16 novembre 2016

Un cottage dans le Dartmoor (1929) de Anthony Asquith

Titre original : « A Cottage on Dartmoor »

Un Cottage dans le DartmoorDans les landes du Devon, un homme court dans la pénombre. Il vient de s’évader de la prison voisine et va tout droit jusqu’à un petit cottage où une jeune femme berce un enfant. Apeurée, elle le reconnaît. Ils étaient employés dans le même salon de coiffure et il était éperdument amoureux d’elle. Elle revoit leur histoire… Un Cottage dans le Dartmoor est l’un des derniers films muets britanniques. Dans son quatrième long métrage, le jeune Anthony Asquith (26 ans) intègre d’ingénieuses recherches techniques et fait preuve d’une grande virtuosité. Il va indéniablement plus loin que son compatriote Hitchcock (le film peut être comparé à Blackmail, sorti à la même époque). Non seulement Anthony Asquith soigne ses éclairages à l’extrême mais il montre une inventivité de tous les instants. C’est un festival : il joue avec la profondeur de champ, multiplie les angles de vues étonnants, insère des scènes surréalistes de suggestion, pratique un montage audacieux. La scène la plus impressionnante dans sa perfection est celle de la tentative de meurtre où tout se met idéalement en place. On peut regretter que cette beauté formelle place le récit au second plan ; Asquith ne l’oublie pas toutefois, mais il se situe plutôt sur un plan intimiste (et en ce sens, il se démarque des grands cinéastes russes qu’il évoque immanquablement, Eisenstein, Poudovkine, … qui sont plus au service d’une certaine grandeur). Le film marque la fin d’une époque, celle du muet. Asquith n’y croyait pas. Dans une longue et étonnante scène dans un cinéma, sa condamnation du parlant est sans appel. Contrairement à Blackmail d’Hitchcock, Un Cottage dans le Dartmoor se révèlera impossible à transformer en film sonore. Cela lui sera fatal. On le redécouvre avec bonheur aujourd’hui. Le film a été restauré en 2016 par le British Film Institute (BFI). La qualité de la restauration est impressionnante et sa très grande beauté n’en est que plus séduisante.
Elle:
Lui : 5 étoiles

Acteurs: Hans Adalbert Schlettow, Uno Henning, Norah Baring
Voir la fiche du film et la filmographie de Anthony Asquith sur le site IMDB.

Voir les autres films de Anthony Asquith chroniqués sur ce blog…

Un cottage dans le Dartmoor
Uno Henning et Hans Adalbert Schlettow dans Un cottage dans le Dartmoor de Anthony Asquith.

Remarques :
* La longue scène du cinéma montre la réaction des spectateurs (l’écran est hors champ) face à un film muet puis face à un film parlant. La première partie est un film muet accompagné par un orchestre dans la fosse. Les spectateurs s’esclaffent, réagissent abondamment (on peut supposer qu’il s’agit d’un film avec Harold Lloyd puisque deux gamins se moquent d’un spectateur qui a les mêmes lunettes). La seconde partie est un film parlant, les musiciens ne jouent plus et boivent une bière pendant que les spectateurs prennent une attitude cataleptique, ils semblent atterrés, totalement amorphes.

* Un Cottage dans le Dartmoor a très peu d’intertitres car Anthony Asquith multiplie les trouvailles pour ne pas en avoir besoin. Par exemple, dans le salon de coiffure, il insère quelques secondes d’un match de cricket au milieu d’un plan sur le garçon-coiffeur pour montrer qu’il parle de sport au client qu’il est en train de coiffer.

* Norah Baring est anglaise, Uno Henning est suédois, Hans Schlettow est allemand.

Un cottage dans le Dartmoor

Un cottage dans le Dartmoor
Jeux de miroir : Norah Baring dans Un cottage dans le Dartmoor de Anthony Asquith.

Un cottage dans le Darmoor
Plan aussi efficace que brillant : deux employées du salon de coiffure cancanent en champ-contrechamp au sujet de sa bien aimée alors que le futur meurtrier, placé entre les deux, affute son rasoir. Superbe scène de Un cottage dans le Dartmoor de Anthony Asquith.

15 novembre 2013

Ils attrapèrent le bac (1948) de Carl Theodor Dreyer

Titre original : « De nåede færgen »

Ils attrapèrent le bac(Court métrage de 11 minutes) Un couple arrive par le bac sur une moto. Ils n’ont que 45 minutes pour attraper un second bac à 70 kms de là et doivent donc rouler très vite pour y parvenir…
Après l’échec de Vampyr (1932), Carl Theodor Dreyer retourne au Danemark pour y exercer son ancien métier de journaliste. Ce n’est que dix ans plus tard, en 1942, qu’il recommence à tourner, signant au cours de la décennie deux longs métrages et plusieurs courts métrages documentaires. Ils attrapèrent le bac est une commande de la Sécurité routière dans le cadre d’une campagne contre la vitesse excessive sur la route. C’est tout de même une adaptation, celle d’un court roman de l’écrivain danois Johannes V. Jensen, Prix Nobel de littérature 1944. Ils attrapèrent le bac Nous suivons le couple sur la moto, doublant toutes les autres voitures, prenant souvent de grands risques. Le montage est assez riche et rapide avec de très nombreux plans différents remarquablement bien utilisés. La réalisation est précise. Dreyer apporte une petite touche d’étrangeté avec cette voiture mystérieuse difficile à doubler dont la capote arrière est ornée d’un motif de squelette semblable à une gigantesque araignée. Il apporte aussi une petite note d’humour lorsque la moto se trompe de route : la caméra s’arrête au carrefour, laissant la moto s’éloigner dans la mauvaise direction, attendant patiemment qu’elle revienne. D’une base simple, Dreyer a fait un film assez complet et riche. Ils attrapèrent le bac est considéré comme étant l’un des meilleurs courts métrages de Dreyer.
Elle:
Lui : 3 étoiles

Acteurs: Joseph Koch
Voir la fiche du film et la filmographie de Carl Theodor Dreyer sur le site IMDB.
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Remarque :
* L’homme qui conduit la moto est Joseph Koch, un pilote professionnel. C’est son épouse qui est derrière lui.

15 juillet 2013

L’Homme à la caméra (1929) de Dziga Vertov

Titre original : « Chelovek s kino-apparatom »

L'homme à la caméra« Le film que vous allez voir est un essai de diffusion cinématographique de scènes visuelles. Sans recours aux intertitres (le film n’a pas d’intertitres), sans recours à un scénario (le film n’a pas de scénario), sans recours au théâtre (le film n’a pas de décor, pas d’acteurs, etc.) Cette oeuvre expérimentale a pour but de créer un langage cinématographique absolu et universel complètement libéré du langage théâtral ou littéraire. »
Film expérimental muet, L’Homme à la caméra est un film-manifeste destiné à montrer et mettre en pratique les principes énoncés par les Kinoks, ce petit collectif de réalisateurs soviétiques dont Dziga Vertov est la pièce angulaire. C’est un film sans scénario, sans acteur et aussi sans décor puisque, et c’est là l’un des grands principes, il s’agit de capter « la vie à l’improviste », la vraie vie, quel que soit l’endroit, dans les rues, dans une chambre à coucher, sur une plage, etc. Le « ciné-oeil » permet de restituer la vie, créant une simple connexion entre le réel et le spectateur. Dziga Vertov révèle les procédés cinématographiques : le caméraman apparaît très souvent à l’image, montré alors qu’il filme (souvent dans des positions passablement périlleuses d’ailleurs). Le media est ainsi démystifié.
L'homme à la caméraUn autre grand principe des Kinoks est la « théorie des intervalles » : le montage va permettre de prolonger un mouvement par autre plan qui peut n’avoir aucun lien avec le précédent. Il en résulte la création d’échos, d’analogies et de rimes qui forment un rythme presque musical qu’aucun intertitre ne vient interrompre.
L’Homme à la caméra est un film extrêmement dense, très riche de signifiant, dont il est impossible de tout percevoir en une seule vision. Notre oeil est constamment stimulé par un montage rapide, des superpositions, Vertov crée des rapprochements qui surprennent. Pour mieux le comprendre et l’analyser, il faut donc plusieurs visions et prendre le temps de lire certaines analyses. Chacun de ses plans a un sens, une signification. Regarder L’Homme à la caméra est une expérience sensorielle hors du commun.
Elle:
Lui : 4 étoiles

Acteurs:
Voir la fiche du film et la filmographie de Dziga Vertov sur le site imdb.com.

Remarques :
* Le caméraman est Mikhaïl Kaufman, le frère de Dziga Vertov (dont le vrai nom est Denis Kaufman). Lorsqu’il est visible à l’écran, c’est Dziga Vertov qui le filme. La monteuse est Elizaveta Svilova qui est devenue la femme de Vertov après avoir rejoint les Kinoks au début des années 20.
* L’Homme à la caméra est le deuxième film-manifeste des Kinoks après Kinoglaz (Ciné oeil – La vie à l’improviste, 1924) du même Dziga Vertov.

Lectures possibles pour en savoir plus :
Le manifeste Ciné-Oeil de Dziga Vertov
Dossier du CNDP par Bamchade Pourvali
Dossier CNC/Cahiers du Cinéma
– Vidéo : conférence de Bamchade Pourvali au Forum des Images
Présentation et analyse par le Ciné-Club de Caen
Présentation du film sur DVDClassik

20 septembre 2011

Selon la Loi (1926) de Lev Kulechov

Titre original : « Po zakonu »
Autre titre : « Dura Lex »

Po zakonuAu Yukon, un groupe cosmopolite de cinq chercheurs d’or exploite un petit filon. L’un d’eux, un irlandais d’habitude plutôt jovial, abat soudainement deux membres du groupe avant d’être maitrisé et ligoté. Par respect de la Loi, le couple épargné désire qu’il soit jugé… Selon la loi est adapté d’une nouvelle de Jack London « L’imprévu ». Ce n’est toutefois pas un film d’aventures. Il s’agit d’un huis clos psychologique qui met en relief le dilemme moral de ce couple qui se retrouve avec le sort d’un meurtrier entre leurs mains. Koulechov est l’un des grands créateurs du cinéma soviétique. Alors qu’il n’avait que 20 ans, il a étudié et développé des théories sur l’importance et la force du montage (1). Dans Selon la loi, il parvient ainsi à donner une grande intensité au jeu des acteurs qui semblent vraiment vivre leurs scènes. C’est assez étonnant. Il donne beaucoup d’importance aux objets qui bénéficient des mêmes attentions de montage que les acteurs. Il épure au maximum l’histoire, les personnages ne sont guère décrits en profondeur, pour se concentrer sur la force des sentiments. Koulechov reçut une réprimande pour l’absence de contenu idéologique. (film muet)
Elle:
Lui : 3 étoiles

Acteurs: Aleksandra Khokhlova, Sergei Komarov, Vladimir Fogel
Voir la fiche du film et la filmographie de Lev Kulechov sur le site IMDB.

Remarques :
(1) Sa démonstration la plus célèbre pour montrer l’importance du montage a été d’utiliser un même plan de l’acteur Mosjoukine pour générer des sentiments différents : en enchaînant avec l’image d’un enfant, on lisait sur le visage de l’acteur de la tendresse ; en enchaînant avec l’image d’une femme dans un cercueil, on lisait de la tristesse, avec l’image d’un bol de soupe, on lisait l’appétit etc.

16 mars 2011

The kiss in the tunnel (1899) de George A. Smith

The Kiss in the TunnelLui :
(Muet, 1 minute) George Albert Smith est avec James Williamson l’un des pionniers du cinéma anglais, il est le réalisateur le plus important de « l’école de Brighton ». The Kiss in the Tunnel est remarquable à plus d’un titre. Tout d’abord, il s’agit de l’un des tous premiers films utilisant le montage pour assurer la continuité de l’action. Il est composé de trois scènes:
1) un train entre dans un tunnel
2) à l’intérieur d’un compartiment, un homme et une femme s’embrassent furtivement
3) le train sort du tunnel.
D’autre part, les scènes d’entrée et de sortie du tunnel sont filmées en caméra subjective, la caméra ayant étant placée à l’avant d’un train. C’est le principe du phantom ride, genre qui impressionnait fortement le public. Ces deux scènes ont été filmées par Cecil M. Hepworth, pour un petit film View from Engine Front – Train Leaving Tunnel. Dans la scène à l’intérieur du compartiment, c’est le réalisateur George Albert Smith lui-même et son épouse qui jouent l’homme et la femme. On remarquera le décor très stylisé, presque onirique, qui ne cherche pas le réalisme. Nous sommes donc là tout à fait dans l’esprit du cinéma.
Note : 3 étoiles

Acteurs:
Voir la fiche du film et la filmographie de George Albert Smith sur le site imdb.com.

Remarques :
The Kiss in the Tunnel Le film a été copié, l’année même de sa réalisation : The Kiss in the Tunnel (1899) (Bamforth & Co, réalisateur non connu). Le film est moins bien réalisé. La différence majeure est dans l’entrée du train dans le tunnel : la vision n’est plus subjective, nous voyons le train entrer dans le tunnel (la connotation sexuelle est ceci dit plus forte…) Le baiser est moins bourgeois, on peut même supposer que les deux personnages ne se connaissent pas. Le décor est plus cru et réaliste. Enfin, on ne voit pas le train sortir du tunnel, le film passe directement à une scène d’arrivée en gare. Le « remake » est donc moins inventif et plus racoleur, dans un esprit de recherche du « croustillant »…

Pour en savoir plus sur les Phantom Rides (article en anglais)