Taira (aussi nommé Heike) au XIIe siècle. L’écrivain réhabilitait le rôle de Kiyomori Taira qui était auparavant mal considéré dans la tradition populaire. Mizoguchi n’adapte que la moitié du roman, la seconde sera adaptée en 1956 par Teinosuke Kinugasa : Shin, Heike monogatari: Yoshinaka o meguru sannin no onna, film aujourd’hui perdu. Kinugasa avait déjà réalisé deux ans plus tôt, La Porte de l’enfer (1953), film récompensé par une Palme d’or à Cannes et qui traite de la même époque.

* Mizoguchi n’aime pas les scènes d’action et son scénariste, Yoshikata Yoda, raconte que le cinéaste l’a fait venir au moment de tourner la scène finale avec les palanquins, une scène avec laquelle il était très mal à l’aise et qu’il aurait préféré ne pas tourner.

* Le héros sacrilège a lancé la carrière du jeune acteur Raizô Ichikawa (qui n’a aucun lien de parenté avec le réalisateur Kon Ichikawa) qui est devenu un acteur très célèbre au Japon.

(1) Mizoguchi préférera revenir au noir au blanc pour son film suivant qui sera, hélas, son ultime réalisation.

26 octobre 2013

L’impératrice Yang Kwei-Fei (1955) de Kenji Mizoguchi

Titre original : « Yôkihi »

L'impératrice Yang Kwei-FeiDans la Chine du VIIIe siècle, l’empereur Hiuan-Tsong est inconsolable depuis la mort de l’impératrice, seule la musique lui donne quelque joie. On lui présente une jeune fille d’origines simples qui lui ressemble. D’abord réticent, l’empereur est rapidement charmé par sa fraîcheur et sa sincérité… Basé sur une légende très connue en Chine et même au Japon, L’impératrice Yang Kwei-Fei est le premier film de Mizoguchi en couleurs. Les décors et les somptueux costumes, richement reconstitués, profitent pleinement de ce passage à la couleur. Le film est esthétiquement très beau et le fait d’avoir choisi une histoire se déroulant en Chine permet de jouer avec les tons pastel. Il ne faut pas vraiment chercher à faire une lecture politique ou historique du film, L’impératrice Yang Kwei-Fei est plus l’histoire d’un amour très pur de deux êtres entourés par des personnages dévorés d’ambition ou mûs par des intérêts égoïstes (1). Le personnage de Yang Kwei-Fei est presque virginal, totalement désintéressé, un modèle de vertu qui ira jusqu’au sacrifice suprême (2). Mizoguchi reforme ici le couple de Rashômon, Machiko Kyô et Masayuki Mori, qui ont tous deux une belle présence à l’écran. Si le déroulement de l’histoire n’est pas le point fort du film, L’impératrice Yang Kwei-Fei est très beau et comporte de superbes scènes (la fête populaire, les vergers en fleurs, l’exécution finale).
Elle:
Lui : 4 étoiles

Acteurs: Machiko Kyô, Masayuki Mori, Sô Yamamura, Eitarô Shindô, Eitarô Ozawa
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Remarques :
* Le titre peut se traduire par « La première concubine ». En effet, contrairement à ce que laisse croire la traduction hâtive du titre en français (et également en anglais), Yang Kwei-Fei ne fut jamais impératrice mais seulement première concubine.
* L’impératrice Yang Kwei-Fei est une coproduction entre la japonaise Daiei et la chinoise Shaw Brothers basée à Hong Kong.

(1) Sur ce point, on peut rapprocher L’impératrice Yang Kwei-Fei du film précédent de Mizoguchi Les Amants crucifiés.

(2) Le sacrifice de la femme par suicide (ou, comme ici, par mort acceptée) est un thème que l’on retrouve dans de nombreux films de Mizoguchi.

25 octobre 2013

Les Amants crucifiés (1954) de Kenji Mizoguchi

Titre original : « Chikamatsu monogatari »

Les amants crucifiés A la fin du XVIIe siècle, Mohei est le brillant employé de l’imprimeur des calendriers du palais impérial. La jeune épouse de son patron lui demande de lui consentir un prêt pour aider sa famille car son mari est très avare. Un concours de circonstances va les obliger à s’enfuir ensemble… Les Amants crucifiés est l’adaptation d’une pièce de Monzaemon Chikamatsu écrite en 1715. L’histoire est assez inhabituelle pour Mizoguchi : alors que nombre de ses films précédents montrent l’impossibilité de l’amour parfait, Les Amants crucifiés a pour pivot central une histoire d’amour totalement partagé de deux êtres purs, un amour d’abord non déclaré du fait des conventions sociales mais qui va pouvoir s’exprimer une fois passé dans l’illégalité. Comme le titre le laisse supposer, tout cela se terminera mal, Mizoguchi n’a d’ailleurs aucun attrait pour les happy-ends. Les autres personnages sont en effet particulièrement vils, soit par avarice ou arrivisme, soit par respect des conventions qui pèsent lourdement sur la société. Le traitement par Mizoguchi est à la fois puissant et beau, avec des scènes de fuite assez remarquables et, une fois encore, une très belle scène dans une barque de nuit. Même s’il est un peu moins connu que Les Contes de la lune vague après la pluie ou L’Intendant Sansho, Les Amants crucifiés fait bien partie des plus grands films de Mizoguchi.
Elle: 4 étoiles
Lui : 5 étoiles

Acteurs: Kazuo Hasegawa, Kyôko Kagawa, Eitarô Shindô, Eitarô Ozawa, Yôko Minamida
Voir la fiche du film et la filmographie de Kenji Mizoguchi sur le site IMDB.

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Remarques :
* Yoshikata Yoda rapporte dans son livre « Souvenirs de Kenji Mizoguchi » que Mizoguchi ne semblait pas particulièrement enthousiasmé par le projet. Etait-ce dû à sa récente  rupture avec Kinuyo Tanaka ? Au choix de l’acteur principal Kazuo Hasegawa qu’il pensait trop âgé ? A sa déception de n’avoir reçu que des Lions d’argent à Venise alors que Kurosawa avait déjà été récompensé par un Lion d’or ?

* Monzaemon Chikamatsu (1653-1725) écrivait des pièces pour le théâtre de marionnettes (le jôruri, ancêtre du bunraku). Parfois surnommé « le Shakespeare japonais », il est considéré comme le plus grand dramaturge japonais. Ses pièces mêlent souvent amour et suicides. Il est très connu au Japon, d’ailleurs le titre original japonais peut être traduit ainsi : « Un récit de Chikamatsu ».

24 octobre 2013

Une femme dont on parle (1954) de Kenji Mizoguchi

Titre original : « Uwasa no onna »

Une femme dont on parleDans le quartier des plaisirs de Kyoto, Hatsuko dirige une maison de geishas. Elle vient d’aller chercher sa fille qui faisait des études à Tokyo après que celle-ci ait tenté de se suicider à la suite d’une peine de coeur. D’allure et de tempérament moderne, la jeune fille rejette le métier de sa mère… Une femme dont on parle est un film qui a été imposé à Mizoguchi par sa compagnie, la Daiei. L’histoire a toutefois été écrite par Masashige Narusawa et Yoshikata Yoda. Elle met en relief non seulement le fossé des générations mais aussi les difficultés de l’amour et l’impossibilité pour les femmes de ce milieu de sortir de leur condition. Il est, bien entendu, tentant de rapprocher Une femme dont on parle de Les Musiciens de Gion tourné l’année précédente. L’histoire est ici un peu moins puissante, les personnages étant également moins forts. Sur la forme, Mizoguchi semble s’écarter quelque peu des longs plans séquences, utilisant le montage pour insérer fréquemment des gros plans et des champs-contrechamps. Les travelings semblent également plus rares. Une femme dont on parle n’en reste pas moins un beau film empreint d’un certain fatalisme.
Elle:
Lui : 3 étoiles

Acteurs: Kinuyo Tanaka, Tomoemon Otani, Yoshiko Kuga, Eitarô Shindô
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Remarques :
* C’est le dernier film de Mizoguchi avec son actrice fétiche, dont il était plus ou moins secrètement amoureux, Kinuyo Tanaka. L’actrice était en effet passée de l’autre côté de la caméra pour réaliser un premier film et un second film était en projet. Assez égoïstement, Mizoguchi tenta même de bloquer ce second projet. Ils se quittèrent donc en mauvais termes. Kinuyo Tanaka est devenue la première femme réalisatrice japonaise. Elle a réalisé 6 films entre 1953 et 1962 tout en continuant à être une actrice très demandée (entre 1924 et 1976, elle apparaît dans 163 films).

* On peut se demander pourquoi tant de films de Mizoguchi ont pour cadre le milieu des geishas ou de la prostitution. La réponse, il faut aller la chercher dans l’enfance du cinéaste. En 1905 (Kenji a alors 7 ans), la famille Mizoguchi est ruinée et le père est réduit à placer sa fille comme geisha. Ce sacrifice de sa soeur ainée pour faire vivre la famille a marqué durablement le cinéaste. Plus tard, dans les années 30 et 40, il a lui-même beaucoup fréquenté les prostituées (ce qui d’ailleurs était socialement admis à cette époque), éprouvant toujours de la sympathie pour elles.

23 octobre 2013

L’Intendant Sansho (1954) de Kenji Mizoguchi

Titre original : « Sanshô dayû »

L'intendant SanshoAu XIe siècle, le fils et la fille d’un gouverneur exilé pour ses idées humanistes sont vendus comme esclaves à un seigneur brutal et cruel… L’Intendant Sansho est adapté d’une légende populaire japonaise, plus précisément dans sa version écrite en 1915 par Ogai Mori. Nous sommes ici à une époque très ancienne où l’humanité n’est pas encore une valeur de société mais commence à poindre de façon individuelle : les prémices d’une longue transition. « L’homme qui est fermé à la pitié n’est pas humain, sois exigeant envers toi-même et généreux envers les autres », tel est le précepte que le père transmet à son jeune fils avant d’en être séparé. Le parcours des deux enfants sera difficile avant de pouvoir le mettre en pratique. Le récit de Mizoguchi est fort et prenant, toujours admirable de simplicité, sans excès de dramatisation, profondément humaniste. La scène finale est sans aucun doute la fin la plus forte et émouvante de toute la filmographie de Mizoguchi. Du grand cinéma.
Elle: 5 étoiles
Lui : 5 étoiles

Acteurs: Kinuyo Tanaka, Yoshiaki Hanayagi, Kyôko Kagawa, Eitarô Shindô
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Remarques :
* L’Intendant Sansho est l’un des rares films de Mizoguchi qui ne repose pas sur un personnage féminin central et fort.

* La dernière période de Mizoguchi (1950-1956) se partage entre films historiques et films se déroulant à l’époque contemporaine. Il faut garder à l’esprit que Rashômon de Kurosawa fut le premier film japonais à acquérir une renommée internationale (à la suite de son Lion d’Or en 1951) et le désir de faire des films d’époque était aussi celui de retrouver le succès de Rashômon. Ajoutons à cela que Mizoguchi, ayant tout de même débuté vingt ans avant Kurosawa, devait éprouver l’envie d’être reconnu en Occident comme le meilleur cinéaste japonais.

* L’Intendant Sansho remporta un Lion d’Argent au festival de Venise en 1954. Les trois autres films à recevoir cette récompense cette année-là furent La Strada de Fellini, Les Sept Samouraïs de Kurosawa et Sur les quais d’Elia Kazan… Un beau quartet ! On peut saluer la clairvoyance du jury (tout serait parfait si le film qui reçut la récompense suprême, le Lion d’Or, n’avait pas été le Roméo et Juliette de Renato Castellani, film qui a laissé une trace bien moindre…)

* Mizoguchi s’adressa d’abord à Fuji Yahiro pour écrire l’adaptation du texte d’Ogai Mori. Celui-ci étant essentiellement un récit pour enfants, Yahiro écrivit une adaptation dans le même esprit qui ne plût guère à Mizoguchi. Le cinéaste se tourna alors vers son fidèle Yoshikata Yoda.