1 avril 2021

Rêves d’or (2013) de Diego Quemada-Díez

Titre original : « La jaula de oro »

Rêves d'or (La jaula de oro)Originaires du Guatemala, Juan, Sara et Samuel aspirent à une vie meilleure et tentent de se rendre aux États-Unis. Les trois adolescents décident de suivre les voies de chemin de fer et empruntent les trains de marchandises avec d’autres migrants. Dès le début de leur périple, ils rencontrent Chauk, un indien du Chiapas ne parlant pas l’espagnol et qui se joint à eux…
Film mexicain, Rêves d’or est le premier long métrage de l’espagnol Diego Quemada-Diez, ancien assistant de Ken Loach. Il a conçu le projet dès 2002 et a recueilli 600 témoignages. Son récit se concentre sur le périple des trois adolescents et les dangers qu’ils doivent affronter. Le réalisateur ne fait pas d’exposé didactique sur les difficultés économiques qui les ont poussés à partir, il n’utilise pas d’effets faciles de dramatisation pour générer l’émotion. On s’attache presque naturellement à ces trois enfants, on perçoit leur fragilité et on mesure l’ardeur et la ténacité dont ils font preuve. Il n’y a que peu de paroles. Le cinéma a, en commun avec la littérature, cette faculté de nous mettre dans la peau d’autres êtres humains, de nous faire vivre partiellement ce qu’ils ont vécu et ainsi de changer notre regard sur eux. Ce film, presque documentaire, en est un bel exemple.
Elle: 5 étoiles
Lui : 4 étoiles

Acteurs: Brandon López, Rodolfo Domínguez, Karen Martínez
Voir la fiche du film et la filmographie de Diego Quemada-Díez sur le site IMDB.

Rêves d'or (La jaula de oro)Rodolfo Domínguez et Brandon López dans Rêves d’or (La jaula de oro) de Diego Quemada-Díez.

13 mars 2021

Trois étés (2019) de Sandra Kogut

Titre original : « Três Verões »

Trois étés (Três Verões)Madalena, gouvernante enjouée et pleine d’énergie, gère le personnel de la belle maison de vacances d’un couple de riches Brésiliens. Ils ne profitent des lieux que pour les fêtes de fin d’année, qui se déroulent en plein été au Brésil. Une année, les propriétaires ne se présentent pas. Madalena reçoit à la place la visite de la police venue perquisitionner la maison…
Trois étés est le premier long métrage de la réalisatrice brésilienne Sanfra Kogut. A travers le portrait de cette gouvernante sexagénaire débordante d’énergie, elle dresse aussi le portrait de son pays en proie aux multiples procès pour corruption. Le récit se déroule sur trois étés, 2015,2016 et 2017, en décembre plus exactement (nous sommes dans l’hémisphère sud) au moment de noël. Le choix de son personnage principal constitue une approche assez originale et, assez logiquement, tout le film repose sur le-dit personnage haut en couleur interprété avec brio par Regina Casé. Elle est de toutes les scènes, exubérante et volubile, un flot de paroles, un peu agaçante mais pleine de générosité. La réalisatrice ne joue pas tant sur les différences de classes car son personnage a profité indirectement des malversations de ses riches patrons. Le récit manque quelque peu d’intensité et se délite plutôt lors du troisième été. Malgré ses maladresses, le film sait retenir toute notre attention.
Elle: 3 étoiles
Lui : 3 étoiles

Acteurs: Regina Casé, Rogério Fróes, Gisele Fróes, Jéssica Ellen
Voir la fiche du film et la filmographie de Sandra Kogut sur le site IMDB.

Voir la fiche du film sur AlloCiné.Trois étés (Três Verões)Regina Casé dans Trois étés (Três Verões) de Sandra Kogut.

1 mars 2021

Les Meilleures Intentions (2019) de Ana García Blaya

Titre original : « Las buenas intenciones »

Les Meilleures Intentions (Las buenas intenciones)Au début des années 90, à Buenos Aires, Amanda, une fillette de 10 ans, est l’aînée d’un couple séparé. Avec son jeune frère et sa sœur, ils passent régulièrement des journées avec leur père, disquaire, bohème et immature. Le statu quo est bouleversé lorsque leur mère annonce vouloir déménager avec son compagnon au Paraguay en amenant les enfants avec elle…
Ana García Blaya a commencé à écrire le scénario de Les Meilleures Intentions en 2010, lors d’un atelier dirigé par Pablo Solarz, réalisateur de Historias Minimas. Elle avait choisi de raconter un récit simple inspiré de sa propre vie. Ce n’est que plusieurs années plus tard qu’elle a repris ce scénario pour en faire un film. Cette petite chronique familiale se déroulant sur quelques mois décrit le rapport avec ce père (aujourd’hui décédé) dont elle se sentait très proche, recréant l’atmosphère, notamment musicale, qu’il leur faisait partager. La réalisatrice a mêlé des images réelles, tournées avec une caméra amateur de l’époque, un procédé dont on comprend aisément la charge affective pour elle mais qui se révèle désagréable pour nous, spectateurs. Nous restons hélas étrangers à ce récit sauf aux très rares moments où la réalisatrice parvient à créer une émotion, notamment à la toute fin.
Elle:
Lui : 2 étoiles

Acteurs: Javier Drolas, Jazmín Stuart, Amanda Minujin, Sebastian Arzeno
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Les Meilleures Intentions (Las buenas intenciones)(de g. à d.) Ezequiel Fontenla, Amanda Minujin, Javier Drolas et Carmela Minujin
dans Les Meilleures Intentions (Las buenas intenciones) de Ana García Blaya.

29 janvier 2021

Bacurau (2019) de Kleber Mendonça Filho et Juliano Dornelles

BacurauDans un futur proche, au Brésil, les habitants du petit village isolé de Bacurau du Sertão, dans la région du Nordeste, enterrent la matriarche de leur communauté. Peu après, les villageois font face à des événements très étranges…
Bacurau est un film brésilien écrit et réalisé par Kleber Mendonça Filho et Juliano Dornelles. Il est difficile de le définir parce qu’il emprunte à plusieurs genres : le thriller, la science fiction, le western, le slasher movie et le film de cangaço (1), un genre typiquement brésilien très lié à l’imaginaire cinématographique du Sertão. L’histoire est assez étrange, surtout dans sa première moitié, et si le film ne réserve pas de grosses surprises, il se révèle très prenant grâce à une tension grandissante. Certaines scènes sont assez violentes dans sa seconde moitié mais sans qu’il y ait toutefois d’insistance excessive sur ces scènes. Bien entendu, le récit est aussi une allégorie politique pour dénoncer les méthodes du gouvernement d’extrême-droite actuel. Le préfet du film ressemble physiquement d’ailleurs quelque peu à Bolsonaro. Le film a été tourné en Panavision en utilisant des objectifs anamorphiques ce qui lui donne une touche cinéma américain des années soixante, originale pour un film brésilien. Grand Prix du Jury à Cannes 2019.
Elle:
Lui : 4 étoiles

Acteurs: Bárbara Colen, Thomas Aquino, Udo Kier
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Remarque :
* « Bacurau » signifie en portugais « engoulevent », un oiseau crépusculaire et nocturne qui se camoufle très bien quand il se repose sur une branche d’arbre. Juliano Dornelles dresse le parallèle entre l’animal et le village : « Il ne sera remarqué que s’il a lui-même envie d’apparaître. Le village de Bacurau se porte ainsi, il est intime du noir, il sait se cacher et attendre, et préfère même ne pas être aperçu. » (Extrait du dossier de presse)

(1) Le cangaço a été une forme de banditisme social dans le Nordeste de la fin du XIXe siècle et début du XXe. Dans cette région aride où les inégalités sont fortes, de nombreux hommes et femmes sont devenus des bandits nomades, comme une forme de révolte à la domination des propriétaires terriens et du gouvernement. Le cinéma brésilien des années 1950 et 1960 a beaucoup exploré cette figure. (Extrait du dossier de presse)

BacurauBacurau de Juliano Dornelles et Kleber Mendonça Filho.

18 septembre 2020

Neruda (2016) de Pablo Larraín

NerudaChili, 1948. Au Congrès, le sénateur Pablo Neruda, membre du parti communiste, critique ouvertement le gouvernement populiste en place. Le président Videla demande alors sa destitution et confie au redoutable inspecteur Óscar Peluchonneau le soin de procéder son arrestation. Le poète doit alors se cacher…
Contrairement aux apparences, Neruda de Pablo Larrain n’est pas un biopic. Il est en effet bien éloigné du format de ce genre très codifié. Les faits sont globalement réels, Pablo Neruda a été bien été longuement recherché par la police chilienne en 1948-49, mais le déroulement de cette traque est aménagé pour s’inscrire dans l’univers poétique de l’écrivain. Cette approche, bien plus créatrice qu’un biopic classique, nous permet de mieux le connaitre en approchant son imaginaire, son processus de création. Le policier est à la fois inquiétant et apitoyant, cocktail difficile à réaliser ; il est autant fantasmé que réel. Avec Neruda, Pablo Lorrain signe un très beau film, digne de son sujet.
Elle: 4 étoiles
Lui : 4 étoiles

Acteurs: Luis Gnecco, Gael García Bernal, Mercedes Morán
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Voir les autres films de Pablo Larraín chroniqués sur ce blog…

NerudaLuis Gnecco dans Neruda de Pablo Larraín.

Homonyme :
Neruda du chilien Manuel Basoalto (2014) avec José Secall.

24 février 2020

La Flor (2018) de Mariano Llinás

La FlorLa Flor est un film argentin « en quatre parties et six épisodes », d’une durée totale de 13h30. Le terme « épisode » peut induire en erreur : en fait, il n’y a aucun lien entre ces six histoires si ce n’est que cinq d’entre elles sont jouées par les même quatre comédiennes,  issue d’une même compagnie de théâtre. Les quatre premières histoires (symbolisées par les flèches qui partent vers le haut sur l’affiche du film) n’ont pas de fin, la cinquième est une histoire complète (le rond sur le schéma) et la sixième est la fin d’une histoire dont on ne connait pas le début (la tige de la fleur). L’intention du réalisateur est de rendre hommage au cinéma dans tous ses genres : « Je vois pour ma part le film comme un arbre de Noël. Il est un recommencement et un réagencement de ce que le cinéma nous a légué au cours du XXe siècle et qui est en train de disparaître. »
Tout cela me paraissait aussi louable qu’alléchant mais, hélas, mon enthousiasme est vite tombé et j’avoue avoir ressenti le besoin à mi-parcours d’aller lire interview du réalisateur et critiques dithyrambiques pour m’aider à détecter des qualités que je n’aurais pas su voir. Hélas, je n’ai rien trouvé qui puisse me convaincre. A mes yeux, l’histoire la plus intéressante est le début de la quatrième, qui est une mise en abyme du cinéma : un cinéaste délaisse ses comédiennes pour aller filmer des arbres. A l’opposé, la pire a été pour moi la troisième, une histoire d’espionnage qui dure plus de cinq heures (j’avoue en avoir sauté de larges passages). La cinquième se présente comme un remake de Partie de Campagne de Jean Renoir et de savoir que l’image floutée et salie de la sixième histoire « s’inspire des peintres Leonard de Vinci et Manet » apporte un peu de baume au terme d’une dure épreuve. La Flor était un beau projet…
Elle:
Lui : 1 étoile

Acteurs: Elisa Carricajo, Valeria Correa, Pilar Gamboa, Laura Paredes
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Remarques :
* La Flor a bénéficié de nombreuses critiques élogieuses, mon avis ne semble donc pas majoritaire…
* Mariano Llinás a cosigné le scénario de El presidente (2017) de Santiago Mitre. On retrouve ici son attrait pour le fantastique et le paranormal dans les quatre premières histoires. Son précédent et premier long métrage de fiction, Historias extraordinarias (2008), donne également une large part au fantastique.

La Flor(de g. à d.) Pilar Gamboa, Elisa Carricajo, Valeria Correa et Laura Paredes dans La Flor de Mariano Llinás.

12 octobre 2019

La Fiancée du désert (2017) de Cecilia Atán et Valeria Pivato

Titre original : « La Novia del Desierto »

La Fiancée du désert (La Novia del Desierto)Argentine, de nos jours. Teresa a travaillé plus de trente ans au service de la même famille qui ne peut plus la garder ; elle l’envoie chez des parents à mille kilomètres de là. A la suite d’une panne de bus, elle perd son sac et va le chercher avec l’aide d’un vendeur ambulant…
La Fiancée du désert est le premier long métrage des deux réalisatrices argentines Cecilia Atán et Valeria Pivato. Leur récit est un road-movie délicat, minimaliste, hors du temps avec quelques notes poétiques. Sur le plan de la forme, les deux réalisatrices ont soigné leurs plans, sachant bien utiliser les grandes étendues désertiques, jouant beaucoup avec les reflets, et les cadres dans le cadre. Ces effets stylistiques peuvent toutefois sembler un peu trop voyants parfois, et donc nuire au naturel. Les deux personnages intriguent d’abord et deviennent rapidement attachants. Comme les réalisatrices l’expliquent : « Le monde de Gringo se résume à son camion, et face au désert aride, il constitue une figure à la fois rassurante et inquiétante, et c’est ce paradoxe qui fascine Teresa. Au fil de la route et des rencontres, cette femme silencieuse et à l’allure impénétrable reprend peu à peu des couleurs. »
Elle: 4 étoiles
Lui : 3 étoiles

Acteurs: Paulina García, Claudio Rissi
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La Fiancée du désert (La Novia del Desierto)Paulina García dans La Fiancée du désert (La Novia del Desierto) de Cecilia Atán et Valeria Pivato.

Remarques :
* La Difunta Correa est un personnage mythique qui fait l’objet d’un culte au même titre qu’une sainte en Argentine, au Chili et en Uruguay. Elle possède un sanctuaire dans la localité de Vallecito, dans la province de San Juan, mais la majeure partie de son culte est rendu au bord des routes, dans d’humbles sanctuaires entourés de dizaines de bouteilles d’eau. Selon la légende, Deolinda Correa est morte de soif en traversant le désert avec son bébé dans les bras, mais celui-ci est parvenu à survivre en se nourrissant au sein de sa mère décédée.

La Fiancée du désert (La Novia del Desierto)Claudio Rissi et Paulina García dans La Fiancée du désert (La Novia del Desierto) de Cecilia Atán et Valeria Pivato.

9 octobre 2019

El presidente (2017) de Santiago Mitre

Titre original : « La Cordillera »

El presidenteSe rendant à un sommet des chefs d’états latino-américains au Chili, le président argentin Hernán Blanco se voit impliqué dans une affaire de corruption révélée par l’ex-mari de sa fille Marina. Il fait venir celle-ci au Chili pour l’interroger et définir une stratégie pour contrer les rumeurs…
Il faut préciser d’emblée que, malgré le sujet et les personnages, El presidente n’est pas vraiment un film politique. Difficile à définir, le sujet principal serait plutôt la solitude du pouvoir. Ce président doit en effet faire face à plusieurs problèmes de natures très différentes : personnel, judiciaire, de politique intérieure, stratégique au niveau mondial. Le père du jeune réalisateur argentin Santiago Mitre a travaillé longtemps pour le Mercosur et lui a fourni de précieuses informations sur le déroulement d’un sommet international. Ricardo Darín est parfait pour incarner le président ; c’est un acteur qui a toujours une grande présence à l’écran et il émane de lui une puissance intérieure qui sied bien au personnage. Le seul problème du film est qu’il semble n’aboutir sur rien. Plus que le récit, le réalisateur semble surtout avoir soigné la forme, précise et soignée, presque documentaire par moments. Il a créé une atmosphère très particulière, chargée d’étrangeté, à la lisière du fantastique mais nous laisse, certainement volontairement, en état de légère frustration.
Elle: 3 étoiles
Lui : 3 étoiles

Acteurs: Ricardo Darín, Dolores Fonzi, Erica Rivas
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Remarques :
* Même si ce n’est pas le sujet principal du film, ce président argentin évoque Néstor Kirchner (2003-2007), le président brésilien semble inspiré de Luiz Inácio Lula da Silva alias Lula (2003-2011),  et le mexicain nous fait penser à Felipe Calderón (2006-2012). Mais ce ne sont que des inspirations pour la définition des personnages, pas pour leurs actions ou les évènements auxquels ils font face. Même le sommet en question, sorte de Mercosur étendu, ne semble pas avoir d’équivalent réel.

* Le réalisateur précise : « Généralement, quand on parle des politiques, on fait plutôt des thrillers ; ici, j’avais envie d’aborder le politique à travers des éléments fantastiques. Il faut savoir que je me sens héritier de la tradition de la littérature fantastique qui est extrêmement forte en Argentine. Le fantastique me paraissait donc être une très bonne manière d’apporter de l’étrangeté et de l’inquiétude dans ce milieu du pouvoir. Mes inspirations ont été autant Polanski que Kubrick ou Julio Cortazar. » (Note : Julio Cortaza est un écrivain argentin qui a, entre autres, écrit la nouvelle à la base de Blow Up d’Antonioni et il cite Kubrick certainement en pensant à Shining et à son hôtel).
L’affiche argentine du film avec le texte « Le Mal existe » montre bien cet attrait pour le fantastique et sur l’intention de laisser planer un doute. Elle place en tous cas le spectateur argentin dans un certain état d’esprit (ce qui ne fut pas notre cas puisque nous n’avons vu cette affiche qu’après visionnage).

El presidenteRicardo Darín dans El presidente de Santiago Mitre.

1 septembre 2019

Les Héritières (2018) de Marcelo Martinessi

Titre original : « Las herederas »

Les héritièresÀ Asuncion au Paraguay, Chela, une femme presque septuagénaire issue d’une famille riche, a vécu avec Chiquita pendant plus de trente ans. Ruinée, elle est obligée de vendre meubles, tableaux et argenterie qu’elle a reçus en héritage. Par ailleurs, Chiquita, accusée de fraude, doit aller en prison. Chela se retrouve seule…
Les héritières a été écrit et réalisé par le paraguayen Marcelo Martinessi qui signe là son premier long métrage. Il s’agit d’un film très mélancolique qui met en lumière le crépuscule d’une vie bourgeoise qui s’étiole doucement. Marcelo Martinessi n’affiche toutefois aucune nostalgie, il semble plutôt vouloir se placer en observateur. De la réalité du pays, nous ne verrons rien : Chela et les personnes qu’elle rencontre semblent presque vivre en marge de la société (impression probablement renforcée par l’âge des personnages). Hormis l’arbitraire des arrestations, le réalisateur ne fait que peu d’allusions à la politique de son pays et il faut lire certaines de ses déclarations pour mieux la comprendre (1). Le film est assez lent mais émouvant. Tourné avec peu de moyens, le film a bénéficié d’une distribution internationale. Le cinéma paraguayen est plutôt rare. Ne serait-ce que pour cette raison, le film est intéressant à voir.
Elle: 3 étoiles
Lui : 3 étoiles

Acteurs: Ana Brun, Margarita Irun, Ana Ivanova, Nilda Gonzalez
Voir la fiche du film et la filmographie de Marcelo Martinessi sur le site IMDB.
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Remarques :
* Certaines phrases semblent dites dans une autre langue que l’espagnol. C’est bien le cas. En fait, au Paraguay, il existe deux langues officielles : le guarani et l’espagnol.

Les héritièresAna Brun et Ana Ivanova dans Les héritières de Marcelo Martinessi.

(1) « Le coup d’État le plus récent (2012) a montré qu’il y a toujours eu une sorte de complicité entre notre petite- bourgeoisie et les régimes autoritaires. Et je ne parle pas seulement des personnages forts qui ont façonné leur époque à coups de bottes et de fusils jusqu’à la fin des années 80. Les nouveaux leaders « démocratiques », qui partagent désormais les bénéfices de la corruption et du trafic de drogue, ont eux aussi besoin de cette complicité pour inspirer les mêmes peurs et maintenir les mêmes silences. Personnellement, je m’intéresse à la vie quotidienne en dehors de ces zones de pouvoir, même au sein de la classe dirigeante. Il n’était pas pertinent de placer Les héritières à un moment précis de notre histoire politique puisque la sensation de vivre dans une prison géante reste la même. Aussi, ce film est fait essentiellement sur ce sentiment d’enfermement. » Marcelo Martinessi (Extrait du dossier de presse repris du site Allociné)

Marcelo Martinessi a été directeur exécutif de la première chaîne de télévision publique du Paraguay jusqu’au coup d’État de juin 2012. Capturant le traumatisme de son pays au cours de ce chaos politique, il a écrit et réalisé ‘La Voz Perdida’ et remporté le prix du meilleur court métrage au Festival de Venise en 2016. (Extrait du dossier de presse repris du site Allociné)

Précision : En juin 2012, Fernando Lugo, le premier président de gauche du Paraguay, a été destitué par un vote du Sénat. Cette destitution est qualifiée de « coup d’état » par de nombreuses voix (lire un article sur Le Monde).

Homonyme :
Les héritières (Örökség, 1980) de la hongroise Márta Mészáros avec Isabelle Huppert.

14 mai 2019

Nazarin (1959) de Luis Buñuel

Titre original : « Nazarín »

NazarinDans le Mexique du début du XXe siècle, le Père Nazario exerce son ministère pastoral dans un esprit très proche des valeurs évangéliques : il aide ses paroissiens très pauvres et leur donne tout ce qu’il possède. Après avoir protégé une prostituée ayant commis un meurtre, il doit fuir…
Adaptation d’un roman de l’espagnol Benito Pérez Galdós, Nazarin de Luis Buñuel a suscité beaucoup de malentendus à sa sortie. Comment un cinéaste reconnu par tous comme anticlérical pouvait-il produire un tel film sur la Foi, film qui fut à deux doigts de recevoir le Prix de l’Office catholique du cinéma ? (1) Ce fut l’incompréhension qui domina parmi ses amis et soutiens. En réalité, son film est une réflexion sur la mise en pratique de grands principes évangéliques : son prêtre est ce que l’on appellerait volontiers « un saint homme », il ne cherche qu’à faire le bien autour de lui et vit dans le dénuement le plus total. Mais son action n’est pas toujours profitable aux autres, elle est même parfois préjudiciable comme dans la scène du chantier de construction. Le cinéaste s’en prend aussi aux institutions : le « saint homme » est en effet rejeté par l’Eglise qui le défroque. Et, au final, le doute finit par le gagner. Il y a certainement d’autres lectures possibles de ce film : Alain Bergala y voit une tentative de « comprendre la circulation du mal dans le monde à travers les expériences et la conscience de son personnage » (2). Dans sa forme, le film est à l’image du propos, épuré, sans artifice avec une photographie sobre mais assez belle.
Elle:
Lui : 4 étoiles

Acteurs: Francisco Rabal, Marga López, Rita Macedo
Voir la fiche du film et la filmographie de Luis Buñuel sur le site IMDB.

Voir les autres films de Luis Buñuel chroniqués sur ce blog…

Voir les livres sur Luis Buñuel

Remarques :
* « Dieu merci, je suis encore athée ». Cette citation de Luis Buñuel figure dans tous les dictionnaires de citations mais, comme bien souvent, vouloir réduire une pensée à six mots est réducteur. En fait, ce n’est ni une pirouette ni juste un trait d’humour. Pour comprendre sa pensée, il faut mieux lire le chapitre « Athée grâce à Dieu » de ses mémoires où il aborde les questions du hasard, de l’existence de Dieu et de l’imaginaire.
En réalité, Buñuel croit fermement dans le hasard et pense que si Dieu existe vraiment, cela ne change rien pour nous : « Dieu ne s’occupe pas de nous. S’il existe, c’est comme s’il n’existait pas. Raisonnement que j’ai résumé jadis dans cette formule : Je suis athée, grâce à Dieu. Une formule qui n’est contradictoire qu’en apparence. » (Luis Buñuel, Mon dernier soupir, éditions Robert Lafon 1982, p 214)

* Le cinéaste poursuivra sa réflexion, notamment en s’attaquant aux dogmes, dans Viridiana (1961), Simon du désert (1965) et dans La Voie lactée (1969).

(1) Buñuel aurait été bien embarrassé de recevoir ce Prix de l’Office catholique. Il refusa plus tard de recevoir d’un prélat américain un diplôme d’honneur pour le film.
(2) Alain Bergala, Luis Buñuel, éditions Le Monde/Les Cahiers du cinéma 2007, p 54.

Nazarin
Marga López et Francisco Rabal dans Nazarin de Luis Buñuel.