17 novembre 2013

Noblesse oblige (1949) de Robert Hamer

Titre original : « Kind Hearts and Coronets »

Noblesse obligeEn 1868, la veille de son exécution, Louis Mazzani, duc d’Ascoyne, écrit ses mémoires. Sa mère ayant été reniée par sa famille de haute noblesse après avoir épousé un chanteur italien, Louis a juré de se venger et de tuer tous les membres de la famille situés avant lui dans la ligne de descendance directe… 65 ans après sa sortie, Noblesse oblige reste insurpassé dans le genre de l’humour anglais, une sorte de mètre-étalon de l’humour noir qui a fait, plus que tous les autres, la renommée des studios anglais Ealing. Prenant appui sur un roman de Roy Horniman, Robert Hamer et John Dighton ont écrit une comédie mêlant ironie, immoralité et cynisme dans un écrin formé par une narration empreinte de retenue et de distinction. Ils ont su trouver un ton très original, éminemment britannique. Les dialogues sont brillants et savoureux. Mais le succès de Noblesse oblige est également dû à une autre trouvaille qui fit sa renommée : faire jouer huit rôles différents (dont une femme) par Alec Guinness, Noblesse oblige une petite prouesse que l’acteur accomplit avec panache et, bien entendu, humour. Car l’humour est toujours présent, pas celui qui nous fait rire aux éclats mais un humour pince-sans-rire et subtil, tout en retenue : les délices de l’humour anglais à son meilleur. Insensible au temps, Noblesse oblige est une petite merveille, un film qui mérite bien sa réputation.
Elle: 5 étoiles
Lui : 5 étoiles

Acteurs: Dennis Price, Valerie Hobson, Joan Greenwood, Alec Guinness
Voir la fiche du film et la filmographie de Robert Hamer sur le site IMDB.
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Remarques :
* Pour passer la censure, la version américaine a dix secondes supplémentaires à la fin montrant une personne découvrant le manuscrit (ce qui est pourtant implicite dans la version originale). En outre, des dialogues furent coupés pour préserver les bonnes mœurs… Au total, la version américaine est plus courte de 6 minutes.

Noblesse oblige* Le titre est dérivé d’un vers d’Alfred Tennyson devenu proverbe anglais, « Kind hearts are more than coronets », qui signifie « un coeur bon vaut mieux que des lettres de noblesse.» (Poème Lady Clara Vere de Vere, ca. 1833, où l’auteur s’en prend assez durement à une jeune femme qui joue de sa noble lignée pour séduire.)
Extrait :
Howe’er it be, it seems to me,
‘Tis only noble to be good.
Kind hearts are more than coronets,
And simple faith than Norman blood.
Lire le poème en entier

* La phrase faisant le titre français, Noblesse oblige, est prononcée en français dans la version originale anglaise, au tout début dans le dialogue entre le directeur de la prison et le bourreau.

Noblesse oblige* Parmi tous les films des studios Ealing, Noblesse oblige est celui dont l’humour est le plus noir. A ce propos, il faut noter que si le film a fait en grande partie la réputation des studios Ealing, son dirigeant Michael Balcon n’était guère enthousiaste sur le projet, persuadé que cette forme d’humour ne fonctionnerait pas auprès du public.

* Alec Guinness n’a pas été engagé pour jouer tous les rôles (était-ce pour un seul rôle, deux ou quatre ? Les témoignages divergent…) C’est lui-même qui a insisté pour les jouer tous. L’effet sur le succès du film n’avait pas été vraiment anticipé comme en témoigne l’affiche originale ci-dessus qui met en avant les deux éléments féminins. Ce n’est que plus tard que les affiches furent refaites pour montrer les huit personnages d’Alec Guinness (voir exemple ci-contre).

* Noblesse oblige est à la 6e position dans l’excellente liste des 100 meilleurs films britanniques du British Film Institute (B.F.I.) (liste établie en 1999).

15 novembre 2013

Ils attrapèrent le bac (1948) de Carl Theodor Dreyer

Titre original : « De nåede færgen »

Ils attrapèrent le bac(Court métrage de 11 minutes) Un couple arrive par le bac sur une moto. Ils n’ont que 45 minutes pour attraper un second bac à 70 kms de là et doivent donc rouler très vite pour y parvenir…
Après l’échec de Vampyr (1932), Carl Theodor Dreyer retourne au Danemark pour y exercer son ancien métier de journaliste. Ce n’est que dix ans plus tard, en 1942, qu’il recommence à tourner, signant au cours de la décennie deux longs métrages et plusieurs courts métrages documentaires. Ils attrapèrent le bac est une commande de la Sécurité routière dans le cadre d’une campagne contre la vitesse excessive sur la route. C’est tout de même une adaptation, celle d’un court roman de l’écrivain danois Johannes V. Jensen, Prix Nobel de littérature 1944. Ils attrapèrent le bac Nous suivons le couple sur la moto, doublant toutes les autres voitures, prenant souvent de grands risques. Le montage est assez riche et rapide avec de très nombreux plans différents remarquablement bien utilisés. La réalisation est précise. Dreyer apporte une petite touche d’étrangeté avec cette voiture mystérieuse difficile à doubler dont la capote arrière est ornée d’un motif de squelette semblable à une gigantesque araignée. Il apporte aussi une petite note d’humour lorsque la moto se trompe de route : la caméra s’arrête au carrefour, laissant la moto s’éloigner dans la mauvaise direction, attendant patiemment qu’elle revienne. D’une base simple, Dreyer a fait un film assez complet et riche. Ils attrapèrent le bac est considéré comme étant l’un des meilleurs courts métrages de Dreyer.
Elle:
Lui : 3 étoiles

Acteurs: Joseph Koch
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Remarque :
* L’homme qui conduit la moto est Joseph Koch, un pilote professionnel. C’est son épouse qui est derrière lui.

10 novembre 2013

Antoine et Antoinette (1947) de Jacques Becker

Antoine et AntoinetteNous sommes à Paris au lendemain de la guerre. Antoine travaille dans une imprimerie et Antoinette est vendeuse dans un grand magasin. Mariés, ils vivent dans un petit appartement. Un jour, la chance leur sourit par le moyen d’un billet gagnant à la loterie… Ecrit par Jacques Becker avec l’aide de Maurice Griffe et de Françoise Giroud, Antoine et Antoinette dresse un portrait très réaliste de ce jeune couple avec des ressources limitées mais plutôt heureux de vivre. Avec une précision et aussi une certaine tendresse, Jacques Becker nous les montre dans leur vie de tous les jours. C’est une histoire simple que l’on pourrait rattacher au néoréalisme si le genre avait vraiment fait école dans le cinéma français de l’Après-guerre. L’ensemble est illuminé par le charme de Claire Mafféi qui apporte une fraîcheur mêlé d’une bienfaitrice insouciance. L’histoire du billet de loterie est là pour donner un peu de corps à l’histoire mais le film aurait certainement gardé tout son attrait et son charme sans cela. Antoine et Antoinette est avant tout une ode à la jeunesse et à l’amour.
Elle:
Lui : 4 étoiles

Acteurs: Roger Pigaut, Claire Mafféi, Noël Roquevert
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Remarques :
* Louis de Funès fait ici l’une des ses premières apparitions à l’écran, dans un double rôle : c’est l’un des garçons-épiciers qui déchargent le camion. Plus tard, c’est l’un des invités à la noce : il est alors plus difficilement reconnaissable, avec une moustache (voir un montage vidéo de ces scènes). On remarque aussi la présence de Gérard Oury en client entreprenant.
– Claire Mafféi n’a que peu tourné ensuite. Antoine et Antoinette est, de loin, son film le plus important.

4 novembre 2013

Qui a tué Vicky Lynn? (1941) de H. Bruce Humberstone

Titre original : « I Wake Up Screaming »
Autre titre (UK) : « Hot Spot »

Qui a tué Vicky Lynn?Une jeune femme qui posait pour des magazines vient d’être assassinée. La police interroge de façon serrée l’homme qui l’avait découverte comme serveuse dans un restaurant et qui était devenu son agent. Le fait que la jeune modèle fut sur le point de quitter New York pour tenter sa chance à Hollywood laisse devenir le mobile… I Wake Up Screaming est un film remarquable (digne d’être remarqué) à plus d’un titre : tout d’abord, c’est un film noir de 1941 donc l’un des tous premiers dans cette décennie qui fut royale pour le genre. Ensuite, la structure du récit en plusieurs flashbacks non chronologiques et les brusques changements de ton préfigurent de façon étonnante ce que sera un film comme Laura quelques années plus tard. La photographie est elle aussi remarquable, l’utilisation de la lumière, les cadrages, les mouvements de caméra sont assez innovants ; on pourrait voir là l’influence de Citizen Kane mais le film de Welles n’est sorti que quelques mois auparavant. Enfin, le jeu des acteurs est solide avec un Victor Mature charmeur, une Betty Grable Qui a tué Vicky Lynn? (qui n’était pas encore devenue la pinup préférée des GI) dans un environnement assez inhabituel pour elle et surtout l’imposant et impressionnant Laird Cregar, sorte de Sydney Greenstreet dix fois plus inquiétant, acteur dont la carrière sera hélas très courte (1). Pour couronner le tout, l’histoire est assez originale, assez inattendue. I Wake Up Screaming est bel et bien un film remarquable.
Elle:
Lui : 4 étoiles

Acteurs: Betty Grable, Victor Mature, Carole Landis, Laird Cregar, William Gargan, Alan Mowbray, Elisha Cook Jr.
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Remarques :
* La bande sonore utilise de façon étonnante la musique de Somewhere over the rainbow (du Magicien d’Oz) à plusieurs reprises, de façon sans doute un peu insistante. On remarquera aussi l’utilisation de la musique du générique pour entrer dans les flashbacks.
* Le scénario de I Wake Up Screaming est basé sur le roman Vicky de Steve Fisher, un auteur connu pour ses pulp stories. L’adaptation est signée Dwight Taylor.
* Le titre prévu était Hot Spot. Il fut changé au dernier moment pour I Wake up screaming. Le titre original est toutefois resté pour la version diffusée en Grande Bretagne.

(1) Laird Cregar décédera d’une crise cardiaque à la fin de 1944. Il avait alors 31 ans. Il a figuré dans seulement 16 films, entre 1940 et 1944.

30 septembre 2013

L’Étoile des étoiles (1947) d’Alexander Hall

Titre original : « Down to Earth »

L'etoile des étoilesLorsque Danny Miller met en scène un show sur le thème de la mythologie grecque, cela ne plait guère aux vraies muses qui se trouvent représentées de façon trop vulgaire. Terpsichore, muse de la danse, obtient de pouvoir descendre sur la Terre, bien décidée à se faire engager comme danseuse afin de modifier le contenu de la pièce… Down to Earth est presque une suite de l’excellent Here comes Mr Jordan du même Alexander Hall : on y retrouve certains des personnages dans un contexte similaire (1). La forme est toutefois bien différente puisqu’il s’agit ici d’une comédie musicale ; la qualité aussi est différente car il faut bien avouer que l’ensemble est assez fade. Le scénario, pourtant original, n’est guère développé, la musique est sans originalité et même les chorégraphies de Jack Cole ne sont pas franchement remarquables (2). Il reste bien entendu le charme et la présence de Rita Hayworth, particulièrement rayonnante, qui sauve le film de l’oubli. Down to Earth eut beaucoup de succès à l’époque.
Elle:
Lui : 2 étoiles

Acteurs: Rita Hayworth, Larry Parks, Marc Platt, Roland Culver, James Gleason, Edward Everett Horton
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Remarques :
* Quand elle chante, Rita Hayworth est doublée par Anita Ellis. Larry Parks est quant à lui doublé par Hal Derwin.
* Dans la filmographie de Rita Hayworth, Down to Earth s’inscrit juste entre Gilda et La Dame de Shanghai, probablement ses deux plus grands films. Nous ne sommes pas ici au même niveau, hélas…
* Clin d’oeil : l’objet que lance Kitty dans le miroir est la même boule à neige que laisse tomber Charles Forster Kane en mourant dans Citizen Kane. C’est un clin d’oeil à Orson Welles qui était alors le mari de Rita Hayworth.

(1) Du film Here comes Mr Jordan (1941), on retrouve le personnage de Mr Jordan, interprété non plus par Claude Rains mais par Roland Culver (physiquement assez proche). Son adjoint, le Messager 7013 est interprété dans les deux films par le même acteur, Edward Everett Morton, tout comme l’agent sportif/artistique, par James Gleason.

(2) Jack Cole deviendra plus célèbre par la suite pour ses chorégraphies (citons par exemple Les hommes préfèrent les blondes ).

28 septembre 2013

Adieu, ma belle (1944) de Edward Dmytryk

Titre original : « Murder, My Sweet »
Autre titre : « Farewell, My Lovely » (UK)
Autre titre français : « Adieu ma jolie »
Autre titre français : « Le crime vient à la fin »

Adieu, ma belleLe détective Philip Marlowe est interrogé par la police. Blessé, il porte un bandage sur les yeux. Il raconte que tout a commencé lorsqu’un homme récemment sorti de prison lui a demandé de retrouver une femme… Adieu, ma belle est l’adaptation du deuxième roman policier de Raymond Chandler qui avait déjà servi de base à The Falcon Takes Over, deux ans auparavant. Cette fois, l’idée est de rester très proche du roman et de son univers. Edward Dmytryk y parvient merveilleusement. Tout d’abord, il prend soin à créer une atmosphère en soignant ses éclairages (1) et surtout il restitue ce sentiment de faire corps avec le détective : en plaçant tout le film dans un flashback et en faisant parler Marlowe en voix-off, il est ainsi très proche de l’esprit du roman qui est écrit à la première personne. Adieu, ma belle De plus, Dick Powell rend le détective très humain : il est notamment beaucoup plus fragile que ne le sera Bogart. L’histoire est bien entendu assez alambiquée, et si elle présente de petits points communs avec The Big Sleep et même The High Window (ses 1er et 3e romans), ce sont les thèmes récurrents des romans de Chandler. On remarquera les scènes hallucinogènes, fort bien rendues. Adieu, ma belle est aujourd’hui un peu dans l’ombre du Grand Sommeil de Hawks mais le film n’en est pas moins une superbe adaptation et mérite bien d’être classé parmi les meilleurs films noirs.
Elle:
Lui : 4 étoiles

Acteurs: Dick Powell, Claire Trevor, Anne Shirley, Otto Kruger, Mike Mazurki
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Remarques :
* Raymond Chandler a déclaré que Murder, My Sweet était la meilleure adaptation cinématographique d’un de ses romans et que Dick Powell était l’incarnation la plus fidèle de son détective Philip Marlowe.
* Le titre du roman de Chandler, Farewell, My Lovely, n’a pas été conservé par la RKO pour le film : le public américain pouvait penser avoir affaire à une comédie musicale, genre dans lequel Dick Powell s’était déjà illustré.
* Connu pour ses comédies, Dick Powell désirait changer de registre : RKO l’avait mis sous contrat pour qu’il tourne des comédies musicales et Dick Powell n’avait accepté que s’il avait la possibilité de d’avoir un rôle dramatique dans au moins un film.
* Murder, My Sweet est le premier film où apparaît le personnage Philip Marlowe (le personnage principal de la précédente adaptation du roman était The Falcon, justicier/enquêteur d’une série de films de la RKO).

Adaptation précédente :
The Falcon Takes Over d’Irving Reis (1942) avec Georges Sanders
Adaptation suivante :
Adieu, ma jolie (Farewell, My Lovely) de Dick Richards (1975) avec Robert Mitchum et Charlotte Rampling

(1) En matière d’éclairage, la scène où Marlowe voit son visiteur en reflet sur sa fenêtre est assez remarquable (à noter qu’Edward Dmytryk a obtenu l’effet en plaçant une vitre entre la caméra et la fenêtre afin d’avoir une tête suffisamment grande pour faire son effet). Tout aussi remarquable à mes yeux est cette scène où Claire Trevor éteint la lumière après avoir passé une robe de chambre : elle se retrouve alors plus éclairée qu’avant et pourtant cela paraît naturel (l’éclairage est alors très focalisé sur elle).

11 septembre 2013

La Ferme du pendu (1945) de Jean Dréville

La ferme du penduDans une vaste ferme de Vendée, la mort du patriarche laisse seuls trois frères et leur soeur. Pour l’aîné, il n’est pas question de vendre ou de morceler le domaine. Afin de garder la famille soudée, il use même de son autorité pour empêcher ses frères et soeurs de penser au mariage… La Ferme du pendu est un solide et intense drame paysan qui met en scène l’acharnement d’un homme dont l’attachement à la terre devient obsession destructrice. Il se double d’une description assez minutieuse du monde paysan de l’Entre-deux-guerres, un aspect presque documentaire, Dréville gardant une certaine distance avec ses personnages et évitant tout surcroît de dramatisation. L’interprétation est remarquable ; Charles Vanel apporte une grande intensité à l’ensemble mais tous les rôles sont parfaitement tenus. La Ferme du pendu est le premier film de Bourvil qui n’a ici qu’un petit rôle de commerçant du village qui lui permet tout de même de pousser sa célèbre chansonnette Les Crayons dans la scène du mariage.
Elle:
Lui : 3 étoiles

Acteurs: Charles Vanel, Alfred Adam, Guy Decomble, Lucienne Laurence, Claudine Dupuis, Arlette Merry, Bourvil
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Remarque :
La Ferme du pendu est adapté d’un roman de Gilbert Dupé (1900-1986), écrivain régionaliste qui connut un certain succès.

6 septembre 2013

Le Narcisse noir (1947) de Michael Powell et Emeric Pressburger

Titre original : « Black Narcissus »

Le narcisse noirUne religieuse est envoyée par sa mère supérieure dans une région perdue de l’Himalaya pour y fonder une école et un dispensaire. Elle est accompagnée de quatre nonnes… Le Narcisse noir est adapté d’un roman de Rumer Godden, anglaise qui a grandi en Inde et également auteur du roman Le Fleuve que Jean Renoir adaptera peu après. C’est une histoire assez étrange qui met en scène de façon originale les différences de cultures. Michael Powell en fait un film à la fois assez fort et aussi très beau grâce aux matte paintings  de Walter Percy Day(1) magnifiés par le Technicolor et la photographie de Jack Cardiff. Ce dernier et le directeur artistique Alfred Junge furent tous deux oscarisés pour leur travail. En plus des questionnements et interrogations des nonnes sur leur foi, l’histoire peut être vue comme une métaphore de la fin de la domination anglaise en Inde (2). Le Narcisse noir n’est certes pas un film parfait, notamment sur le plan du déroulement du scénario et du rythme, mais il fait montre d’une belle intensité dans certaines scènes.
Elle:
Lui : 4 étoiles

Acteurs: Deborah Kerr, Kathleen Byron, Sabu, David Farrar, Jean Simmons
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Remarques :
Le narcisse noir* Le film a été tourné en studio avec des décors en toiles peintes et dans un parc exotique du sud de l’Angleterre (Leonardslee Gerdens, Horsham, West Sussex).
* Michael Powell écrit dans ses mémoires : « Black Narcissus est le film le plus érotique que je n’ait jamais tourné. Tout est suggéré, mais l’érotisme est présent dans chacun des plans du début à la fin. »
* Michael Powell y évoque également l’importance de la musique, notamment pour la scène débutant avec le petit Joseph apportant le thé jusqu’à la chute à la cloche (env. 86′ à 91′). Pour ces cinq minutes, tout fut minuté, la musique étant écrite avant de tourner. Il est vrai que l’utilisation parfaite de la musique donne beaucoup de force à cette scène. De plus, Kathleen Byron y est absolument exceptionnelle : lorsqu’elle ouvre la porte, il y a une intensité phénoménale qui se dégage de son regard.
* Dans la version américaine, la censure a imposé de couper toutes les scènes de flashbacks (scènes en Irlande où Sister Cladagh est amoureuse avant d’entrer au couvent).

(1) Lire le premier commentaire ci-dessous pour une explication et une belle illustration de la technique du matte painting.
(2)Le film a été tourné au moment où l’Inde était en plein processus d’indépendance. On pourra cependant noter que le roman de Rumer Gordon avait été écrit dix ans auparavant en 1938. Il était donc assez prophétique.

11 août 2013

Dimanche d’août (1950) de Luciano Emmer

Titre original : « Domenica d’agosto »

Dimanche d'aoûtPar un dimanche ensoleillé d’août 1949, les habitants de Rome se rendent en masse vers la plage d’Ostie. Nous suivons certains d’entre eux : une famille nombreuse, un veuf accompagné de sa petite fille et de sa nouvelle compagne, un groupe d’adolescents à vélo, une jeune fille qui se laisse emmener dans une luxueuse voiture, un jeune policier amoureux d’une bonne, etc. … Dimanche d’août est le premier long métrage de Luciano Emmer qui n’avait auparavant réalisé que des courts métrages documentaires d’art. L’idée de base a été écrite par Sergio Amidei, scénariste (entre autres) de Rome, ville ouverte de Rossellini. Dimanche d’août s’inscrit pleinement dans le courant du néoréalisme italien, il nous immerge dans cet univers populaire romain de l’Après-guerre, un monde plein de vie où l’amour reprend ses droits alors que les restes de la guerre sont toujours bien présents, une redécouverte de l’insouciance en quelque sorte. Plutôt que de nous les faire suivre l’une après l’autre, Luciano Emmer a préféré entremêler plusieurs petites histoires, nous faisant sauter de l’une à l’autre. Ce procédé narratif, aujourd’hui bien connu, était à l’époque extrêmement original. Il donne en tous cas encore plus de vie et de rythme à l’ensemble. Sous jacent, le contexte social est bien là car la hiérarchie des classes est reproduite au bord de l’eau : il y a la plage privée et la plage publique. Dimanche d'août S’il n’y a pas d’acteurs de premier plan, on remarque que la jeune Anna Baldini a beaucoup de présence (on pourrait la décrire physiquement comme une Ingrid Bergman très jeune). Assez étonnamment, ce sera son seul film. Et le film marque la première apparition à l’écran dans un rôle un tant soit peu important du jeune Marcello Mastroianni (25 ans). Dimanche d’août est un film humaniste, plein de vie et haut en couleur, qui se double d’un témoignage sur l’Italie de l’Après-guerre, un monde où chacun, à sa façon, oeuvre pour atteindre une vie meilleure.
Elle:
Lui : 4 étoiles

Acteurs: Anna Baldini, Vera Carmi, Emilio Cigoli, Marcello Mastroianni, Massimo Serato
Voir la fiche du film et la filmographie de Luciano Emmer sur le site IMDB.

Remarques :
*  Dimanche d’août a été post-synchronisé en studio. C’est ainsi que Marcello Mastroianni est doublé par Alberto Sordi.
* L’assistant-réalisateur Giulio Macchi a démissionné après une semaine de tournage, accusant le réalisateur Luciano Emmer de n’avoir aucune compétence technique. Il fut remplacé par le jeune Francesco Rosi (Dimanche d’août est son troisième film comme assistant).
* A sa sortie, le film a été malmené par la Critique italienne. De son côté, le Centre Catholique du Cinéma (Centro Cattolico Cinematografico) a dénoncé son « exhibitionnisme dégoûtant ».

8 août 2013

Roxie Hart (1942) de William A. Wellman

Titre en Belgique : « La Folle Histoire de Roxie Hart »

Roxie HartUn journaliste raconte à ses compagnons de bar l’affaire Roxie Hart qui eut lieu à la fin des années vingt : une jeune danseuse s’était laissée accuser d’un meurtre qu’elle n’avait pas commis, juste pour profiter de la publicité que lui ferait cette affaire… Roxie Hart est la deuxième des trois adaptations de la pièce Chicago de Maurine Dallas Watkins. L’adaptation est ici signée Nunally Johnson. Il s’agit d’une comédie fort bien faite, une satire des média, en l’occurrence les journaux, qui ne font que rechercher le sensationnel. La mise en place est assez lente mais rapidement l’histoire dérive vers le loufoque. Les scènes de prison sont assez farfelues mais c’est lorsqu’arrive le procès que le film de William Wellman prend une toute autre dimension : on est alors largement dans le loufoque, on se croirait presque dans un film des Marx Brothers. Ainsi, en plus d’une satire des media, Roxie Hart est également une satire de la justice. Adolphe Menjou et surtout Ginger Rodgers sont excellents, l’actrice montrant dans ce type de rôle de comédie une aisance au moins égale à celle dont elle fait preuve dans ses rôles dramatiques. De plus, elle nous gratifie de deux courts numéros de danse. Malgré un épilogue assez ridicule (plus ou moins imposé par la censure), l’ensemble est réussi et très amusant.
Elle:
Lui : 3 étoiles

Acteurs: Ginger Rogers, Adolphe Menjou, George Montgomery, Lynne Overman, Nigel Bruce, Phil Silvers
Voir la fiche du film et la filmographie de William A. Wellman sur le site IMDB.

Voir les autres films de William A. Wellman chroniqués sur ce blog…

Remarques :
* Stanley Kubrick aurait listé ce film parmi ses dix films préférés.
* Le film n’est jamais sorti en France.
* Maurine Dallas Watkins, l’auteur de la pièce Chicago écrite en 1926, était elle-même journaliste.
* Roxie Hart est basé sur une histoire vraie, celle de Beulah Annan dont le procès eut lieu en 1924. Le scénario de Nunally Johnson s’en éloigne toutefois pour se conformer au Code Hays : dans cette version, Roxie n’a pas réellement tué.

Les autres versions :
Chicago de Frank Urson (1927) avec Phyllis Haver (produit par Cecil B. DeMille)
Et après la transformation en comédie musicale à Broadway en 1975 :
Chicago de Rob Marshall (2002) avec Renée Zellweger et Catherine Zeta-Jones (comédie musicale)